Le dernier Goncourt n’est pas une lecture de plage ni un cadeau de Noël. Il ne respire pas la joie de vivre, chaque page est sanglante. Il se lit en apnée pendant l’insomnie. On se lève à l’aube avec la boule au ventre et la bouche pâteuse.
Bienvenue en enfer, bienvenue en Algérie; celle des entre-tueurs, des années noires, de la honte, de la folie collective. Les Algériens sont « particuliers » dit-on pour se rassurer. Ils sont impulsifs, susceptibles, sanguins, bref ils sont différents de nous autres. Ben voyons ! Il ne faut pas remonter loin dans le calendrier de l’Histoire pour trouver pareilles barbaries en France: l’inquisition, l’occupation, la décolonisation…Gardons-nous de faire la morale. L'espèce humaine est ainsi.
L’adage « pas de démocratie pour les ennemis de la démocratie ». servit de prétexte au coup d’état militaire « préventif » pour s’opposer au verdict des urnes en 1992. Bilan: 100 à 200 000 trucidés de tous âges. Le monde savait, le monde s’est tu. Que pendant dix ans les Algériens se soient auto-génocidés ne gênait personne car ils le faisaient avec discrétion. Seuls deux événements ont suscité le journal télévisé: lorsque des terroristes ont tenté de précipiter un Airbus d’Air France sur Paris et quand les moines de Tibhirine ont été décapités. Tous les autres massacres à huis clos relevaient « des affaires intérieures d’un pays souverain en lutte contre le terrorisme ». Ni la France, ni l’ONU, ni les africains, les arabes, les musulmans, ni même les ONG empêchées d’enquêter, n’ont levé les sourcils.
Nul ne sait pourquoi, un jour, subitement le carnage prit fin. Après 10 ans et 28 jours de sang: amnistie générale ! Sans doute rassasiés de tant de honte, tous se repentaient, tous se pardonnaient, tous devenaient amnésiques. Il ne s’est rien passé. On reprend comme avant. Les salafistes, les tortionnaires, les liquidateurs, les gendarmes et les militaires, tous en masse ont été blanchis de leurs crimes. Ils ont même été dédommagés, indemnisés, choyés, considérés. L’Algérie gazière est riche, elle avait les moyens d’acheter le silence. Plus un mot, plus un chuchotement, tout contrevenant risque les foudres de la justice.
Depuis la fin de cette guerre civile, depuis le 8 février 2002, nul n’avait oser transgresser de cette façon détaillée la loi du silence autrement que par des murmures inaudibles.
La grandeur de Kamel Daoud est d’avoir réussi à révéler d’un coup de livre toutes ces abominations au demi million de lecteurs que sont les fidèles habitués du Goncourt. C’est un bel hommage aux victimes, un deuil nécessaire qui hélas, ne sera pas lu en Algérie où l'ouvrage a immédiatement été interdit. On peut d’ailleurs se demander pourquoi, car ce n’est pas un pamphlet, c’est un roman hyper réalisme de bonne facture littéraire. L’auteur a couvert comme journaliste « censuré » la réalité du terrain sanglant de cette époque. Il parle de ce qu’il sait. Il témoigne de ce qu’il a vu. Il serait même plutôt indulgent avec la junte militaire dont les méthodes pour « terroriser les terroristes » étaient tout aussi barbares. Mais l’armée algérienne, héroïne de la révolution et de la décolonisation est intouchable. À ce tabou des tabous, Daoud n’ose pas trop remuer le couteau dans la plaie.
Faut-il juger un écrivain sur ses opinions ? Définitivement non. Il a tous les droits de plume. Il est la liberté totale, l’ultime défenseur de la nôtre. Respect.
L’objet de ce billet n’est pas de rédiger une critique littéraire, ni de résumer le livre, mais de livrer le ressenti subjectif d’un lecteur.
Un premier thèmes récurrent émerge du roman, c’est celui du rituel annuel de sacrifice d’un mouton. Trancher le cou d’un animal devant la famille des mâles rassemblés est un spectacle initiateur terrifiant pour les petits garçons. C’est la banalisation du couteau égorgeur d’un innocent. Pire, le bourreau est préventivement absout par sa seule évocation à haute voix « au nom d’Allah… » Ce n’est pas lui qui tue, c’est le bras de Dieu ! Plus tard, lorsque le criminogène aura dessiné un sourire de 17 centimètres sur le cou d’une fillette de 5 ans, ce sera encore au nom du tout puissant.
On se surprend à rejoindre Brigitte Bardot dans son combat. Faut-il en France, interdire les sacrifices rituel de cette « fête » musulmane contre-éducative ? En Grèce, le jour de la Pâque orthodoxe, chaque famille rôtit un mouton; mais la bête achetée chez le boucher est livrée dépouillée, étêtée. Les enfants ne sont pas traumatisés.
L'autre thème qui suscite ma réflexion est la description de la condition quasi animalière de la femme algérienne qui n’est que souffre douleur.
La seconde guerre civile d’Algérie a été une guerre de tueurs qui se sont réconciliés sur le dos et le ventre de femmes déshonorées, abandonnées, marginalisées, frappées d'indignité. Ce livre honore
la mémoire des oubliées.
Au moment où Daoud brandissait son livre de vérité au balcon de chez Drouant, une étudiante protestataire se dévoilait sur le campus d’une université en Iran, puis, seulement vêtue de ses sous-vêtements, marchait tranquillement vers une fin lente et douloureuse. Qui écrira son histoire ?
Au lendemain du jour où l’écrivain algérien triomphait à Paris, la première démocratie du monde plébiscitait le pire de ses machos, disqualifiant une femme rayonnante dont le prénom Kamala est le féminin du masculin Kamel qui en arabe signifie perfection.
La perfection... on en est encore très loin !
« Houris » de Kamel Daoud chez Gallimard n’est pas paroles d’une femme mais de toutes les femmes.