samedi 8 novembre 2025

L'Histoire contemporaine de Sébastien Lecornu

Comment évaluer la performance du nouveau Premier ministre autrement que par la comparaison avec un de ses illustres prédécesseurs ?


Prophétisant la gloire de son lointain descendant, Luis Mendès ajouta « de Franca » à son patronyme. Et c’est ainsi que 400 ans plus tard,  le plus estimé Président du Conseil des ministres de l’histoire des républiques sera Mendès France.

Comparaison n’est pas raison. D’ailleurs, Sébastien Lecornu ne porte pas un patronyme prestigieux et personne ne l’a encore moqué.


Avec Pierre Mendès France décédé quatre ans avant sa naissance, il partage des affinités de terroir. Vernon n’est pas loin de Louviers. En ce pays de bocage, les Normands, à l’inverse des Béarnais bavards, ne sont pas causeurs. Un mot est un mot, pas la peine d’en faire des kilos. 

Pour autant, jamais on ne tourne le dos. On est tolérant. Au bistrot, on se fiche de savoir si le cidre est de gauche, le calva de droite et inversement. P’têt ben qu’oui, p’têt ben qu’non. 

Entre Seine et Eure, chacun évite de se mêler des affaires du voisin. Celui qui a des terres est respecté à la mesure de ses hectares pourvu qu’il ne la ramène pas. 

L’habit n’est pas le marqueur social. Vous avez vu celui de Lecornu ? Godasses fatiguées, futal en tire-bouchon, veste étriquée sur une chemise en nylon ? À la fashion week du Palais Bourbon entre Cazeneuve et Ciotti, y’a pas photo ! 

Son regard en dit long. Furtif et de biais, le blanc masque la couleur des pupilles. Le salut est neutre, l’écoute attentive mais réduite à l’essentiel de la politesse. Pas du genre Chirac à traîner au comptoir, échanger sur la météo et taper dans le dos. Il passe sans s’attarder. On comprend qu’il a du boulot.


Le contraste est flagrant. Le casting est clivant. Dans l’hémicycle où il passe plus de temps qu’à Matignon, le machiniste occupe la place du petit baron. Ça détonne. Sobre, clair, économe de tout. Le 14 octobre  dernier le message est passé (sans 49.3), la classe politique unanime s’est rangée derrière ce chef du gouvernement qui joue habilement les second couteau. Après une fausse sortie, il a marginalisé le Président réduit à faire du tourisme aux États-Unis, en Égypte ou au Brésil. 

Vive la 4 ème République du passé, elle est porteuse d’avenir ! 

Les députés socialistes comme les macronistes, font semblant de s’opposer car ils craignent la dissolution. Tous savent que leur mandat dépend des désistements du second tour en leur faveur, de LFI pour les uns, du RN pour les autres. Quelques indécis hésitent encore à flirter ouvertement, mais tous cherchent à gagner du temps. Habile dans l’exercice de la répartition des concessions, le Premier ministre joue aussi la montre. Il n’a rien à perdre, il a tout à gagner. 


Comme si, fidèle à son image de passe-muraille, il en était complètement dépourvu, il se garde bien de laisser percer ses ambitions. C’est un habile louvoyant godilleur qui avance discrètement. Ses adversaires habitués à tonitruer sont décontenancés par ses chuchotements. 


Sébastien mise sur le temps long. C’est un adepte de la politique des petits pas. À 16 ans, il milite aux JDV (Jeune Droite de Vernon) de l’UMP avant de gravir les échelons de sa région et des cabinets ministériels dans l’ombre de Bruno Le Maire (Goncourt de l’économie). En moins de trois ans (2014-2017) il se propulse au gouvernement qu’il n’a depuis jamais quitté, sauf le temps d’une heure ou deux pour se faire nommer de nouveau. Il a successivement dirigé les ministères de l’Écologie, des Collectivités, des Outre-mer, avant celui des Armées. Il a servi six Premiers ministres. Sa carrière a-t-elle atteint le sommet de ses ambitions ? 


Qui peut croire qu’après Matignon il se retirera peinardement entre Château-Gaillard et la Roche-Guyon pour tweeter ses recettes de soupes aux poireaux ?

Lecornu, c’est le Mendès France de droite ! 

Allons Pierre sors du corps de Sébastien, tu es démasqué ! Ton virage à la droite de la gauche et à la gauche de la droite ne trompe personne en dehors des « humoristes » de la matinale de France inter. Les vieux de la vieille ont compris que tu attends la chienlit et que tu vises Charléty.


Reste à créer un mouvement politique: le Lecornisme ou Lecornuisme ? 

Pour rassembler, il faut cliver mais dans la simplicité. Mendès avait supprimé le vin en carafe dans les cantines et obligé les mômes à boire un verre de lait avant d’entrer en classe. Pourquoi ne pas s’en inspirer en légalisant la vente de shit bio à la sortie des lycées ? 

Plus spectaculaire serait de sauter dans un avion pour un aller retour en Nouvelle Calédonie comme le fit Mendes France à Tunis en 1954 et déclarer devant la foule rassemblée à Nouméa : « L’autonomie interne de la Tunisie Nouvelle Calédonie est reconnue et proclamée sans arrière-pensée par le gouvernement français...nous sommes prêts à transférer à des personnes et à des institutions  tunisiennes calédoniennes l’exercice interne de la souveraineté » 

Il est vrai que le verre de lait, l’indépendance de la Tunisie et la paix en Indochine n’ont pas assuré la longévité de Mendès à Matignon - seulement 8 mois - mais ils ont marqué pour longtemps la mémoire reconnaissante de ses contemporains. 


L’époque est à l’austérité, Monsieur Lecornu est grêle, pauvre en cheveux et en verbes, tout en lui exprime l’épargne et la sobriété. On ne l’imagine pas au soir du second tour de la présidentielle aller faire le beau dans un bistro super chic, ni parader dans la cour du Louvre. Si son ministre de l’Intérieur intercepte les escadrilles de boules puantes qui ne manqueront pas de le cibler, un boulevard le conduira à l’Élysée.

Face à une classe politique qui passe son temps à détailler la gabegie et à se chamailler à propos des retraités de demain et des riches d’aujourd’hui, il a martelé la formule mémorable du je-nous-vous : « je propose, nous débattons, vous votez » sans ajouter le ils…paieront. C’est en apparence un habile abandon de son pouvoir qui lui permet avec élégance d’occulter la responsabilité de son ami Macron « Mozart de la finance (2015) »


Mais pour se hisser à l’Élysée, il faut être le sauveur des catastrophes annoncées. Les droites ont monté en épingle la dette et l’immigration, deux vieilles ficelles usées ! Pour autant, selon les sondages (qui se trompent régulièrement) les Français s’apprêteraient « à essayer le RN » quitte à faire ensuite la révolution en gilets jaunes et bonnets rouges si ça ne marche pas.

Lecornu est en bonne posture pour créer la surprise de l’élection présidentielle. Par son expérience de ministre des Armées, il détient le joker.


Car en Ukraine, la pression monte. Il n’est plus de jour sans qu’un général ou un savant consultant européen prédise l’imminence de la guerre. Pour l’instant, le gouvernement sous les applaudissements du parlement, s’arme budgétairement, mais à la moindre étincelle à nos frontières, il passera aux mesures concrètes: réquisitions, conscription, provisions, exercices d’alertes de la défense passive…La mobilisation nationale face aux périls balayera les opinions partisanes. « Car les nations armées se laissent conduire avec docilité » 

Cette citation n’est pas de Mendès mais d’Anatole, un autre illustre bien nommé: Anatole France (1844- 1924) Histoires contemporaines éditions Table Ronde dont la lecture est recommandée aux électeurs et à tous les prétendants à l’Élysée.

vendredi 3 octobre 2025

Le vieux serviteur d'Arabie au procès Sarkozy


Un siècle avant que le roi de France ne soit guillotiné, Monsieur de La Fontaine fabulait : Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. 

Fort heureusement, depuis l’avènement de la République, la justice est rendue au nom du peuple français. Le fléau de la balance est au centre, l’iniquité est rare.


Le verdict du procès Sarkozy est minutieusement motivé sur 380 pages. C’est une broderie juridique exemplaire en droit. Tous les juristes vous le diront. J’y ai passé ma journée en imaginant la sueur perler au front des étudiants qui un jour ou l’autre plancheront sur ce texte à l’examen du Barreau. 


Les magistrats sont tenaces et persévérants. Pendant dix-sept années ils ont enquêté, entendu, auditionné, commissionné, perquisitionné. Ils se sont transportés aux quatre coins du monde, bravant la mousson en Malaisie, la canicule à Djibouti, l’ennui à Jeddah, le crachin d’Angleterre, la neige en Suisse… Ils ont transcrit, traduit, interprété; ils ont déjoué les pièges, démasqué les mensonges. Car de leur coté, les mis en cause ont cherché à gruger les magistrats et les policiers par la négation de l’évidence, les faux semblants, les faux témoignages, les fausses preuves, les dérobades, les manipulations, les recours plus ou moins abusifs… Bref, les kyrielles d’avocats chèrement payés ont tenté de brouiller les pistes et d’égarer les juges. Cette bataille juridique au long cours fut une joute judiciaire entre deux équipes d’experts. Finalement les magistrats du siège ont tenu bon, ils ont terrassé leurs adversaires.  Succédant au Maréchal, le Président entrera en prison.


Selon que vous serez puissant ou misérable, la justice pareillement sera équitable corrigerait aujourd’hui La Fontaine. C’est cette leçon de morale qui sera perçue par le justiciable lambda et c’est là le plus important pour le moment.


L’incarcération de l’ancien chef d’État pour association de malfaiteurs marquera l’Histoire. Son prédécesseur Pétain le fut pour haute trahison. Comparaison n’est pas raison. Il n’y a ici ni mort d’homme ni préjudice sauf à considérer celui de l’État libyen qui carrément s’en contrefiche.

L’association de malfaiteurs était surtout celle d’une bande de voyous. Elle n’a pas trompé les électeurs qui n’ont pas réélu Sarkozy.


Que l’ex-Président Sarkozy ait prisé la compagnie des forts en gueule, que son arrogance l’ait rendu méfiant au point de tourner le dos aux serviteurs de la République leur préférant des baratineurs, c’est établi. Le petit homme courageux mais paranoïaque flottait dans son costume, il voyait des comploteurs partout, il n’écoutait que les coquins.

Boulimique et tempétueux il se mêlait de tout. La haute fonction publique résista non sans mal à ses caprices en multipliant les obstacles administratifs. Alors, il décida de mettre ses talents à la tête du Commerce extérieur pour le succès de gigantesques contrats. Il avait commencé lorsqu’il était ministre des Finances, puis avait récidivé comme ministre de l’Intérieur en tentant de ressusciter un projet faramineux vieux de trente ans pour vendre à l’Arabie la protection de ses frontières. Personne, pas même les Saoudiens qui s’en amusaient n’avait osé lui dire que c’était peine perdue car l’affaire avait été attribuée discrètement à des Anglo-Saxons et des Asiatiques depuis belle lurette.  


À l’Élysée, l’ancien avocat d’affaires se rendit vite compte que dans les secteurs de l’armement et du nucléaire, il suffisait de parler pour que l’ordre soit exécuté. Alors réunissant ses copains rencontrés dans les boîtes de nuit de sa jeunesse, il les imposa auprès des industriels et des ministères. La bande se réunissait dans un palace entre l’Élysée et la place Beauvais. Les grands crus coulaient à flots. Les parvenus éructaient des instructions « y’a qu’à faut qu’on ». Vendre des avions au Brésil, des chars aux Saoudiens, des centrales nucléaires aux Libyens, des sous-marins aux Malaisiens, et pourquoi pas des chasse-neige aux Guinéens… Munis de leurs accréditations, les intermédiaires comme une volée de moineaux, s’envolaient vers les éventuels clients. Évidemment dans la profession, ni les exportateurs, ni les acheteurs, ni les diplomates, ne prenaient cette bande de parvenus très au sérieux mais ils ne pouvaient les éconduire sans s’attirer les foudres de ces hommes puissants qui se sont finalement retrouvés dans le prétoire le 25 septembre dernier. 


Le Président a été condamné à cinq ans de prison dans les conditions abondamment commentées par la presse. Trois des membres de l’association de malfaiteurs, sans doute alertés par un pressentiment, ne se sont pas déplacés. Ils sont restés chez eux en Malaisie, en Arabie Saoudite, en Libye ou ailleurs. Parmi les quatre autres comparses, le flamboyant Jouhri qui fait penser à Belmondo dans le Guignolo, les anciens ministres Hortefeux et Guéant et un orphelin de notoriété sur lequel il convient par équité de s’attarder.


Ceux qui l’on croisé décrive Wahib Nacer comme un beau gosse élancé, peau cuivrée, sourire charmant, posture nonchalante. Avare de mots, prolixe en assentiments. Les princes saoudiens appréciaient l’affabilité et le savoir-vivre de cet homme qui   s’adressait à eux dans des termes respectueux  seulement après y avoir été invité. Il avait retenu l’étiquette et les usages que lui avait transmis son père, estimé directeur d’une banque française au Yémen et à Djibouti au siècle dernier.  Wahib était devenu  l’un  des hommes de confiance des  Bugshan une famille classée au top 10 des fortunes d’Arabie. À Jeddah, Riyad, puis à Genève il avait au sein d’un établissement financier français de premier plan, contribué à faire fructifier les millions de ses clients. Son destin naturel était de prendre sa retraite sur les bords du lac Léman. Qu’est-il venu faire dans cette galère? De qui était-il devenu le commanditaire ?  

Au terme de ce mauvais choix, il s’est retrouvé  abandonné à la fois par les Saoudiens nourris d’ingratitude et par les Français qui hier encore le courtisaient. Au procès Sarkozy,  le « banquier suisse » éduqué au mutisme n’a pas desserré les dents. 


Wahib Nacer, 81 ans, a été condamné à quatre ans de prison. Il a été menotté au prononcé du jugement. 

Son « associé en malfaisance » l’ancien ministre Claude Guéant, 80 ans, a été condamné à six ans de prison mais dispensé d’incarcération en raison notamment de son grand âge.


« Et c’est ainsi qu’Allah est grand » aurait conclu Alexandre Vialatte (1901-1971)

samedi 27 septembre 2025

Le volcan arabe (3) l’espérance de la jeunesse



Un arabe sur trois a moins de 14 ans, un sur deux moins de 20 ans. C'est une force totalement connectée, massivement inemployée et politiquement marginalisée. 

Face à cette marée de jeunesse, le pouvoir est confisqué par une classe politique sclérosée dont l'unique projet est de défendre ses prébendes. 

Peuples jeunes gouvernés par des gérontes

L'âge moyen des dirigeants est de 69,6 ans. Le président palestinien et le roi d'Arabie Saoudite ont 89 ans  ! 

Mais plus que l'âge, c'est la longévité au pouvoir qui illustre sa fossilisation : 26 ans pour les monarques du Maroc, de Jordanie et de Bahreïn, ainsi que pour le président de Djibouti; 20 ans pour le président palestinien. 

Ces dominations interminables contrastent avec la durée médiane du pouvoir en Europe, qui est de 2 ans mais correspond à «  l’âgisme  » de Poutine, 72 ans dont 25 au pouvoir, de Loukachenko 70 ans dont 31 et d’Orban 62 ans dont 19. 

La dictature est gage de longévité.

À cette singularité de l’âge, s’ajoute celle de la personnalité des dirigeants.

La religion, socle de la légitimité du pouvoir

Le roi du Maroc cumule le titre de «   Commandeur des croyants   » et celui anachronique de président du comité Al-Qods. 

Le roi d’Arabie dont le drapeau national est gravé de la profession de foi se prévaut de la qualité «  Gardien des deux Saintes Mosquées   ». 

Celui de Jordanie est un Hachémite issu de la tribu du prophète. 

Les Houthis du Yemen se targuent d’une filiation avec les sada (Hachémites). 

Les Abu Saïd d’Oman descendent des Azd tribu de la conquête musulmane des années 630. 

Tous les autres souverains revendiquent une légitimité et une spiritualité de lignée plus ou moins marquée 

D'un autre côté, alors que les décolonisations du siècle dernier avaient porté au pouvoir des  dirigeants républicains laïcs en Égypte, Syrie, Tunisie, Irak, Yemen, Algérie...leurs successeurs pour combler l’absence de légitimité démocratique s’approprient la religion. Ils multiplient l'usage de la langue liturgique,  abondent en citations du Coran et des Hadiths,  engagent la construction de gigantesques mosquées.

La mise en scène de leurs apparitions et leurs discours populistes concourent à les présenter comme les messagers en charge de soulager les fardeaux de la vie (qui n'est qu’un bref passage vers un au-delà radieux). Ils abusent sans vergogne du fatalisme religieux et indiciblement se présentent comme  les inspirés du très haut, qui discernant le pur de l’impur, les charge de dénoncer les mécréants, les  déviants. Autant d’habillage et de prétexte à persécuter et à éliminer tous les  opposants, y compris et surtout -ce qui est une performance - les islamistes. 


On notera que les  révolutions arabes de 2011 en Tunisie, Libye, Irak, Égypte, Syrie, Algérie, Soudan, Yémen étaient des mouvements séculiers, qui ont été récupérés à la faveur des élections libres par les islamistes, puis balayés par les forces réactionnaires restauratrices de la dictature qui se sont entre temps appropriées leur « catéchisme ».


Des dirigeants formatés à l’étranger

Écoles et universités arabes sont abondantes et de qualité. 89 d'entre elles figurent au classement des 500 meilleures au monde. Pour autant, elles sont dédaignées par les dirigeants.

Le roi de Jordanie, l’émir du Qatar, le prince héritier d’Oman sont diplômés de l’Académie militaire Britannique de Sandhurst. 

Le cheikh président des Émirats arabes unis a fait ses classes dans une école militaire du Colorado. 

Le Maréchal d’Égypte et roi de Bahrein ont été doublement formés au métier des armes en Grande Bretagne et aux États-Unis. 

L’émir du Kuwait est diplômé de l’académie de police du Royaume Uni. 

Le roi du Maroc est un juriste diplômé de Nice. 

Le Sultan d’Oman est un historien sorti d’Oxford. 

Le Premier ministre libanais est docteur en histoire, docteur en sciences politiques et diplômé en droit de Harvard. 


Seulement trois dirigeants arabes n'ont pas été formés à l'étranger  : le président algérien Tebboune sorti de l'ENA d’Alger, le président tunisien Said diplômé de  droit à Tunis et le Prince saoudien Mohamed ben Salmane  juriste de l’université de son papa. 

Aucun ingénieur, aucun économiste dans cette énumération où prévalent les formations  dans des académies militaires anglo-saxonnes. Cette «  vassalité  culturelle  » explique sans doute la déconnexion des dirigeants avec les réalités nationales.

Enfin dans l’énumération de ces excellences, il convient de souligner l’absence de représentation féminine. Des femmes siègent dans la plupart des gouvernements mais pour la figuration.


Ordre public et régimes policiers

L’index de la gouvernance et de la justice publié en 2024 par l’ONU place les Émirats arabes-unis au 39 ème rang mondial. Le citoyen y serait bien plus en sécurité qu’en France. 

Cette statistique flatteuse confond justice et régimes policiers. 

Il y a dans les pays arabes en moyenne 5,3 agents de sécurité pour 1 000 habitants soit plus du double qu’en Europe ou aux États-Unis. Chiffres records pour les Émirats 10/1000, la Tunisie 6,7/1000 et la Syrie 6/1000. 

À ces  fonctionnaires de police il faut ajouter les mouchards, les informateurs, les rapporteurs, les propagateurs de rumeurs, les dénonciateurs...toute une armée d’auxiliaires de la répression de la pensée, celle des «  moukhabarat  » dont il est prudent de compter un ou deux affidés dans son entourage.


Alors qu’en 2011, les réseaux sociaux avaient été l’outil du réveil démocratique, il est aujourd’hui celui d'un flicage généralisé qui entrave toute liberté d’expression. L’opinion exprimée sur un smartphone aussitôt interceptée par un logiciel espion peut valoir une interpellation musclée et un emprisonnement durable sur les fondements de lois liberticides. En Égypte, en Tunisie, en Algérie, en Arabie, en Syrie…des dizaines de milliers de maltraités, torturés, incarcérés servent d’exemple pour museler une population dont les conversations se cantonnent désormais à des salamaleks, des incantations religieuses et des échanges de propos sur le foot ou les courses de dromadaires.

Gouvernance de l’État profond 

La plupart des États arabes sont dirigés par des militaires ou des policiers. Soit directement comme en Égypte par un maréchal, en Mauritanie par un officier de renseignement, soit indirectement comme en Algérie,  Tunisie, Libye, Irak, Arabie, Yemen…

L’état profond  «   al-dawla al amiqa  » est celui des renseignements militaires alliés aux forces de sécurité intérieures. Il est opaque, secret, anonyme, très souvent inféodé à des services étrangers. 

Dans certains pays, aucune nomination de fonctionnaire d’autorité ou subalterne n'est possible sans son approbation. Les dirigeants politiques changent, le pouvoir profond demeure. Certes parfois au prix de règlements de comptes internes discrets comme en Algérie où le patron des renseignements reste rarement plus d’un an à son poste et où 70 généraux et 85 colonels  sont en prison. 

Partout, des systèmes perfectionnés traquent la moindre déviance verbale. La reconnaissance faciale et vocale, la surveillance des échanges téléphoniques et des réseaux sociaux, la traçabilité des rencontres et des déplacements…tout un formidable arsenal de moyens d’intelligence artificielle est mis en oeuvre pour espionner la population. 

Aucun de ces outils numériques n’est de conception arabe. Tous sont américains, européens, coréens, chinois et surtout israéliens. Ces données algorithmiques sont bien entendu partagées par les fournisseurs.

Bref, Israël sait tout de chaque arabe qui ne sait rien des Israéliens.

Corruption

Pour contredire une réputation répandue, le classement 2024 de Transparency Internationale relève que le Qatar et l’Arabie Saoudite seraient moins corrompus que l’Espagne ou le Portugal ! C’est du n’importe quoi!

Cette étude reflète uniquement l’efficacité administrative pour traquer la petite corruption mais ignore la "grande corruption », celle des régimes absolutistes qui se caractérisent par l'absence totale de séparation entre les finances de l'État et la cassette des  rois ou des dictateurs. 

Elle méconnait les méga-contrats avec les entreprises étrangères qui participent au partage de la prévarication par le jeu  des rétro commissions: la corruption du fournisseur par son client. Cette corruption à double sens est largement répandue dans le domaine de l’armement où les transactions incluant des « frais commerciaux extérieurs » dépassant parfois les 20%, sont de part et d'autre couvertes par le secret-défense.


Des nations sur-armées (données OpenAI)

Le monde arabe consacre 5,2% de son PIB à ses armées. Soit en proportion trois fois plus que l’Union européenne. 

Les monarchies du Golfe figurent au top 10 mondial des acheteurs d’armements.

Les systèmes d'armement sont  essentiellement d'origine US et dans une moindre mesure, britannique, allemande, française mais aussi israélienne (pour  les EAU, Bahrein et le Maroc). Les armées algériennes, libyennes, irakiennes, syriennes et yéménites sont quant à elles équipées par la Russie, la Chine et l’Iran. 


Si elles étaient conjuguées, les forces armées arabes rassembleraient 2,3 millions fantassins et autant de réservistes, 11 000 chars, 1 200 chasseurs, 2 000 hélicoptères,  400 drones armés, des missiles de toutes les portées par dizaines de milliers, une quarantaine de navires lourds de surface, une quinzaine de sous-marins…


Sur le papier cette force est d’une supériorité écrasante sur Israël. Dans la réalité, comme elle ne présente aucune menace car elle est placée sous la tutelle permanente des États-Unis.


Plus de 40 000 soldats américains stationnent sur une vingtaine de bases dans une douzaine de pays: Koweit, Qatar, Bahrein, Émirats arabes unis, Jordanie, Égypte, Irak, Syrie, Djibouti, Somalie, Oman, Arabie Saoudite. 

Au surplus, il existe des installations secrètes provisoires ou permanentes de soutien et de liaison  partout ailleurs sauf au Yemen. Ces forces sont appuyées selon la conjoncture, par deux ou trois  escadres de 12 000 marins qui croisent en Méditerranée et dans l'océan indien plus quelques 150 drones de haute altitude d'observations et de combats.

 

La Ligue arabe, Belle au bois dormant

La ligue des états arabes est une organisation fondée en 1945 pour oeuvrer à la décolonisation et l'indépendance des pays arabes et pour résister à l'occupation sioniste. Depuis sa création, la Belle au bois dormant est gavée de somnifères.


En 1947, sans demander l’avis aux principaux intéressés, le plan de partage de la Palestine avait accordé 55% des terres aux juifs. 

En 1979, à Camp David,  l'Égyptien Saddate et l’Israélien Begin se serrent la main. Saddate est aussitôt assassiné par les siens. 

En 1993 à Oslo, le Palestinien Arafat et l’Israélien Rabin signent la paix. Ceux qui voulaient la guerre ne tardent pas à les assassiner.


Depuis, l’extrême droite n’a cessé de grignoter les terres palestiniennes par l'implantation de quelque 150 colonies de peuplement où se sont installés un million de juifs. La souveraineté palestinienne est  aujourd'hui réduite à moins de 15% du plan de partage initial. 

Durant toutes ces années, la Ligue Arabe a grondé d’indignation à chacune de ses réunions dont il n'est jamais sorti que des incantations et des résolutions sans suite. Nul riposte diplomatique, nulle menace de représailles ou de boycott alors qu'il suffisait de tourner quelques robinets, de mobiliser quelques forces armées, pour faire plier les sionistes. Rien ! En 80 ans d’existence la Ligue ne s’est jamais liguée.


La bascule vers l’Asie

 Le carnage de Gaza, les bombardements  du Liban, du Yémen, du Qatar…les éliminations ciblées à Beyrouth, à Bagdad ont fait naître un sentiment d’insécurité dans les monarchies du Golfe qui désormais savent qu’elles ne peuvent plus compter sur « l’ami américain ». Le protectorat « Pacte du Quincy » qui liait les États-Unis aux Saoud depuis 1945 a du plomb dans l’aile. En soutenant inconditionnellement Israel, Washington a poussé l’Arabie à se rapprocher de Téhéran par l’entremise empressée de Pékin. D’autres nations  ont suivi l’exemple. Ainsi, la  Tunisie, pays arabe le plus éloigné de l’Iran a récemment décidé de supprimer les visas d’entrée et inauguré une liaison aérienne directe Tunis et Téhéran. La grande réconciliation entre Arabes et Perses, entre Sunnites et Chiites est en marche. Merci Donald ! 


La solidarité des grandes nations musulmanes d’Asie avec celles du Moyen-Orient s’est pareillement traduite ces derniers mois par une multitude de rencontres diplomatiques. Un nouvel accord de défense entre le Pakistan et l’Arabie vient d’être signé dont on ne sait s’il comporte un volet de transfert d’engins nucléaires mais il stipule  « que toute agression contre l’un ou l’autre pays sera considérée comme une agression contre les deux ». C’est tout à fait de nature à dissuader Israel d’aller bombarder l’Arabie. 

À petits pas, discrètement, sous l’égide du Prince Salman, la bascule des alliances est en train d’opérer. Pour l’instant, la Maison Blanche, arrogante de sa puissance semble s’en accommoder. À Washington et à Riyadh, le calendrier de la longévité diffère. Dans un temps court, Trump ne sera plus, Netanyahu non plus. Dans un temps long, MBS d’Arabie qui n’a que 40 ans a devant lui le reste de sa vie pour libérer la Palestine et devenir le zaïm des Arabes.


Oracle

Les populations arabes sont ligotées par la servitude des  satrapies de l’empire américain. Chaque bombardement israélien, chaque massacre toléré, honteusement justifié ou ignoré par les capitales occidentales, révèle l’impuissance  des régimes arabes à peser sur la scène internationale. Ils se taisent car leur silence est la condition de leur survie. 

La jeunesse arabe, majoritaire, connectée, politisée, humiliée, porte la braise d’un réveil imminent. Miroir de la résistance, Gaza est aussi celui d’une formidable révolte collective qui sourde, celle de l’imprévisible volcan arabe qui emportera tout.