mardi 25 janvier 2011

Tunisie, un modèle pour le siècle ?

Tunisie :jour 11 de la révolution. C’est le chaos. Inévitable et heureusement sans violence. Tout est remis en question. Il faut laisser le temps au débat pour que les acteurs se rassemblent…

L’UGTT : unique syndicat tunisien, historiquement frontiste (y compris sous Bourguiba) jamais totalement récupéré par le pouvoir. Sa fonction tribunitienne est incontournable pour remettre le pays au travail et rassembler les hommes pauvres du sud et du centre avec ceux du nord et du littoral relativement prospère.

L’armée (35 000 hommes) : est formée de conscrits et d’officiers légalistes à qui l’on a enseigné de toujours se tenir à l’écart de la politique. Elle a été épurée, les gradés étaient sous surveillance constante. Par dizaines, du lieutenant au colonel certain ont été torturés pour l’exemple, simplement pour avoir toussé. C’est l’un des corps qui a le plus souffert (en silence) du règne de Ben Ali.

L’opposition démocrate : composée surtout d’intellectuels citadins. Beaucoup de courage, peu d’expérience. Jusqu’à présent aucun n’est parvenu à entrainer les foules. Il y a un problème de langage mais aussi d’âge car la plupart des leaders sont des septuagénaires usés par les années de prison et de harcèlement.

Le RCD : un tunisien adulte sur quatre en possèderait la carte, souvent malgré lui. Ce parti fondé par Ben Ali à partir de l’héritage du Destour de Bourguiba est complètement décomposé mais sa structure très liée aux forces de police (100 à 150 000hommes) est capable de se régénérer dans le chaos.

Le parti religieux Ennadha : a souffert de l’exil de ses cadres et de la récupération habile du clan Ben Ali qui était devenu mystique au point de déclarer à tout bout de champ que leur fortune était une volonté d’Allah. Les mosquées tunisiennes sont pleines chaque vendredi, alors, si la révolution n’apporte pas le pain réclamé, la population s’adressera au bon Dieu.

Les régimes arabes ont peur: un Etat du Golfe vient d’allouer à chaque citoyen 3 500$ pour compenser la vie chère, ailleurs, les prix des denrées baissent à coups de subventions. Les populations glorifient la révolution tunisienne et suivent avec passion son cheminement grâce aux télévisions satellitaires. Le nom de Bouazizi « el tounsi, el arabi » est scandé dans toutes les capitales. La cause tunisienne est en train d'occulter la Palestine. Al Qaïda - Aqmi est démonétisé, Ben Laden inaudible…

La Libye : ouvertement solidaire de Ben Ali se singularise comme toujours. La tunisienne est bien la seule révolution que Kaddafi n’ait pas applaudie en 42 ans de pouvoir !

La France : est absente. Comme d’habitude la diplomatie a été prise de court et a réagi à contretemps. Pourtant, la moitié du gouvernement a des attaches avec la Tunisie, la ministre des AE venait d’y séjourner, celui de la culture s’y est fait naturaliser, un autre y est né, ou y a travaillé, ou s’y est marié… La chute de Ben Ali a fait naitre une inquiétude dans toute la classe politique, gauche droite confondues, dont certains tremblent à l’idée d’une dispersion des archives de Ben Ali. La révolution tunisienne pourrait bien selon ce scénario s’inviter sur le sol français !

Les Etats Unis : ont dés le début des émeutes clairement soutenu l’espoir des tunisiens. Les cables wikileaks largement traduits et diffusés clandestinement en Tunisie ont indirectement encouragé le soulèvement. Obama qui peine à mettre en œuvre les promesses de son discours du Caire aimerait sans doute que le pays du jasmin soit le laboratoire expérimental du processus de démocratisation du monde arabo-musulman.

Au-delà de ces acteurs, il faut tenir compte de la situation économique qui nécessitera un soutien extérieur significatif. La saison touristique est compromise. D’ores et déjà les tours opérateurs repositionnent leurs clientèles. Les investissements sont stoppés, l’ensemble du patronat (compromis avec l’ancien régime souvent par nécessité) est menacé. Le secteur bancaire - qui était l’un des rouages du clientélisme de Ben Ali par la spéculation foncière et immobilière - est en grande partie sclérosé et détenteur de créances douteuses. Après la liberté de parole et la justice la revendication de l’équité économique sera la plus difficile à satisfaire.

Enfin, aucun scénario ne peut prévoir les réactions d’une population dont le niveau d’instruction est supérieur à beaucoup de pays de l’Union Européenne, et qui est entrainée par une jeunesse créative parmi lesquels 2 millions d’inscrits et d’inscrites à facebook ou twitter communiquent en permanence et militent pour un modèle de démocratie directe par le web.

Alors vers une république de cybertoyens ?

mardi 18 janvier 2011

La fin de Pacha

A Hammamet devant la luxueuse villa dévastée, je me suis allongé sous l’unique paillote de la plage jadis interdite. De l’hôtel voisin on m’apporta une Celtia glacée avec des olives. Au menu du jour, le chef avait mitonné du tigre. Des brochettes de Pacha à la sauce harissa que je partageais gaiement avec les estivants du révolu-changement. Le fauve, dur à cuir, n’était pas fameux, trop vieux sans doute, mais il apaisa notre envie de mordre trop longtemps retenue.

Jadis quand la bête encore jeune avait été importée d’Amérique, toute la population avait craqué pour ses ronrons de gros chat, ses câlins de peluche, ses éclatantes quenottes qui mordillaient pour jouer. Le quadri-pattes de velours avait le pelage lustré et la griffe sur le cœur, il enchantait et charmait tous ses visiteurs. A chacune de ses sorties, les enfants criaient « yahyia Pacha ! » les femmes lançaient des zaghrites en arabe ou des you-you en français. On venait en masse même du delà des mers pour lui caresser la tête. On prétendait que ce geste attirait la chance et remplissait d’or la main flatteuse.

Le tigre en herbe était frugal. Certes, de temps en temps pour améliorer son ordinaire il croquait bien quelques pigeons. Mais il était discret et le monde feignait de regarder ailleurs. Cette indulgence encouragea le prédateur devenu adulte. Il se prit pour le roi d’une forêt qu’il transforma en jungle. On le surprit dévorant quelques créatures innocentes que la toux indisposait. Un poète plus coriace que les autres lui donna des mots d’estomac. Il le recracha.

Pacha sentant venir sa fin voulu la retarder en apaisant sa faim de mets plus tendres. Il saigna des citoyens par dizaines tant et si bien que la foule en colère vint le sortir de sa cage dorée. Proprement découpée en lanières sa peau fut mise à sécher sur la colline de Carthage comme avertissement à tous ceux de sa horde sauvage qui voudraient approcher le rivage civilisé.

dimanche 16 janvier 2011

Le soulèvement tunisien

Ce n’est pas une révolution de fleurs. Ni rose ni jasmin. C’est une révolution de sang et de pleurs, d’amour et de haine. Celle des hommes aux mains nues. Elle bouleverse chaque tunisien car immanquablement et de façon plus ou moins tragique l'histoire de sa famille a croisé celle du tyran.

A Rambouillet, dans un petit pavillon en meulière, le téléphone n’arrête pas de sonner… Le vieil homme aux yeux pétillants décroche : « merci, merci, mais je suis devenu sourd, mon épouse va vous répondre et me dira qui vous êtes » s’excuse t-il.
Hier, par l’audace inouïe d’un obscur serviteur du palais, il a été parmi les premiers informés de la chute de Carthage. Depuis, de partout, on le congratule d’avoir vécu si vieux pour voir à la télé pareille journée de délivrance. Il attendait patiemment ce moment depuis ce 4 novembre 1987 où le dictateur en herbe lui avait donné le choix entre trahir Bourguiba ou aller en prison. Il y alla et pire encore.
A présent il rayonne, il jubile « Le peuple tunisien est grand, sa jeunesse merveilleuse, elle est digne de Chebbi…idha charbou yawman arad el hayet… » (Lorsqu’un peuple veut la vie, force est aux ténèbres de se dissiper et aux chaines de se rompre.) Ce quatrain du célèbre poète tunisien avait été ajouté par Bourguiba à l’hymne national. Les enfants d’aujourd’hui le chantent dans la rue.

Pas seulement en Tunisie d’ailleurs. De Sanaa à Nouakchott la rue arabe voit rouge et blanc, elle bruisse du chant de Chebbi en se demandant si le prochain craquement d’allumette fera tomber le ciel ou renaître son pays.

vendredi 7 janvier 2011

La révolte de la dignité en Tunisie

« Nous mourons, nous mourons pour que vive la Nation »

L’hymne des enfants de Bourguiba résonne dans toutes les consciences tunisiennes. Les fils de Sidi Bouzid désormais Sidi Bouazizi, ceux de Sidi Bou Chhak à Djebiniana, leurs frères de Thala, de la Chebba…s’immolent, se pendent, s’électrocutent. Tout un peuple gagné par une épidémie de résistance suicidaire.

L’histoire de l’humanité ne relève aucun exemple d’hommes et de femmes ayant fait le choix de voter avec leur vie. Ces êtres admirables retournent contre leur cœur la haine qui les ronge. Ils ont compris que toute riposte au policier qui les gifle serait injuste car elle atteindrait un faible, une victime comme eux des « circonstances ». Ils ont compris que la lutte armée serait fratricide, que l’explosion de la ceinture ou de la bombonne sèmerait le deuil dans la famille des innocents. Alors ils se détruisent laissant un message d’impuissance et de dignité. Ont-ils laissé un mot à leurs enfants ? « Chers petits, je pars car après avoir tout tenté, je n’ai pas réussi à vous assurer le pain que je vous dois. Dieu qui me pardonne y pourvoira ».
Une femme escalade un pylône à haute tension avec ses enfants, elle hurle son désespoir. Elle est entendu par le gouverneur qui ordonne de plonger la ville dans le noir, interdit la vente de cordes, d’allumettes et de tout autre objet subversif.

« N’amoutou n’amoutou wa yahhia l’watan ! »
Continue de scander le peuple d’Abou Kassem Chebbi.

A Paris Stephane Hessel a lancé un appel « indignez-vous ». Les tunisiens ont entendu le message qui ne leur était pas destiné. Ils ont inventé la Révolte de la Dignité.