samedi 30 mars 2019

Algérie, le scénario sourire

À l'exception d'un obscur blogueur, nul n'avait perçu dans les foules algériennes joyeuses de mars 2019, la promesse d'une nation prospère et apaisée. On se souvient qu'à l'époque, tous redoutaient qu'une guerre des casernes confisque la révolution du sourire et plonge le pays dans un bain de sang. Aujourd'hui encore, d'aucuns se demandent, par quel miracle les officiers à prébendes que l'on surnommait du nom du trafic dont ils avaient le monopole : général yaourt, général banane, général frigo....ont abandonné leurs vareuses à étoiles et leurs commerces douteux pour consacrer leur retraite au bénévolat généreux. Comment, en si peu de temps, le pays a t-il pu se relever de l'indescriptible chaos provoqué par les mafias d'État.
À l'aube du printemps 2024, l'Algérie offre maintenant le spectacle étonnant d'une ruche bourdonnante où l'enthousiasme révolutionnaire des premiers jours n'a pas faibli. Alger la joyeuse ripolinée, bariolée de drapeaux et de calicots est radieuse. Dans les rues et les jardins la foule affairée se délecte de son bonheur nouveau. La province aussi est heureuse, elle a retrouvé sa vocation agricole, exporte ses surplus et étale sa prospérité. Le miracle algérien inespéré s'est produit. Le monde entier est médusé. En moins de cinq ans, avec la même détermination qui l'avait jadis conduit à se libérer de la colonisation, le peuple algérien s'est levé pour prendre en main son destin. Fort de l'expérience de son petit frère tunisien, il ne s'est pas contenté de dégager gentiment les anciens, il a renversé la table des convenances politiques et créé un modèle de gouvernance unique en son genre qui produit des effets dont nul n'avait rêvé.
L'Algérie, Al Djezair, les îles en arabe est désormais le cœur d'un archipel en pleine expansion. La création tant espérée d'un espace commun de libre d'échange avec la Tunisie et la Libye puis avec le Maroc et la Mauritanie a provoqué une dynamique dans toute la Méditerranée et au delà du Sahara. L'élargissement de l'antique Berbérie aux pays du Sahel et la proclamation d'une nation Nord Africaine paraît inéluctable, déjà, son influence sur l'ensemble du continent africain est sans égale. Ses succès diplomatiques au Proche Orient ont boulversé la donne internationale au point que le conseil de sécurité envisage de lui attribuer un siège. Enfin, les récentes visites à Alger des Présidents russe, américain et surtout du Chef de l'État chinois qui a inauguré l'itinéraire bis de la route de la soie pour contourner la vieille Europe sinistrée, confirme l'entrée de l'Algérie dans le club des grands.
En France, les conséquences conjuguées de la révolution algérienne de 2019 et de la défaillance en chaine d'une centrale nucléaire en 2020 ont provoqué un exode massif de la population vers l'Afrique du Nord devenue subitement une terre d'asile économique et écologique. On estime à sept millions le nombre d'habitants qui ont quitté la France pour rejoindre les côtes d'Afrique. À Paris, le nouveau gouvernement national-progressiste peine à contenir le sauve-qui-peut général. Une campagne de communication inspirée par l'Élysée stigmatise les « fuyards » , un député de la majorité a proposé de « dresser un mur de mesures dissuasives » consistant à retirer la nationalité française aux « déserteurs », à limiter les déménagements aux seuls effets personnels, à interdire le voyage des enfants mineurs... Ces menaces sont sans effets. 
L'Île-de-France a perdu le quart de sa population. Trappe et Aubervilliers sont en friche, Montreuil est désert. À Paris on ne trouve plus de boulangers, de garagistes, d'épiciers, de médecins hospitaliers... En province, des centaines d'entreprises sont au chômage technique, les chantiers sont arrêtés, les récoltes dans le midi sont abandonnées. Pendant ce temps, à Tunis, Alger, Rabat, les pieds blancs sont accueillis à bras ouverts car le travail ne manque pas. Nombre de Français de souche tentent de les suivre, mais il n'est pas facile d'obtenir un permis de séjour sans prouver ses origines africaines. Les migrants tentent le passage déguisés en touristes. Hélas, tout comme les véliplanchistes et les navigateurs clandestins, ils sont impitoyablement refoulés vers Gibraltar et Lampedusa.

vendredi 8 mars 2019

Benalla, espionnage ou contre-espionnage

Le remarquable rapport d'information du Sénat sur l'extravagante affaire Benalla met en évidence des faits d'une gravité extrême qui révèlent la fragilité et la vulnérabilité du pouvoir exécutif.
Les frasques de l'ex sous-chef de cabinet arrogant et menteur ont monopolisé la une des médias occultant les dérives assumées de son comportement et les possibles atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation. « Il ne fait en effet nul doute que les relations entretenues avec un oligarque russe par un collaborateur de l’Élysée directement impliqué dans la sécurité de la présidence de la République et d’un réserviste du commandement militaire du palais de l’Élysée exerçant une responsabilité d’encadrement étaient de nature, en raison de la dépendance financière qu’elles impliquent, à affecter la sécurité du chef de l’État et, au-delà, les intérêts de notre pays » » écrit le sénateur Philippe Bas, ancien magistrat au Conseil d'État, ex-secrétaire général de l'Élysée, plusieurs fois ministre, aujourd'hui président de la commission des lois de la Haute-Assemblée . Il ajoute : « Toutes les hypothèses sont aujourd’hui permises, y compris celle d’une approche délibérée des intéressés, destinée à les placer dans une situation de dépendance vis-à-vis d’intérêts étrangers puissants » Le parlementaire ne prononce jamais le mot  espionnage, mais nul besoin de lire entre les lignes pour comprendre que la suspicion qui pèse sur Benalla et ses comparses est bien celle de la trahison.
Le Cabinet 
Les collaborateurs personnels que le chef de l'État se choisit font l'objet d'une surveillance attentive car ils détiennent une multitude de secrets et de confidences que des malveillants de toutes nationalités aimeraient percer. Leurs faits et gestes sont régulièrement rapportés au Président soit directement, soit par le truchement de son directeur de cabinet. Il va sans dire que ces chargés de mission qui l'assistent et le conseillent avec dévouement sont des passes-murailles qui se font rarement remarquer pour leurs exubérances. Il y a des années, un jeune attaché au lendemain d'une soirée passée dans une boite de nuit avait été congédié en pleine réunion de cabinet par cette simple phrase « je ne vous ai pas chargé d'explorer les bas fonds de Pigalle que je saches ! » Autres temps autres mœurs ! 
Contrairement au Président, ses proches serviteurs ne bénéficient d'aucune immunité, toutefois la mise en cause de l'un d'entres eux pour atteinte aux intérêts de la nation reste improbable aux dires de savants juristes. C'est sans doute pourquoi, les sénateurs rapporteurs Muriel Jourda et Jean-Pierre Sueur, ont mis l'accent sur les dysfonctionnements institutionnels sans pour autant exonérer les hommes de leurs fautes.
Electron libre ou service commandé ?
Le comportement d'Alexandre Benalla pose une série de questions restées sans réponses : 
Était-il en service commandé à la manif du premier mai ? Était-il chargé de missions présidentielles en Afrique et au Moyen-Orient ? A t-il rendu compte de ses échanges hors de l'Élysée avec des hommes d'affaires, des agents des services secrets, les ministres et chefs d'états étrangers ? A t-il fait rapport de ses réunions en des lieux privés avec des officiers supérieurs de police, de gendarmerie, des forces armées, ainsi que de ses déjeuners dans les restaurants étoilés avec des anciens ministres, des journalistes, et des PDG du CAC 40 ? A t-il confessé les dividendes qu'il espérait de ses activités d'affaires privées avec des Israéliens, des Russes, des Algériens, des Tunisiens, des Marocains, des Saoudiens, des Turcs, des Tchadiens... ?
Sauf à imaginer l'impensable laxisme des principaux services de renseignement, DGSE et DGSI, ou l'improbable dysfonctionnement de la chaine de commandement de l'Élysée, le Président était informé. A t-il couvert son collaborateur ? A t-il ignoré ces alertes en les attribuant à la jalousie et aux intrigues de cour ?
L'équipe de nettoyage
En partage de l'intimité d'Emmanuel Macron, Alexandre Benalla était intouchable.
Alors, il est probable que quelques hauts fonctionnaires, effarés par la menace que faisait peser le vibrionnant favori du Président sur quelques secrets l'État ont décidé de le dégommer. Dans un premier temps, le gendarme cinq ficelles de la réserve « citoyenne » a été poussé à la faute sous les caméras de vidéo-surveillance. Oubliant qu'il était le serviteur personnel du Président le nigaud a matraqué de bon cœur des manifestants le 1er mai. Probablement rendu furieux par la manœuvre qui ridiculisait son protégé, Macron s'est entêté, il l'a soutenu, peut-être même encouragé et félicité pour son insolence « tu es plus fort qu'eux (les petits Marquis) tu vas les bouffer ». L'enchainement des révélations, la violation du contrôle judiciaire, mais surtout la preuve rapportée par enregistrement clandestin que Benalla galvaudait les confidences du Président lui ont valu d'aller pendant huit jours tester les installations rénovées du quartier VIP de la prison de la santé. On peut espérer qu'il aura compris l'avertissement et qu'il ira se faire oublier sous les tropiques.
Qu'importe son sort. On retiendra de cette affaire qu'il est finalement rassurant d'imaginer qu'à l'insu de l'Élysée des hommes responsables ont dans l'ombre comploté qu'ils ont agi pour protéger les intérêts supérieurs de l'État et pour défendre le Président de la République à son corps défendant. On se félicitera aussi que leur action ait été relayée par les médias et le Sénat.
Le salvateur Sénat
Nous sommes loin de la Troisième République, Mediapart n'est pas Le Bonnet Rouge, Benalla n'est pas Bolo Pacha et le Sénat ne peut plus se réunir en Haute Cour de justice.
Pourtant, dans cet invraisemblable enchainement de révélations, la presse a joué son rôle d'enquête et de lanceur d'alerte. De son coté, le Sénat a non seulement exercé pleinement son rôle de protecteur des institutions, mais il a sans doute également empêché le dévoiement de la plus haute fonction de l'État. Face à une Présidence et à un gouvernement de novices, face à une majorité de députés godillots, la Haute-Assemblée, celle de la France rurale et provinciale, celle « du seigle et de la châtaigne » a montré son irremplaçable fonction d'équilibrage des pouvoirs. Malheur à qui s'avisera de faire disparaître le Sénat !
Entre l'absolution ou la saisine du Parquet pour a minima dénoncer les menteries sous serments de Benalla, le choix du Président Gérard Larcher, et du Bureau du Sénat qui se réunira dans quelques jours sera dicté par la nécessité de trouver une issue républicaine à cette déshonorante affaire.

http://www.senat.fr/rap/r18-324-1/r18-324-11.pdf
https://www.senat.fr/evenement/archives/D40/bon.html