samedi 14 février 2015

L'expédition d'Egypte en Rafale


Les tonitruants cocoricos ne doivent pas couvrir les murmures et les chuchotements que suscite l'exploit de la vente de 24 Rafale et de la frégate Normandie à l'Égypte.

Une vente flash
Cinq mois se sont écoulés entre la proposition et la signature du contrat. C'est du jamais vu dans le secteur de l'armement où les délais habituels se comptent en années.
En tout état de cause, la livraison, la mise en place des équipes de maintenance, la formation des premiers techniciens et pilotes ne pourront se faire avant plusieurs mois. Le soutien d'une frégate réclame plusieurs équipages de 150 marins entrainés et des centaines de techniciens à quai. Le Rafale impose la mobilisation de plusieurs dizaines « d'orfèvres » par appareil. Il faudra beaucoup de temps pour les former. Quelles que soient les qualités opérationnelles de la première armée d'Afrique, ce n'est pas demain la veille qu'elle maîtrisera en solitaire ces systèmes de très haute technologie.

Cette opération commerciale à marche forcée traduit une fébrilité de temps de guerre. Elle s'inscrit d'évidence dans la perspective d'une offensive de l'Égypte en Libye dont il reste à deviner l'agenda. Elle marque enfin un engagement politique, prélude possible à une extension des opérations extérieures de la France sous couvert du pavillon Égyptien.


Des intérêts franco-égyptiens convergents
Echaudé par les conséquences désastreuses de l'équipée BHL/Sarkozy en 2011, Paris hésite à s'aventurer au delà des frontières du Tchad et du Niger. Pourtant, la Libye est sur le point de tomber entièrement sous la coupe du Calife du Levant. Le danger par contamination est aux portes de ses voisins. Six pays africains sont concernés, notamment la Tunisie - Djerba est à une heure de Toyota de la frontière libyenne - La petite armée tunisienne assistée de son puissant allié algérien, repousse les infiltrations armées. Mais pour combien de temps ? A travers la Tunisie, le chaos libyen menace directement l'espace de sécurité des avant postes de l'Europe.
La position géographique de l'Égypte n'est pas meilleure car elle partage à l'ouest 1000 km de frontière avec la Libye. Mais à l'inverse de la posture défensive de Tunis et d'Alger, Le Caire est impatient d'en découdre et d'aller annexer les fabuleuses richesses pétrolières et gazières de la Cyrénaïque.

Devenue par les circonstances de la menace commune un allié objectif de l'Égypte, la France a mis un mouchoir sur ses valeurs fondamentales en applaudissant au coup d'Etat militaire d'Al Sissi. Puis, elle s'est coalisée pour déployer à crédit des avions et des navires de guerre. C'est une expédition à risque.

La course à l'armement de l'Egypte
L'Égypte est exsangue, la misère est partout. Son PIB est équivalent à celui de la Grèce, mais avec une population 8 fois plus nombreuse. Le pays vit de la charité.
L'armée gouverne. C'est la treizième au monde. Entre 600 000 et 1,5 million d'hommes (avec la réserve). Un arsenal invraisemblable généreusement financé par les USA, les Saoudiens et les pétro-monarchies du Golfe. Le shopping du Maréchal Al Sissi donne le tournis. L'été dernier 3,5 milliards d'artillerie et de missiles à la Russie, suivis d'un milliard et demi pour une flottille de 6 corvettes à la France. Enfin cette semaine 5,2 milliards de Rafale et une frégate. Et ce n'est pas fini. Entre deux négociations sur l'Ukraine, Poutine a trouvé le temps d'aller au Caire pour signer d'autres contrats et consolider un partenariat militaire.

Et les Etats Unis ?
Ils boudent le Moyen Orient. Ils ont suspendu leur aide militaire à l'Egypte et négligent même la maison des Saoud qui est prise en tenailles entre la guerre du Yémen au sud et Daech au nord. Israël n'est pas menacé et le gaz de schiste américain a remplacé l'huile arabe, alors, les urgences sont ailleurs. En Asie surtout où la tension entre la Chine et le Japon peut dégénérer, c'est pourquoi Washington cajole les puissances asiatiques environnantes et en particulier l'Inde où justement, la notification d'une commande de 126 Rafale français se fait attendre depuis trois ans !

Et l'Europe ?
C'est l'hiver, elle reste frileuse. L'Europe de la défense est une illusion, celle de l'armement n'est guère plus visible. Allemands, Italiens, Espagnols jouent les sous-traitants discrets. Aucun d'entre eux ne s'est précipité au Caire ou à Riyad. Seuls, les Britanniques l'air de rien, ont dépêché en Arabie Saoudite une forte délégation d'industriels dans le sillage du Prince Charles qui s'est attardé à faire du tourisme.

La dé-dollarisation des armes
On retiendra de cette avalanche de méga-contrats l'amorce de la dé-dollarisation des échanges internationaux provoquée par la nouvelle doctrine US. Explication: dans le monde entier, tous les paiements libellés en dollar transitent par la chambre de compensation des États Unis laquelle peut désormais vérifier la légalité des transactions au regard de la loi américaine. C'est ainsi qu'en juin dernier, la BNP a été contrainte à payer une amende de 6,5 milliards d'euros pour avoir échangé des dollars avec l'Iran.
Les banquiers, les industriels, les vendeurs et les intermédiaires ont retenu la leçon, ils évitent maintenant les transactions internationales payées en $. C'est un handicap pour l'industrie US. Les concurrents Européens en profitent.

Le combat des illusions
Dollars ou euros, reste à deviner si cette pluie de milliards qui arment les pays arabes contribuera à vaincre l'idéologie satanique ou à la renforcer. On se souvient de la prise de Mossoul par deux mille mercenaires alors que cette ville d'un million d'habitants était défendue par une armée régulière bien équipée de 35 mille hommes. On se berce peut-être d'illusions en espérant que les fellahs enrôlés dans l'armée égyptienne mettront en joue des fanatiques casqués du bandeau noir proclamant leur profession de foi.

lundi 9 février 2015

Rafale à l'Egypte, guerre à crédit


La location avec option d'achat est une technique financière qui permet aux fauchés de rouler en voiture neuve. Pour dix euros par jour, c'est le bonheur de l'évasion avec toutes options.
La méthode s'applique dorénavant à l'armement. Envie d'un char d'assaut, d'un missile ou d'un hélicoptère ? Pas de problème.
Ainsi, il y a quelques mois, les arsenaux de la marine ont proposé à la Grèce un navire de haute mer entièrement équipée, prêt au combat pour 4 petits millions par mois.
Quand plus personne ne vous fait crédit, il y a toujours la solution de la location !
Certes, pour les système d'arme, c'est un peu plus compliqué, notamment question assurance, mais depuis que la banqueroute a été abolie, nos financiers ont de l'imagination et de l'audace.
C'est ainsi que la France est sur le point d'innover en négociant la vente d'avions et d'un navire à l'armée d'Egypte.
D'abord, il faut rappeler que notre pays, mère des arts, des armes et des lois est une nation vertueuse qui montre l'exemple. Depuis le démantèlement en 2001 de la Manufacture de Saint-Etienne, on ne fabrique plus aucune arme légère ni mine anti personnelle - statistiquement les plus meurtrières-  ce qui met notre bonne conscience à l'abris des critiques. Ensuite, il convient de souligner que les exportations d'armes hyper sophistiquées « made in France » relèvent du domaine régalien de l'état qui lesréglemente scrupuleusement ; ceci ne le dispense pas d'en assurer la promotion.
Alors que la plupart des filières de notre commerce extérieur tombent en capilotade, celle de l'armement prospère remarquablement depuis l'arrivée de Hollande à l'Elysée. En 2015, il est très probable que la France se hissera sur le podium des trois nominés au coté des USA et la Russie. Le tandem Hollande-Le Drian a réussi cet exploit en prenant le simple contrepied de leurs prédécesseurs. Ils n'ont pas cherché à tremper leurs doigts dans la confiture, ils ont fui les intermédiaires et se sont contenté d'assurer le marketing politique et la diplomatie d'entreprise des opérations. De coup, les industriels se sont sentis des ailes. Avec l'aide de leurs commerçants et de leurs financiers, ils ont imaginé des stratégies inédites
L'an dernier, tous les concurrents étrangers sont resté bouches bées devant l'incroyable transaction triangulaire de la vente d'armes françaises au Liban payée par l'Arabie Saoudite. Trois milliards de dollars quand même ! Et seulement quelques mois après la vente d'infrastructures marines, toujours à l'Arabie, dont le projet sommeillait depuis quinze ans. Un milliard et demi de mieux.
Lorsque s'ouvrira le 22 février prochain à Abu Dhabi le salon Idex qui est à l'armement ce que le Mondial est à l'automobile, il est probable que Le Drian ministre recevra le prix du meilleur vendeur de l'année.
Le dernier exploit concerne l'Egypte.
Ce pays est la treizième puissance militaire mondiale. Son formidable arsenal contraste avec l'incommensurable pauvreté de sa population. Mais il faut bien défendre les pyramides contre les éventuels envahisseurs ! La troupe est nombreuse et le pays fabrique des armes depuis cinq mille ans. Pourtant, c'est insuffisant. Le Maréchal-Président Al Sissi qui est un connaisseur sait que les navires français tiennent la mer. Il a commandé des corvettes pour 1,5 milliard il y a quelques mois. Il veut maintenant une frégate et 24 rafales. Problème : il n'a plus de sous. Il les aura quand même, à crédit pardi. C'est du jamais vu pour ce type de marché.
Les banquiers et Bercy ont traité le dossier comme s'il s'agissait d'exporter des locomotives ou des Vélosolex. Ils ont mis en place un crédit acheteur complété par un crédit financier. En clair l'état français garantira in fine l'assureur de la banque prêteuse pour un montant maximum de 85% de la valeur des équipement exportés, le solde sera couvert par un prêt bancaire classique négocié directement par l'Egypte. Selon un journaliste bien informé, la transaction s'élève à 4,5 milliards d'euros.
Nos amis américains s'étranglent de rage car depuis des décades ils offrent chaque année au Caire un bon d'achat d'armement d'une valeur de 1,3 milliard de dollars sans autre contrepartie que la paix avec Israël.
La performance française est donc au rendez-vous même si l'enjeu d'insolvabilité de la créance est très élevé car toutes les agences de notation de risques placent l'Egypte entre 5 et 6 sur une échelle dont le septième échelon est attribué à la Syrie.
Mais après tout, depuis l'expédition de Bonaparte, nous sommes redevable à l'Egypte de tellement de splendeurs inestimables : l'Obélisque de la Concorde, le girafon de Charles X, l'Aïda de Georges Bizet, les romans d'Albert Cossery...
Malgré les apparences, la « bonne affaire » est ailleurs.
Les Egyptiens étant pressés, Paris a proposé de leur vendre du matériel « d'exposition » quasi neuf, peu servi, garanti et immédiatement disponible. Le client a accepté. Une douzaine d'avions seront prélevés à l'armée de l'air, et une frégate en voie de livraison à la marine nationale sera déroutée vers l'Egypte. Pour le budget raboté du ministère de la défense, c'est un formidable ballon d'oxygène ; pour la promotion du Rafale c'est inespéré car c'est la première exportation de l'avion depuis sa mise en service il y a quinze ans.
Bien sûr, les grincheux ne vont pas manquer de se manifester. Ils seront nombreux : l'armée de l'air sera contrainte de dégarnir ses escadrilles et la marine sera bientôt réduite à surveiller le deuxième plus vaste espace maritime de la planète avec des pédalos.
Sans compter l'opinion de tous les sans dents qui ne veulent pas comprendre que la faim justifie les moyens et que mourir à crédit, c'est survivre avec son temps.


mercredi 4 février 2015

Khadija Cherif, ministre éphémère d'un gouvernement tunisien introuvable


Elle se prénomme Khadija comme l'épouse du prophète et porte par son mariage avec Sidi Aloulou le nom de la sainte lignée. Cette identité a marqué son destin sous le signe du dévouement à son prochain.

Pourtant, elle n'a jamais porté le voile ni revendiqué l'islam pour conduire sa mission. Elle est démocrate, républicaine et laïque jusqu'au bout des ongles. Elle est le coeur de la société civile Tunisienne qui se bat depuis quarante ans pour que le pays change. C'est une militante opiniâtre de la liberté et des droits de l'Homme.

Tous ceux qui ont été maltraités sous la dictature de Ben Ali lui sont redevables. Toutes les familles des victimes se souviennent que durant la terreur, sa porte était une des rares à demeurer ouverte. Elle compatissait sincèrement, partageait les souffrances, se portait volontaire pour aller protester auprès des autorités indifférentes ou écrire des suppliques qui finissaient à la corbeille. Alors, elle relayait auprès des bonnes consciences internationales, des médias et des chancelleries, les abominations qui lui étaient rapportées. Ben Ali, le dictateur furieux lui dépêchait ses sbires. L'intimidation était permanente, la traque, l'espionnage et les violences se succédaient. Sa famille et ses amis tremblaient, d'aucun l'a supplia un jour de tout laisser tomber. Peine perdue. « C'est injuste ! En vérité il faut faire quelque chose ! » Et elle repartait de plus belle.
Puis la révolution vint et Khadija put enfin respirer librement et militer sereinement.

Lorsque le premier Chef du gouvernement de la première République honnêtement élue de l'histoire de la Tunisie annonça le 23 janvier dernier la composition de son équipe, personne n'osa y croire : Khadija ministre de la Femme, de la Famille et de l'Enfance ! Inouï, énorme ! Le Président Essebsi et son Premier ministre Essid, - tous deux anciens ministres de l'intérieur et de la répression – faisaient-ils amende honorable ?Avant de se précipiter pour aller les embrasser, on chercha à vérifier. On crut d'abord à l'homonymie. Mais c'était bien elle : l'enseignante en sociologie, l'infatigable Secrétaire Générale de la Fédération Internationale des Droits de l'Homme, la militante des Femmes Démocrates. Vive la Tunisie !
La surprise était énorme car Khadija n'est l'élue d'aucun parti, elle n'a d'autres cercles de fidèles que celui de ses amis, elle n'est pas du genre à se pousser du col, à priser les ors et les honneurs, les limousines et les gardes du corps... Le souffle coupé, on mit des heures à mesurer la portée de la nouvelle. On se dit que la page sombre était définitivement tournée et que l'heure de la réconciliation avait enfin sonné. Désormais au Conseil des ministres il y aurait une gardienne de la ligne rouge qui oserait proclamer : « C'est injuste ! En vérité, il faut faire quelque chose »
Parce que madame Cherif ne choisit pas son langage en fonction de ses interlocuteurs, elle parle à tous avec des mots simples et des expressions de conviction qui emportent l'adhésion.

A l'annonce de sa désignation, de toutes parts, les amis ont afflué. Le téléphone n'arrêtait pas de sonner. La joie était partagée, les souvenirs anciens remontaient à la surface : la visite de Marie Claire Mendes France, celle de Danielle Mitterrand...oui, ici même, dans ce canapé devant « la middah » la petite table basse. D'autres se souvenaient de la rencontre à Tunis entre Khadija et Nelson Mandela; le grand homme était aussitôt intervenu auprès de Ben Ali pour extraire du cachot un militant persécuté (lequel connaitra par la suite un destin national).
Les écoutes, les filatures, les convocations à répétition, les passeports confisqués, c'était le quotidien du passé.
Heureusement, la révolution de 2011 a donné la parole aux citoyens, puis le peuple a voté. La constitution est désormais gravée dans le marbre et le gouvernement ne sortira plus des clous.
Khadija Cherif y veillera.

Le chantier est énorme. La ministre de la Femme, de la Famille et de l'Enfance, est une fonction de quasi souveraineté, responsable du devenir des trois quarts de la population. Ce ministère est éminemment politique car si la Tunisie est singulière dans le monde, c'est avant tout grâce au combat de la femme tunisienne. Les Khadija sont six millions. Elle se battent depuis trois générations contre les obscurantistes qui veulent les ramener à la condition de servantes.

Hélas, les ingrats n'ont pas tardé à se mobiliser. Au lendemain de l'annonce de la composition du gouvernement, le parti Ennahdha faisait savoir qu'il ne voterait pas l'investiture. Les autres formations politiques en profitèrent pour faire monter les enchères. Acculé, le chef du gouvernement fut contraint de désavouer son équipe pour en former une autre, concédant d'offrir quatre portefeuilles aux islamistes et d'écarter Khadija Cherif.
A qui faisait-elle peur ? Assurément aux machistes, aux esclavagistes, aux fascistes, aux salafistes, aux politicards, aux trafiquants, aux nostalgiques... Ça en fait du monde !

Ce revirement désolant a été ressenti avec tristesse par tous les démocrates Tunisiens. Dans quelques années, il est probable que nul ne se souviendra du nom du Chef de ce gouvernement inconséquent alors que celui de la ministre éphémère de la Femme restera marqué pour longtemps dans l'histoire de la Tunisie.
Car ce qui est arrivé à Kadija Cherif « en vérité c'est injuste !.. »