mardi 25 octobre 2011

Nécrologie de la semaine

Le Prince Sultan, héritier du Royaume d’Arabie est mort dans la fleur de l’âge à 86 ans. C’était le doyen des ministres de la défense du Monde. Il fut le plus gros acheteur d’armements. Il n’était pourtant pas va-t-en guerre ni sanguinaire, mais pragmatique. Il avait compris que la paix dépendait en grande partie des marchands de canons. Ainsi, pour leur être agréable, il leur achetait des lots de quincaillerie sans en discuter ni le prix ni les rétro-commissions. Le personnage le plus courtisé de la terre était lucide et truculent. Pour maquiller leurs turpitudes, les corrompus taxaient de cupide celui qui les engraissait. Il laissait dire et s’en battait l’œil.
Le Prince n’aimait plus la France, devenue arrogante et irrévérencieuse, si loin de celle du Général de Gaulle qu’il admirait tant. Au cours d’une audience en Arabie, un ministre donneur de leçons, s’était fait congédier comme un valet.
La dernière fois que Sultan avait signé un gros contrat avec la France c’était en 1994. Le négociateur du gouvernement français était comme son Altesse Royale un personnage jovial au regard pétillant de malice. Le marché devint une affaire. Un juge enquête encore sur ses débordements. Le destin se montre parfois ironique avec l’histoire car l’élégant ancien ministre Jacques Douffiagues a quitté la vie quelques heures avant le Prince Sultan.

Kadhafi aura fait mentir l’adage de l’égalité des êtres devant la mort. Il fut comme le Prince, quarante ans durant adulé de tous les grands. Il y a quelques mois encore, Rome lui baisait la main, Paris lui lavait les pieds. C’était lui aussi un fameux client ; fantasque mais généreux. Mais c’est bien connu les fournisseurs sont fourbes, ils ne recherchent que leurs intérêts.
Mouammar avait reçu de ses amis infidèles des assurances avant sa sortie. Il aura été trompé. Des missiles ont bombardé son convoi. Il a fui à pied, été chassé, rattrapé, battu, supplicié, transbahuté, une balle au front. Fin. Son corps a été dénudé, exposé, filmé ! Quelques heures plus tard, le ministre français déclarait que le chasseur était un Dassault, son collègue américain répliquait que le drone était un Predator : deux armes désormais certifiées « dictator‘s killer proven ». Les Italiens malins laissèrent filtrer que le pistolet fatal était un Beretta.
Indigné par cette barbarie, Moscou a qualifié l’Otan-isation du leader de meurtre inqualifiable. Il faut dire que feu Kadhafi collectionnait les chars, les missiles et les avions made in Russia.

Jean Amadou, autre saltimbanque est mort de nous avoir fait rire sans jamais faire de mal à une mouche. Il était l’homme « bébête show » de « l’oreille en coin » à l’affiche du théâtre des « Deux ânes ». Il donna des milliers de bons mots à des millions de Français qui se tenaient les côtes. Il se proclamait de droite et de mauvaise foi. On suspectait le contraire. Ayant atteint un âge princier, Amadou a succombé à un brutal excès de dérision inspiré par l’actualité internationale récente. Il mérite la délicieuse formule diplomatique rituelle que s’adressent les chancelleries arabes lorsque trépassent les grands hommes : « implorons Dieu d'accorder au défunt Sa Miséricorde et de l'accueillir en Son Paradis aux côtés de ceux qu'Il a comblés de Ses bienfaits et de Sa grâce » car contrairement au Prince et au dictateur sa disparition sera sans conséquences tragiques sur les survivants.

vendredi 21 octobre 2011

Tunisie : l’index bleu est levé !

En sortant du métro, un journal éponyme m’offre l’information gratuitement : les six cent mille tunisiens de France peuvent voter à compter d’aujourd’hui ! Je me rue au cybercafé du coin. La toile me confirme la nouvelle. Un puissant moteur de recherche trouve le bureau de vote le plus proche de mon domicile : rue Lavergne à Asnières.
Jamais mis les pieds dans cette banlieue. Pas simple à trouver. Après deux heures d’errance j’y suis. Le local communal est humble. Les organisateurs courtois, affables.

C’est un grand jour. C’est la première élection arabe libre. Il faut savourer son plaisir. Il y a de l’émotion dans l’air, des larmes au bord des yeux. Suis-je inscrit ? Ce n’est pas grave. On cherche, on trouve, je signe, dépose mon portable et ma carte d’identité. Un scrutateur m’explique en me tendant une grande feuille et un stylo : « c’est simple, vous entrez dans l’isoloir, fermez le rideau, mettez une croix sur la bannière de la liste choisie, pliez la feuille en huit, et la mettez dans l’urne ». Pour prévenir la fraude, il trempe mon index gauche dans un liquide pâteux. Je le récupère tout bleu.

Le bulletin de vote est grand comme la première page de France-Soir. C’est une liste de quarante huit partis. Ecriture arabe et française. Aux mal comprenant comme moi, chaque formation se signale par un idéogramme : une balance, un poisson, une faucille, un bateau, un olivier. Jolis dessins. Choix difficile. Je pense à M’Hamed, Hédi, Serge. Longue méditation. Je prolonge le plaisir. Enfin, je glisse mon bulletin dans l’urne « a voté ! ». Je quitte ces lieux silencieux comme à regret.
Il manque la cacophonie joyeuse du tabbel, de la tarbouka, de la flûte, du bignou et des youyous. Il manque Smaïl Hattab, Zina et Aziza, les makrouds et l’orgeat, la fumée du bhour et le rire des enfants. La fête de la démocratie mériterait pourtant une nouba inoubliable…
Dans le hall, un rayonnant jeune homme l’index bleu brandit comme E. T se fait photographier devant l’affiche des listes.
Je m’éloigne serein, léger, comme apaisé par l’initiation au rite désormais inscrit dans l’avenir de la Tunisie.
Pour finir le pèlerinage, j’entre chez un coiffeur comme il se doit.

mardi 18 octobre 2011

Tunisie : la révolution d’Octobre

A l'exception de quelques prophètes, personne n’avait vu venir le soulèvement de Janvier, mois habituellement sans printemps ni jasmin.
Afin que nul ne soit pris au dépourvu, la Tunisie a décidé que la prochaine révolution aura lieu en Octobre, solstice d’un nouveau calendrier dont le peuple choisira la saison qui suivra.

La campagne électorale a été passionnément médiocre. Le chômage, l’injustice, les disparités qui rendent la vie dure au quotidien dans le plus beau pays du Monde, n’ont pas été au centre des débats. Certes l’enjeu du scrutin porte sur la désignation des rédacteurs de la future constitution. Mais cette longue étape était-elle bien nécessaire ? Les britanniques n’ont pas de constitution, la république parlementaire israélienne non plus. Les juifs intégristes se sont toujours opposés à l’adoption d’un texte supérieur à la Torah. Israël ajourne sans cesse l’adoption d’une constitution depuis…1948! Espérons que les constituants tunisiens seront plus véloces mais ce n’est pas gagné d’avance...
Car dans un pays où tous les actes solennels s’accomplissent au Nom (bismi) d’Allah, l’omni présence de Dieu dans la campagne électorale était inévitable. Toutefois, le clivage mosquée/bistro ne saurait porter un modèle de société. A focaliser le débat sur la religion, le paysage politique reste flou et au terme d’une campagne de plusieurs mois, il est bien difficile de situer les courants politiques sur l’éventail. L’islamisme de droite est-il soluble dans le sécularisme libéral, celui de gauche dans le socialisme ? Où se cache l’opportunisme caméléon de l’ancien régime ?

La Tunisie libre se joue de la peur des deux modèles qu’elle récuse : l’Occident immoral et l’Orient rétrograde. Le fait que Ben Ali soit l’hôte de l’Arabie Saoudite ajoute à la confusion des esprits. Ses partisans ont multiplié les incidents, instrumentalisant de vrais-faux barbus illuminés. Déjà en 1987, pour préparer son coup d’Etat, le petit général- alors ministre de l’intérieur de Bourguiba -avait multiplié les provocations pseudo islamistes en organisant des attentats à l’explosif et au vitriol, il avait même mis en scène l’attaque de sa propre voiture sur le chemin de Monastir ! Les tontons macoutes du satrape ont récidivé. L’Histoire fera reproche au gouvernement transitoire d’avoir prolongé leur impunité.

L’avenir constitutionnel aurait pu se contenter d’un référendum. C’était trop simple. Et puis les révoltés de la Kasbah réclamaient une constituante. Alors les très nombreux et très brillants juristes ont choisi un mode de désignation à la mesure de leurs immenses talents.
"Le scrutin plurinominal proportionnel au plus fort reste" est une pépite de la science électorale, objet de nombreuses thèses et travaux divers que résume fort clairement un livret de la collection « Que sais-je ? » hélas épuisé depuis 1952. Il parait qu’un opuscule de vulgarisation de 600 pages édité à la hâte en langue arabe et consultable sur Facebook permet de se familiariser avec le calcul du quotient de Hare et les risques du syndrome d’Alabama.
En Tunisie lorsqu'on demande à quelqu'un de montrer son oreille, la personne lance le bras droit au dessus de sa tête pour saisir son oreille gauche. Avec 1500 listes et près de 10 000 candidats, le sport démocratique s’annonce de haute compétition. Mais les tunisiens peuvent le faire !
Pourtant, ce mode de sélection, qui prête à l’ironie facile, est incontestablement le plus démocratique et le plus équitable qui soit après celui du tirage au sort. Il permettra l’élection d’une assemblée mosaïque fidèlement représentative de la centaine de micro partis dont un grand nombre ne portent que l’ambition personnelle de leur chef qui sont condamnés d’avance à s’entendre ou se vendre.

Qu’importe, le processus démocratique est en marche, nul ne pourra l’arrêter ni contester les résultats du 23 octobre (hormis les mathématiciens). Le pouvoir de la nouvelle assemblée sera considérable. Il lui reviendra de construire le socle de la seconde république, mais aussi de désigner l’exécutif qui devra résoudre tout, tout de suite, sous peine de récidive meurtrière.

Le coup d’état n’est à craindre que de l’étranger.

Washington a été clair: Il respectera le verdict des urnes. Alger est muet. Tripoli n’a pas encore mué. Paris est inaudible.

Sans doute encore l’otage des affaires d’un passé trop récent, la capitale française guette surtout la reprise des bonnes affaires.
Il y a quinze jours, Boulevard du Montparnasse, à la très chic Closerie des Lilas, le ministre tunisien du tourisme pérorait en aimable compagnie. Il évoquait les perspectives d’élargissement du Maghreb à ... Israël. Ses invités, un ministre et un ancien premier ministre français se pâmaient. On était si loin des oreilles de l’électeur de Bir El Hafay et de Takrouna.
La République Tunisienne n’a toujours pas d’ambassadeur accrédité en France. Le poste est vacant depuis huit mois, c’est du jamais vu depuis la guerre de Bizerte il y a cinquante ans ! Rue Barbey-de-Jouy, l’ambassade de Tunisie a été vidée de ses meubles de prix : emportés par « la famille ». Aux côtés de quelques fonctionnaires de la carrière, une centaine de policiers, sous protection diplomatique, poursuivent tranquillement leur petit business en veillant sur les cartons d’archives qui leur assurent l’impunité.

Le weekend end prochain, près de trois cent mille tunisiens du Grand Paris se presseront autour des consulats de Paris et de Pantin et d’une poigné de bureaux disséminés en grande banlieue. Où sont les autres bureaux de vote ? Comment se déroulera le scrutin ? La communauté tunisienne de France est en quête d’un modus operandi qu’elle trouvera peut-être vendredi…en sortant des mosquées.
La classe politique française, toujours prompt à donner des leçons, a raté une belle occasion de coopération républicaine.
Gageons qu’elle se rachètera en assistant les démocrates libyens immigrés en France pour l’élection de leur constituante !!!!