mardi 29 juin 2010

Le Général et le Prix Nobel

Le dix huit juin de l’an dix, répondant à l’appel du très haut, deux hommes ont pris le ciel. L’un avait du sang sur les mains. Sans convaincre, il s’en est expliqué, il était soldat. C’était un cœur froid par devoir. Car un militaire en opération, c’est forcément un criminel. La guerre est ignoble sauf celle en dentelle. Les maréchaux de France n’étaient pas de doux agneaux, le Général Bigeard non plus.
En tout cas pas plus que le sergent Sam Badly qui dans un bunker climatisé du Colorado déclenche le tir Hellfire du drone silencieux qui survole la maison d’un suspect au cœur du Yémen à quinze mille kilomètres. Sam est un technicien du bien en guerre contre le mal. Il aura une médaille car personne ne lui dira qu’il s’est trompé de cible.
Bigeard était un chef militaire adulé de ses troupes et honni de beaucoup. Il a fait des guerres inutiles qu’il n’avait pas choisies, il est mort dans son lit parti rejoindre d’autres généraux sur les bancs du tribunal de l’Histoire.

José Saramago nous a quittés le même jour. C’était un révolutionnaire des œillets et des mots. De sa vie, cet homme n’a fait de mal à une mouche. Mais il a propagé le bonheur chez des millions de lecteurs. Il a démodé la ponctuation, boudé la majuscule, bouleversé l’art du récit, sacralisé la digression, primé l’intelligence et nobélisé la littérature lusophone. Avec une malice d’enfant et une humilité de savant, il nous emportait dans ses jeux imaginaires. Et si une épidémie venait à nous rendre tous aveugles ? Et si les citoyens refusaient d’aller voter ? On attendait avec impatience son dernier thème : et si les écrivains devenaient immortels ? Saramago n’a pas eu le temps d’achever son ultime ouvrage. Adieu grand homme qui laisse à des générations d’Ipadeurs la joie de te lire.

Bigeard ne savait pas écrire, Saramago ne savait pas tuer. Chacun ignorait l’existence de l’autre. Se seraient-ils seulement adressé la parole si le hasard les avait réunis côte à côte par exemple dans un avion ? Le parachutiste de droite ministre de Giscard côté hublot, l’humble ouvrier des mots communiste libertaire côté couloir ? C’est probable. Auraient-ils parlé des Palestiniens, des Sahraouis ? En seraient-ils venus aux mains ? En tous cas, la mort s’est chargée de les fraterniser.

A Lisbonne plus de 20 000 portugais ont rendu un dernier hommage à José. Certains, qui n’avaient pas même lu une ligne du défunt le pleuraient comme un ami. Marche recueillie de vestes sombres, brassard noir, œillet rouge, poings levés. Chants, hymne national, drapeaux. Tous les ministres, le premier et les autres, même les anciens, tous les corps constitués.
Le Président de la République ne s’est pas déplacé.

Au même moment, à Paris, dans la cour d’honneur des Invalides le souffle de toute l’armée française était là pour saluer la dépouille du Général portée sur une simple civière brutalement posée à même le sol. Chants, hymne national sonnerie aux morts, drapeaux et paras qui frissonnent à l’unisson. Tous les ministres, le premier d’entre eux et les autres, même les anciens, tous les corps constitués.
Le Président de la République ne s’est pas déplacé.

Les Présidents n’aiment pas les héros contestés.

Le soldat et l’écrivain étaient-ils des mécréants ? Le Nobel avait dit de la bible « c’est un manuel de mauvaises mœurs ». Quant au Général on ne lui connaissait aucune génuflexion. Pourtant tous deux ont choisi l’incinération. Tous les deux ont demandé que leurs cendres soient dispersées en partie dans leur village de naissance et dans leur pays d’adoption. A Dien Bien Phu lieu de la bataille perdue de Marcel, et sous un olivier des îles Canaries où reposent désormais les poussières d’espoir de paix de José.

Saramago est mort alors qu’il écrivait un ouvrage sur les industries d’armement. Le destin est tenace, le Nobel et le Général finiront bien par se rencontrer !

samedi 19 juin 2010

Les Ouzghises et les Kirbèks

Sur la route de la soie, on ne fait pas dans la dentelle.

Les kirghizes et les ouzbèks se massacrent. Comment font-ils pour se reconnaître ? A leur chapeau pardi ! Où ça ? À Och. Une méchante ville moche de l’Asie Centrale. Vous ne voyez pas ? Mais enfin sur la route de Tachkent à Bichkek ! Bichkek, l’ancienne Frounze la capitale du Kirghizstan voyons!

Il suffit d’y avoir échoué une fois pour se souvenir de cette ex-sous-préfecture soviétique. Qu’est devenu le musée où s’entassaient les œuvres de peintres moscovites déportés? Il parait que la célèbre académie de l’armée Rouge n’est plus. Pour les usines kalachnikov je ne sais pas mais l’hôtel Dostik a perdu son étoile rouge, c’est confirmé.

Le premier président de la République Askar Akaïev, aujourd’hui en réserve, est toujours un mathématicien souriant et passionné d’holographie. Son pays ressemble à son hobby, on croit voir et c’est autre chose qui apparait.

A Bichkek, les roses sont les plus belles du monde. Elles poussent comme du chiendent, insolentes, odorantes, énormes qu’on dirait des hortensias. Hélas, le peuple ignore ces beautés. Il a baptisé « révolution des tulipes » son premier coup d’éclat. Pourtant le Kirghizstan n’a rien d’un Pays Bas !
Hors de la capitale, il n’y a que montagnes. Pas des Alpes riquiqui avec un Mont Blanc. Au dessus des nuages, ça va chercher dans les sept mille mètres! Pas besoin de barbelés pour se protéger du voisin chinois.
Là-bas comme partout il y a de la terre sous la neige. Mais celle-ci est rare et chère car on la transforme en produits pour nos télés et autres ordinateurs.
Le lac Issi Kul est une merveille de pureté. C’est un glacier liquide et profond dans lequel on hésite à tremper les doigts de pieds. Eh bien l’eau est à température caribéenne. Allez savoir pourquoi?

A contempler les paisibles bergers buvant du lait de jument sous leur yourte, on les croit indifférents au Kentucky Whisky qui coule sur la base américaine voisine. Pas du tout, ils se battent au coup de sifflet comme des GI obéissants. Leurs têtes de Turcs sont les ouzbeks d’à côté qui sont dix fois plus nombreux et très chatouilleux ; leur ancêtre Tamerlan avait la manie de construire des tours avec le crane de ses ennemis.
Ils sont fous ces Kirghizes !
Ils feraient mieux de lire « Jamila » de Tenguiz Aïtmatov le Hugo local, édité en poche, introuvable à Och.

mardi 15 juin 2010

L’ami EcriVin

Tiens, hier encore j’ai pensé à toi. Alors en communiant j’ai défloré un flacon de Haut Brion 82. Je ne te dis pas l’envolée des sens. Le petit Jésus en culotte de velours. Rien à voir avec les Châteaux Chalon centenaires que l’on a célébrés dans notre jeunesse, ni les vieux Meursault, ni les Pouilly de Dagueneau qui sont pourtant de sublimes sangs de ceps que les myopes voient blancs alors qu’ils sont roux comme les mèches de Josiane. La Josiane, tu te souviens !

La décantée de Graves n’était pas rouge non plus. Seuls les pochetrons perçoivent cette couleur dans le breuvage du Postillon en bouteille étoilée. Le rouge est une teinte de cosmétique pour les lèvres ou le bout des doigts, il ne peut pas qualifier un nectar divin voyons ! Le vin n’est jamais rouge c’est évident. Même le Beaujolais ; notre honnête Juliénas de chez Santé le bien nommé, a des reflets de sombres carmineux qui échappent à la gamme chromatique. Ne parlons pas des pourpres Clos Vougeot, ni des violets papes de Beaurenard, ni du vermeil cramoisi Montrachet dont les millionnaires indignes écorchent l’appellation d’un « t » insupportable.

La robe du Haut Brion de 28 printemps est une illumination que seule la peinture de Velázquez a peut-être approchée.

Au contact du cristal, le liquide se mit à pleurer. Pour le consoler, je me suis penché sur les bords du verre que j’ai baisé. Puis, les yeux clos, j’ai longuement inhalé un parfum mystérieux. Toutes mes pensées s’étaient évaporées comme accaparées par l’odeur envahissante. En relevant la tête, j’ai tenté d’apprivoiser le plaisir pour mieux le prolonger mais il se dissipait. J’ai replongé le nez dans mon verre après l’avoir délicatement entrainé dans une valse cherchant en vain à perpétuer les promesses de l’ivresse.

Le reste tu le connais ami. Chez toi au paradis des paillards je devine que le Saint Amour est à discrétion, et le Saint Joseph à tire-larigot. Ici, depuis que les docteurs de la foi et du foie m’ont chapitré, je fais ceinture, je carbure surtout à la ferrugineuse. Alors pour tuer la vie d’attente de te rejoindre, j’hume et je rehume…

As-tu déjà croisé Winston Churchill le plus français des anglo-saxons.
Je m’explique, Churchill était un méridional de chez nous. Il aurait pu naitre à Sète, à Marseille ou Tunis. Il avait deux passions : le bon vin et les bons mots, qui sont les accessoires indispensables pour humaniser l’homme en le faisant rire. Alors qu’il commandait une troupe sur le front, il exhorta ses officiers à rire ou à sourire en toutes circonstances. Buveur inextinguible, il se précipita dès la libération vers la Côte d’Azur pour vérifier que la cave de l’Hôtel de Paris à Monaco avait bien échappé aux soudards allemands. Un homme qui lichetrognait du Château Pétrus au petit déjeuner aurait mérité de présider au destin de l’union entre Jack et Marianne ! J’ai appris qu’il avait à la veille de la guerre proposé de fondre la France et la Grande Bretagne en une seule et même nation ? De Gaulle, « so British » qui riait et buvait sobrement avait peut-être à tort boudé la demande de mariage. Il faut lire la passionnante biographie monumentale de Winston Churchill par François Kersaudy. Winston nous a sauvé du nazisme. Tiens en hommage je vais troquer ma Craven A du dimanche pour un double corona avec quelques effluves de Vodka millésime CCCP, c’est bien le moindre !

Au chapitre des grands hommes du passé. Que sont devenus ceux de Dien Bien Phu, la bataille imbécile d’une guerre inutile. Les généraux Giap et Bigeard ont écrit leur histoire de l’Histoire. Mais que s’est-il vraiment passé sur le terrain ? Cinq jeunes, français et vietnamiens, sont allés recueillir les souvenirs des survivants. « Dien Bien Phu vu d’en face » est un remarquable document. Les témoignages sont sans haine ni ressentiment, épurés de toutes passions, précis, factuels. Ce livre donne la parole à des sans grades qui retiennent depuis un demi siècle leur cri de vérité. « La guerre n’est pas une histoire enfantine. Il ne faut pas raconter n’importe quoi » Dit un ancien bô dôi à la journaliste Dào Thanh Huyên qui a initié cette prodigieuse enquête.

Au chapelet du malheur des enfants - ce sont des gosses de 15 à 25 ans qui font la guerre – il y a l’Algérie. Je me souviens de tes confidences l’ami. La rencontre de l’appelé auvergnat découvrant des semblables dans les Aurès. L’amour commun pour les choses essentielles.
Sur la place du marché de Mamers, un auteur sarthois m’a dédicacé son livre de souvenirs. Jacques Gohier dans « L’école des sables » raconte la communale de la superbe palmeraie d’El Oued où il fut instituteur de 1958 à 1962. C’est une carte postale de jeunesse, insouciante mais lucide. Les jolies choses cachent la misère. Les poulbots étaient en haillons, le trachome, la galle, la teigne, les plaies recouvertes de papier journal, les mouches, les sauterelles, le sable, le siroco, les corvées d’adultes, les insultes, la faim, la soif, le bâton sur les mains, les doigts, les pieds. Alors, parfois, ils se défoulaient en martyrisant les varans et les scorpions pour amuser les étrangers de passage. Je sais, j’y étais. S’il vous plait M’siou l’instituteur retournez à El Oued avec quelques journalistes algériens pour interviewer vos anciens élèves ! J’aimerais tellement lire « L’école des sables vue d’en face » aussi.

Tiens, pas plus tard que ce midi en recrachant un abominable vin suédois sans alcool, j’ai encore pensé à toi l’ami…

lundi 7 juin 2010

Marchands de bidons

Nous sommes le troisième marchand d’armes du monde. Avions, navires, chars, missiles, satellites made in France sont parmi les plus redoutables. Mais cette position dominante qui nous confère une influence stratégique sur nos clients est en train de décliner au bénéfice de l’Inde, de l’Afrique du Sud, d’Israël voire du Brésil et de la Belgique. Les pacifistes s’en réjouiront et les économistes s’en consoleront car après tout ce secteur est moins rentable que celui de nos exportations de vin et de spiritueux qui de surcroît font davantage de victimes que nos startrons.
Le strartron étant comme chacun l’a oublié une arme bidon vendue jadis par des escrocs à des Libyens naïfs qui acquirent des containers de tuyaux de plomberie pour quelques millions de dollars.

Dans le commerce des armes comme dans celui des fruits et légumes et du poisson, il y a des intermédiaires qui s’en mettent plein les poches. Comme personne ne connait le prix d’un tank, objet introuvable sur e-bay, il est facile de faire valser les étiquettes. Et puis c’est comme chez Dacia, les options font grimper l’addition.
Heureusement, les transactions d’armements sont étroitement surveillées par des officiers et des hauts fonctionnaires aussi conciliants que mon contrôleur des impôts. Certes ils obéissent aux ordres du pouvoir, mais ils entassent méthodiquement dans des armoires fortes des secrets qui se transformeront avec le temps en redoutables startrons que les stratèges imberbes des états major politiques exhumeront à mauvais escient pour « tuer » l’adversaire du parti d’en face. De ces combats d’initiés, les victimes sont toujours innocentes, collatérales et gauloises.

La remarquable enquête d’Arfi et Lhomme « Le contrat, Karachi… » est inquiétante.

D’évidence les auteurs n’ont pas appris grand chose, c’est pourquoi ils échafaudent des hypothèses. L’une d’entre elles conclut que l’attentat de Karachi avait pour objectif de contraindre l’Etat français à honorer ses promesses de FCE (frais commerciaux extérieurs) suite à la vente de sous-marins au Pakistan. Et les auteurs de renchérir avec une autre improbabilité, celle liée à la vente de frégates furtives à l’Arabie.

En attendant, à Cherbourg, les familles des victimes résistent à la raison d’Etat, elles réclament la vérité. Quelques parlementaires les accompagnent.
Peut-on croire que l’on a assassiné des innocents pour une exportation qui a mal tourné ? Il n’y a que la mafia qui tue pour ces motifs. Cette histoire est celle des pots de terre contre des pots de vin. La justice est sans illusion.

Corruption, chantage, copinage, forfaiture, au gré des interviews les auteurs vident les poubelles de la république. On découvre des politiciens roublards, des intermédiaires mythomanes, des barbouzes pousse-mégots, des généraux et des hauts fonctionnaires à contre-emploi ; tout un petit monde d’incompétents arrogants.

Le bakchich est un usage imposé par le client dit-on, il servirait aussi parfois à maquiller des rétros commissions. Mais alors, qui du vendeur ou de l’acheteur est le plus corrompu ? Le bouquin n’apporte pas de réponse mais ouvre en grand la porte de la suspicion. C’est malodorant.

Il manque au livre un épilogue :
Attendez-vous à savoir que le roi dont le pays absorbe les bonnes années le tiers des exportations françaises d’armement, viendra à Paris en juillet prochain pour inaugurer une exposition au Louvre. Le doyen des souverains surnommé par son peuple « Le Roi de l’Humanité » assistera peut-être au défilé du 14 juillet. A contre cœur sans doute car cet amateur d’histoire, joueur de pétanque n’est pas un va t’en guerre, il préfère la montgolfière au Rafale. Il y a des lunes, alors prince héritier, il avait dépêché auprès des industriels une princesse qui leur tint à peu près ce langage : « Mon pays a changé. Pourtant, vos méthodes restent les mêmes. Au lieu de proposer des pots de limonades exorbitants pour nous vendre vos engins, financez plutôt un hôpital pour enfants ; nous vous en serons reconnaissants » Manquant de perspicacité, les douze machos ont ricané.
Dans ce milieu, on ne croit pas facilement aux contes de fée !

samedi 5 juin 2010

« Les diplomates » de Franck Renaud

L’auteur n’a pas pu suivre les cours d’Hubert Beuve-Méry et de Pierre Viansson-Ponté car il n’était pas né. Il a appris le métier à l’école de Lille et à Sud Ouest. A présent il enseigne les sciences de l’information, autrement dit le journalisme.

En Asie où il séjourne depuis dix ans, il a mené une plaisante recherche anthropologique sur notre diplomatie. Son livre est une leçon de méthode et une œuvre citoyenne salutaire. A chaque page le lecteur tombe de l’armoire.

« Les Diplomates, derrière la façade des ambassades de France » éditions nouveau monde. 365 pages. Autant de scandales.

Il faut s’attendre à ce que le gouvernement soit durement interpellé au Palais Bourbon, qu’une commission d’enquête soit ordonnée. Il est probable que des têtes vont tomber, qu’un rapport sera commandé, qu’une grande réforme sera lancée…Ce livre va faire du bruit !

Enfin peut-être…

Pour radio trottoir, un diplomate c’est une personne qui achète sa voiture hors taxes et la gare n’importe où. C’est un veinard nourri de petits fours et de jeux de mots, qui ne paye pas d’impôts. Son chef est un gonfalonier pétri d’importance qui se déplace en limousine à fanion. Son Ministre est traditionnellement un docteur en médecine avec une langue d’arracheur de dents.
Ce n’est pas tout à fait exact.

Franck Renaud remet les pendules naïves à l’heure de la pire des réalités.
Son échographie du quai d’Orsay et des chancelleries révèle les turpitudes de nos Excellences : prévarication, détournements, vols, abus d’autorité, affairisme, trahisons...On y apprend des détails stupéfiants comme la défection d’un « totem » de nos services secrets, le business des visas, les réceptions du 14 juillet sponsorisées par Coca Cola et Ricard, l’immunité des pédophiles. Elle n’est pas souvent belle la France à l’étranger !

Certes, tout n’est pas noir. Il y a 160 ambassadeurs de France accrédités dans le Monde . Selon Dominique de Villepin, ancien diplomate de haute lignée, une cinquantaine d’entre eux (seulement) seraient de parfaits incapables !

Il faut rendre justice aux grands plénipotentiaires. Il y en a.

Franck Renaud en cite quelques uns. Pas assez à mon goût. J’ajouterai ceux qui portent bien leur nom : Courage, Lafrance, les truculents Georgy, Jeantelot, l’ancienne école d’orient Depis, Marc-Henry, les héroïques, Janier, Jacolin et puis aussi tant d’autres excellentes excellences à l’image de notre ambassadeur actuel à Téhéran. Il faudrait que Renaud reprenne l’annuaire diplomatique (interdit à la vente mais disponible sur le net) en y ajoutant des commentaires et des notes comme dans les guides de cantines.

Son enquête pointe les modes de recrutement et la compétition entre le concours de l’ENA et celui plus difficile des cadres d’orient. Mais la carrière n’évolue pas seulement au mérite. Ainsi « Le Gay d’Orsay » réunirait au sein d’un cercle d’influence la communauté homo-diplo.
Cette solidarité n’est pas choquante, en revanche la misogynie caractérisée dont fait preuve avec constance ce ministère est affligeante. L’ambassadrice Gazeau-Secret qui parvint à se hisser pour quelques mois à la prestigieuse direction générale des affaires culturelles et scientifiques, dénonce sans fioriture le machisme ambiant. Dans son discours d’adieu elle a cité un proverbe africain que ces messieurs diplomates méditent encore : « il est vain de vouloir piler le mil avec une banane molle ! »

Vite ! Achetez, lisez « Les diplomates »

jeudi 3 juin 2010

Allons à Alençon

On trouve à Alençon un Palais de justice pas beau, une Préfecture de châtelain, un Hôtel de ville prétentieux, des églises à clochers, un hôpital, des fast food et des hypermarchés en banlieue, comme dans tous les chefs lieux.

Le centre ville est agréable. Il y a des vrais commerçants qui boulangent, qui viandent et qui poissonnent. Partout l’accueil est aimable, même chez les gardiennes du musée qui concèdent bien volontiers au visiteur râleur que l’éclairage est indigne des œuvres exposées. « Écrivez » disent-elles…
Voici fait.

Le long de la rivière, des estaminets se donnent des airs de guinguettes, le soleil illumine quatre fois l’an les vitraux de la basilique. Les HLM voisinent les riches maisons de maîtres dans un miracle d’harmonie à laquelle la native Sainte Thérèse, patronne des édiles et des architectes, n’est sans doute pas étrangère.

Dans les rues piétonnes, les confiseries se disputent les faveurs des gourmands, à toute heure on y fait la queue. Entre mâtines et vêpres les bigotes s’aident de leurs rosaires pour compter les douceurs de truffes, de guimauves et de pâtes d’amandes qu’elles devront confesser. Aux terrasses, défiant les giboulées, des jeunes sirotent et fument.
Le légendaire hôtel du Grand Cerf qui hébergea Leclerc, mais aussi les frasques des notaires de Brel avec la grosse Adrienne de Montallant, tombe hélas en décrépitude. A coté de Notre Dame, on remarque deux insolites enseignes rivales « Istanbul Kébab » et « Athènes Kebab » où se pressent les friands de cette nouvelle spécialité ornaise. On se consolera en songeant à d’autres tristes néons, le « Royal Couscous » près du château de Versailles, le « Pot-au-feu » de la place Tiananmen, « Ma Normandie » à Casablanca, « Chez Maurice » à Aden…

Mais Alençon ne serait pas capitale sans « Le Passage ». Ce lieu vaut le détour. Vous y entrez par la rue Jeudi et ceci, tous les jours de la semaine sauf le dimanche et le lundi. Vous en sortez le même jour par la rue du Bercail. Le passage est aussi possible en sens inverse. On y trouve des livres, accessoires indispensables pour passer de courts instants de chaise longue au soleil normand ou de longs moments de chaise courte au coin du feu. Hélas, cet endroit reste peu fréquenté par les anciens de Moulinex qui ont depuis longtemps échangé leurs fins de droits contre une dignité discrète. Pour se consoler, ces oubliés lisent chaque mardi un honnête canard « l’Orne Républicain » ; unique colporteur des échos du landerneau et des doléances d’un tiers état superbement ignoré du Grand Paris.

Pourtant, la capitale de l’Orne est à seulement 20 minutes de Paris en hélicoptère. En train c’est beaucoup plus long, il y a un changement. En voiture il faut compter avec les radars et les bouchons de la RN 12 mais en trois heures c’est possible ! Voilà pourquoi à propos de cette charmante citée provinciale la question rituelle des Vélibiens de la rive gauche revient en ritournelle: « Alençon ! C’est-où-çaaa? »

Revenons au Passage. La boutique est un mélange de Hune et de Procure, en plus intime. Il y manque les canapés de la librairie du Bon Marché, mais on peut s’asseoir sur les marches ou s’isoler dans les recoins. On y trouve de tout mais plutôt du meilleur que du pire. Difficile d’y flâner sans acheter, d’autant que les nouveautés sont parfois mises en rayon quelques jours avant Paris !

J’emporte l’enquête de Franck Renaud sur « Les Diplomates » et celle d’Arfi et Lhomme sur « Le contrat » de Karachi, deux ouvrages ahurissants que j’ai dévorés à chaud et dont je rendrai compte à froid.