mardi 27 juillet 2021

Tunisie: coup d'État, putsch ou soulèvement républicain ?



En cette période de canicule, les Tunisiens bravant les interdits sanitaires sont massés sur les plages. Ils contemplent l’horizon en pensant au héros du jour, Ahmed Hafnaoui, un nageur de 18 ans qui vient de remporter l’or aux Jeux Olympiques de Tokyo. Ce n’est pas étonnant car chaque Tunisien excelle dans cette discipline sportive. Il faut en effet savoir bien nager pour survivre dans un pays submergé par les vagues de calamités. L’épidémie tue comme nulle part ailleurs, les finances publiques sont au bord de la banqueroute, la corruption est généralisée. Même la démocratie est gangrenée ! Forte de l’immunité qu’ils se sont votés, les représentants du peuple se pavanent en limousines et se battent à coups de poing dans l’hémicycle de l’Assemblée. « L’exception tunisienne » n’est plus qu’une affiche de façade invitant les étrangers à venir bronzer idiot. La révolution de 2011 a été grignotée par les réactionnaires, les intégristes, les parvenus et les vendus. Le patriotisme a été vaincu. Depuis des mois, les Tunisiens guettaient la vague géante qui les emporterait vers un avenir salutaire ou tragique.


C’est donc sans surprise, et avec un certain soulagement que la population épuisée par tant d’anarchie a appris que les blindés de l’armée avaient ceinturé le Palais du Bardo pour empêcher l’assemblée législative de siéger, que le Premier ministre avait été limogé, que le couvre feu et les restrictions de déplacements étaient renforcés. Ce n’est pas un coup d’État car l’État n’est pas renversé et le Président de la République légitime Kaïs Saïed demeure. C’est d’ailleurs lui qui entouré des chefs des armées et des services de sécurité a annoncé que le pouvoir législatif était muselé et qu’il monopolisait désormais les pouvoirs exécutifs et judiciaires. La constitution n’est pas violée, seulement violentée.

L’avenir révèlera un jour si l’idée du putsch qui ne veut pas dire son nom était bien celle du Président. Cette initiative qui présente des dangers de dérives a pour le moment l’heureux effet de rassembler les tunisiens.


L’armée tunisienne est constituée de 80 000 conscrits et 30 000 gardes nationaux qui sont pour la plupart issus des classes les plus déshéritées. La carrière d’officier n’offre ni avantage, ni prébende, ni salaire enviable. Le métier est dur et les risques élevés car les intégristes qui guerroient aux frontières ne font pas de quartier. La légalité républicaine des officiers supérieurs formés dans les académies françaises et américaines n’a été qu’une seule fois transgressée par le fameux général Ben Ali dont la famille a pillé le pays pendant trente ans. Pour autant, l’armée tunisienne jouit d’une forte popularité amplement méritée par son engagement et sa parfaite loyauté durant ces dix dernières années.


De son côté le Président de la République Kaïs Saïed élu il y a deux ans avec plus de 72% des suffrages est un électron libre sans parti ni autre programme que le vague projet de servir la volonté du peuple. « echarb yourid » (le peuple veut). Le personnage est déroutant. Il cumule les singularités mais fait l’unanimité par sa probité. Ce professeur de droit, époux d’une magistrate est un homme honnête dont la retraite paisible a été entravée par le passage du drapeau rouge et blanc qu’il a embrassé. 

Le putsch militaro-présidentiel allie la révolte de deux pouvoirs populaires: celui des armées et celui du Chef de l’État. Il vise le rassemblement des partisans de l’ordre républicain. 


La puissante organisation syndicale l’UGTT poussée par sa base s’est ralliée avec lenteur,  le patronat a été plus rapide, la société civile est inquiète et hésitante, l’administration divisée, les islamistes désemparés, les salafistes entrés en clandestinité.  Beaucoup redoutent les purges car partout l’illégalité domine.  Rétablir l’ordre et l’équité ne sera pas aisée. Il faudra inspirer la crainte par l’exemple. Qui demain dormira en prison ? C’est la question que chacun se pose. 


L’assainissement est une nécessité car déjà lourdement endettée, la Tunisie doit emprunter d’avantage. Les sommes ne sont pas colossales au regard des pays riches. Pour quelques milliards de dollars, l’économie serait sauvée pour peu qu’elle soit gérée. Le FMI pose ses conditions habituelles. L’Union Européenne, la France et les États-Unis réclament en contre-partie le respect de la démocratie alors qu’ils s’accommodent partout ailleurs de dérives bien plus graves. C’est un prétexte commode car en en réalité, la diplomatie occidentale n’a pas digéré la posture du Président Saïd qui s’est radicalement opposé au Pacte d’Abraham alliant Israël à quelques pays arabes. 


Pour autant, la Tunis demeure le terrain de jeu préféré des orientaux. Par Tunisiens interposés, les fréristes turcs alliés aux qataris affrontent les salafistes saoudiens lesquels s’opposent aux opportunistes émiriens. Tous vont grenouiller de plus belle pour défendre leurs intérêts qui sont diamétralement opposés à ceux de la Tunisie. Les voisins libyens et algériens, liés aux tunisiens par une communauté de destin n’ont pas encore manifesté clairement leur solidarité.

La Président Saïd devra compenser ces faibles soutiens de l’étranger par une rapide et massive adhésion de toute la population. En cas d’insuccès, l’auteur sans galon du 18 Brumaire tunisien risque d'être balayé par ceux-là même qu’il a entrainés. Alors, la Tunisie rejoindra le lot des pays dont la transition démocratique est repoussée ad kalendas graecas.




dimanche 11 juillet 2021

Pinault met l'art à la Bourse



Paris est la plus belle ville du monde. C’est un livre d’histoire à ciel ouvert dont chaque page est ornée d’un monument fabuleux. Jacques Hillairet a consacré sa vie à la décrire en 7 000 lieux, Graham Robb historien exquis d’Outre Manche en est tombé amoureux. Lire le Paris de Victor Hugo, Paul Verlaine, Philippe Soupault, Georges Duhamel; chanter le Paris de Trenet, Dutronc, Aznavour.…et autres cent mille textes et chansons qui donnent des frissons. Parrri ! Le regard de tout étranger croisé au bout de la terre s’illumine au son de ses deux syllabes. 


Paris c’est le paradis de ceux qui rêvent d’amour et de liberté. Parisiens, ne voyagez jamais sans emporter des petites tours Eiffel à quatre sous, elles vous ouvriront partout les portes de l’amitié. Depuis mille ans, la capitale est le refuge du savoir et de la beauté. Ce n’est pas un hasard si les arabes du Golfe persique ont acheté au prix fort une succursale de la Sorbonne et du Louvre, c’est pour tenter d’habiller la nudité des sables avec quelques nippes de la ville flamboyante.

Hélas, Paris d’hier n’est plus: la rue Mouffetard, la Butte-aux-Cailles et Saint-Germain sentent le rupin. Que sont devenus les besogneux: les Savoyard.e.s, les Corses, les Auvergnat.e.s, les Basques, les Breton.ne.s et les Limousin.ne.s ? Des Parisiens d’un mauvais genre pardi ! Comme le deviendront demain les immigrés qui s’agglutinent dans la misère Porte de la Chapelle avec l’espoir de s’abreuver aux riches fontaines qui ruissellent du coté de Passy.


L’ouverture d’un nouveau musée parisien est une fête. L’événement n’est pas fréquent. Les vieux se souviennent de l’inauguration du centre Pompidou, de la gare d’Orsay transformée en musée par la volonté de Giscard d’Estaing, de la pyramide du Louvre par Mitterrand, du musée Jacques Chirac au quai Branly. Puis Paris fut abandonné par sa municipalité sans mémoire obsédée par le vélo; et pareillement délaissé par trois Présidents de la République bavards et sans épaisseurs dont les Parisiens ont déjà oublié les noms. Sans vision ni volonté, l’État a comme dans les autres domaines échoué dans ses entreprises culturelles. Faute d’idée, de projets et d’action le palais de justice et le ministère des armées relogés chez Bouygues sont toujours à l’abandon, et les hôtels particuliers dorés du domaine public sont squattés par des ministres aux allures de petits marquis.


Art et business  La rénovation de la Bourse du commerce par François Pinault est une révolution qui marque le premier pas vers la « privatisation » du patrimoine culturel français. Faut-il se réjouir ou se désoler qu’au club des milliardaires, avoir un musée à son nom à Paris est désormais devenu tendance ? Pourquoi pas ! Bienvenue aux Bezos, Bettencourt, Gate et autres généreux mécènes pas si désintéressés que cela d’ailleurs car les espaces culturels sont - pour peu qu’ils soient gérés -  très rentables. À Paris le marché de la location de lieux prestigieux pour des événements festifs dégage une marge supérieure à celle de l’immobilier locatif. Exposition de jour, cocktail la nuit. La bourse du commerce de Paris c’est aussi  600 m2 d’espaces ouverts à  la location pour célébrer autour d’un verre l’arrivée d’une nouvelle chaussure, d’un parfum de marque ou votre anniversaire si vous en avez les moyens. L’investissement n’est toutefois pas sans risque comme le montre pour d’autres raisons la déconfiture du musée d’art moderne de José Berardo à Lisbonne.

Accordons toutefois à Pinault l’assurance que le lucre n’était pas sa motivation mais seulement celle de se faire plaisir et de tenter de se rapprocher de l’immortelle notoriété  de Guggenheim. 


L’oeil de Monsieur Pinault  Le regard de l’amateur d’art est égoïste. Il veut l’oeuvre pour sa seule contemplation. Quand il est riche, il enferme derrière les grilles de son palais ou les coffres forts d’un port franc les trésors qu’il se croit seul digne d’admirer. François Pinault à l’inverse veut faire partager son émotion. Par vanité ou altruisme ? Qu’importe. Il est comme ces collectionneurs ordinaires qui ont le projet de retaper la cabane en planches du fond de leur jardin pour exposer aux amis et voisins les objets qu’ils ont glanés dans les vide-greniers. Pinault fait pareil, mais à l’échelle de ses moyens. Qui pourrait l’en blâmer.

Il a racheté à l’État la bourse de commerce, un monument situé au coeur de la capitale à trois cents mètres du Louvre et des jardins du Palais Royal. L’édifice était occupé par des bureaucrates de passage. Jadis j’y ai croisé quelques notables très dignes qui s’occupaient du commerce extérieur de la France. Sous les boiseries crasseuses et la pierre malade se cachait une bonbonnière du 18ème siècle avec un couvercle ciselé d’acier et de verre, dôme superbe que l’on confond de loin avec celui de l’Institut.


La visite d’un badaud.  Je me suis précipité pour réserver au milieu de la journée. Je n’avais qu’une heure:  une demie pour attendre une autre pour visiter. Devant l’entrée, pour distraire les impatients qui font la queue, un large drapeau  couleur ivoire sur un mât qui scintille, oscille doucement au gré du vent apaisé par une astucieuse girouette. À terre, deux clochards dorment pour l’éternité. On s’approche, on a envie de relever les fripes, de toucher, de laisser une pièce; statues de stuc ou figurants vivants ? On contourne les SDF pour entrer chez les riches.

Les milliardaires comme Balthazar Picsou aiment les coffres-forts gigantesques en forme de cube avec une énorme porte carrée. Monsieur Pinault lui, a choisi de rénover une soucoupe en forme de bourse joufflue. Il aurait pu lui réserver le sort d’une pizza: la couper en triangle et la mettre dans une boite carrée. Il aurait pu l’engloutir dans un énorme gouffre et l’affubler d’une casquette aussi laide que celle des halls voisins. Non. Il a seulement nettoyé et remis à neuf l’édifice.


Pinault anticonformiste   On l’imagine fredonnant "Assez...Assez" avec Julien Clerc:


« Faut des ronds, faut des courbes, 

Des marchands d'marrons, rue Lecourbe.

Faut des ballons, des cerceaux 

Et les seins de Sophie Marceau »

dont le parolier est David McNeil le fils de Marc Chagall. 


Chagall à qui l’on pense avec nostalgie en regrettant qu’il n’ait pas peint les fresques conservée au flanc de la coupole. Entre les scènes allégoriques vieillottes et le cirque blanc éclaboussés de lumière filtrée par la gigantesque verrière: deux siècles nous contemplent. L’effet est saisissant, même pour les pigeons factices perchés tout en haut.

Le principal joyau de la collection Pinault est son écrin. L’audace géniale de l’architecte Tadao Ando a été de déposer en retrait de la façade intérieure un monumental anneau de béton lisse et clair. Le vieux bâtiment restauré dans son jus est sublimé. Les perspectives de courbes entrelacées sont multipliées à l’infini. Chaque pas est une découverte, un plaisir des yeux en tous lieux. Le centre du cirque est comme l’iris de l’oeil. On ne se lasse pas de regarder ce que Pinault aime voir. 


Sa collection très personnelle. C’est sa collection à lui. Elle n’est pas destinée à plaire aux critiques ou au public elle fait son bonheur. Ça lui suffit. Il daigne l’ exposer. La visite n’est pas gratuite: elle est plus chère qu’une heure de SMIG mais moins qu’une mauvaise pizza aux Champs-Elysées. Alors !…

Dans une galerie près de l’entrée, sous une vitrine, Bertrand Lavier a déposé sur un socle un taille-haie électrique: un Bosch, le même dont je me sers pour rabattre le chèvrefeuille de mon jardin. Plus loin, une simple scie… Oncle Picsou conservait bien son premier sou alors pourquoi François Pinault ancien marchand de bois, n’aurait-il pas sa scie ? Ironie de l’artiste, clin d’oeil du collectionneur au visiteur ? Plus loin, le fauteuil blanc qui donne l’impression d’avoir été saccagé par un lion ne soulève aucune émotion. La statue magnifique des Sabines enlevées qui s’élèvent au coeur de la rotonde n’est pas de marbre mais de bougie. Elle se consume. Beauté éphémère, invitation à revenir avant qu’elle ne se réduise à une flaque de cire. À l’étage une impressionnante collection de photographies au touche-touche. Les amateurs se bousculent pour approcher, nez masqué, mesure sanitaire oblige. Alignement de sourires en bec de canard. Plus haut Pinault expose la peau: Mélanine, Noire, Afro-américaine, Black. Vision intrusive…le choc. Vite une banquette pour s’attarder. L’heure a tourné et il y a encore mille choses à caresser mais ce sera pour la prochaine fois. 

Au dernier étage: un salon de thé et un restaurant pour fortunés. Décidément, chez Pinault, il y a à voir, à boire et à manger.