dimanche 23 juin 2013

Hollande à Tunis


Le Président Hollande va entamer la période estivale par une baignade à Tunis. Tout le monde s’en réjouit car depuis la chute de la dictature en 2011 la Tunisie réclame avec ferveur l’expertise française en matière de conduite de « révolutions ». Elle attend donc avec impatience l’exercice de « donneur de leçons» dans lequel excelle la tradition française.
Mais un voyage à Tunis pour quoi faire ?
On cherchera en vain dans l’ordre du jour des entretiens des sujets de politique internationale ; car dans ce domaine depuis la chute de Bourguiba, la Tunisie est aux abonnés absents. Et puis côté Quai d’Orsay, on serait bien en peine de déchiffrer les grandes lignes d’une vision sur le devenir de l’Afrique du Nord et du Moyen Orient. Il ne faut pas s’attendre, sauf divine surprise, à un « discours de Tunis » qui fera date.  A regret on peut prévoir qu’il ne dépassera l’incantation de redondantes tartes à la crème diplomatiques : lutte contre le terrorisme, construction du « Grand Maghreb » (Arabe ?), de « l’Euro Méditerranée » (avec Israël ?) guerre à Bachar et paix au Levant…
Au plan bilatéral, l’exercice de géométrie sera complexe  car à Tunis, le pouvoir de est tricéphale.

Le Président français sera reçu par le Président de l’Assemblée Constituante qui est un radical-centriste dont le parti a rejoint l’internationale socialiste lorsque le siège du RCD de Ben Ali s’est libéré. Le Docteur Ben Jaafar est un radiologue obstiné mais courtois avec lequel nul n’a jamais réussi à se fâcher.
Ensuite, François Hollande dînera de gala dans le clinquant Palais de Carthage avec son homologue  le Docteur Marzouki qui est un neurologue passionné et passionnant avec lequel tout le monde finit par se fâcher.
Les deux docteurs précités sont d’éminents praticiens issus de la ligue des droits de l’homme. Tous deux ont épousé des Françaises. La plupart de leurs enfants et petits-enfants portent la double citoyenneté.
De leurs côtés, presque tous les ministres du parti majoritaire Ennahda sont de culture anglo-saxonne car Londres avait offert aux islamistes l’asile que Paris leur avait refusé.
Le Président Hollande aura-il un tête à tête avec le Cheikh Rached Ghannouchi? C’est probable et très souhaitable car, même si le leader du parti islamiste n’assume aucune responsabilité régalienne, il est incontestable qu’il exerce une fonction « tribunicienne » d’étendard dont le premier ministre et les membres nahdhoui du gouvernement ne sont que les gonfaloniers.
On peut supposer que la rencontre ou de la non-rencontre fait déjà l’objet de tractations diplomatiques minutieuses entre Tunis et Paris, mais aussi Doha dont les interférences en cette matière sont coutumières.

La posture du Président français sera d’autant plus délicate que chacun des trois leaders cherchera à  tirer avantage de cette visite car leurs pouvoirs éphémères reposent sur l’équilibre instable d’un compromis que l’on pourrait résumer ainsi « il est urgent de repousser à la Saint- Glinglin les élections que nous sommes assurés de perdre ».

Le devenir post ou pré révolutionnaire de la Tunisie est  totalement opaque.
L’activisme de la réaction est permanent. L’héritage de Ben Ali est survivant. La révolution n’a pas réussi à maîtriser le tandem police-justice qui neutralise toute velléité républicaine.  Le sombre immeuble du ministère de l’intérieur plastronne toujours avenue Bourguiba, les Champs Elysées de Tunis ! Les nahdhaouis n’ont pas touché à ce symbole des années de tortures, pire, ils sont comme frappé du syndrome de Stockholm, ils adorent  les pandores au point d’envisager de réintégrer ceux que, par vengeance hâtive, ils avaient chassés au lendemain de la révolution.
Les lois de plomb de l’ancien régime sont toujours en vigueur. Les femmes, les faibles et les jeunes continuent d’en faire les frais : chômage et soumission. Amina sœur courage, les rappeurs irrévérencieux, les caricaturistes audacieux sont au cachot, avec tant d’autres !
Hollande osera-t-il citer les vers de Maurice Vidalin chantés par Mireille Mathieu ?

Que l'on touche à la liberté
Et Paris se met en colère
Et Paris commence à gronder
Et le lendemain, c'est la guerre.

Non bien sûr car Tunis ne brûle pas encore, mais si on laisse faire, ça ne saurait tarder.

Hollande osera-t-il proclamer que l’espace de la Tunisie musulmane se confond avec celui de la France laïque? Que six millions de musulmans vivent dans l’hexagone dont près d’un million sont tunisiens. Que la Tunisie est la troisième destination des touristes français qui sont bien plus familiers de ce pays que de la Corrèze.
Hollande osera-t-il dire que le destin des deux pays est commun ? Que la justice et la liberté ne sauraient être inéquitablement réparties car les deux peuples ont lutté de conserve pour les gagner au siècle dernier.
Tiendra-t-il un discours de charme? Promettra-t-il ce qu’il ne peut tenir : de l’argent et des visas ? Aura-il un langage ferme et menaçant  dans le secret des têtes à têtes ? Aura-t-il la force de résister à son entourage, les familiers des plages, natifs de passage, naturalisés de complaisance, ou refugiés fiscaux qui parlent haut au nom d’un pays dont ils ignorent tout ?
La liste des personnalités qui accompagneront le Président sera scrutée à la loupe. Combien de ministres dîneurs du CRIF ? La Garde des Sceaux et celle de la Culture seront-elles du voyage ? La suite Présidentielle respectera-elle la parité homme/femme ? Y’aura-t-il dans la cohorte d'invités officiels un syndicaliste franco-tunisien, le meilleur boulanger de Paris, la Palme d’Or à Cannes, un médaillé olympique, l’aumônier musulman de la Gendarmerie ?
François Hollande donnera-t-il un signe fort de la rupture avec le microcosme pipole des amitiés cupides du showbiz  franco-tunisien ?

Au-delà des aspects sociologiques de la relation bilatérale, l’important volet économique n’a guère été impulsé par des ambitions communes. Ainsi, la France est très en retrait par rapport aux Allemands sur le projet de fermes solaires qui approvisionneront l’Europe en électricité depuis le sud de la Tunisie. La mise en eau de la mer intérieure du chott El Jérid est toujours dans les cartons. Il n’existe aucun projet commun grandiose hors l’utopie nucléaire encouragée par la caste des polytechniciens.
Paris regarde les rivages et ignore le pays profond. Il n’y a que les militaires qui savent que le tiers de la superficie de la Tunisie est un no man’s land qui s’enfonce sur cinq cents kilomètres de dunes entre l’Algérie et la Libye. Ce territoire stratégique longtemps oublié est devenu un « spot » convoité pour la délocalisation de l’US Africa Command. Le Président français en parlera sans doute, mais à voix basse.

Un matin de juillet 1954 Pierre Mendes-France atterrissait à Tunis sur une terre soumise à la France, le soir même il en repartait après l’avoir libérée. Bourguiba toute sa vie s’en souviendra exhibant sur son bureau l’image dédicacée du héros français de l’histoire de la Tunisie.
François Hollande aura bien du mal  à  hisser sa performance au niveau de celle de l’icône socialiste !

dimanche 16 juin 2013

Tunisie, l'armée en embuscade


« Les fossoyeurs de la révolution ont pris l’initiative….le spectre du scénario algérien se profile à l’horizon ». 
L’auteur de cette sombre prédiction est un ancien colonel de l’armée tunisienne. Dans un long article publié par le principal quotidien de Tunis l’officier de réserve est sorti de ses gongs.
On aurait tort de ne pas prêter une oreille attentive au coup de gueule de ce cinq galons car il est à la tête d’une association dont les membres partagent son opinion. Dans les cercles d’initiés, le papier du colonel (cr) Mohamed Kasdallah est interprété comme un coup de semonce qui pourrait bien annoncer la fin des orteils écrasés.


Il faut rappeler que l’armée tunisienne avait été paupérisée par Bourguiba dont le crédo était : tout pour l’éducation. Systématiquement les propositions d’équipements militaires étaient  écartées. « Combien vos engins ? Pff pour ce prix je construis deux lycées ! » La troupe sous Bourguiba était armée de sa seule bonne volonté.
Dans les années 90, le vrai-faux militaire Ben Ali qui détestait porter l’uniforme, a modernisé l’armée tout en soumettant ses cadres à une surveillance de chaque instant. Trente ans durant il n’eut de cesse de débusquer les complots imaginaires. Durant cette période noire, les officiers têtes baissées ont continué de se former avec acharnement. Ainsi, la plupart d’entre eux sont-ils aujourd’hui des techniciens hors pair et des collectionneurs de diplômes.
Contrairement aux autres corps de la société, l’armée est restée à l’abri de toutes influences : politique, mercantile et religieuse. L’idéal républicain y est célébré sans concession ni état d’âme à un niveau sans doute équivalent à celui de l’US Army. Pourtant, la mission de l’armée tunisienne n’est pas de tout repos car elle administre seule un immense désert inhospitalier situé aux confins  sud du pays entre la Libye et l’Algérie.

La révolution de 2011 n’a pas encore franchi les portes des casernes. Les régiments restent cantonnés. De temps à autre le populaire Chef d’Etat Major montre le bout de son képi et pour apaiser l’opinion quelques véhicules blindés sont déployés. En 2012, aux frontières turbulentes de la Libye, près d’un million de réfugiés ont été efficacement canalisés, révélant la capacité des soldats à se muer en acteurs humanitaires.

Mais cette posture débonnaire a radicalement changé depuis que le Jebel Chaambi s’est enflammé.
Cette montagne domine le pays du haut de ses 1540 mètres. Il est désert. Neige hivernale au sommet, forêts touffues en contrebas, semi aridité au pied. Une méchante route sillonne jusqu’à 1300 mètres qui permet de contempler l’Algérie voisine. Il y a encore trois mois, le mont Chaambi était le paradis des chasseurs de cochons et de perdreaux, le rendez-vous des  gâchettes de Kasserine la tunisienne et de Tebessa l’algérienne qui s’y retrouvaient pour de joyeux barbecues. 
Las ! Ansa El Charia, (filiale d’Aqmi, groupe Al Qaïda)  y a subitement élu domicile. Des mines « de fabrication artisanale » ont sauté, des soldats ont été amputés. Ratissage, échanges de tirs. Des fantassins tunisiens ont péri.
Dans un premier temps, l’armée a communiqué dans l’invraisemblance. Alors des reporters se sont déplacés. Des pros comme Lilia Blaise ont rapporté des récits précis et démonté « une désinformation coupable » Pour embrouiller davantage la situation Ansa El Charia a démenti catégoriquement toute implication. Son porte-parole est même venu partager le deuil de la famille de l’Adjudant Chef Mbarki tombé au champ d’honneur… victime d’un malencontreux tir ami.

C’est sans doute ce « cafouillage » peu glorieux qui a décidé le Colonel (cr) Kasdallah à publier son pamphlet.
Contre les « intégro-terroristes » l’officier supérieur réclame des mesures radicales. Il faut dit-il et sans qu’il soit besoin de rechercher un inutile compromis, prendre l’initiative « d’éradiquer le virus » en portant des attaques préventives d’« avant-coups ». Il préconise le maillage du territoire par des comités de citoyens réservistes chapeautés  par des « task forces » sous commandement unifié. Les salafistes et autres ultras radicaux sont qualifiés de terroristes « intérimaires » ou à temps partiels, attendant le retour de leurs troupes du Mali et de Syrie pour passer à l’action et ne faire qu’une bouchée du pouvoir tunisien « agrippé à la légalité ».

Un spectre hante le colonel tunisien et ses amis : la guerre civile d’Algérie qui coûta la vie à cent mille âmes à la fin du siècle dernier et dont les soubresauts perdurent encore.

De l’autre coté et par un effet miroir, l’armée algérienne est elle aussi hantée par le cauchemar d’une possible guerre civile en Tunisie.
Certains officiers réclament un amendement de la constitution pour permettre à l’Armée Nationale Populaire de sortir de ses frontières. Une coopération transfrontalière est déjà discrètement et laborieusement effective entre la Gendarmerie Algérienne qui est un corps de l’ANP et la Garde Nationale Tunisienne qui dépend quant à elle du ministère de l’intérieur.
Reste que les forces armées tunisiennes et algériennes sont au diapason. Réussiront-elles à convaincre leur pouvoir politique respectif de décréter l’union sacrée des républicains contre les sectes religieuses ? Ce serait sans précédent.

La relation tuniso-algérienne a toujours été mise à mal par Alger.
Pourtant, jamais les dirigeants tunisiens n’ont failli. Mais en retour combien de traquenards ! Boumediene et Bendjedid n’aimaient pas Bourguiba lequel feignait d’ignorer les complots à répétition fomentés par le grand voisin toujours qualifié de « frère » contre vents et marées. Bourguiba connaissait trop bien l’histoire pour savoir que les deux peuples ne font qu’un.
Bouteflika, qui s’était fort accommodé de l’affairisme de Ben Ali, a accueilli la révolution tunisienne avec toute la réserve d’un révolutionnaire défroqué.
Il y a six mois Alger a prêté 5 milliards au FMI qui s’est empressé d’aller ensuite accorder « une aide » de 1,7 milliards à la Tunisie. Cette manipulation financière illustre la complexité des relations entre les deux gouvernements qui continuent d’échanger par étranger interposé.

Pour l’heure, le pouvoir d’Alger est à l’hôpital des Invalides.
Celui de Tunis est en apnée prolongée. Le triumvirat qui se partage les prébendes s’installe dans la durée. Entre l’utopiste Président, l’islamiste Premier Ministre et le radical-centriste qui préside la constituante un consensus de routine s’est installé. Ils savent que toute élection élaguera les privilèges de son clan.
Alors de connivence, ils ont décrété l’état d’urgence d’attendre.

Le comble serait que l’armée décidât de précipiter le processus démocratique.

mardi 11 juin 2013

Albert Kahn et Paul Belmondo à Boulogne Billancourt



Jadis, la ville était le terminus de la ligne de Montreuil, banlieue grise qui chargeait chaque petit matin des milliers d’ouvriers. Le métro cheminait dans le tunnel sous les beaux quartiers du Paris endormi. Rendu au Pont de Sèvres, il déversait  les forçats de la chaîne qui s’en allaient embaucher chez P’tit Louis rebaptisé Régie Renault pour cause de fricotage pendant l’occupation. La gigantesque usine à prolos faisait peur. A Boulogne en 1968 Sartre haranguait les syndiqués. Les jeunes gauchistes et les vieux anars testaient des slogans. Puis, Pierre Overney le grand père de Clément Méric est mort assassiné. La R5 est tombée en panne. L’usine a fermé.
Des dizaines d’années sont passées.
Les promoteurs immobiliers ont conservé la façade « Régie Nationale des Automobiles Renault » car le rétro fait vendre. Les bobos d’aujourd’hui ne sont-ils pas les fils des gauchos d’hier ? D’ailleurs c’est à quelques rues de là que vivait un couple célèbre : l’une manqua l’Elysée, l’autre réussit l’examen. L’adresse n’est pas encore sanctuarisée par une plaque ou un musée.

A la lisière du quartier très chic qui borde la Seine et le bois se niche le jardin du monde.  
C’est l’œuvre d’un grand Français, célèbre inconnu qui l’avait méthodiquement voulu. Monsieur Albert Khan banquier discret refusait de perdre son temps en futilités et en mondanités. En dehors de l’argent, sa passion était la découverte du Monde. Des centaines de reporters sillonnaient la planète et venaient lui rendre compte. Des trente premières années du vingtième siècle, aucun événement ne lui échappa. Khan l’Alsacien pacifiste utopiste croyait naïvement que pour éviter la guerre, les hommes devaient se connaître. Textes, photographies, films, l’ensemble est conservé dans un musée que les nostalgiques de la belle époque viennent consulter jalousement.
Plutôt que de voyager à la découverte de paysages, Albert Khan avait conçu chez lui à Boulogne, le plus formidable  jardin du Monde. Aujourd’hui le petit parc merveilleux attire les foules. On queute à n’en plus finir, on se presse dans la roseraie, on se bouscule dans les bosquets japonais, on piétine les allées de la forêt vosgienne, on photographie à tout va pour montrer le jardin d’Albert à un Khan de Pétaouchnock.
Jadis, quand les touristes craignaient la roture de Billancourt, le parc offrait gratuitement à quelques audacieux des repaires secrets où les poliçons et les coquines cachés sous les frondaisons des cèdres et des épicéas bleus, faisaient des galipettes.

Coïncidence étrange la mémoire d’Albert Khan qui consacra sa vie à se faire oublier côtoie celle d’un comédien qui fit tout pour se faire remarquablement remarquer.

Tout le monde connait Jean Paul Belmondo le plus extraordinaire et le plus populaire acteur français. Une carrière à 58 films, 130 millions de spectateurs. Le sourire éclatant, la main tendue chaleureuse. Ah ce n’est pas lui qui partirait en Tchétchénie !
Mais que laissera-t-il à la prospérité. Un musée ?
Eh bien oui ! Le musée Belmondo. Non pas celui du comédien fantasque et drôle, mais celui de son père Paul, disparu il y a trente ans ; un monsieur charmant qui faisait avec élégance de la sculpture et du dessin.
On doit à la générosité filiale de Bebel  l’époustouflant musée Paul Belmondo à Boulogne Billancourt.
Dans une ancienne demeure des Rothschild, Karine Chartier et Thomas Corbasson ont conçu un aménagement muséal prodigieux. On admire tout  autant et même parfois davantage le travail des architectes que celui de Paul Belmondo. Le Doulos doit être fier. L’œuvre de son papa repose dans un « bebel » écrin.

Belmondo père était un autodidacte algérois qui s’était forgé une notoriété à coups de burins. Un beau gosse aussi. Les dames de la haute devaient  fondre sous le regard durant la pause. La sculpture de Belmondo ? Elles adoorent. C’est beau, c’est académique, c’est pour celles et ceux qui n’ouvrent jamais les yeux dans la rue, qui portent des pyjamas devant la glace, qui vivent aux pays des niqabs. Mais les dessins aux crayons de couleurs, les croquis à la va-comme-je-te-pousse… Alors là pardon ! Ils donnent envie d’embrasser la main de l’artiste.
Quelle famille !