Jadis, la ville était le terminus de la ligne de Montreuil, banlieue grise
qui chargeait chaque petit matin des milliers d’ouvriers. Le métro cheminait
dans le tunnel sous les beaux quartiers du Paris endormi. Rendu au Pont de
Sèvres, il déversait les forçats de la chaîne qui s’en allaient embaucher chez P’tit Louis rebaptisé
Régie Renault pour cause de fricotage pendant l’occupation. La gigantesque
usine à prolos faisait peur. A Boulogne en 1968 Sartre haranguait les
syndiqués. Les jeunes gauchistes et les vieux anars testaient des slogans. Puis, Pierre Overney
le grand père de Clément Méric est mort
assassiné. La R5 est tombée en panne. L’usine
a fermé.
Des dizaines d’années sont passées.
Les promoteurs immobiliers ont conservé la façade « Régie Nationale
des Automobiles Renault » car le rétro fait vendre. Les bobos
d’aujourd’hui ne sont-ils pas les fils des gauchos d’hier ? D’ailleurs
c’est à quelques rues de là que vivait un couple célèbre : l’une manqua
l’Elysée, l’autre réussit
l’examen. L’adresse n’est pas encore sanctuarisée par
une plaque ou un musée.
A la lisière du quartier très chic qui borde la Seine et le bois se
niche le jardin du monde.
C’est l’œuvre d’un grand
Français, célèbre inconnu qui l’avait méthodiquement
voulu. Monsieur Albert Khan banquier discret refusait de perdre son temps en
futilités et en mondanités. En dehors de l’argent, sa passion était la
découverte du Monde. Des centaines de reporters sillonnaient la planète et venaient
lui rendre compte. Des trente premières années du vingtième siècle, aucun
événement ne lui échappa. Khan l’Alsacien
pacifiste utopiste croyait naïvement que pour éviter la guerre, les hommes devaient
se connaître. Textes, photographies, films,
l’ensemble est conservé dans un musée que les nostalgiques de la belle époque
viennent consulter jalousement.
Plutôt que de voyager à la découverte de paysages, Albert Khan avait
conçu chez lui à Boulogne, le plus formidable jardin du Monde.
Aujourd’hui le petit parc merveilleux attire les foules. On queute à n’en plus
finir, on se presse dans la roseraie, on se bouscule dans les bosquets
japonais, on piétine les allées de la forêt vosgienne, on photographie à tout
va pour montrer le jardin d’Albert à un Khan de Pétaouchnock.
Jadis, quand les touristes craignaient la roture de Billancourt, le parc
offrait gratuitement à quelques audacieux des repaires secrets où les poliçons
et les coquines cachés sous les frondaisons des cèdres et des épicéas bleus,
faisaient des galipettes.
Coïncidence étrange la mémoire d’Albert Khan qui consacra sa vie à se faire
oublier côtoie celle d’un comédien qui fit tout pour se
faire remarquablement remarquer.
Tout le monde connait Jean Paul Belmondo le plus extraordinaire et le
plus populaire acteur français. Une carrière à 58 films, 130 millions de
spectateurs. Le sourire éclatant, la main tendue chaleureuse. Ah ce n’est pas
lui qui partirait en Tchétchénie !
Mais que laissera-t-il à la prospérité. Un musée ?
Eh bien oui ! Le musée Belmondo. Non pas celui du
comédien fantasque et drôle, mais celui de son père Paul, disparu il y a trente
ans ; un monsieur charmant qui faisait avec élégance de la sculpture et du
dessin.
On doit à la générosité filiale de Bebel l’époustouflant
musée Paul Belmondo à Boulogne Billancourt.
Dans une ancienne demeure des Rothschild, Karine Chartier et Thomas
Corbasson ont conçu
un aménagement muséal prodigieux. On admire tout autant et même parfois
davantage le travail des architectes que celui de
Paul Belmondo. Le Doulos doit être fier.
L’œuvre de son papa repose dans un « bebel » écrin.
Belmondo père était un autodidacte algérois qui s’était forgé une
notoriété à coups de burins. Un beau gosse aussi. Les dames de la haute devaient fondre
sous le regard durant la pause. La sculpture de Belmondo ? Elles adoorent.
C’est beau, c’est académique, c’est pour celles et ceux qui n’ouvrent jamais
les yeux dans la rue, qui portent des pyjamas devant la glace, qui vivent aux
pays des niqabs. Mais les dessins aux crayons de couleurs, les croquis à la
va-comme-je-te-pousse… Alors là pardon ! Ils donnent envie d’embrasser la
main de l’artiste.
Quelle
famille !
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