lundi 22 octobre 2018

Ben Salman, prince saignant d'Arabie


Pourquoi le meurtre du journaliste saoudien au consulat d'Istanbul a t-il pris des dimensions inédites au point de provoquer des réactions d'indignation planétaires ? Ce n'est pas la première fois qu'un tyran trucide un opposant ! Par comparaison, au moment où Jamal Khashoggi était assassiné, Kim Jong Yong le Président d'Interpol disparaissait corps et âme dans son propre pays sans pour autant émouvoir aucune chancellerie ni chef d'Etat.

L'agenda mi-mandat
Khashoggi a mis le feu à la maison Blanche d'où Trump a twitté fébrilement avant de dépêcher en urgence à Riyad son secrétaire d'Etat Mike Pompeo avec mission d'intimer au Roi de (nous) sortir de ce guêpier. Il faut dire que l'Arabie est probablement le seul sujet de politique étrangère auquel s'intéresse l'opinion américaine qui n'a toujours pas digéré l'impunité saoudienne de l'après 11 septembre. La cicatrice qui vient de se rouvrir menaçait de faire des ravages aux élections de mi-mandat. Un impératif d'agenda imposait donc à Trump de se démarquer de son « ami » saoudien et de punir MBS avant le 6 novembre pour satisfaire un électorat chauffé à blanc par la turpitude criminelle de son meilleur allié arabe. Il convenait de doser la riposte de la maison Blanche au gré de l'impact de l'évènement dans les sondages.

MBS carbonisé
Aux États Unis, dans la galerie de portraits des arabes sanguinaires, MBS a rejoint Bagdadi et Binladen. Sa chute vertigineuse est à la mesure de la formidable propagande qui avait accompagné sa tournée de trois semaines au printemps dernier. Il avait alors sillonné la Californie, rencontré les tycoons de la Silicon Valley, multiplié les risettes et les promesses d'investissements. Dubitatifs, les yankee avaient finalement été séduits par ce « good guy » économe de ses mots qui semblait parler la langue du business. Patatrac ! La révoltante affaire d'Istanbul l'a fait dégringoler de son piedestal. Plus personne ne veut se faire selfier avec le Prince saignant. Les milliardaires de la nouvelle économie, les Google, Uber et autres Amazon qui cultivent des valeurs non négociables ont rapidement pris le parti unanime de leurs réseaux sociaux. Richard Branson de Virgin a été le premier à donner le signal, ses pairs l'on imité dans la foulée, renonçant à participer au gigantesque forum mondial de l'économie de Riyad du 27 octobre. L'effet domino a entrainé les banquiers et les industriels. Le secrétaire au Trésor US a annulé son voyage, avant de se raviser. L'Allemagne a gelé ses exportations d'armes. En France, le Président Macron est resté discret dans l'attente de l'inauguration cette semaine au Bourget du plus important salon mondial de la défense en mer. Euronaval  : 470 exposants 25 000 visiteurs, 90 délégations officielles dont celle très courtisée de la Marine royale saoudienne. On y parlera de ses exploits au Yémen.

L'introuvable sortie de crise
Il n'est pas certain que le remplacement programmé de MBS par son frère Khaled ambassadeur à Washington, suffise à calmer la fureur générale. Le nouveau pouvoir devra dans cette hypothèse donner des gages de tempérance en cessant le feu au Yémen, en ouvrant les cages de milliers de prisonniers politiques, en arrêtant de harceler le Qatar, en permettant aux 8 000 princes de respirer. Ceci marquerait l'abandon de la politique d'intimidation et de violence pratiquée cyniquement depuis quatre ans. Autres éventualités : le roi pourrait subitement abdiquer ou opportunément cesser de respirer. Un coup de palais pourrait le chasser...Dans l'un des pays les plus opaques du monde, il n'est pas facile de lire l'avenir. Mais de tous les scénarios, le pire serait le statu quo. Au plan diplomatique, il serait extravagant que MBS aille tranquillement siéger à la réunion du G20 le 30 novembre prochain à Buenos Aires !

Les Benala de ben Salman
Pour gagner du temps et tenter de désamorcer la campagne médiatique, des boucs émissaires ont été extirpés du chapeau. Les 18 Benala du Prince ont été arrêtés. Ils seront sabrés. En passant, cette fable de la bavure à l'insu du plein gré de MBS discrédite totalement les services secrets saoudiens qui passent pour des Pieds nickelés. À l'inverse, leurs collègues et rivaux turques font figure de champions. Pire, elle laisse imaginer que le Prince héritier en son royaume n'est pas obéi.
À l'étranger, MBS conserve le soutien inconditionnel des Émirats Arabes Uni qui au prétexte de lui prêter main forte contre les Houthis au Yémen, ont discrètement installé des bases militaires à Aden, à Socotra et sur plusieurs atolls ; l'ambition d'Abu Dhabi étant de créer en mer d'Oman et en mer Rouge un chapelet de comptoirs inféodés. Cette vision stratégique impériale régionale est partagée par Israël, l'Europe et les Etats Unis car elle permettrait de renforcer la sécurité de la route du pétrole, d'isoler d'avantage l'Iran et de contenir les ambitions chinoises.

Trump à la manoeuvre
Enfin, la menace de mise au ban de MBS inquiète aussi les dictateurs arabes qui ont tous renouvelé publiquement leur solidarité avec Riyad, se souvenant que le printemps des soulèvements en 2011 avait été provoqué par un fait divers. Entre Bouazizi à Sidi Bouzid et Khashoggi à Istanbul, l'analogie est facile. Tout comme le régime mafieux de Ben Ali en 2011, la dynastie des Salman apparait aujourd'hui proche de sa déchéance. Il y a des signes faibles qui ne trompent pas. À Riyad le secrétaire d'Etat Pompeo a protocolairement mais très furtivement rencontré (moins de 15 minutes) le Prince saignant. Dans la foulée et pour manifester sa résistance, MBS a longuement reçu l'envoyé de Poutine. Ce n'est que de l'esbroufe diplomatique car les Saoudiens savent bien qu'il n'y a aucune alternative immédiate au protectorat américain sans lequel leur pays s'effondrerait en moins de deux semaines. C'est ce qu'a très justement (pour cette fois) rappelé Donald Trump.

dimanche 14 octobre 2018

Yémen le grand massacre à huis clos


En moins de trois ans de règne par procuration, le Prince héritier Mohamed ben Salman a rejoint le cénacle des tyrans de ce monde. Au rythme de ses derniers exploits, la place qu'il laissera dans l'histoire sera celle du pire sanguinaire de son époque. Il est temps que Trump change d'ami.

L'holocauste du Yémen
Dés 1941, tous les services de renseignements alliés savaient. En 1942 le journaliste Varian Free le révélait. Pourtant, refusant de voir l'horreur, le monde s'obstinait à regarder ailleurs. Comparaison n'est pas raison. Et pourtant, l'holocauste à huis clos du Yémen est pareillement escamoté par une formidable propagande qui nie l'évidence des massacres de masse et présente les agresseurs en victimes.
Pour la grande presse largement influencée par les agences de communication d'Arabie et des Emirats Arabes Unis la guerre du Yémen est décrite comme une simple opération de maintien de l'ordre conduite par « une coalition venu prêter main forte à un gouvernement légal au prise avec des rebelles des milices houthis ». Récemment, un quotidien francophone mal informé ou très bien payé, déplorait que ce conflit fasse « des dizaines de victimes ».
Une autre presse de la même veine, citant l'ONU, persistait à dénombrer très exactement 6 752 morts ; sans toutefois préciser que ce macabre recensement des victimes avérées était assorti d'un avertissement estimant que la réalité était probablement très supérieure à ce chiffre.

16 500 raids aériens soit un toute les 90 minutes 
Depuis tois ans, jours et nuits, 400 chasseurs bombardiers des Emirats arabes Unis et d'Arabie Saoudite pilonnent le Yémen y compris Sanaa, la capitale, 2 millions d'habitants, Taez, 600 000 habitants, Hodeidah 400 000 habitants et quelques autres villes et villages innombrables. Tous les réseaux de vie et les infrastructures de transports ont été réduits en cendres. Des quartiers entiers ont été rasés ; écoles et hôpitaux ne sont pas épargnés. Les ONG médicales et même la Croix Rouge ont jeté l'éponge en raison de l'hostilité des belligérants à leurs égard. Seul le Croissant Rouge opère encore à Aden, zone occupée par les Émirats Arabes Unis. Comme la population dépend à 90% de l'aide alimentaire extérieure, le blocus de la coalition Saoudo-émirienne a provoqué famines et épidémies. Comble de la duplicité, l'Arabie Saoudite achemine quelques secours très médiatisés à des hordes d'affamés reconnaissants.

500 000 victimes
Jusqu'à une date récente, l'ampleur du massacre avait été dissimulé à l'opinion par une propagande diplomatique et médiatique insensée. Chaque défi aux droits humains élémentaires étant compensé par un achat d'armement, alors aucun chef d'État ne voulait se fâcher avec un client en or. Pire, lorsqu'un missile prétendument tiré du Yémen faisait long feu dans le désert saoudien, les gouvernements occidentaux à l'unisson du Quai d'Orsay se fendaient d'un communiqué d'indignation et de soutien aux « agressés ».
Mais depuis que le chiffre d'un demi million de victimes hante les chancelleries bien informées, les « amis » de MBS sont pris de hauts-le-cœur et de nausées. Le crime contre l'humanité est avéré. Les complices seront cités. Il suffit de lire entre les lignes le récent rapport de la mission d'enquête de l'ONU. Son courageux Président, Kamel Jendoubi, illustre juriste d'une parfaite intégrité a fait l'objet d'une ignominieuse campagne orchestrée par l'Arabie Saoudite sur les réseaux sociaux. À tel point que ses amis craignant pour sa vie ont pris l'initiative d'alerter l'opinion par voix de pétition.

Un mort de trop
L'assassinat prémédité dans d'atroces conditions du journaliste Jamal Khashoggi à Istanboul s'inscrit dans cette même politique du règne de l'intimidation par la terreur. Le bombardement délibéré de rassemblements de civils au Yémen : mariage, enterrement, bus scolaire, hôpital, école ...La séquestration contre rançon de milliardaires et de dignitaires saoudiens, le rapt du chef du gouvernement libanais, le blocus du Qatar, l'enlèvement et la disparition de milliers de citoyens mal pensants sont autant de mesures destinées à figer toute contestation. Le nouveau Tamerlan saoudien, ne supporte pas que des yeux se lèvent sur son passage. Jamal Khashoggi était du sérail, journaliste de carrière, familier des services secrets du royaume, proche des Princes en disgrâce, il s'était exilé à New York d'où il dénonçait la guerre et les persécutions. Sa liberté de ton donnait des boutons au Prince régnant qui a ordonné pour l'exemple son exécution. Las, ce qui devait servir d'avertissement aux transfuges et aux dissidents s'est retourné contre son auteur. MBS est désormais mondialement abhorré. Trump lui-même est en train de le lâcher. L'épisode de son règne funeste va t-il s'achever ? La branche des Salman sera t-elle coupée ? Il est plus probable qu'un Prince chasse l'autre et que l'actuel ambassadeur saoudien à Washington, Khaled fils du Roi Salman remplace son frère indigne comme héritier de la couronne. À condition toutefois que la commande saoudienne aux USA de 110 milliards de dollars d'armements soit confirmée. Cela va de soi.