dimanche 11 décembre 2022

Gloire au Qatar

Jamais dans l'histoire diplomatique contemporaine le monde arabe et islamique n’aura autant qu’en cette fin d’année, accaparé le devant de la scène. Après le G20 en Indonésie, la COP 27 en Égypte, la francophonie en Tunisie, Xi Jinping a réuni en Arabie Saoudite les chefs d’États et de gouvernements arabes. Enfin la Coupe du monde de foot au Qatar est venu couronner cette séquence inédite dans les relations internationales. Le ballon est au centre de tout. Il assèche l’actualité. 

Un confetti puissant

Qatar: quatre lettres en français, seulement trois en arabe, deux syllabes qui mal prononcées se traduisent par « danger ». Qatar avec un « Q » comme « Quran », comme Questions.

Tout a été dit sur ce bac à sable accroché au rivage de l’Arabie face à l’Iran. Trois cent mille nationaux, deux millions d’immigrés provisoires. Une gigantesque base aérienne américaine. Une formidable bonbonne de gaz souterraine.  Ce pays n’est rien, pourtant son rayonnement est surprenant. Dans l’histoire, les exemples sont rares de cités-royaumes éphémères aussi puissantes. On pense à Venise, Florence, Cyrène…mais aucune de ces villes n’ont de leur temps égalé en influence celle du Qatar d’aujourd’hui.


Il y a dix ans deux journalistes décrivaient dans un livre retentissant  Le vilain petit Qatar, cet ami qui nous veut du mal. Actualisons: aujourd’hui le Qatar est gentil. Ce n’est pas vraiment un ami mais un associé. Il ne nous a jamais voulu du mal. Nous lui sommes indifférents parce que nous sommes différents. Nos valeurs, naissance, éducation… ne sont pas les mêmes. Ils sont des bédouins qui enfants, erraient nu-pieds entre des troupeaux de chameaux faméliques, ils ont appris à domestiquer l’arrogance du temps, ils savent d’où ils viennent et ne craignent pas d’y retourner.


Quant Tamim parle, tous les autres écoutent

L’organisation du Mondial de foot est l’exploit d’une vaste équipe de sponsors dont le plus fameux est un ancien Président de la République française. En second couteaux, une ex-légende du foot. C’est la turpitude de la diplomatie économique française, c’est le triomphe de la diplomatie qatarienne du carnet de chèques.  

L’émir Tamim Al Thani (en arabe Tamim accompli, parfait; Al Thani, le second, après le prophète) est l’héritier d’une famille de nationalistes habiles et pacifistes. Pour hisser son pays confetti au sommet de la notoriété mondiale, il n’a pas usé de canons, mais d’innocentes monnaies, il n’a pas envahi un voisin, ni appelé au jihad ni armé des milices, il a corrompu des Européens avides. Par sa méthode paisiblement efficace, il soumet les puissants, il engloutit les scrupules, il achète les consciences. Quand de passage à Paris, il confesse d’une voix douce dans un français parfait: « je cherche à investir car tous frais payés, mon pays enregistre un excédent d’un milliard de dollars par semaine !…»  Alors nos dirigeants avides qui perdent trois milliards dans le même temps se taisent. Quand Tamim parle, tout le monde écoute y compris quand ses propos paraissent insensés comme celui d’organiser le Mondial de foot à contre saison.


Balayer devant la porte

Forcément la richesse de cet arabe fait des jaloux. On lui cherche des poux dans la tête. Non pas pour ses infréquentables fréquentation d’Afghanistan, du Liban, d’Iran, de Palestine… ni pour son soutien fidèle aux Frères musulmans, mais parce qu’il ignore catégoriquement et définitivement Israël. Contrairement à l’Égypte, aux Émirats arabes unis, à Bahrein et au Maroc, il ne veut pas entendre parler d’accord Abraham. Est-ce par conviction ou en accord avec son puissant voisin l’Iran qui n’en finit pas de liquider sa révolution ? Toujours est-il que sans cette « tare » il serait prix Nobel de la Paix depuis longtemps et aurait obtenu la délocalisation de l’ONU de New York à Doha. 


Marc Beaugé, « journaliste fashionist » parisien spécialiste du noeud papillon et autres futilités, pérore dans un quotidien de référence: « la grande fête du ballon rond se passe au mieux, sans bière ni homosexuels, mais dans des stades climatisés construits par des ouvriers étrangers surexploités... » Il est à l’exemple du ton suffisant employé par la plupart de ses confrères de la presse « bien-pensante ». Albert Londres, si tu savais !…

Attendons nous à lire dans moins de deux ans la réplique des correspondants du Qatar qui décriront la ville olympique: Paris, crapoteuse, envahi par les surmulots d’Hidalgo, que ni les supporters avinés, ni les feux de poubelles n’arrivent à chasser; Paris, aux quais de Seine encombrés de misérables sous des abris de toiles et de cartons, délogés au jet d’eau dès potron-minet; Paris où des créatures d’un genre indéterminé vendent leur singularité sexuelle à l’abri des bosquets du Bois de Boulogne… Aux JO 2024, Al Jazeera va s’en donner à coeur joie. Faudra t-il demander à l’émir Tamim de museler  la chaine quadrilingue aux 26 millions de téléspectateurs ?


Combien de morts sur les chantiers ? 

Ces 20 dernières années 80 immeubles de grandes hauteurs ont été construits à Doha en des temps records et selon des normes internationales pas toujours respectées. Dans une ville où un gratte ciel sort de terre chaque mois et dont la plupart appartiennent à la famille régnante, le Code du travail de 23 pages est allègrement transgressé. Le Manhattan du désert est cruel. En été, lorsque souffle un vent brulant, l’ingénieur européen ne tient pas plus d’une heure sur le plateau bétonné d’une tour de 42 étages (j’y étais). L’ouvrier pakistanais bengali, yéménite, indien…est un surhomme qui parvient à résister 10 heures par jour, six jours la semaine. C’est un miracle ! Très vite épuisé, amaigri, recroquevillé par des douleurs rénales, il est remplacé par un autre. Un quota de retour est prévu dans le contrat du prestataire d’esclaves. L’homme est kleenex. Tardivement et très sélectivement, les bonnes consciences se réveillent et découvrent l’existence de ce commerce ignominieux, conséquence d’un sytème sans foi ni loi « qui transforme l'homme en un loup pour l’homme… »  disait Charles de Gaulle.


Ni responsable ni coupable 

La plus emblématique des tours de Doha se dresse comme un formidable doigt d’honneur. Elle est signé Jean Nouvel, gloire de l’architecture française depuis mai 68; elle a été construite par des « ouvriers » chinois. Avant le Mondial, à aucun moment, les maitres d’oeuvres de l’excellence et les entreprises réputées n’ont songé à exiger de leurs clients ou de leur sous-traitants l’engagement de ne jamais utiliser d’esclaves volontaires. Grace au foot, le Français géant Vinci - détenu à 74,6% par des capitaux étrangers…dont le Qatar - communique désormais sur sa vertueuse politique de « recrutements des travailleurs migrants sur les chantiers » Thanks to Prince Tamim, sacré roi de la FIFA, la condition ouvrière a évolué au Qatar, plaident des parlementaires et des syndicalistes européens corrompus dont une palanquée mérite la prison et qui aurait mieux fait de balayer devant  sa porte. En Europe, les travailleurs immigrés ne meurent pas tant sur les chantiers qu’en traversant la Méditerranée: 3 231 noyés en 2021 selon l’UNHCR. Le Qatar n’est pas champion du Monde de la catégorie.


Renaissance de l’oumma

Le tintamarre verbal de mots creux des donneurs de leçons fait écran à la révolution dans les esprits. Rabougri, replié sur lui-même, humilié par les échecs de son développement et la faillite de ses printemps, le monde arabo-musulman relève la tête. Doha est une fierté ressentie par toute l’opinion. Le Qatar a réuni les frères ennemis d’hier. Le Prince Salman d’Arabie s’est réconcilié avec Tamim; les Algériens embrassent les Marocains; mais surtout et partout dans les tribunes et dans les rue de Doha, les supporters brandissent le drapeau palestinien symbole de solidarité. 

Cependant qu’en Israël, les élections ont porté les judéo-fascistes au pouvoir. On redoute la  nomination d’un « raciste patenté » au « ministère de la police »…un homme « prompt à sortir son revolver pour inciter les forces de l’ordre à tirer sur les manifestants palestiniens » écrit Martine Gozlan dans Marianne. Pourtant, elle se trompe  d’analyse. Ce n’est pas le Qatar qui déborde de haine contre Israël, c’est le monde arabe qui se réconcilie, qui se rassemble, qui s’unifie, qui se débarrasse de ses complexes d’éternel vaincu pour rejoindre au Qatar avec le Maroc, l’équipe des vainqueurs.



https://hybel.blogspot.com/2011/11/le-qatar-un-confetti-puissant.html


https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2022/11/27/l-emir-du-qatar-recoit-de-vieux-amis-c-est-peut-etre-un-detail-pour-vous_6151843_4500055.html


https://theconversation.com/la-coupe-du-monde-une-simple-etape-de-lambitieux-plan-de-developpement-du-qatar-192794


https://www.unhcr.org/fr/news/briefing/2022/6/62a36b14a/statistiques-hcr-traversees-mediterranee-revelent-nombre-croissant-morts.html


https://www.vinci.com/vinci.nsf/fr/item/recrutement-travailleurs-migrants.htm


https://orientxxi.info/magazine/coupe-du-monde-de-football-un-moment-palestinien,6076


https://www.marianne.net/agora/tribunes-libres/au-qatar-la-coupe-deborde-de-haine-pour-israel


mardi 29 novembre 2022

Ukraine: tant qu'il y aura des armes

 Après l’annexion de la Crimée et le déclenchement de la guerre du Donbass, il apparaissait très probable dès mars 2014 qu’un conflit ouvert opposerait la Russie à l’Ukraine. Mais sans doute en raison de l’indisponibilité passagère des armements russes, la guerre a été différée à 2022, le temps de reconstituer les stocks.

Eurosatory le salon mondial de l’armement se tient chaque deux années à Villepinte dans la banlieue parisienne. Cet événement très réservé rassemble 100 mille professionnels et 600 journalistes accrédités qui font rarement la une de la « grande » presse. C’est pourtant le lieu d’anticipation des guerres. Voici comment j’évoquais sur mon blog la tenue de ce salon très particulier en 2014:


…Kiev, Moscou aux armes et caetera (avril 2014)

« Les curieux seront attirés par le pavillon Ukrspecexport, société commerciale d'État qui coordonne les exportations d'armes ukrainiennes vers plus de 70 pays.  Tout un chacun ne le sait pas, mais l'Ukraine dont le secteur emploie 120 000 personnes dans 130 usines est le huitième producteur d'armes dans le monde. La singularité de son industrie multi-produits est d'être étroitement complémentaire des systèmes russes…

Voici quelques fleurons de la production industrielle ukrainienne :

. Artem basé à Kiev fournit les missiles air/air aux chasseurs bombardiers Mig-29 dont 800 exemplaires sont en dotation dans les armées d'une trentaine de nations ; et aussi ceux des Sukoï 30 qui équipent une douzaine de pays. L'industriel fabrique également les missiles anti-char guidés par laser des hélicoptères et blindés russes.

. Sevastopol aircraft Plant entretient et reconditionne les hélicoptères lourds, notamment le Mi-8 dont 12 000 exemplaires sont en service dans 43 pays.

. Antonov à Kiev, est une usine gigantesque qui emploie 14 000 personnes. L’avionneur spécialisé dans la production partagée avec la Russie d'avions gros porteurs, assure également l'entretien d'une flotte mondiale de plusieurs milliers d'appareils parmi lesquels les avions cargos affrétés par la France pour ses opérations extérieures et l'Onu pour le déploiement de ses forces d'interpositions et autres actions humanitaires.

. Kraz construit des camions baroudeurs qui évoluent sur des terrains difficiles, appréciés des armées chinoises, égyptiennes, algériennes...

. Malyshev à Karkiv produit des blindés 8 roues amphibies et reconditionne les chars lourds russes T- 64.

. Iska est un radariste réputé tout comme Migremon. 

. Aviacon est un motoriste d’hélicoptère.

. Morozov produit des chars; Motor Sich des turbines d’avions… »


Que sont ces industries aujourd’hui devenues ?

Dans le même article publié en 2014, j’évoquais aussi le combat des industries de défense.


« Spécialisée dans la fabrication de sous-ensembles, l'industrie d'armement ukrainienne est par conséquent au centre d'un formidable combat de l'ombre. La Russie ne peut envisager sans broncher la rupture des chaînes de production. La désorganisation des approvisionnements commence déjà à peser non seulement sur ses capacités, mais aussi sur celles de ses partenaires. Ainsi, la Chine, l'Inde, l'Algérie, la Syrie... qui sont contrariés par les retards de livraison d'équipements et de pièces détachées… »


On a laissé la Russie s’armer au dépend de l’Ukraine


En juin 2014, Deni Mantourov un proche de Poutine aujourd’hui vice-Premier ministre pour l’industrie de défense concédait alors à titre d’exemple que toutes les unités de la marine russe dépendaient de la fourniture et de la logistique des usines ukrainiennes de Mikolaev et de Kherson; mais il annonçait aussi que dans un délai de trois à cinq ans, la Russie contournerait l’embargo et serait en mesure de se passer des importations militaires d’Ukraine.


À cette époque, l’armée russe, dont tous les experts reconnaissaient l’état de faiblesse opérationnelle, était donc parfaitement incapable d’envahir l’Ukraine. 

Poutine aura attendu patiemment huit ans, le temps de consolider l’indépendance de ses forces et de berner l’OTAN dont l’insouciance était qualifiée avec lucidité par Macron de « mort cérébrale »

Pendant cette période les usines d’armement ukrainiennes, coupées de leur allégeance et principal client russe ont été mise aux enchères sur le marché international; rachetées en bloc ou à la découpe au meilleur offrant, souvent à travers l’intermédiation d’agents corrupteurs. Les meilleurs ingénieurs ont été dispersés au gré des propositions d’embauches. Les experts de toutes nationalités ont mis en garde les hommes politiques. Sans succès.

Accaparés par des rivalités commerciales de ce grand mercado stratégique industriel, les responsables occidentaux n’ont pas profité de l’opportune faiblesse militaire de la Russie. Américains et Européens ont laissé les puissances de feu se rééquilibrer. Pire, aujourd’hui, certains industriels allemands, français, italiens… sont déstabilisés par la destruction d’usines ukrainiennes qui depuis 2014 étaient devenues leurs sous-traitants ou leurs filiales.

Paris, Londres, Washington et surtout Berlin ont cru que le même logiciel libéral de la primauté du business sur les intérêts supérieurs de l’État étaient pareillement la règle à Moscou. Les frasques des oligarques de la bande à Poutine sur la côte d’Azur étaient autant de leurres qui masquaient la détermination de l’idéologue suprémaciste maître du Kremlin. Victime collatérale de cette naïveté, la France attendra l’été 2015 pour annuler un contrat de vente de deux porte-hélicoptères Mistral à la Russie et l’ancien Premier ministre Fillon ne démissionnera de ses mandats russes qu’en février 2022 !


Le commerce des armes est certes régulé par les états qui autorisent ou interdisent leurs échanges, mais cette contrainte de souveraineté est relative et n’a pas empêché l’Iran ou la Corée du Sud de se doter d’une industrie de défense sophistiquée. Tout comme une banale automobile, une arme est un assemblage de pièces fabriquées aux meilleurs prix aux quatre coins du monde. La plupart de ces composants sont duales (à destination civile ou militaire) et par conséquent difficiles à contrôler.


Course de l’armement et bipolarité

Conséquences de la guerre d’Ukraine et aussi de la menace déclarée par la Chine d’envahir Taiwan, le marché mondial de l’armement sous l’impulsion tardive de Washington est en train de se bipolariser en deux blocs de fournisseurs rivaux: d’une part Chine, Russie, Corée du Nord, Iran (CRCI), d’autre part États-Unis, Europe occidentale, Israel, Afrique du Sud (EEIA). 

Alors que l’alliance« asiatique » affiche sa cohésion, celle des occidentaux tait leurs divergences dont les plus flagrantes en Europe concernent la Hongrie mais aussi la Turquie, membre de l’OTAN qui entre autres, livre des drones aux Russes..

Dans ce contexte, les pays acheteurs pour faire leur choix, attendent le retour d’expérience d’Ukraine où l’affrontement reste pour l’instant limité à l’usage de moyens conventionnels. L’arme décisive des conflits du futur est encore mal discernée. L’engagement de drones est devenu majeur; celui des satellites cyber-combattants est redouté; les imparables missiles hypersoniques donneraient un avantage décisif à la Chine, la Russie, la Corée du Nord et l’Iran qui déclarent leur opérationnalité mais ne sont pas encore estampillés « Combat proven » tout comme nombre d’autres  secrètes inventions diaboliques américaines et européennes. 


La France est dans ce secteur doublement dépendante de l’étranger: pour ses approvisionnements, mais surtout par ses débouchés (troisième exportateur mondial avec 11,7 milliards d’euros). Plus que jamais, Paris est à la recherche de fenêtres d’opportunités dans les pays que la bipolarisation de la mondialisation va contraindre à choisir son camp. C’est ainsi que l’Égypte, l’Inde, l’Algérie, l’Ouzbékistan, le Kazakhstan, l’Azerbaijan…sont très fermement encouragés à reconsidérer la nationalité de leurs fournisseurs. L’Inde, en bon élève a réduit de 47% le volume de ses importations de Russie depuis 2016. Cependant que l’Arabie vient de faire un pied de nez à Washington en passant une méga commande de lasers et de drones pour 4 milliards de dollars à…la Chine. La guerre des armes n’est pas gagnée d’avance !

 

Il sera temps de faire un point d’étape lors du prochain Eurosatory  prévu en juin 2024. La messe mondiale de l’armement sera célébrée deux semaines avant celle de la fraternité aux Jeux Olympiques de  Paris !



https://blogs.mediapart.fr/hedy-belhassine/blog/260414/paris-riyad-kiev-moscou-aux-armes-et-caetera

https://ukrspecexport.com/


https://carnegieendowment.org/2014/07/30/saving-ukraine-s-defense-industry-pub-56282

https://grip.org/depenses-militaires-production-et-transferts-darmes-compendium-2022/

enhttps://www.csis.org/analysis/spotlight-russias-attack-ukrainian-marine-gas-turbine-supplier



jeudi 10 novembre 2022

Du théâtre Ranelagh à celui du Palais Royal

Le Théâtre du Ranelagh à Paris est situé au coeur du 16ème arrondissement, dans la paisible et sombre rue des Vignes que bordent quelques HLM incongrus dans ce quartier de grandes fortunes. Le soir, les trottoirs étroits chichement éclairés guident vers l’unique enseigne lumineuse les noctambules un peu perdus. 

Dès les premiers pas, les surprises s’enchainent. Le petit hall n’est que l’entrée d’une fosse où s’enfoncent des escaliers vers un salon surprenant. On y trouve comme jetées au hasard quelques tables, des fauteuils, un canapé rococo, un glacial poêle en faïence grise de Bavière, insolite contraste avec en vis-à-vis un chaleureux petit bar bien achalandé. On patiente un verre à la main. On se sent comme en attente d’un événement familial, une cousinade peut-être… Soudain, une insoupçonnable porte à deux battants s’ouvre, le public est invité à prendre place dans une salle entièrement recouverte de panneaux de bois sculptés. On peut aimer. Une allée centrale, des fauteuils rouges alignés de part et d’autre, sur scène un mime drôlement accoutré accueille. 

À l’affiche « la Nuit des rois » de William Shakespeare: une valeur sûre, jouée des milliers de fois depuis quatre cents ans. C’est une royale intrigue amoureuse fertile en quiproquos et rebondissements qui fleurent parfois la pantomime…bref, la soirée de bonne humeur est assurée. 

Pourtant, dans ce théâtre suranné, à moitié déserté en cette veille de  Toussaint, le pari de la compagnie Taxaudier n’est pas gagné; les trois premiers rangs sans doute réservés au VIP et à la presse sont vides. 

Dès les premières répliques le public est mal à l’aise. Ça sonne faux, c’est scolaire. Le trac des acteurs tapageurs transpire jusqu’à nos oreilles. C’est la première ? Catastrophe, il va falloir tenir 2 heures sans entracte ! Soyons patient et indulgent, le livret n’est pas facile mais les costumes sont foisonnants, le décor minimaliste réduit à des immenses voiles pastels est séduisant. 

Et puis, lentement, la magie opère.  Tout doucement, presque insidieusement, sans doute porté par le maigre public bienveillant qui entre en communion, les acteurs prennent de l’assurance, ils se lâchent, ils dominent, ils se surpassent. La métamorphose est émouvante. Six acteurs pour seize rôles; pas facile d’autant qu’il faut bondir à chaque propos, chanter juste en polyphonie, jouer du violoncelle: bravo, bravo ! Inoubliables moments. On ressort ravi avec l’étrange et délicieuse impression d’avoir commencé la soirée dans une salle paroissiale de province pour la finir au Français. 

Chapeau bas à la troupe: Mariejo Buffon, Vincent Couesme, Giulia De Sia, Jean-Baptiste Guinchard, Victoria Ribeiro, Alexandre Schreiber et à Aurélien Houver pour la mise en scène.




Le Théâtre du Palais Royal rue de Montpensier est l’un des plus beaux de Paris. Une bonbonnière de style baroque en velours rouge surchargée de motifs à la feuille d’or. On y joue à deux. Benoit Solès et son compère Amaury de Crayencour ont reçu 4 Molière. Leur pièce fait un tabac dépassant les 400 représentations. « La machine de Turing » est rodée. Elle tourne rond à plein régime, pas une seule ratée. 

C’est le récit du destin tragique d'Alan Turing (1912-1954) génial mathématicien britannique, père de l’intelligence artificielle, qui contribua à percer les secrets d’Enigma la machine à crypter portative de l’armée allemande pendant la seconde guerre mondiale.

Un regret pourtant, tout comme le film « The imitation game » sorti en 2014, le scénario prend des libertés avec l’histoire. Il occulte totalement le rôle central de Gustave Bertrand, héros oublié, qui permit avec l’aide de collègues Polonais d’écourter la guerre. 

Coïncidence, Benoit Solès, est né à Agen dans le Lot-et-Garonne, tout près de Bon Encontre, où ceux qui avaient subtilisé les plans d’Enigma aux allemands et cassé le code, prêtèrent serment en juin 1940 de poursuivre la guerre de l’ombre.

En sortant du théâtre, quelques grincheux historiens diront "voici un grand comédien français qui contribue à répandre une légende égoïstement britannique ! » On leur objectera que le sujet principal de la pièce et son centre d’intérêt ne sont pas la machine mais Alan Turing. 

Accusé « d’indécence et de perversion manifeste », condamné en 1952 par un tribunal de Cambridge à la prison ou à la castration chimique, Turing choisira la mutilation avant de se donner la mort deux années de souffrances plus tard en croquant une pomme cyanurée. L’histoire de la machine est glorieuse, celle de Turing est épouvantable.

« Honi soit qui mal y pense » (avec un seul « n ») est la devise en français du très noble Ordre de la Jarretière britannique.


https://www.theatre-ranelagh.com/

https://www.theatrepalaisroyal.com/

https://fr.wikipedia.org/wiki/Gustave_Bertrand

mardi 25 octobre 2022

Après l'Ukraine, le Magreb ?

On se focalise sur la guerre d’Ukraine dont nul ne discerne l’issue, et sur la terrible confrontation annoncée entre les Etats-Unis et la Chine. Pendant ce temps, l’actualité délaisse l’observation de la montée des tensions qui pourraient entrainer la France et l’Europe dans un conflit en Méditerranée.


Maghreb fracturé

Dans un article récent publié dans Le Monde, trois grandes signatures intellectuelles tunisienne, marocaine et algérienne - Sana Ben Achour, Leila Slimani, Kamel Daoud - évoquent le rêve d’union de leur nation. Car depuis la décolonisation et par la volonté têtue de leurs dirigeants, ces pays se regardent en chiens de faïence alors que leurs populations, malgré les frontières barbelées, ne cessent de renforcer leurs liens. De Benghazi à Tanger, de Bizerte à Nouakchott, les peuples - lorsqu’ils ne sont pas instrumentalisés - fraternisent dans une communauté de langue, de religion, de pratique sociale, d’échanges familiaux. Un Maghreb libre de toutes entraves de circulation et de commerce serait une puissance de 100 millions d’habitants dont le PNB de mille millards de dollars connaitrait une croissance spectaculaire. Cet ensemble constituerait un pôle puissant capable de peser à jeu égal sur l’échiquier mondial. C’est sans doute pourquoi les EU et les états européens se sont employés avec constance à semer la zizanie, sabotant toutes velléités de fusion dont les premières tentatives datent de Bourguiba et Boumedienne, il y a 50 ans ! Pour autant, l’Europe manoeuvre avec précaution car si un Maghreb unifié puissant lui ferait de l’ombre, un Maghreb en guerre fratricide menacerait la paix civile notamment en France où vivent de fortes communautés « d’origines » qui ne sauraient rester neutres.


Vers une guerre Maroc-Algérie ?

Les diplomates et les analystes mettent régulièrement à jour leurs évaluations sur les risques d’une confrontation militaire entre l’Algérie et le Maroc qui se disputent depuis 1979. La tension entre les deux pays culmine depuis que Trump en décembre 2020 a reconnu la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental en échange de l’engagement de Rabat de normaliser ses relations avec Israël. 

De part et d’autre, on observe une course à l’armement effrénée. Alger se fournit habituellement à Moscou, mais les Russes pour cause de guerre en Ukraine n’exportent plus d’armes ni de pièces détachées, par conséquent la capacité d’engagement de l’Algérie est très affaiblie.  Rabat qui achète du matériel aux USA, en Europe et en Israel serait en cas de conflit favorisé par la conjoncture. Mais quelle serait la posture de la France ? 

Gaz oblige, et dans l’espoir de méga contrats d’armement, Paris flirte à pleine bouche avec le régime algérien, - récemment, pas moins de 15 ministres ont accompagné Mme Borne à Alger -, mais boude ostensiblement le Maroc qui est pourtant son allié historique le plus fidèle en Afrique.

En coulisses, les hommes d’affaires et les diplomates temporisent et s’accommodent de la situation en maniant le double langage tout en guettant les signes de détentes.

Justement, le roi du Maroc a annoncé qu’il se rendrait au sommet de la Ligue arabe qui se tiendra à Alger le 1er novembre prochain . Est-ce l’amorce d’un dialogue ? Celui-ci pourrait se prolonger fin novembre à Djerba en Tunisie  au sommet de la Francophonie. À cette occasion, le Président tunisien Kaïes Saïed pourrait contribuer à rabibocher les frères ennemis si toutefois il parvenait au préalable à se réconcilier lui-même avec le roi du Maroc. Ce n’est pas gagné d’avance car Saïed est pétri d’orgueil et de maladresse. Mais c’est un maghrébin convaincu qui a inscrit dans la constitution promulguée l’été dernier l’appartenance de la Tunisie « au grand Maghreb arabe » (art 7)


Vers une guerre Égypte-Turquie ?

À cet optimisme raisonnable s’oppose la réalité explosive de la géopolitique régionale. 

La semaine dernière se tenait à Enfidha en Tunisie la seconde édition d’un salon de l’aéronautique et de l’armement. Les occidentaux ont singulièrement boudé cette manifestation sans grands enjeux commerciaux où les pays arabes sont venus exhiber leurs capacités opérationnelles devant les délégations d’armées africaines. Un observateur a relevé que ce salon a surtout servi de vitrine aux industriels de l’armement de Turquie. Chacun s'est souvenu que l’armée turque campe en Libye voisine à quelques centaines de kilomètres d’Hammamet. Elle participe à la guerre - encore froide - que se livrent les puissances pour l’exploitation des fabuleux gisements de gaz qui sommeillent au fond de la Méditerranée. 

Libyens et Turcs sont liés par des accords de défense qui ont permis au gouvernement Sarraj de repousser militairement son rival Hafftar soutenu par l’Égypte. Cependant que milices et  mercenaires continuaient de guerroyer, un nouveau traité a été signé il y a trois semaines entre la Libye et la Turquie pour délimiter leur zones de souveraineté maritime commune. Fureur de la Grèce, de l’Egypte et d’Israel qui contestent  la légalité de cet accord et menacent de défendre par la force l’espace marin contesté. Au surplus, solidaire de la cause palestinienne, Ankara s’oppose au projet de gazoduc sous-marin EastMed entre Israel, Chypre et la Grèce. 

Une coalition d’intérêts s’organise pour saborder l’entente Turco-Libyenne et saper l’ambition d’Erdogan d’imposer son pays comme plateforme de redistribution vers l’Europe du gaz provenant de Russie et de Méditerranée orientale. Le feu couve en Libye qui a déjà prouvé son aptitude à servir de champs de bataille par procuration.

On se souvient qu’en juin 2020 un incident grave révélé par le Président Macron avait opposé des navires turcs à une frégate de la marine française. D’autres ont suivi. Cette tension permanente qui n’a pour témoins que des clandestins africains qui se noient est susceptible de dégénérer. Dans l’éventualité d’un conflit, la Grèce et l’Egypte - liés à la France par des accords de défense - s’arment à tout va.

Déjà affectés par la guerre d’Ukraine, l’Europe et l’Otan se trouvent menacés sur le flanc sud où l’ouverture d’un front ne serait pas pour déplaire à Poutine. 

Volatile et inflammable, le grand jeu du gaz de Méditerranée ne fait que commencer.



https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/10/17/leila-slimani-kamel-daoud-et-sana-ben-achour-on-voudrait-nous-faire-croire-que-le-maghreb-n-est-qu-une-utopie_6146075_3212.html

https://www.africaintelligence.fr/afrique-du-nord/2022/10/19/les-firmes-turques-en-force-au-salon-aeronautique-iade,109836090-art

https://www.cfc.forces.gc.ca/259/290/22/305/Basly.pdf

https://fr.wikipedia.org/wiki/Gazoduc_EastMed


lundi 26 septembre 2022

TuniZie

La « TuniZie » a perdu le « S » de son bon sens et s’écrit avec un « Z » depuis que les observateurs - même les plus indulgents - , pointent la dégringolade du pays dont l’audace fut jadis de prétendre à la démocratie. Démonstration est faite que cette vertueuse forme de gouvernance occidentale n’est pas compatible avec les conditions héritées du colonialisme et de l’indigénat. Le « printemps arabe » était une formule empruntée au titre d’un livre publié en 1959 par Benoist-Méchin, journaliste talentueux mais sinistre admirateur d’Hitler et de la dynastie saoudienne. C’était un mauvais présage. La révolte tunisienne de 2011 exprimait l’espoir de la chute en cascade des dictateurs arabes. Onze années plus tard, le bilan est rageant. L’hiver arabe, partout s’est réinstallé augurant une hibernation dont on ne voit pas la fin.


La Tunisie, pays de naissance des soulèvements arabes avortés a achevé sa révolution autour de son expérience démocratique. Elle est revenue au point de départ. Avant hier, dans un village, un marchand des quatre saisons empêché de commercer s’est pendu. Hier en plein centre ville un quadragénaire sans le sou s’est immolé devant les passants tétanisés. Dans le même temps, fuyant la misère à la rame, des dizaines de jeunes se noyaient. 

Alors, comment nommer ce pays éclaté façon puzzle autrement qu’en déconstruisant son nom comme le fit jadis un héros oublié: Zouhair Yahyaoui tué à petit feu pour avoir fondé un cyber-journal TuneZine. C’était en 2001 ! Emprisonné, torturé, il est mort  sans voir le printemps. En 2017, l’éphémère révolution lui a rendu un curieux hommage par l’émission d’un timbre poste à son effigie célébrant la Journée Nationale de la Liberté d’Internet. Cette liberté d’expression vient d’être abolie la semaine dernière par un décret-loi du Président tunisien qui criminalise désormais toute opinion subversive sur les réseaux sociaux. Cinq ans de prison ! Peine doublée en cas d’offense à un agent de l’État. 


Le premier visé est « Z » un vétéran cyber-dissident de la première heure. Depuis, 2008, « Z » signe les articles et les dessins de son blog débatunisie.com . Perspicace et méfiant, il est toujours resté prudemment  anonyme. On ne sait de lui que son âge 43 ans, et son métier, architecte-urbaniste. Observateur  perspicace pertinent, il a décrit au fil de l’actualité les prémices du dézingage de la démocratie tunisienne. Il a notamment alerté ses lecteurs sur les conséquences de l’élection présidentielle surréaliste de septembre 2019 qui a ouvert la voie au putsch de juillet 2021 et à une cascade de décrets-lois liberticides. 

 

« Z » est le Rushdie tunisien, un Charlie en sursis. Il est le blasphème personnifié, documenté, caricaturé, revendiqué, assumé, il est le Zola ou le Voltaire de Carthage, il est le courage jusqu’au bout des doigts. « J’ai « profité » de mon anonymat durant ces dernières années pour jouer avec le feu, et servir presque de cobaye afin de mesurer sans prétention scientifique, ce phénomène. Mes dessins blasphématoires me valent des centaines de menaces… » 

Pour se rassurer peut-être pense-il que s’attaquer à l’humour, c’est se ridiculiser à jamais. Nul ne s’est jamais avisé de s’en prendre à Brassens, Reiser, Coluche, Plantu…d’interdire le Canard enchainé ou les Guignols de l’Info. La tuerie de masse de Charlie Hebdo a mondialisé l’audience du journal et immortalisé son titre. Elle a affaibli ses instigateurs. 


À Tunis derrière « Z » se cache un caricaturiste, un poète, un analyste politique de talent qui n’y va pas avec le dos de la cuillère. Nul autre humoriste n’a jamais été aussi loin dans la provocation. 

Ses dessins, sont d’une grossièreté extrême. Le Président sodomise la république, une femme politique est figurée en croupion, le palais de Carthage en lupanar, la Kaaba dévoilée de la Mecque révèle une partouze endiablée… Traits précis, couleurs chatoyantes, bulles en arabe ou français désopilantes. C’est de la BD de qualité qui ne se limite pas à dessiner la bouffonnerie de l’actualité, elle documente, commente et analyse les faits. Mieux l’auteur inscrit son oeuvre picturale et littéraire dans un récit épique de l’histoire de la Tunisie où se mêlent des descriptions poétiques et burlesques locales ou étrangères dans l’univers loufoque des « allahistes », des « flamants roses, » des Ben Simpsons… L’ancien dictateur prénommé Zine était « Zaba », l’actuel Président Saïed est « Zabaïed". Prétendre que ce « Z » est connoté « zob » est une vulgarité que ne souligne jamais le blogger. Ne mélangeons pas grossièreté et vulgarité disait Coluche. Le doigt d’honneur reste subliminal.


Au fil des ans, « Z » a fidélisé une large communauté de lecteurs, aucun journaliste, aucun diplomate, aucun homme politique ne néglige la lecture de son blog. Mais la société bien pensance puritaine veille et censure. C’est ainsi que 90 000 de ses abonnés sur Facebook ont reçu le message suivant: « contenu supprimé pour non-respect de nos Standards de la communauté ». Un homme autant détesté mérite respect et curiosité.

En grec « Z » signifie:  il est en vie.

En Tunizie  « Z »  et lutte encore ici: http://www.debatunisie.com


jeudi 25 août 2022

Secrets d'histoires secrètes

C’est une femme sans âge au regard vif et droit qui vous serre la main avec la vigueur d’un gladiateur. Il faut dire qu’elle est d’un genre particulier car par son père, héros de la dernière guerre, elle appartient à une lignée d’un monde à part : celui des services secrets. Elle est d’ailleurs membre de la très sélective association des anciens qui dissimule leurs souvenirs derrière un acronyme mystérieux A.A.S.S.D.N. 

L’ Amicale des Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale a pour objet d’entretenir la mémoire des hommes discrets. Ses adhérents pensent qu’il n’est pas raisonnable de prolonger l’anonymat au-delà de la tombe et que passés plusieurs générations, les exploits des défunts de l’ombre méritent bien un trait de lumière.

 

Le dernier livre de Marie Gatard publié au début de l’été chez L’Harmattan sous le titre pudique « Les silencieux des services spéciaux 1940-1945 » préfacé par Max Gallo est une réédition de « La pierre qui parle » (2008) dont la diffusion avait été restreinte. Pour l’instant l’ouvrage est passé inaperçu. Il ne s’est  échangé ni sur les plages de Pampelonne ni sur celle de l’Escalet. Pourtant, tout près de là, des milliers d’estivants sont passés devant le mémorial de Ramatuelle où sont gravés les noms des quelques 320 femmes et hommes des services de renseignement morts pour la France durant la seconde guerre mondiale. L’auteure a rassemblé quelques bribes de leur parcours héroïque.

 

En 1939 à la veille de la guerre, le renseignement militaire français se composait d’une modeste équipe placée sous les ordres d’un colonel, mais qui disposait d’un formidable réseau d’informateurs infiltrés dans les armées allemande et italienne. Depuis le début des années 30, ils savaient tout ce qu’il se tramait outre Rhin ; ils informaient au jour le jour leur hiérarchie qui transmettait au gouvernement…qui n’en tenait pas compte. En ces temps-là, (ça n’a pas beaucoup évolué depuis) pour lire l’avenir, les politiques faisaient plus confiance aux cartomanciennes qu’aux services spéciaux.  

Alors, quand les Allemands arrivent comme prévu aux portes de la capitale, ils quittent Paris avec armes et bagages et se regroupent autour de leur chef à Bon Encontre près d’Agen où ils prêtent  serment de résister à l’occupant. Dans un premier temps conformément aux accords d’armistice, ils donnent le change et obéissent au régime de Vichy mais en parallèle ils créent un service clandestin basé à Marseille, « les Travaux Ruraux » avant de se replier sur Alger.


Consulter les archives des services spéciaux est une relecture de l’histoire qui donne le tournis. C’est ce que confesse l’auteure qui a épluché les documents enfouis dans les bibliothèques des armées, les associations d’anciens résistants et même dans les greniers des familles de disparus. Son dernier ouvrage rappelle des détails de récits peu connus du grand public et met à jour des inédits.

 

Ainsi, en décembre 1942, Himmler écrit personnellement à Hitler pour lui rapporter le fruit de sa collaboration avec le tristement célèbre René Bousquet secrétaire général de la police française. Ensemble ils ont démantelé le réseau « K » du résistant Robert Keller, ingénieur des PTT et agent des services de renseignement français.  Il avait réussi à brancher avec l’aide de son équipe des bretelles d’écoute sur 550 lignes téléphoniques entre Berlin et Paris pour espionner six mois durant les armées allemandes. 

Un autre exploit fut l’achat chez un transfuge allemand des plans « d’Enigma » qui permit à l’issue d’une coopération avec les services polonais puis britanniques de reproduire la machine à crypter et de casser les codes de transmission de l’armée allemande. 

 

Nombre de récits extraordinaires et poignants ponctuent l’ouvrage comme celui du réseau Morhange, ou des vaillantes « Merlinettes ». En annexe quelques lettres laissées par les condamnés à mort dont le nom est gravé au mémorial de Ramatuelle. 

Ainsi Pierrette Louis 24 ans qui écrit depuis Ravensbrück où elle va être exécutée : « …cette mort-là, c’est la seule que je souhaite, c’est la plus belle, mon âge ne compte pas….cette mission dont je ne reviendrai pas, je ne l’ai pas subie comme un ordre. Non. J’ai pensé, j’ai choisi…dès lors donner ma vie n’est plus un sacrifice ». 

Ainsi le journaliste Robert Pelletier dont l’épouse sera internée, dont le fils aîné a été tué au combat et dont le cadet de 11 ans vient d’être arrêté, écrit son ultime lettre avant d’être fusillé : « il ne faut pas penser à moi dans la tristesse, car ma seule souffrance est la pensée de votre tristesse »

 

Mais Marie Gatard ne se contente pas de relater les exploits et les sacrifices des femmes et des hommes de l’ombre, elle va beaucoup plus loin. Journaliste, passionnée d’histoire, elle glisse entre les pages avec modestie quelques inédits stupéfiants. L’une de ses révélations pourrait bien faire quelques bruits dans nos relations avec l’Afrique du Nord, région écorchée vive depuis la décolonisation et où la politique du moment a souvent tendance à appeler les péripéties de l’histoire comme arguments suprêmes sans jamais les replacer dans leur contexte.

 

Le 8 novembre 1942, les troupes américaines et britanniques débarquent en Maroc et en Algérie « pour fermer les ports d’Afrique à l’ennemi » dira Roosevelt. C’est l’opération « Torch ». En Afrique du Nord, les populations civiles et militaires françaises ou « indigènes » sont divisées entre le choix de l’allégeance à Pétain et Hitler et le combat pour la liberté mené par les Généraux rivaux Giraud et De Gaulle. 

C’est ce moment que le sultan du Maroc Mohamed V aurait choisi pour adresser à Hitler par le truchement du vice-Consul Kruger Chef des services secrets allemands au Maroc, une missive dont le contenu sera intercepté pas les services français. Sur un ton obséquieux, le monarque assure le Furher qu’il ignorait tout du plan anglo-américain et que son peuple est prêt à reprendre l’insurrection contre la France. Pour gage de sa bonne volonté, il désigne les dépôts d’armes français camouflés à la Commission d’Armistice et propose « d’attaquer les ponts et voies de communication marocaines par lesquels les Américains ravitaillent les troupes en Algérie ». 

Marie Gatard commente sobrement : « On peut comprendre que le chef des marocains ait tenté de pactiser avec ceux qui nous avaient vaincus » Elle ajoute avec malice : « À la Libération, le général De Gaulle a fait du sultan un Compagnon de la Libération pour un de ces motifs que seuls les extralucides de la haute politique peuvent concevoir… »

Ce document sujet à caution émane d’une source qui ne l’est pas. Vérité cruelle, manipulation, intox…? Tout est possible. Le tribunal des historiens jugera.

 

Une autre révélation inédite est celle du projet de discours que Pétain envisageait de prononcer à la libération de Paris. La pelure, (copie) du document dactylographié daté à la main « août 1944 » a été subtilisée sur le bureau du Maréchal à Vichy par un sous-officier du contre-espionnage clandestin français. Canular ? S’interroge Marie Gatard qui retranscrit intégralement le texte. C’est peu probable car il provient des archives personnelles du légendaire Colonel des renseignements Paul Paillole qui dit-elle « n’était pas connu pour goûter les plaisanteries de carabins ».

 

Pour découvrir quelques secrets de l’Histoire secrète de cette période : « Les silencieux des services spéciaux 1940-1945 » de Marie Gatard sont des bonnes feuilles que l’automne n’est pas près de disperser. 


mercredi 27 juillet 2022

Tunisie: la contre-révolution victorieuse

De nature incorrigiblement optimiste, les Tunisiens sont habituellement enclins à regarder la part du verre plein, mais en ces temps de crise économique sévère et de renforcement d’un pouvoir personnel dérivant vers la dictature, les lueurs d’espoir sont rares. L’exploit de la joueuse de tennis Ons Jaber à Wimbledon et l’ouverture de la frontière terrestre avec l’Algérie fermée depuis plus de deux ans au prétexte sanitaire, sont les seuls motifs de satisfaction de ces dernières semaines. 

L’actualité reste accaparée par les déclarations démagogiques du chef de l’État Kaïes Saïed  dont l’activité principale consiste à conférer avec la Première ministre et le ministre de l’Intérieur alors que l’urgence est à l’industrie, l’agriculture, l’économie, les finances…  Le pouvoir parle mais n’agit pas, il polémique, provoque, menace, invective, sanctionne mais ne décide aucune réforme, ne lance aucun projet. Le pays semble à l’arrêt, comme suspendu au bord du gouffre de la banqueroute. 

Pour faire baisser la fièvre et calmer l’inquiétude générale, l’omniprésent Président Kaïes Saïed a décidé de briser le thermomètre de la constitution au terme d’un insidieux processus de démolition des institutions. Maintenant c’est confirmé, l’autocratie est de retour en Tunisie.

Saïed a été élu en octobre 2019 dans des conditions rocambolesques. Son challenger Nabil Karoui le favori de la compétition avait été opportunément jeté  en prison sur la fois d’accusations fallacieuses. Malgré ce handicap, le « Nelson Mandela tunisien » s’était facilement qualifié pour le second tour et  la pression internationale lui avait finalement permis d’être libéré in extremis avant la clôture de la campagne électorale. Brisé par deux mois de détention il avait été extrait de sa cellule et hissé quelques heures plus tard dans un état second sur un plateau de télévision pour un débat unique et décisif où il avait lamentablement bafouillé face à Kaïes Saïed.  Les historiens et les lanceurs d’alertes n’ont pas encore éclairé les dessous de « l’affaire Karoui » dont le rôle fut réduit à celui  de faire-valoir. Cette péripétie singulière vite oubliée par l’élection triomphale de Saïed, parfait inconnu surgi de nulle part éructant deux mots pour seul programme « echaab yourid » (le peuple veut), marquera l’histoire de la Tunisie comme la première alerte au détricotage des acquis de la révolution de 2011.

Le second coup porté à la démocratie a été organisé par son principal bénéficiaire le 25 juillet 2021. Ce jour là, le Président Saïed ordonnait aux chars de l’armée de cerner la chambre des représentants du peuple. Dans la foulée il congédiait  par décret d’autorité le chef du gouvernement, quelques ministres et tous les parlementaires dont il supprimait  indemnités et  immunité. Puis par palanquée, il limogeait des magistrats et dénichait quelques poux sur la tête d’hommes d’affaires, de journalistes, de syndicalistes, de hauts fonctionnaires… 

L’ultime coup de grâce interviendra demain car Saïed a décidé d’abolir la constitution de 2014 pour la remplacer par une loi suprême de sa composition qui sera soumise à un référendum-plébiscite ce 25 juillet, jour anniversaire de la chute de la dynastie des Beys et de la proclamation de la première République  tunisienne par Habib Bourguiba en 1957. Tout un symbole !

Soutenu par l’appareil sécuritaire de l’armée et de la police (qui affichent leur neutralité républicaine) le Président sera désormais plus puissant que tous ses prédécesseurs. Les nations libres qui avaient jadis porté aux nues l’exemplaire mutation démocratique tunisienne - récompensée par le Nobel de la paix en 2015 - ne réagissent pas. Les États-Unis consentent en se taisant; à Washington, lorsqu’on déroule la carte du « stratégic tunisian corridor » c’est pour parler de l’Algérie et de la Libye voisines où les enjeux militaro-pétroliers sont hautement plus importants. Bruxelles réprouve européennement en termes mesurés, ce qui évite à Paris, Rome, Berlin, Madrid…de se fâcher avec Saïed qui a prévenu sur tous les tons qu’il ne tolèrerait aucune ingérence dans les affaires politiques de la Tunisie. Sa diplomatie s’aligne très ouvertement sur l’Algérie, l’Égypte, le Qatar, l’Iran, comme l’attestent la fréquence et la cordialité des messages échangés entre chefs d’États que rapporte régulièrement le site Facebook de la Présidence à Carthage. 

La nouvelle constitution entrera en vigueur quelque soit le résultat du vote. La seule incertitude concerne le score du référendum. Moins que les 72% obtenus par Saïed à son élection de 2019 signifierait une baisse de popularité inconcevable dans le projet unipersonnel présidentiel. Il est donc probable que la constitution sera approuvée « massivement ». Les politologues tunisiens et ceux des chancelleries étrangères s’attacheront accessoirement et dans la mesure du possible de suivre la régularité du scrutin mais surtout de décrypter la participation. Dans le climat d’indifférence générale de la population blasée par les extravagances d’un feuilleton politique imprévisible, il est probable que la ferveur citoyenne ne soit pas au rendez-vous. 

Courageusement ou timidement toutes les forces organisées du pays ont malgré les pressions pressantes du pouvoir, appelé au boycott, ou à voter « non ». Le texte fondateur de la République « saïedienne" est dénoncé par la quasi totalité de la classe politique, par la société civile et même par ses rédacteurs dont le Président a d’autorité corrigé et dénaturé la copie. Cette constitution comporte pourtant quelques dispositions consolatrices singulières comme l’obligation pour les élus d’abandonner tout activité professionnelle. L’assemblée des législateurs ne sera plus celle de la classe « bourgeoise » car il est anticipé qu’aucun médecin, ingénieur, avocat, commerçant aisé ne prendra le risque d’abandonner sa situation professionnelle pour siéger au prix d’une médiocre indemnité ! C’est une mesure révolutionnaire quasi prolétarienne ! Une autre disposition assure que toutes les personnes âgées nécessiteuses seront prise en charge par l’État. D’aucuns trouveront dans ce texte des relents d’influences islamo-gaucho-kadhafiste… On s’abstiendra ici de polémiquer sur les aspects rétrogrades et inquiétants que dénoncent les juristes qualifiés, toutefois, la formulation alambiquée et la syntaxe mal assurée seront propices à toutes les interprétations.

Le Président de la République, professeur de droit public à la retraite entend légaliser l’état d’abus de pouvoir qu’il a lui même  estimé légitime. Légalité et légitimité sont deux notions fondamentales du droit âprement discutées depuis 1940 époque où l’infâme régime de Vichy  estimait que la seconde primait sur la première. La fraude à la constitution tunisienne aurait probablement été qualifié de séditieuse par le savant juriste Georges Vedel dont Saïed prétend être le disciple et qui doit au cimetière parisien du Montparnasse  se retourner dans sa tombe fleurie de jasmins fanés.

Reste à deviner si ce « 18 Brumaire » fera de Saïd l’empereur de la restauration ou s’il révèlera son rôle d’intérimaire car l’aventure pourrait bien s’achever à la Sri Lankaise. Des observateurs étrangers prompts à adouber les pouvoirs en place en raison de leurs degrés de popularité, soulignent le score élevé du Président dans les sondages alors qu’il n’est ni plus ni moins celui de tout dictateur africain. Cette audience complaisante n’est pas celle de l’homme mais des attributs de son pouvoir. On mettrait un mulet dans le carrosse que la foule attirée par le spectacle l’acclamerait aux cris de « vive le roi ». Les Tunisiens ne sont pas dupes mais fatigués et désabusés. Certes, les vieux s’accommoderont de ce retour au régime présidentiel patriarcal musclé pourvu qu’il soit compensé par une prospérité retrouvée, mais la même passivité n’est pas acquise dans la jeunesse dont une enquête révèle que plus de 70% des diplômés ambitionnent de partir s’installer à l’étranger. 

Les perspectives du nouveau pouvoir sont par conséquent incertaines car à la moindre étincelle, les laudateurs et les indifférents se transformeront en accusateurs féroces. De nature versatile, « le peuple » est toujours prompt à détester celui que la veille encore il adulait. Quelles que soient la sincérité et les vertus patriotiques de Saïed qui se défend d’ambitionner une carrière de dictateur, il est l’auteur d’un troisième coup de force qui inscrira dans le marbre les règles d’une gouvernance absolutiste dont ses successeurs useront et abuseront. Pour l’heure, seuls les conservateurs et réactionnaires se réjouissent car le prof de droit a réalisé une grande chose: il a éteint le foyer de la révolution arabe. Pour cette raison,  ils pourraient bien… le remercier.

https://www.facebook.com/Presidence.tn/

https://kapitalis.com/tunisie/2022/07/15/sana-ben-achour-avertit-contre-linstabilite-politique-en-tunisie/

https://www.businessnews.com.tn/notre-dossier-sur-la-constitution,519,120602,3

https://www.jeuneafrique.com/1358947/politique/tunisie-pourquoi-le-projet-de-nouvelle-constitution-inquiete/

http://juspoliticum.com/article/La-doctrine-de-Vichy-Penser-la-legalite-et-la-legitimite-autour-de-l-autorite-1364.html

mardi 17 mai 2022

Meurtre d'une journaliste pour l'exemple

Il y a quelques semaines, Tribune Juive publiait un de mes articles sur la Tunisie sans mon consentement. Habitué au piratage, je protestais mollement, André Mamou son rédacteur en chef s’excusait pareillement. 

J’écris pour être lu. Alors, la reproduction de mes élucubrations sans permission ne me choque plus vraiment. Chacun voit midi à sa porte. Ma signature est galvaudée dans des publications de gauche ou de droite, extrêmes ou modérées, en France et quelques fois à l’étranger. Comme je n’ai jamais publié mon cv ni mes confidences de canapé, certains se méprennent sur mes opinions, ils pensent que je suis des leurs. J’en ris ou j’en grogne mais au fond j’en suis flatté. Mon indépendance est le luxe ultime d’un retraité au passé discret qui rédige des articles comme d’autres font des mots-croisés. Pour autant et qu’on se le dise, contrairement à Palestine Solidarité, Tribune Juive n’est carrément pas ma tasse de thé. 


Shireen Abu Akleh et Adnan Khashoggi sont les deux faces de la même médaille: celle des martyrs du journalisme victimes du terrorisme d’État. On se souvient des conditions atroces dans lesquelles Adnan a été trucidé. Le choc avait été amplifié par le déni des autorités saoudiennes. L’infox de la monarchie wahhabite avait répandu des mensonges à grande échelle. Complaisamment d’aucuns l’avaient relayée pour semer le doute. Après tout il était possible que cette équarrissage fut l’effet d’une succession de hasards et que l’incontrôlable scie sauteuse des diplomates eût été manipulée par  des services de renseignements malintentionnés, voire par des esprits malins ! Nonobstant les accusations de la CIA, le Prince que l’on sait bon et humain car il achète des armes et des consciences, n’avait pu en être l’instigateur voyons ! Il n’empêche, l’opinion mondiale unanime avait finalement été choquée par tant de duplicité et seuls quelques opportunistes avaient trouvé là le moyen de multiplier le prix de leur servilité. Pourtant, le Prince le plus riche et le plus sanglant de la terre a gagné la réputation qu’il ambitionnait car nul ne veut plus l’approcher ni même évoquer son nom par crainte de finir écorché. Mieux, sa méthode a fait école jusqu’en Russie !


L’assassinat prémédité de Shireen est pareillement abject car non seulement il ôte la vie d’une journaliste dans l’exercice de son métier, mais il s’accompagne d’une mise en scène qui vise à semer la peur et décourager tout reportage dans les terres colonisés. Chaque correspondant de guerre sait qu’il est désormais en ligne de mire. C’est le signe de la dérive arrogante du pouvoir  de Tel Aviv, jamais rabattu par ses amis étrangers qui complaisamment esquivent et regardent ailleurs, confortant ainsi son sentiment d’impunité. 

Triste destinée de ces deux journalistes serviteurs de la vérité; tués, profanés et enfin insultés par les mensonges de leurs assassins qui ont cyniquement tenté de travestir les circonstances de leur tuerie.


Shireen Abu Akleh, palestinienne de nationalité américaine, correspondante d’Al Jazeera est visée le 11 mai 2022 alors qu’elle couvre avec des confrères une manifestation de rue à Jénine en Cisjordanie. La balle lui transperce le cou juste au dessus de son gilet de protection sur lequel est inscrit en grandes lettres blanches « PRESS ». Elle est tuée sur le coup. Son coéquipier Ali Samudi reçoit un projectile dans le dos. 

Immédiatement la propagande de l’état hébreu est mobilisée. Le domicile de la victime est perquisitionné. Aucune arme, aucune roulette russe n’y est découverte, ce qui aurait pourtant fait l’affaire des enquêteurs. Les réseaux sociaux aux ordres  répandent l’hypothèse invraisemblable du tireur complice. Meurtre par auto commanditation, c'est un palestinien qui aurait tué pour provoquer un cycle de violence incriminant l’innocente armée israélienne. Ben voyons ! Plus la ficelle est grosse plus grande est la quantité de naïfs qui s’y accrochent. 

Il y a 22 ans, sous les yeux de Charles Enderlin qui filme pour antenne 2, un gamin de 12 ans était assassiné dans les bras de son père par un soldat israélien. Niant l’évidence des images et pour dégager la responsabilité de son armée, Israël avait tenté de faire croire que l’assassin était palestinien. 

Aujourd’hui, un porte parole galonné admet dans une subliminale confession-lapsus que « la journaliste (Shireen) était armée d’une caméra ». Cette provocation, cette menace « armée » méritait bien une balle  ! Le Lt-colonel Amnon Shefler cancane devant la presse que les soldats israéliens « ne cibleraient jamais délibérément des non-combattants » Calomnie qui est une insulte supplémentaire à la mémoire de milliers de familles palestiniennes endeuillées. Le Premier ministre Naftali Bennett en rajoute une couche en déclarant qu'il y avait « une chance considérable que des Palestiniens armés, qui ont tiré sauvagement, soient ceux qui ont causé la mort malheureuse de la journaliste » .


Parmi les premières dépêches, un flash info fait preuve d’une extrême circonspection: «  Des gilets, clairement identifiés, ont été ciblés par des snipers israéliens » Décryptage: « Des gilets » dans lesquels il y avait peut-être des êtres humains ; « clairement identifiés » peut-être des journalistes; « ont été ciblés » cibler n’est pas tirer; « par des snipers israéliens » pas forcément des militaires. C’est d’une prudence de sioux, déjà la crainte inspire le choix des mots. Ça fait froid dans le dos. Heureusement Anthony Bellanger, secrétaire général de la Fédération Internationale des Journalistes qui rassemble 600 000 professionnels des médias a vite cassé cette langue de bois et dissipé le flou de ses confrères en déclarant: « C’est un drame. Une consœur a été assassinée délibérément par l’armée israélienne ! » Au sein des instances de la FIJ on évoque même un crime de guerre.


Le 13 mai, jour de l’enterrement de Shireen, le cercueil porté par la famille et les amis quitte la morgue de l’hôpital Saint-Joseph à Jérusalem-Est. Des centaines et des milliers veulent l’accompagner. La police s’y oppose. Elle exige un transport en fourgon. À coups de matraques elle tente de s’approprier la dépouille mortuaire. Cette scène, - très justement qualifiée d’obscène par Alain Gresh -  est diffusée par toutes les chaines d’infos du monde. L’indignation est unanime. Aussitôt, la propagande israélienne redouble d’efforts, elle répand de nouvelles sornettes pour tenter de justifier l’injustifiable. Voici l’argumentaire de la police israélienne complaisamment propagé par les médias de Tel Aviv en France.


« La Police Israélienne est intervenue pour disperser la foule et l’empêcher de s’emparer du cercueil, afin que les funérailles puissent se dérouler comme prévu, en accord avec les souhaits de la famille… » Faux, tous les membres de la famille Abu Akleh ont au cours d'une conférence de presse formellement contesté cette affirmation. « La presse internationale s’est bornée à relayer le narratif palestinien, lancé par des journalistes palestiniens installés à Gaza et d’autres sources au professionnalisme contestable… » Éternel refrain de la presse manipulée. Le but est d’instiller le doute. Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose. « Il n’y a pas d’autre explication à l’aveuglement volontaire de la presse internationale qu’un antisémitisme manipulateur et pervers… »  C’est l’argument massue suprême de l’amalgame. Israël use et abuse de la religion d’État et s’en sert comme bouclier pour écarter toutes critiques. Dénoncer la violence colonialiste de l’État hébreux est systématiquement perçu comme un crime attentatoire au peuple juif.


Cette lamentable rhétorique est reproduite dans un article publié le 15 mai par Tribune Juive, un web magazine dont je ne vous conseille pas la lecture.






https://orientxxi.info/magazine/obscenites-israeliennes-complicites-occidentales-et-arabes,5610

https://www.jpost.com/arab-israeli-conflict/article-706862