Le Théâtre du Ranelagh à Paris est situé au coeur du 16ème arrondissement, dans la paisible et sombre rue des Vignes que bordent quelques HLM incongrus dans ce quartier de grandes fortunes. Le soir, les trottoirs étroits chichement éclairés guident vers l’unique enseigne lumineuse les noctambules un peu perdus.
Dès les premiers pas, les surprises s’enchainent. Le petit hall n’est que l’entrée d’une fosse où s’enfoncent des escaliers vers un salon surprenant. On y trouve comme jetées au hasard quelques tables, des fauteuils, un canapé rococo, un glacial poêle en faïence grise de Bavière, insolite contraste avec en vis-à-vis un chaleureux petit bar bien achalandé. On patiente un verre à la main. On se sent comme en attente d’un événement familial, une cousinade peut-être… Soudain, une insoupçonnable porte à deux battants s’ouvre, le public est invité à prendre place dans une salle entièrement recouverte de panneaux de bois sculptés. On peut aimer. Une allée centrale, des fauteuils rouges alignés de part et d’autre, sur scène un mime drôlement accoutré accueille.
À l’affiche « la Nuit des rois » de William Shakespeare: une valeur sûre, jouée des milliers de fois depuis quatre cents ans. C’est une royale intrigue amoureuse fertile en quiproquos et rebondissements qui fleurent parfois la pantomime…bref, la soirée de bonne humeur est assurée.
Pourtant, dans ce théâtre suranné, à moitié déserté en cette veille de Toussaint, le pari de la compagnie Taxaudier n’est pas gagné; les trois premiers rangs sans doute réservés au VIP et à la presse sont vides.
Dès les premières répliques le public est mal à l’aise. Ça sonne faux, c’est scolaire. Le trac des acteurs tapageurs transpire jusqu’à nos oreilles. C’est la première ? Catastrophe, il va falloir tenir 2 heures sans entracte ! Soyons patient et indulgent, le livret n’est pas facile mais les costumes sont foisonnants, le décor minimaliste réduit à des immenses voiles pastels est séduisant.
Et puis, lentement, la magie opère. Tout doucement, presque insidieusement, sans doute porté par le maigre public bienveillant qui entre en communion, les acteurs prennent de l’assurance, ils se lâchent, ils dominent, ils se surpassent. La métamorphose est émouvante. Six acteurs pour seize rôles; pas facile d’autant qu’il faut bondir à chaque propos, chanter juste en polyphonie, jouer du violoncelle: bravo, bravo ! Inoubliables moments. On ressort ravi avec l’étrange et délicieuse impression d’avoir commencé la soirée dans une salle paroissiale de province pour la finir au Français.
Chapeau bas à la troupe: Mariejo Buffon, Vincent Couesme, Giulia De Sia, Jean-Baptiste Guinchard, Victoria Ribeiro, Alexandre Schreiber et à Aurélien Houver pour la mise en scène.
Le Théâtre du Palais Royal rue de Montpensier est l’un des plus beaux de Paris. Une bonbonnière de style baroque en velours rouge surchargée de motifs à la feuille d’or. On y joue à deux. Benoit Solès et son compère Amaury de Crayencour ont reçu 4 Molière. Leur pièce fait un tabac dépassant les 400 représentations. « La machine de Turing » est rodée. Elle tourne rond à plein régime, pas une seule ratée.
C’est le récit du destin tragique d'Alan Turing (1912-1954) génial mathématicien britannique, père de l’intelligence artificielle, qui contribua à percer les secrets d’Enigma la machine à crypter portative de l’armée allemande pendant la seconde guerre mondiale.
Un regret pourtant, tout comme le film « The imitation game » sorti en 2014, le scénario prend des libertés avec l’histoire. Il occulte totalement le rôle central de Gustave Bertrand, héros oublié, qui permit avec l’aide de collègues Polonais d’écourter la guerre.
Coïncidence, Benoit Solès, est né à Agen dans le Lot-et-Garonne, tout près de Bon Encontre, où ceux qui avaient subtilisé les plans d’Enigma aux allemands et cassé le code, prêtèrent serment en juin 1940 de poursuivre la guerre de l’ombre.
En sortant du théâtre, quelques grincheux historiens diront "voici un grand comédien français qui contribue à répandre une légende égoïstement britannique ! » On leur objectera que le sujet principal de la pièce et son centre d’intérêt ne sont pas la machine mais Alan Turing.
Accusé « d’indécence et de perversion manifeste », condamné en 1952 par un tribunal de Cambridge à la prison ou à la castration chimique, Turing choisira la mutilation avant de se donner la mort deux années de souffrances plus tard en croquant une pomme cyanurée. L’histoire de la machine est glorieuse, celle de Turing est épouvantable.
« Honi soit qui mal y pense » (avec un seul « n ») est la devise en français du très noble Ordre de la Jarretière britannique.
https://www.theatre-ranelagh.com/
https://www.theatrepalaisroyal.com/
https://fr.wikipedia.org/wiki/Gustave_Bertrand
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