dimanche 15 décembre 2019

Tunisie Libye, un destin commun

Au terme d'une campagne électorale à rebondissements les Tunisiens ont élu très démocratiquement en octobre dernier leur assemblée législative et leur Président. Mais l'avenir politique de la Tunisie ne s'est pas éclairci pour autant. Au plan économique, le pays est de plus en plus tributaire de la Libye. Depuis 2011, un marché commun de l'économie de guerre s'est insidieusement installé entre le modèle vertueux et le contre exemple des printemps arabes. 
La chakchouka 
C'est une ratatouille tunisienne souvent délectable mais parfois gâchée par l'excès d'épices qui la rend indigeste. À son image, la nouvelle assemblée des représentants du peuple est un salmigondi d'élus sous quinze étiquettes différentes. Ennahdha, en tête avec 52 députés sur 217 a désigné un premier ministre qui n'en finit pas de consulter pour tenter de constituer un gouvernement d'union improbable. Dés les premières séances, les représentants du peuple ont offert à l'opinion un échantillon de leur médiocrité. Ainsi, des « benalistes » nostalgiques de la dictature ont campé trois jours dans l'hémicycle empêchant la tenue des plénières ; un baron de la contrebande « repenti » ayant réussi à se faire élire s'en est retourné dans sa circonscription frontalière pour décorer des douaniers « méritants » ; d'autres de ses collègues se sont indigné que le nouveau Président de la République leur refuse le passeport diplomatique. 
Le Président Saïd, un arbitre discret
Ce parlement monocaméral mal élu au scrutin proportionnel, contraste avec l'assise populaire du Président de la République dont les pouvoirs sont limités mais qui a été plébiscité par les Tunisiens avec un score de 72,7% sous la promesse d'amender la constitution bancale. Le chef de l'État, novice en politique, se donne le temps d'apprendre son nouveau métier. Il reçoit et consulte mais n'ordonne rien. Il n'a pris aucune initiative spectaculaire dans les domaines régaliens – armée et affaires étrangères - qui sont les siens. Il faut dire qu'il doit faire face à une situation très complexe sur le plan régional et que son élection à laquelle il n'était pas vraiment préparé n'a reçu aucun des encouragements auxquels il pouvait s'attendre. On est loin de l'été 2011 où les huit puissances mondiales réunies à Deauville saluaient  l'éclosion de la démocratie en Tunisie : « Nous, membres du G8, soutenons vigoureusement les aspirations des printemps arabes"Signés : Sarkozy, Obama, Medvedev, Merkel, Berlusconi, Cameron, Harper, Kan, Barroso. On connait la suite... 
Paris boude
Alors qu'on s'attendait à un déferlement de félicitations pour ce Président irréprochablement élu, la France a salué avec modération. Emmanuel Macron n'a toujours pas fait l'effort de prononcer publiquement son nom. Le Drian n'a toujours pas trouvé le temps d'aller faire sa connaissance. Paris boude. Pourtant, Kaïs Saïed a multiplié les gestes de bonnes intentions pour dissiper ses propos de campagne électorale. Il a dépêché à Paris son Premier ministre sortant, un binational chouchou de Macron. Auparavant, il avait reçu Bertrand Delanoë l'ancien maire de Paris natif de Bizerte. L'audience de Carthage largement médiatisée, visait à contredire les propos homophobes prêtés au nouveau Président car dans les diners en ville, Delanoë menaçait de quitter sa résidence secondaire tunisienne. Il a été rassuré. Dans la foulée, le Président Saïed recevait l'écrivain Gilbert Naccache, icône de la gauche tunisienne : hommage appuyé à un Tunisien anti-sioniste de culture juive. Pour Saïed, il ne faut pas confondre état et religion : la Tunisie en guerre avec Israel est en paix avec les juifs. Mais pour Macron, tout anti-sioniste est un anti-sémite.
Washington a pareillement salué a minima l'élection de Kaïs Saïed. Mais vu du bureau ovale, la petite Tunisie a moins d'importance qu'un terrain de golf. Et puis, le moment venu, il sera bien temps de la contraindre à signer le pacte de non agression avec Israel que la diplomatie US tente laborieusement d'imposer à l'ensemble des pays arabes.
Une ambassade Club Med
Tunis figure au top des destinations quatre étoiles du Quay d'Orsay. À deux heures de Paris, la résidence de l'ambassadeur de France de la très chic station balnéaire de La Marsa est un sublime palais au milieu d'un parc enchanteur. L'ambassadeur de France n'est pas de la carrière mais du tour extérieur. Qu'importe, c'est un homme de culture passé par Radio France. Il a publié de nombreux romans à quatre mains avec son frère le célèbre télé-journaliste PPDA. C'est important pour Paris, moins pour Tunis. Amphitryon raffiné, il est courtisé des Parisiens  qui « adooorent » les week-end en Tunisie. Les Tunisiens goûtent pareillement ses réceptions généreuses, ses apparitions en jebbah chéchia sur les réseaux sociaux pour célébrer les Aïd et ses déclarations d'amour en toutes occasions. C'est de la diplomatie de petits fours disent les malveillants qui raillent cette superficialité apparente dans une capitale où les enjeux stratégiques régionaux auraient peut-être mérité un plénipotentiaire d'un autre acabit à l'exemple de ceux qui représentent les autres pays. 
Tunis, capitale supplétive de la Libye
À la frontière, la guerre fait rage entre d'une part, le pouvoir de Benghazi aidé par la France, la Russie, l'Égypte, l'Arabie Saoudite, les Émirats Arabes Unis, et d'autre part, celui de Tripoli soutenu par les Etats Unis, l'Italie, la Turquie, le Qatar. Alors dans les chancelleries de Tunis, les « alliés » ne se font pas de cadeaux ; Français et Italiens échangent parfois des noms d'oiseaux. 
C'est à Tunis que se traitent toutes les grosses transactions du voisin du Sud. Les tribus frères ennemis s'y côtoient, se répartissent les dividendes du pétrole (un million de barils/jour), se menacent et négocient en toute discrétion. En Tripolitaine, la tension est extrême. Dernièrement, à quelques kilomètres de la frontière tunisienne, des drones Predator italiens et américains ont été proprement abattus par des missiles russes (ou français). Conscient des conséquences de sa bévue et pour se faire pardonner, le maréchal Khalifa Haftar, a immédiatement promis aux américains de normaliser ses relations avec Israël. De son coté, Fayez al-Sarraj dont le gouvernement est reconnu par l'ONU a signé un accord stratégique avec la Turquie et dans la foulée, Erdogan a promis d'envoyer à Tripoli des troupes pour le soutenir. Assistera t-on à des batailles entre troupes turques et mercenaires russes ?  Et par une ironie de l'Histoire, entre forces spéciales italiennes et françaises à Tobrouk ou Koufra ?
Des intérêts liés d'une économie sous influence
En Tunisie, la Libye est présente partout mais on fait comme si elle n'existait pas. Aucun officiel ne vous en parlera. Aucune statistique ne documente le flot ininterrompu de voyageurs, capitaux ou marchandises avec la Tripolitaine dont la Tunisie est l'unique porte d’accès. Pourtant d'évidence, l'espace sociétal et économique tunisien s'étend désormais de Bizerte à Misrata. Les peuples ont fusionné. Hier la Libye comptait un million de travailleurs tunisiens, aujourd'hui la Tunisie accueille un million de réfugiés libyens, ou bien davantage car personne ne les compte. La plupart des familles sont installées en Tunisie depuis plusieurs années, leurs enfants scolarisés, les hommes font des allers retours par la route ou en avion (pas moins d'une vingtaine de vols par jour entre Tunis, Tripoli, Misrata, Benghazi) 
Pendant que la classe politique était occupée à construire la démocratie, les hommes d'affaires ont imposé leur propre modèle de gouvernance parallèle ultra libéral destructeur d'État. Pendant que l'assemblée clivait sur le débat religieux/séculier, et pérorait sur la question de doser les contraintes de l'islam sur les libertés publiques, les commerçants prenaient le pouvoir. Ce patronat de l'ombre qui finance la plupart des partis politiques a érigé un système de  compromis à la tunisienne  qui est un mode de convenance et de connivences de marchands. Aucune querelle, même celles qui conduisent en prison n'est jamais vraiment bien grave et les ennemis d'hier ont vite fait de se rabibocher pour partager les dividendes de leurs audaces. Cette caste d'initiés très influente à l'assemblée et au sein du gouvernement, a même failli acheter Carthage. 
Une économie en trompe l'oeil
À lire les indicateurs économiques, la situation est alarmante. Une croissance atone, un chômage endémique, un déficit chronique, un endettement vertigineux. Les experts alertent régulièrement sur la faillite prochaine des comptes publics. Et pourtant, à parcourir Tunis et ses gigantesques banlieues, on est saisi par l'indescriptible fébrilité des habitants. Embouteillages monstres, commerces et marchés qui débordent sur la chaussée, chantiers de constructions sauvages. La rue dément les statistiques officiels. L'économie informelle, celle qui ne paye aucun droit et n'obéit à aucune loi représenterait 54% du produit interieur brut. Dans le sud et l'ouest elle dépasserait les 80%. Pour survivre, les Tunisiens sont redevenus phéniciens ; ils se débrouillent en attendant des jours meilleurs ou l'opportunité de filer en Europe.
Cette anarchie mercantile affaiblit les faibles. Les soins sont mal remboursés, l'inflation érode les pensions et le traitement des petits fonctionnaires réduits à la mendicité ou la corruption. La concurrence abaisse le prix du travail. Le gouvernement accueille les Africains de certains pays sans régulariser leur situation. Résultat des milliers de travailleurs sans papiers corvéables à merci. On les voit dans les galeries commerciales porter le couffin des bourgeoises, servir à table dans les diners en ville, faire la plonge dans les restaurants, laver les voitures... L'ousif (le noir) généralement ivoirien ou burkinabé, souvent chrétien, toujours poli et souriant, parfaitement francophone, semble de satisfaire de sa condition transitoire de domestique.
Dans le journal en ligne Business New, Myriam ben Zineb documente l'exploitation de cette main d'oeuvre qui vient concurrencer le marché tunisien du travail de la misère. Dans le Sud, on propose 20 dinars (7 euros) aux femmes, 40 dinars aux hommes  pour aller cueillir les olives. À ce tarif, il y a toujours un clandestin somalien ou érythréen pour prendre le job. Chez les cols blancs les perspectives d'emploi ne sont pas meilleures. L'excellent journal en ligne Inkifaya décrit le quotidien d'une jeune tunisienne titulaire d'un master 2 qui survit avec un salaire mensuelle de 600 dinars (200€) chez Bolloré. Le pays compte 800 000 chômeurs dont 200 mille diplômés de l'université. Dans ces conditions, un emploi dans la fonction publique ou dans une entreprise nationale est une assurance vie que convoitent tous les jeunes. En moins de dix ans, le nombre de fonctionnaires a doublé.
Une économie de guerre et un destin commun
Le système D et les trafics en tous genres font partie de la vie quotidienne. Les grands combinards devenus milliardaires sont cités en exemple. Dans les villages proches des frontières, d'arrogants palais témoignent de la prospérité des puissants contrebandiers. Nul ne se demande d'où viennent les colossales fortunes surgies en un jour. On se contente de louer la chance de l'heureux gagnant au loto du business. « Il faut bien que je mange » dit le contrebandier, « grâce à moi, 50 familles ont du pain » dit le baron des trafiquants. Un emploi sur trois relève du travail au noir, 85% des PME en dépendent. C'est une économie de la débrouille que documente Frida Dahmani dans Jeune Afrique. La fraude fiscale représente quatre fois le déficit de l'État. On fume des Malboro algériennes de contrebande, on roule au diesel acheté clandestinement sept fois moins cher en Libye.
Ce marché commun de l'anarchie a gagné tous les secteurs de l'économie, il est alimenté par les retombées de la guerre en Libye et les financements internationaux qui soutiennent le déficit public de la Tunisie. Alors, il faudra bien un jour régulariser une situation désormais irréversible et officialiser l'union des deux pays.
Les anciens se souviennent qu'en janvier 1974, Bourguiba et Khadafi avaient proclamé la « République Arabe Islamique » de Tunisie et de Libye ; un drapeau commun, une seule armée, une constitution, un Président... Un gouvernement paritaire avait même été nommé et les électeurs avaient été convoqués pour ratifier la fusion des deux nations par référendum. Devant la bronca menaçante de la communauté internationale, Bourguiba deux semaines plus tard déchirait le traité. Mais l'histoire est patiente, rien ne lui résiste lorsque « echarb yourid » le peuple veut.

https://www.banquemondiale.org/fr/country/tunisia/overview
https://carnegieendowment.org/2018/08/21/tunisian-libyan-border-security-aspirations-and-socioeconomic-realities-pub-77087

jeudi 17 octobre 2019

Tunisie, Kaïs Saïed le Président du rassemblement

Au café de Bab Souika, une jeune fille fredonne la chanson de Barbara : « regarde, quelque chose a changé, l'air semble plus léger, c'est indéfinissable... » Au terme d'une campagne électorale débridée, rocambolesque, riche en imprévus et en rebondissements, les Tunisiens retrouvent un semblant de sérénité. L'élu était attendu par tous ceux que la lente agonie du pays attristaient. Kaïs Saïed a été plébiscité. Il est l'espoir d'un pays que les errances politiques ont réduit à la mendicité. La démocratie exemplaire post révolutionnaire saluée dans le monde entier n'a pas consolé les Tunisiens de la dégradation constante de leur pouvoir d'achat et de l'enrichissement sans cause d'une mafiocrature rescapée de la dictature. L'élection de Kaïs Saeïd est un rebond salutaire de la révolution de 2011 dont nul ne mesure encore la portée.
La victoire d'une stratégie bien préparée  Avec 72,7%. des suffrages, l'homme providentiel a écrasé son concurrent Nabil Karoui dont les déboires judiciaires orchestrés lui ont valu l'estime des démocrates mais qui n'était pas du niveau. Déjà, le 15 septembre, au premier tour, Kaïs Saïed avait balayé 24 candidats dont des poids lourds de la vie politique sans vraiment faire campagne, en refusant même les subventions et les alliances. Il doit sa victoire à trois symboles forts : le slogan echaarb yourid, le peuple veut (cri de ralliement de la révolution de 2011) ; le geste patriotique du baiser au drapeau ;  et l'emblème de la carte de la Tunisie portant le fléau de la justice. Mais aussi et surtout à un discours sobre, spontané, saccadé. Des phrases courtes comme un tweet avec parfois des accents lyriques dans une langue arabe impeccablement maîtrisée sous toutes ses formes. Sa campagne a mis en échec les lobbystes et les agences de communication tunisiennes et étrangères recrutés à grands frais par ses concurrents qui proposaient la lune et des lendemains qui chantent. Raide, austère, avare de confidences, lui n'a rien promis d'autre que de la sueur et de l'équité. Churchill sans cigare, de Gaulle sans képi. « Le peuple qui veut » lui a donné carte blanche pour l'aider à reprendre son propre destin en main. Alors fort de son score du 13 octobre qui rassemble 2,7 millions de Tunisiens, - c'est plus que les voix additionnées aux législatives une semaine auparavant - le nouveau Président de la République est désormais maître du destin du pays. Le 30 octobre prochain lorsqu'il aura prêté serment, la Tunisie qui retient son souffle ne sera plus comme avant.
Une révolution des urnes à point nommé  L'élection de Kaïs Saïed dont le taux de participation 55% est le plus élevé des trois derniers scrutins intervient au moment où toute la classe politique était discréditée. L'Assemblée des 217 Représentants du Peuple souffre d'une réputation à la hauteur de son inaction. Ainsi, durant la mandature parlementaire 2014-2019 on a compté 32 mois sans aucune séance de dialogue avec le gouvernement, pas une des 6 commissions d'investigation n'est parvenue à une conclusion... Ces échecs sont notamment la conséquence de l'absentéisme récurent des élus, documentés par les observatoires indépendants Al Bawsala et Marsad qui soulignent par ailleurs (ceci explique peut-être cela ) l’indigence des moyens mis à la disposition de la représentation nationale : 0,09% du budget de l'État soumis au contrôle a priori et a postériori du gouvernement en négation du principe de séparation des pouvoirs. 
Un sondage d'opinion réalisé en août dernier par le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux révélait avant les élections un indice de défiance et de suspicion de 76% envers les députés et de 81% envers les partis politiques. Il est en outre étonnant de constater que 62% des Tunisiens ne faisaient pas confiance à leur Président de l'époque, alors que son successeur est aujourd'hui élu avec un score de dix points supérieur à celui de leur méfiance d'hier. C'est pas ce constat d'adhésion que l'élection de Kaïed Saïed ouvre l'horizon d'un grand dessein au secours d'une démocratie en perdition.
Pas d'inauguration de chrysanthèmes ni de foire aux jasmins  Selon la constitution dont il est le gardien, le périmètre des attributions du Président se limitent à la diplomatie, la défense et la sécurité. Pour le reste, son pouvoir est celui d'un arbitre qui siffle les fautes du gouvernement.  Kaïs Saïed se contentera t-il de régner sans gouverner ? C'est improbable. Il n'est pas du genre à se prélasser dans un Palais de deux cents pièces vue mer dont le budget de fonctionnement est trois fois et demi supérieur à celui de l'assemblée des députés. Il n'a pas été élu pour profiter d'un emploi de retraité à temps partiel: nominations, inaugurations, décorations, voyages à l'étranger... Il ne s'installera pas dans le confort et les dorures surannées de Carthage au milieu de 2 600 gardes républicains en tenue de Fantasio. Les symboles, les manières et les fastes du passé vont être épurés. C'est la fin du style République bananière hérité du siècle passé. Pour bien marquer les esprits, au lendemain de son élection, il est descendu comme d'habitude boire son crème au café du coin. Une posture de démocrate scandinave ou suisse, parfaitement inédite sous cette latitude arabe et africaine.
Un gaulliste assumé  Professeur de droit constitutionnel, le nouveau Président est un admirateur de Charles de Gaulle. Sur les pas du grand homme, il a déjà esquissé son propre « discours de Bayeux ». Dans une interview accordée à l'Obs – magazine fondé par Jean Daniel, ami fidèle de la Tunisie et de Bourguiba - il expose sa vision totalement inédite : « … je souhaite une nouvelle organisation politico-administrative qui parte du bas vers le haut... La souveraineté appartient au peuple, tout doit partir de lui. C’est pourquoi, je souhaite aussi que les mandats des élus soient révocables. La constitution prévoit ses modalités de révision. Bien sûr il faut la majorité des 2/3 ce qui n’est pas facile, surtout avec l’éparpillement des voix. Ce sera à la chambre des députés de prendre ses responsabilités devant le peuple. » Le message est clair, conformément à la constitution, le nouveau Président déposera sans tarder un projet d'amendement. Les députés feront-ils de la résistance ? C'est improbable car le score présidentiel de 72,7% a modifié les rapports de forces. Dans la crainte d'une dissolution, ils feront allégeance d'autant que le nouveau Président en se proclamant indépendant à jamais, s'est positionné au dessus des querelles partisanes.
La nouvelle démocratie  Kaïs Saïed sera vite jugé sur son habileté à amender le régime parlementaire d'une chambre introuvable et d'un gouvernement ingouvernable. Son dessein et sa méthode ne sont pas improvisés.
La façon dont il a mené sa campagne en ayant l'air de ne pas y toucher démontre une intelligence et une habileté singulières longuement muries. On le croit isolé alors qu'il est probablement discrètement entouré. Le Président sait qu'il devra profiter de la dynamique de son élection et de l'état de grâce pour vaincre le mur de l'argent élevé par la communauté de connivence qui gangrène l'économie. Il disposera du soutien populaire des « ouridoun », les volontaires qui ne tarderont pas à s'organiser spontanément en mouvement de citoyens « sans-culottes ». Il pourra compter sur la loyauté des militaires qui pour la première fois étaient appelés à voter. Mais il devra aussi très vite marquer son autorité sur les forces de sécurités pour combattre la corruption et la contrebande. Reste l'administration et la gestion du pays, dévolues au Chef du gouvernement que le leader du parti majoritaire devra proposer au nouveau Président. La négociation portera sur des objectifs à résultats immédiats. Heureusement, la Tunisie ne manque pas de talent et le patriotisme économique est une valeur en renaissance dans la jeunesse. Toutes ces échéances réserveront beaucoup de surprises.
Une élection aux conséquences internationales   La popularité de l'homme nouveau devrait gagner l'ensemble du monde arabe où ses propos solidaires de la cause palestinienne sont repris sur les réseaux sociaux : « toute relation avec Israël est un acte de haute trahison ! » On attend de découvrir avec gourmandise le discours qu'il fera au prochain sommet arabe et la tête que lui réserveront ses collègues.  
Sitôt intronisé, le Président tunisien a promis que son premier déplacement sera pour Alger car l'histoire, la géographie et la bienséance imposent une visite de courtoisie à ce grand voisin où il est déjà acclamé. Ailleurs, on se renseigne, on tâte le terrain, on cherche un angle. Paris est déconcerté par cet inconnu que nul n'a vu venir et qui n'est pas comme tous ses prédécesseurs diplômé du Quartier latin.


dimanche 29 septembre 2019

Chirac chez Bourguiba

Bien avant le Roi du Maroc et le Sultan d'Oman, le Président Bourguiba fut l'amphitryon de Jacques Chirac. Il n'était pas d'année sans que le député ou ministre leader du RPR de l'époque ne passât quelques journées d'hiver au Sahara Palace dans la douce palmeraie de Nefta aux portes du désert. Promenades romantiques; réunions discrètes et tractations secrètes avec des hommes politiques de tous bords; rencontres « fortuites » avec des touristes; parties de rigolade chez le mage Taleb Ammar qui lisait l'avenir dans le sable; farniente au bord de la piscine en bouffant des dattes et des amandes un verre de bière à la main. Dans cet espace de liberté et de laisser- aller, jamais épié ni trahi, Chirac se sentait à l'aise. Il se ressourçait mieux qu'en Corrèze. Bourguiba qui veillait sur sa tranquillité le conviait à déjeuner lorsqu'il sollicitait une audience.

En 1981, le Président tunisien qui passe prématurément pour gâteux à cause d'une mâchoire tremblotante provoquée par une opération dentaire malheureuse, suit d'heure en heure la campagne présidentielle française. Le Président Giscard d'Estaing qui se représente pour un second mandat, et pour lequel son homologue tunisien a une admiration fidèle, risque d'être mis en difficulté par la candidature incongrue de Jacques Chirac son allié d'hier. C'est une trahison marmonne sans cesse Bourguiba qui redoute l'élection de Mitterrand avec lequel, malgré de nombreux amis communs, il n'a jamais copiné. Les résultats du second tour le mettent en fureur. Chirac a fait perdre la droite. Il est aussitôt déclaré persona non grata à Carthage.
À force d'interventions et de manœuvres de séduction, Bourguiba finit pas se laisser convaincre de le recevoir, mais de façon strictement protocolaire. Après tout, Chirac est maire de Paris.

Dans un carnet de mémoires, un témoin rapporte la scène : 
Flanqué de l'ambassadeur de France, Chirac tout sourire se précipite et débite un compliment chaleureux. Long silence de Bourguiba qui fait semblant de chercher ses mots, puis déclame la célèbre tirade de Flambeau d'Edmond Rostand dans l'Aiglon

Et nous, les petits, les obscurs, les sans-grades,
Nous qui marchions fourbus, blessés, crottés, malades,
Sans espoir de duchés ni de dotations;
Nous qui marchions toujours et jamais n'avancions....

Et reprenant son souffle, Bourguiba théâtral enchaine

Et voilà ! C'est le traître d'Essonnes !
Et pour dire : trahir....le peuple – tu frissonnes ? -
Le peuple a fabriqué le verbe raguser !
Ne vous laissez donc pas en silence accuser

Chirac est blême, le sourire éclatant est crispé. Il fait mine de ne pas avoir compris l'allusion au Maréchal Marmont, duc de Raguse qui trahit Napoléon. 
Pendant des mois, en petit comité, Bourguiba s'amusera à conjuguer le verbe "chiraquer" avant d'être lui même... mais ceci est une autre histoire.





samedi 28 septembre 2019

Comment le Yémen a vaincu MBS et Trump

À la façon de Geneviève Tabouis, l'auteur de ces lignes prédisait il y a quelques années que la coalition militaire saoudienne se casserait les dents au Yémen. Aujourd'hui, non seulement une armée de squelettes affamés a repoussé les légions de mercenaires conduites par des officiers repus, mais elle menace directement les infrastructures vitales de l'Arabie et fait trembler les marchés de Londres et de New York. Elle pourrait bien demain imposer ses conditions à la reddition des Saoudiens qui prétendaient hier encore la soumettre.
Asterix le Houthi
La référence à Astérix n'est pas caricaturale quand on mesure l'écart entre les forces en présence. À l'origine on trouve d'un côté la résistance des Houthis soit environ cent mille combattants qui ont conquis la capitale Sanaa avant de fédérer la plupart des tribus du nord et du sud à l'exception de l'Hadramaout occupé par Al Qaïda. De l'autre côté à l'offensive, les forces armées d'Arabie et des Émirats Arabes Unis coalisées, servies par des régiments de mercenaires, le tout formé et équipé par les États Unis et l'Europe. Soit des centaines d'avions de combat, des milliers de chars et de canons, une puissance de feu en matériels conventionnels terrestres et aériens supérieure à celle de la France. 
Depuis 42 mois, le Prince MBS héritier du Royaume d'Arabie tente de mettre à genoux ses voisins : 16 000 raids aériens selon les agences de renseignement soit un chapelet de bombes toutes les deux heures, des offensives de chars, des tirs de salves de missiles... Bilan : des centaines de milliers de civils tués ou mutilés, des millions d'affamés.
Rares sont ceux qui avaient prédit que les agressés résisteraient jusqu'au dernier, mais aucun n'avait imaginé que les petits guerriers yéménites en jupe bariolé renverseraient la situation militaire en leur faveur. Tout comme le Hezbollah au Liban qui nargue Israel, les Houthis à la tête du Yémen défient l'Arabie Saoudite. Ces « ONG de résistance armée » mettent en échec les forces d'États puissants. Ce type de confrontation par procuration n'est pas inédit, mais ce qui est nouveau c'est que les armes du pauvre se révèlent bien plus dissuasives que celles du riche.
La révolution des armements
La couteuse quincaillerie exposée dans les salons internationaux de l'armement est frappée d'obsolescence. Les armes cybernétiques et téléguidées sont bien plus redoutables que les chasseurs bombardiers, les tanks, les frégates et même les portes-avions. Elle menacent désormais les infrastructures stratégiques et mettent en échec tous les systèmes de défense. La récente attaque qui a perturbé la production pétrolière saoudienne en est un récent exemple. 
Il faut savoir qu'avant d'être exporté, le pétrole d'Arabie doit être débarrassé de ses impuretés en passant dans de gigantesques « lessiveuses ». La principale d'entre elles, Abqaiq, a été bombardée le 14 septembre dernier ; paralysant le quart de la production de l'Arabie pour des mois voire des années, car on ne trouve pas sur étagère les pièces de rechanges pour ce type d'installations. Le coup est très dur pour la Saudi Aramco qui était sur le point de lancer son offre de privatisation. Qui en ce moment voudra se porter acquéreur d'une entreprise ciblée ? C'est de surcroit un signe de malvenue pour Abdulaziz ben Salman, fils du roi et frère de MBS qui venait d'être fraichement nommé ministre de l'énergie.
Cet attentat revendiqué par les Yéménites est un secret mystère. D'où ont été tirés les projectiles ? Les radars des avions AWACS, les satellites géostationnaires, les drones de haute altitude et autres observateurs d'alerte sophistiqués capables de détecter une taupe dans votre jardin n'ont rien vu venir. La confirmation de l'usage de projectiles furtifs à longue portée indétectables constituerait une révolution sans précédent dans le petit monde de l'armement car il conférerait à son possesseur une supériorité décisive sur tous les théâtres d'opérations. Quel est le pays qui a mis au point le missile invisible ? Question qui taraude tous les États Majors militaires du monde au point que certains « spécialistes » préfèrent pour se rassurer, attribuer les frappes à un essaim de deux douzaines de petits drones téléguidés par des opérateurs à vue ou dissimulés à quelques kilomètres de la cible. Ils évoquent des engins aux composants disponibles dans le commerce pour cinq à dix mille euros qui auraient été astucieusement armés et bricolés par des émules de MacGyver. Les drones auraient été acheminés en pièces détachées par des caravanes de dromadaires, puis assemblés discrètement sous des tentes qui auraient pareillement dissimulées les rampes de lancement. Pour échapper aux radars, les engins auraient volé en rase motte depuis les quelques kilomètre qui les séparaient de leurs cibles. Cette hypothèse est plausible, mais elle suppose de solides complicités locales et révèlerait alors l'existence d'une « cinquième colonne » d'insurgés maquisards saoudiens. Ce que nul penseur unique ne saurait admettre car en son royaume, MBS n'a plus d'ennemi encore en vie.
Cet acte de guerre spectaculaire a secoué le prix du baril et effrayé les marchés qui se demandent avec colère quelles seront les prochaines cibles de ces yéménites qui ont désormais la folle audace de s'attaquer au pétrole sacré.
Les américains prévoient le pire
Pour connaître les prochains objectifs dans le collimateur des Yéménites, nul besoin d'être devin. Il suffit de parcourir l'excellent travail des chercheurs américains qui ont probablement quelques lecteurs dans les montagnes reculées du Yémen. Le 5 août dernier, sous le titre « Iran’s Threat to Saudi Critical Infrastructure » the Center for Strategic & International Studies qui est proche du Pentagone, publiait la liste des sites saoudiens vulnérables. Le talentueux CSIS rappelait que la production du pétrole d'Arabie est stabilisée dans des usines de stabilisation dont la plus vulnérable est Abqaiq ». « ...Abqaiq is the most vulnerable. It is the world’s largest oil processing facility and crude oil stabilization plant, with a capacity of more than 7 million barrels per day (bpd) ».  C'est précisément celle qui a été attaquée le 14 septembre. Autres maillons faibles pointés dans ce rapport, les deux stations de pompage de l'oléoduc de 1200 km reliant le golfe à la mer Rouge: Al-Duwadimi et d’Afi . Bien vu. Elles ont été attaquées et gravement endommagées en mai dernier. Pudiquement, le rapport ne dit pas que les boucliers d'interception Thaad acquis en 2017 pour 15 milliards de dollars et les 6 batteries de Patriot à un milliard pièce n'ont rien vu passer ! Il préconise même le renforcement de ces couteux équipements inopérants, alertant au surplus que des menaces d'attaques pèsent sur neuf raffineries et sur les trois terminaux du plus grand port pétrolier du monde, Ras Tanura. Les conséquences internationales de leur neutralisation ne sont pas documentées, mais on imagine avec peine les conséquences d'un super choc pétrolier. Des observateurs se sont demandé à qui profiterait une soudaine flambée du prix du baril de pétrole ? À l'Iran, à la Russie, aux États Unis.... ? Et si tout simplement les Yéménites et un groupe de réfractaires saoudiens s'étaient alliés pour punir et chasser les Salman du trône ? Il est révélateur que ces attaques n'aient fait aucune victime : comme si on avait voulu épargner la fratrie et surtout, ne pas se comporter comme les sanguinaires que l'on combat.
L'arme de dissuasion suprême
Sous la pression de cette avalanches de menaces, les négociations en coulisses vont bon train. Les Emirats Arabes Unis qui ont perdu des dizaines d'officiers dans les combats d'Aden et d'Hodeida sont terrorisés à l'idée d'une attaque sur Dubaï ou Abu Dhabi qui aurait des conséquences inimaginables sur leur devenir. Alors, ils ont préféré jeter l'éponge et se sont retirés du bourbier. Reste l'Arabie de Ben Salman et l'Amérique de Trump qui s'obstinent encore, croyant que quelques GI et rampes de missiles de plus pourront sauver leur dynastie d'une déchéance programmée. Dans ce contexte, il est probable que les Yéménites qui exigent en préalable l'arrêt des bombardements, feront encore monter la pression et réclameront des compensations et réparations pour dommages de guerre. Le CSIS documente d'autres infrastructures vulnérables. Notamment les systèmes de contrôle et d'acquisition de données en temps réel (SCADA) qui a déjà été attaqué par des hackers, mais surtout il mentionne l'arme suprême, non encore été utilisée : celle de la soif. L'eau de mer désalinisée représente 70% de la consommation d'eau potable de l'Arabie. Il existe 7 500 usines de traitement sur le Golfe Persique. La plus gigantesque au monde est celle de Ras el Khair. C'est un otage en puissance. Le complexe industriel alimente en eau douce la ville de Riyad grâce à deux tubes d'acier de 2 mètres de diamètre et de 450km de long qui débitent 800 mille m3 par jour ! L'attaque ou le sabotage des installations de Ras el Khair condamnerait à la débandade 6 millions d'habitants. Les prédicteurs savants ont calculé que la population aurait très exactement huit jours pour évacuer la capitale. Attendez vous donc à savoir que le pire sera peut-être évité.

lundi 16 septembre 2019

Tunisie Kaïs Saïed, l'homme providentiel ?


En deux semaines, un nouveau zaïm est sorti du rang. Crédité de trois pour cent des intentions de vote en début de campagne au premier tour de l'élection présidentielle, cet inconnu des médias est largement sorti en tête du scrutin et sera probablement proclamé le mois prochain huitième Président de la République Tunisienne.
Le pays était empêtré dans des querelles politiciennes sans issue et soudain le peuple a voté : « dégage ! » Tous les partis politiques ont été balayés. 24 des 26 candidats ont été éliminés parmi lesquels un ancien Président de la République, le Premier ministre en exercice, deux anciens Premiers ministres, le Président de l'assemblée, une palanquée d'anciens ministres...Finalement l'électorat aura pour une large part sanctionné des incapables avérés par leur bilan catastrophique.


Le constat premier glorifie la démocratie. L'incubateur tunisien est prometteur, sa vivacité est de bonne augure pour l'avenir. On croyait l'opinion tunisienne ficelée par les combines, influencée par les réseaux sociaux, soumise à la dictature des médias, bref sensible aux propagandes de toutes sortes. Il n'en est rien. L'électeur est clairvoyant. Avec colère il a sélectionné pour le second tour deux finalistes clivants : Kaïs Saïed,19% des voix est professeur de droit, son challenger l'homme d'affaires Nabil Karoui, 15% est en prison. Par ce choix singulier et inattendu, les tunisiens clament leur soif de justice et leur mépris pour ceux qui ont tenté de les instrumentaliser.

Nabil Karoui a bénéficié de l'effet de victimisation. Le Chef du gouvernement, le tunisois (beldi) Youssef Chahed, probablement à l'origine de l'arrestation de son rival s'est tiré une balle dans le pied. Chez les bédouins, l'enfermement n'est pas une infamie, au contraire, c'est une marque de fierté. Ainsi, comme pour convoler il faut prouver son audace, il n'est pas rare que le fiancé provoque le gendarme pour passer son brevet de témérité. Autres électeurs attendus sans surprise : les plus démunis ont voté pour celui qui depuis trois ans sillonne le pays avec des vivres et des médicaments. Il y a aussi les femmes qui se sont solidarisées avec Salwa Smaoui Karoui, l'épouse exemplaire du prisonnier, propulsée devant les caméras pour plaider en faveur de son mari : sobre, éloquente, sincère, admirable. Mais l'avenir est sombre. Nabil Karoui sortira-il de prison pour affronter le second tour ? Sera t-il jugé et condamné dans les prochains jours ? Sera t-il judiciairement empêché de se présenter et dans ce cas, obligé de céder sa place à l'islamiste Abdelfattah Mourou arrivé en troisième position? Sera t-il gracié in extrémis ? L'imbroglio tunisien réserve encore des scénarios surprises dont quelques uns pourraient être violents. L'Élysée surveille la situation comme le lait sur le feu.


Kaïs Saïed est tout l'inverse de Nabil Karoui. Il déteste le clinquant et dédaigne l'argent. Pas le genre col ouvert et tape dans le dos. Il s'exprime en arabe classique : la phrase est courte, le verbe précis, le geste rare. Ascète jusque dans son apparence. Stricte costume sombre posé sur un corps longiligne au ventre plat. Droit comme un i, il se déplace avec lenteur, maîtrisant l'effet de sa présence sur l'assistance. Il y a de l'aristocrate chez cet homme au regard droit. Il n'a pas de parti, pas de mouvement, pas de communicant. Il ne court pas les micros et les caméras. Nul n'est parvenu à lui arracher quelques confidences. Son aspect d'homme ordinaire est extraordinaire. Dans un pays où le moindre petit chef joue les importants et roule carrosse, il prend le bus ou le métro, échange avec le passant, loge dans un appartement conforme à son salaire de fonctionnaire. Ce professeur de droit respecté par ses étudiants est un pur produit de l'élite académique tunisienne, il n'a pas fait d'études à l'étranger et il ne figure sur aucune liste des invités dans les ambassades. Patriote, intègre, indépendant, il est porté par son slogan « le peuple veut », évocation intelligente du célèbre vers d'Abu Kacem Chebbi chanté par tous les révolutionnaires des printemps arabes « si un jour le peuple veut revenir à la vie... » Élu Président, Saïed proposera à la nouvelle assemblée qui sera désignée le 6 octobre prochain d'amender la constitution pour renverser la pyramide des pouvoirs et innover une forme de démocratie participative. Homophobe avoué, opposé à l'égalité successorale des genres, favorable à la peine de mort, ses détracteurs le disent borné, anarchiste, islamiste, facho... mais ils savent que plus il sera insulté, plus il engrangera les suffrages. Pour autant, saura-il soumettre les forces de l'argent qui depuis quarante ans font la pluie et le beau temps ? Il y a du de Gaulle chez cet homme providentiel qui se fait une certaine idée de la Tunisie. Son élection à Carthage marquera un tournant majeur dans le processus de la révolution démocratique tunisienne et par mimétisme, peut-être aussi le début de nouveaux chambardements dans le monde arabe.


mardi 10 septembre 2019

Tunisie, la démocratie à l'épreuve de Nabil Karoui


Au terme d'une campagne électorale passionnée et passionnante suivie à la loupe dans tous les pays arabes, les Tunisiens voteront le 15 septembre pour le premier tour de l'élection présidentielle. Trois semaines plus tard, ils seront appelés à élire leurs députés. Le laboratoire de la démocratie arabe qui compte 11 millions d'habitants affiche deux centaines de partis politiques, quelque 15 000 candidats à la députation et 26 à la magistrature suprême. Cette vitalité masque la situation politique complexe d'un pays à la recherche de son destin post révolution.
Une démocratie représentative en panne La liste des candidats à l'élection présidentielle trouve un ancien Président, trois anciens Premiers ministres, neuf anciens ministres, huit médecins, quatre avocats... Sauf surprise improbable, la Tunisie ne sera pas présidée par une femme. Elles sont seulement 2 à se présenter. Pour témoigner de l'exception tunisienne, c'est bien peu. Ce renoncement est une violence faite à elles mêmes car tant qu'elles ne se mêleront pas de politique à parité, la démocratie sera tronquée.  
L'an dernier, les deux tiers des inscrits se sont abstenus de voter aux municipales. Tout comme celles de la dictature d'hier, les institutions d'aujourd'hui restent perçues comme les lieux de partage d'un pouvoir détourné au profit de quelques malins. La jeune constitution qui repose sur des mécanismes du passé ne paraît pas répondre aux aspirations participatives et de partages qui s'expriment sur la toile et dans les lieux publics. Ainsi, le nombre d'inscrits sur Facebook et sur les listes électorales est équivalent. Les réseaux sociaux sont devenus le lieux d'échanges politiques où chacun affiche ses préférences, ses indignations, ses opinions et ses choix. Cette dynamique revendicative d'expression directe se prolonge dans la rue où l'on observe pas moins de vingt manifestations par jour. La plupart sont spontanées. Cette forme d'expression a le mérite d'échapper à toute propagande des médias, sans pour autant être à l’abri des officines spécialisées dans la manipulation et l'influence de masse. 
Une soif de justice  Il y a huit ans, le dictateur s'enfuyait en Arabie avec un butin estimé par Transparency International à 13 milliards de dollars soit le tiers du PIB annuel. Par une déraisonnable comparaison cela représenterait 400 milliards d'euros à l'échelle de la France ! À ce jour, Ben Ali et sa mafia n'ont pas restitué grand chose. Dictateur est un job en or sans risque. Sur les hauteurs de Sidi Bou Saïd, son Palais semble attendre son retour. Les membres de sa famille et ses complices ont été mollement poursuivis. La plupart des procès traînent en longueur ou se concluent par des transactions.  Selon que vous serez puissants ou misérables... 
Aucune des lois liberticides qui permettaient au satrape d'intimider les citoyens n'a été abolie. Elles continuent de jeter en prison des milliers de personnes pour des délits de pacotilles : fumeurs de joints, flirt, homosexualité, adultère, chèques sans provisions, suspicion de malversation... Le pouvoir s'accommode d'un code pénal de fer que les juges qu'il a nommés appliquent sans états d'âmes.  
Les Tunisiens ne cherchent pas la revanche, seulement la justice. Ils se souviennent qu'il y a six ans, deux de leurs députés étaient abattus en pleine rue. C'étaient les plus brillants, les plus populaires, ils portaient l'espoir d'un avenir de justice et d'équité. Hélas, dans un pays où tout se sait; où les traditions ancrées par des décennies de délation facilite la tâche des agents qui traquent les cachotteries; où des centaines de barbouzes de toutes nationalités coopèrent à la lutte contre le terrorisme international....dans ce pays là, après six ans d'enquêtes à rebondissements, nul ne sait comment, pourquoi, et par qui ils ont été assassinés. « Il ne faut pas que des révélations viennent diviser les Tunisiens ». Argument suprême qui permet d'enfouir dans l'oubli toute volonté de vérité et de justice.
Une sécurité discrète mais omniprésente Depuis l’assassinat de Belaïd et Brahmi, les hommes politiques peuvent obtenir une protection rapprochée. Ceux qui n'en n'ont pas se sentent menacés ou négligés, alors par peur ou pour jouer les importants, ils demandent au gouvernement un garde du corps. Il y a quelques rares exceptions comme celle de la députée Bochra bel hadj Hamida Présidente de la Commission des Libertés Individuelles et de l'Égalité. Mais la plupart des autres personnalités bien moins menacées paradent et frissonnent d'importance aux côtés d'un cerbère à oreillette. Il faut reconnaitre que la situation sécuritaire générale est préoccupante. L'observatoire Marsad, relève que le budget du ministère de l'intérieur a doublé depuis la révolution « Cette hausse s'explique par les besoins accrus en équipements et en ressources humaines dans le cadre de la lutte contre le terrorisme ». Les effectifs des forces de l'ordre, police et gendarmerie, sont de 80 000 hommes ; ils seront augmenté de 7 000 hommes d'ici la fin de l'année. La densité policière est deux fois plus élevée qu'en France.  
Reste que la Tunisie demeure le seul et unique pays arabe classé « libre » sur le baromètre de l'ONG Freedom House même si son dernier score de 30 sur 40 est en retrait de 6 points par rapport à 2017. 
Un bilan économique préoccupant La coalition d'islamistes et de conservateurs de centre droit n'est pas parvenue à relancer l'économie. Empêtré dans les querelles d'égos et de minarets, le gouvernement n'a pas gouverné, il a administré, ce qui n'est pas un moindre mérite. La croissance stagne, la production industrielle baisse, les déficits se creusent, le dinar joue au yoyo, le chômage est supérieur à 15%, la lutte contre la corruption est un chemin pavé de bonnes intentions, enfin la Tunisie a été mise à l'index comme état blanchisseur et paradis fiscal susceptible de financer le terrorisme.  Des efforts ont été entrepris ces derniers mois par le gouvernement Chahed mais ils ne sont pas à la mesure du sinistre qui se creuse.  
C'est dans ce contexte fragile que les élections générales portaient la promesse d'une avenir moins difficile. Las, le processus démocratique qui se voulait exemplaire a trébuché sur un cailloux. Alors qu'au mois de juillet les sondages - ils sont interdits pendant la campagne électorale - lui prédisaient la victoire, le candidat Nabil Karoui après moult péripéties rocambolesques s'est retrouvé en prison.
Retour sur le jeudi noir 27 juin:  Caïd Essebsi, nonagénaire Président de la République est hospitalisé. Simultanément, deux kamikazes se font sauter provoquant un vent de panique dans la capitale. À l'ombre des Palais, d'aucuns appellent à déclarer la vacance du pouvoir. Pour prévenir le « coup d'État institutionnel », dont il est informé, le ministre de la défense menace les conjurés de faire sortir les chars. Pendant quelques heures, la république vacille. Heureusement, le Président sort rapidement de son coma. Il ne mourra qu'un mois plus tard laissant le gouvernement dans l'embarras car le vieillard jusqu'à son dernier souffle, a refusé de signer la mise en vigueur d'une loi « scélérate » votée le 18 juin qui pour des motifs cousus de fil blanc rendait inéligible Nabil Karoui.
Les diplomates réagissent à leur façon L'onde de choc de ce jeudi noir sera perceptible jusque dans les chancelleries. Officiellement pour des raisons de sécurité mais aussi sans doute pour manifester sa mauvaise humeur, l'ambassadeur des États Unis, un diplomate chevronné, décidera de fermer pendant quelques jours les portes de l'ambassade et du consulat au public. Pire, il annulera au débotté la réception du National Day du 4 juillet. Du jamais vu. L'ambassadeur de France Olivier Poivre d'Arvor - qui n'est pas de la carrière - prendra le contre pied en assurant le premier Ministre Youssef Chahed de son complet soutien. Le 14 juillet il accueillera à la résidence le gouvernement presque au complet et deux semaines plus tard, le Président Macron se déplacera aux obsèques du Président Caid Essebsi. 
Décryptage : à la veille des scrutins présidentiels et législatifs, la France a clairement fait le choix de l'équipe sortante, donnant l'absolution à la coalition islamo-conservatrice. Les Américains dont aucun représentant de haut niveau n'était présent aux obsèques du Président, se sont montrés plus prudents. 
Par un effet boomrang, la diplomatie française a provoqué la riposte mesquine des adversaires du Premier ministre-candidat Youssef Chahed qui a été contraint de devancer la révélation de sa bi-citoyenneté et de demander à Paris de le dénaturaliser en urgence. Les autres candidats tuniso-français s'étant dans la foulée engagés à abandonner leur allégeance à la France pour le cas où ils seraient élus. 
Karoui menotté La loi anti-Karoui n'ayant pas été promulguée, ses rivaux se sont rabattus sur les lois en vigueur. Déjà mis en examen pour des délits financiers qu'il conteste, le candidat à la Présidentielle a été interpelé et écroué quelques jours avant le début de la campagne électorale. Invoquant la séparation des pouvoirs et l'indépendance de la justice le gouvernement a nié toute instrumentalisation. Reprenant l'argument, l'Instance Supérieure Indépendante pour les Élections, en présumant l'innocence de l'accusé en attente de jugement, a confirmé la validité de la candidature du détenu. C'est ainsi que le laboratoire de la démocratie arabe s'est retrouvé dans l'extravagante situation d'un candidat contraint de faire campagne derrière les barreaux et sans autre possibilité d'expression que celle d'un parloir hebdomadaire avec son épouse ou son avocat. 
La République fragilisée Karoui fait tache sur le parcours post révolution de la démocratie tunisienne. Quel que soit le résultat du scrutin de dimanche prochain, le premier tour des élections présidentielles en Tunisie laissera le souvenir amer d'un déni. On regrettera que cette affaire n'ait pas été l'occasion d'un débat public sur les principes du droits et l'urgence de nommer enfin des juges à la cour constitutionnelle. Loin de ces considérations fondamentales, on s'est empressé de mettre en doute la sincérité de l'engagement caritatif du candidat incarcéré qui sillonnait le pays depuis trois ans pour distribuer aux miséreux des camions de vivres et des médicaments ; on a dénoncé ses méthodes de marketing agressif, critiqué son inexpérience des affaires publiques, son goût pour le clinquant... Il est populiste, opportuniste, politico-mafieux, il sent le souffre, il est soufi, d'ailleurs ses frères psalmodient en continu 4444 fois la prière du feu salat nouriyah, celle qui dénoue les nœuds....Par delà ce tombereau d'imprécations, le mérite de Karoui est d'avoir quitté la table tunisoise des compromis pour aller en province sur le terrain. D'avoir traduit les intentions en actes. Le pouvoir maladroit a transformé ce milliardaire des pauvres en victime alors, il va probablement capter les votes de tous les révoltés. S'il se hisse au second tour, ce sera la révolution ou le coup de force. S'il est disqualifié au premier tour, il sera jugé et pendu par les pieds, et entrera dans l'histoire comme celui qui a osé braver « le système », un Ali Ben Ghedhahem : nom de celui qui s'insurgea contre le Bey en 1864 avant que les choses ne redeviennent comme avant. 


https://www.businessnews.com.tn/Sc%C3%A8nes-cocasses-du-jour-de-la-pr%C3%A9sidentielle%E2%80%A6-et-des-jours-d%E2%80%99apr%C3%A8s-,523,90812,3

jeudi 29 août 2019

Là-bas l'air est si doux qu'il empêche de mourir

Voici des semaines que je colloque avec moi même sur un sujet qui n'intéresse que moi. Pour tromper la solitude de cette réflexion, je soumets à quelques lecteurs indulgents le partage de cette épreuve qui abuse de leur temps.
Les pays arabes ont une douceur commune unique, celle de leurs hivers. D'octobre à mai, de Tanger à Manama, la température est clémente. Le soleil tempéré, les brises légères apaisent l'arthrite des vieux et réveillent l'esprit de la jeunesse. C'est en cette saison que fleurissent les révolutions qui souvent flétrissent au printemps.
Où hiverner cette année telle est ma question. Regardons ensemble le catalogue des destinations. 
L'Égypte charme chaque instant. Splendeur des paysages et des monuments, générosité et malice des habitants. Misr oum eddoniya. Égypte mère du Monde. Certes mais : insupportable misère, insupportable régime de terreur, insupportable dictature palpable à chaque instant. Passons notre chemin. 
Le Soudan voisin qui n'est guère différent est en passe de redevenir fréquentable. Patientons quelques saisons.
La Libye est une beauté méconnue. Déserts fascinants, plages sans fin, montagnes boisées et cascades limpides du Djebel Akhdar. Une population plurielle, des hommes fiers qui émergent d'une histoire millénaire ignorée. Voir Cyrène et mourir ! Probablement. Alors, ne nous pressons pas.
L'Algérie dépasse en attraits les autres terres d'Afrique du Nord, elle a tout pour plaire, sauf pour le confort du touriste qui d'ailleurs ne s'y hasarde guère. Depuis deux générations, les Algériens sont en réunion de famille. Ils se chamaillent et lavent leur linge sale. Ils sont trop occupé, alors ils délaissent leur bien-être et celui de leurs visiteurs. Tout y est devenu aléatoire, même l'aspirine et l'eau du robinet. Attendons que le hirak de quelques vendredis de plus fassent renaitre le pays.
En Tunisie, depuis huit ans que la révolution a éclos, elle n'en finit pas de perdre ses fleurs et de faire des bourgeons. Partir méditer chez les humbles dans le village perché de Chebika en relisant Jean Duvignaud, négocier pendant des heures l'achat d'une rose des sables pour le plaisir de siroter un thé en bonne compagnie. C'est tentant.
La Mauritanie m'est inconnue. Souvenir fugitif d'un voyage éphémère dans une capitale sans charme. Vue d'avion des dunes de sables résistant aux vagues de l'Atlantique. Les hommes bleus sont dignes et taiseux. Sauf à errer à dos de chameau dans le Sahara sans fin à la recherche de météorites ... je crains de me lasser.
J'allais oublier les Marocains : les plus fidèles des Arabes qui n'oublient jamais de rendre au centuple les bienfaits qu'on leur fait. Dans le royaume chérifien on est partout un hôte choyé. Ce n'est pas un hasard si chaque mois, un million de touristes y affluent. Le pays est vaste, il cache des milliers de paradis à explorer. Du coté de Tétouan au pied du cimetière de mes ancêtres les Gomari, un seul me suffira.
À Djibouti, de l'autre coté de l'Afrique cornue, la richesse côtoie la détresse. C'est un État garnison ou les uniformes de huit nationalités croisent les gueux. Chaque promenade est un choc. Sur le rivage d'Obok, rien n'a vraiment changé depuis Rimbaud. Les descendants d'Abdi, le docile petit mousse de Monfreid, sont pareillement soumis aux humiliations des raïs de boutres. Qu'irai-je y faire à part la charité de quelques pièces.
La Somalie voisine est une plus grande misère encore. Les requins abondent en mer et sur terre. La survie du plus fort est la loi des humains. Des femmes et des hommes de petite taille sont tous beaux avec leurs yeux qui pétillent. Communion parfaite dés la poignée de main. Hélas, je suis trop vieux pour y survivre huit jours à la guerre ou à la maladie même dans le paisible État fantôme du Somaliland.
Le Yémen est à la droite du cœur des Arabes. Aden, son port principal est construit autour du cratère d'un volcan de lave noire. C'est la ville la plus laide du monde mais elle cache quelques sublimes criques de sable blanc où paressent des tortues géantes et quelques couples de poètes insensés. Les femmes sont gracieuses, les hommes malicieux. Tous sont courageux. Au siècle dernier, ils ont vaincu les troupes britanniques, égyptiennes, soviétiques... Depuis quatre ans ils mettent la pâtée aux Saoudiens qui voudraient les asservir. Revoir Sahyoun, Tarim, Moka, Taez et Sanaa...serait un plaisir mais au prix de grands périls.
L'Arabie envoutante est hélas saoudite. La très sainte destination des pèlerins serait la terre promise des hivernants si sa gouvernance n'était pas féodale. Pour faire régner l'ordre par la terreur, on sabre chaque vendredi en place publique. Jamais moins de deux cents cous par an ! À éviter absolument.
En Irak, l'hiver est la plus belle saison. Ah, remonter lentement le Tigre et l'Euphrate depuis le Chott el Arabe jusqu'à Falloudja, puis, si on est encore vivant, pousser jusqu'à Damas. Soyons fou, osons aller à la rencontre des merveilles de la Mésopotamie et du Levant! Osons flâner en Syrie, musarder au Liban, méditer à Qods, se baigner à Gaza et pour finir, tenter de libérer la Palestine en jetant des pierres aux voleurs de terres. 
La Jordanie est sans grand risque, sa capitale Amman est sans charme, mais Pétra mérite l'excursion. 
Le Qatar sur le Golfe Persique est un bac à sable dont les poussières et les vapeurs de gaz piquent les yeux. Sa capitale Doha est une base de survie pour milliardaires et domestiques. Hotels de luxe et hypermarchés. On s'y ennuie copieusement.
Le Koweit n'est pas plus attractif, c'est Monaco sans corniche ni casino.  
Bahrein est pire. Ni l'un ni l'autre ne valent le détour sauf pour les Saoudiens qui viennent en voisin et en cachette y boire un coup
Les Emirats Arabes Unis sont au nombre de sept. Le plus riche est Dubaï, le plus puissant Abu Dhabi. Deux villes prodigieuses de modernité et de confort. Les cinq autres petits royaumes n'ont pas grand intérêt. Les Émiriens sont des gens charmants dont la compagnie est toujours agréable. Mais ils sont rares car très peu nombreux. On peut passer un an chez eux sans jamais en croiser un seul. Ne pas oublier d'emporter quelques volumes de la Pléiade pour ne pas bronzer idiot.
Le Sultanat d'Oman sommeille à l'embouchure du Golfe Persique en bordure de la mer des Arabes. C'est un pays méconnu. Le vieux sultan est à l'image des contes pour enfants: inlassablement il prêche la concorde. Il ne s'est jamais fâché avec quiconque. C'est un sage qui règne sur un peuple de sages musulmans: les ibadites. Ces héritiers de la plus ancienne école de l'islam sont  tolérants. Ils consacrent leur vie à aimer, oui à aimer (vous avez bien lu). Mascate, la capitale est une jolie ville où Chirac séjournait souvent en fin d'année, Salalah est une oasis sur mer où tout n'est que sérénité calme et beauté. En hiver, Oman est définitivement la seule terre paisible du Moyen Orient où il fait bon vivre.
Finalement, sur la vingtaine de pays arabes précités seulement trois sont compatibles avec mes exigences de confort et d'éthique. Entre le Maroc et       Oman mon cœur balance. Mais il y a aussi Djerba, l'île tunisienne peuplée de gentils ibadites de la même école que leurs frères d'Oman. Djerba la plus belle des escales d'Ulysse évoquée par Flaubert dans Salammbô: « cette île couverte de poudre d'or de verdure et d'oiseaux, où les citronniers sont hauts comme des cèdres et où l'air est si doux qu'il empêche de mourir ». Par les temps qui courent, ce n'est pas rien !