vendredi 29 juillet 2016

L'art brut de Fernand Chatelain et Armand Goupil


Au fin fond du pays sarthois deux petits bonshommes ordinaires ont créé chacun de leur coté une œuvre extraordinaire passée par hasard à la postérité. L'un était boulanger-paysan, l'autre instituteur. Se sont-ils jamais croisés ? C'est bien possible car ils furent appelés à la guerre de 1914 ; mais à l'époque, ni l'un ni l'autre ne songeait encore à sculpter ou à peindre. Au soir d'une vie banalement heureuse chacun pris sa retraite. Et ce fut le début de leur foisonnante épopée artistique.

En 1962, Fernand Chatelain, 63 ans s'installe dans une maison qui borde la nationale 338. Désoeuvré, il regarde les voitures qui passent à petite vitesse car à cet endroit la route est pentue. Parfois, il fait un geste amical de la main aux enfants qui s'ennuient à l'arrière des Aronde et des Dauphine. Pour les distraire sans doute, il construit un château de sable, de papier, de plâtre, de ferraille, de bouts de ficelles et de ciments. Puis il le peint de couleurs vives. Enhardi par le sourire des mômes, il écrit en grosse lettres des souhaits de bon voyage et construit des sculptures ludiques, extravagantes, surréalistes. 


Voici enserrant une balustrade, un gros serpent jaune mordant à belles dents le mollet d'un gosse hilare qui poursuit un goret rose en tenant une casserole à la main...Au fil des années, des dizaines et des dizaines de créations multicolores égayent les automobilistes qui désormais s'arrêtent souvent sur l'aire du sourire, histoire de faire une pause récréative avant de repartir vers Le Mans ou Alençon. Quelques uns vont à la rencontre du modeste sculpteur toujours affable et truculent. Avec l'accent du terroir il explique : « ah j'fais ça pour m'amuser... ça amuse le public autant que moi...Voyez-vous, on m'en donnerait un grand prix, j'vous la fais à 10 000 francs, ben...j'vous la vendrais point ! » Lui aurait-on proposé d'exposer dans des galeries prestigieuses et des grands musées qu'il aurait pareillement refusé.
Fernand Chatelain décède en 1988. Les herbes envahissent ses sculptures. La pluie, le gel et le soleil grignotent les couleurs. Seule la silhouette de l'autoportrait de l'artiste brandissant son chapeau dans un ultime salut dépasse au dessus des buissons de ronces et d'orties. Au fil des ans, le musée du bord de route semble inéluctablement condamné à rejoindre les cendres de son génial géniteur. Et puis, en 2005, un miracle ! La passion, l'intelligence et l'obstination de femmes et d'hommes... La maison, l'atelier le jardin sont rachetés. L'essentiel de la collection est sauvée, rénovée, repeinte chaque année. 
C'est ouvert tous les dimanche après-midi de mi-juin à mi-septembre. C'est gratuit cela va sans dire. Vous pouvez aussi, quand il vous plaira, aller à Fyé par la nationale 338, stationner sur le bas coté le temps de faire le plein d'émotions. 
Vous verrez qu'ensuite la route vous paraîtra plus légère !..




L'oeuvre d'Armand Goupil a également failli disparaître dans l'indifférence. Né en 1896 deux années avant Chatelain, le peintre enseigna pendant toute sa vie à Lamnay, un petit village situé en lisière du Perche. Il y a laissé le souvenir d'un brave homme, bon père, bon soldat, bon républicain, bref quelqu'un de très comme il faut. À cette époque, l'instituteur était un notable qui savait tenir son rang et donner l'exemple, modérer ses convictions et taire ses pensées intimes.
En 1951, Armand Goupil prend sa retraite au Mans et décide de consacrer son temps à la peinture. Ses tableaux charmants représentant des scènes bucoliques ou des portraits académiques font l'admiration polie de ses proches et décorent les salles à manger de la famille et des amis. 
Mais au fond de son atelier, à l’abri des regards des siens, l'artiste laisse son pinceau divaguer vers l'inconvenance, l'irrévérence, les coquineries et le burlesque. Des danseuses, des acrobates, des femmes nues, un Christ insolent réclame à une bonne sœur « un pastis bien frais...un ! » et une profusion d'autres extravagances inouïes pour l'époque comme ces négresses lascives, ce bourgeois en caleçon protubérant qui zieute sous le jupon...

Pour ne pas éveiller les soupçons, l'admirable cachottier peignait sur des bouts de carton de récupération ; sur l'envers d'un paquet de cigarettes ou de lessive, sur un emballage de pâtisserie, une boite à chaussures découpée...Des centaines de scènes insolites, drôles, fascinantes, toujours sincères. L'artiste éclectique à l'imagination incroyablement féconde s'est essayé à tous les exercices : figuratifs, décoratifs, abstraits, paysages, portraits, caricatures, natures mortes, graffitis... dans une palette de couleurs infinies. Assurément, l'ancien instituteur austère à la ville jubilait de malice dans son atelier. Le peintre était son seul admirateur car nul ne se souvient d'avoir pu contempler sa collection secrète. Précurseur mais lucide, il savait que sa peinture serait excommuniée par la bien pensance provinciale de l'époque. Destinait-il ses joyeux fantasmes sur carton à sa seule satisfaction, à l'éphémère, à l'autodafé ? C'est possible mais le destin en décida autrement.


En 1964, le cœur du peintre s'arrête net sans prévenir. Sa famille consternée en découvrant la collection licencieuse, referme bien vite la porte de l'armoire aux horreurs qu'elle brade à un brocanteur. Le lot est revendu plusieurs fois pour une bouchée de pain avant d'être dispersé et acheté à l'unité par quelques amateurs éclairés qui passent leurs dimanche à courir les vides greniers.

L'exubérant Ferdinand Chatelain et son compère refoulé Armand Goupil ont fertilisé le terroir de leur imagination, donné des couleurs à leur pensées ; témoins d'un art brut, singulier, libre et désintéressé, leurs joyeux messages régalent les yeux. Par les temps qui courent, une cure d'optimisme s'impose !

Pour en savoir plus sur Fernand Chatelain :
Pour en savoir plus sur Armand Goupil :