samedi 27 juin 2015

Napoléon d'Arabie, Vladimir et François



29 ans selon la rumeur, 35 selon la biographie officielle. Fils de roi. Vice-prince héritier, Chef de la cour royale, ministre de la défense et de l'aviation, second vice Premier-ministre Président du Conseil économique et de Développement... Bref, Mohamed ben Salman Al Saoud est le Général en chef de la troisième puissance militaire du Moyen-Orient et PDG du premier fournisseur de pétrole du monde.
Jamais dans l'histoire de la dynastie des Saoud, un prince n'avait accumulé autant de pouvoirs. On le dit benêt, on le suppose inexpérimenté et capricieux, on le moque, on le craint. Contrairement à ses prédécesseurs gérontocrates, son espérance de vie dépasse le quinquennat. Il a devant lui des décades pour réaliser son ambition de dominer tous les musulmans de la terre par le sabre ou l'argent.
Mais cela, si Allah le veut !

Le Prince s'en va-t-en guerre
D'allure douce et placide, le Prince a grandi à l'ombre d'une mère de fer et d'un père de velours. Contrairement à ses frères brillament diplômés, il n'a pas suivi d'école à l'étranger. Nul ne connait ses précepteurs, ses idées, ses penchants vertueux ou pervers. Délaissé par les courtisans, nul n'aurait l'an passé misé sur sa destinée. Pourtant, en trois mois, il est passé de l'ombre des chambellans à la lumière des grands de ce monde.
De lui dépend la paix ou le cataclysme.

Depuis l'intronisation de son papa roi, au début de l'année, Mohamed bouscule tous les usages.
Sans crier gare, il a déclenché une guerre contre son voisin le Yémen pour intimider les chiites persophiles et les démocrates musulmans. C'est un désastre ! Les nationalistes tous unis dans la défense de leur terre ont opposé une résistance farouche ; sauf dans l'Hadramaout, province contrôlée par d'Al Qaïda, ennemi juré des houtistes qui est sigulièrement épargné, car pour Salman, les ennemis de mes ennemis sont mes amis.
Depuis deux mois, l'aviation saoudienne pilonne quotidiennement les villes de Sanaa, Aden, Taez et Saada. Sans résultats. Etonnamment, elle a perdu plusieurs bombardiers. Pire, son chef d'Etat Major a été victime d'un tir de missile alors qu'il inspectait une base proche de la frontière (officiellement, le généralissime  a succombé à une crise cardiaque à l'étranger ).
Les boucs émissaires de cette déconfiture ont facilement été trouvés ; c'est la faute au cartel des fournisseurs étrangers !

Des armes inopérantes
Les premiers dénigrés sont les Américains dont le coûteux bouclier anti-missiles est une passoire, ensuite les Européens dont le « mur électronique » édifié à grands frais n'empèche pas les Yéménites de venir semer la panique dans les villes et les villages saoudiens proches de la frontière, enfin la France, - pourtant chouchou du moment -, dont les échos de l'insatisfaction princière ont bruissé à cause des performances et de la disponibilité perfectibles des frégates Sawari. Paris a promis de redoubler d'ardeur et de se racheter.
De son côté, profitant des circonstances, et de l'absence de critiques désobligeantes, Londres la perfide liquide discrètement ses stocks d'invendus au prix fort.
À l'inverse, Berlin s'est aligné sur Stockholm: sa coopération militaire avec Riyad est en hibernation.
La monarchie wahhabite se sent d'autant plus mal aimée que ses alliés traditionnels l'Egypte et le Pakistan ont trouvé des prétextes divers pour éviter d'aller affronter les guerriers yéménites dont l'ardeur au combat est légendaire et qui de surcroît sont des coreligionnaires musulmans comme eux. Après tout, cette guerre n'est pas un jihad.

Mohamed chez Vladimir
Le 18 juin, entre deux javas strictement privées en France et aux Maldives, le royal jumbo-jet particulier du prince Mohamed ben Salman s'est posé à Saint-Petersbourg pour assister à un forum que les économistes de l'Ouest surnomment avec condescendance  « le Davos de l'Est ».
Accueilli comme un Chef d'Etat, il a longuement rencontré Vladimir Poutine pour parler de la pluie et du beau temps qu'il fera en Syrie, Yémen, Iran, Irak, Libye... Après les bavardages d'usage, on les a vus trinquer, flutes à la main : champagne de Crimé contre limonade. Le symbole est fort, il prouve que chacun y a mis du sien.
Selon les indiscrétions de la toile le deal secret serait énorme et irait bien au delà des six accords rendus publics.
Dans le secteur de l'énergie : Vladimir et Mohamed pèsent le quart de la production mondiale mais avec leurs obligés d'Asie Centrale et de l'OPEP c'est largement plus de la moitié du marché international qu'ils contrôlent. Probable que d'ici quelques semaines, le prix à la pompe pourrait s'en ressentir.
Ils ont aussi signé des traités en matière scientifique, spatiale mais également nucléaire : la Russie s'invite dans la compétition pour la construction de 16 centrales.
Au plan « sécuritaire » et au nom de la lutte contre le terrorisme, Salman et Poutine auraient topé sur des OPA amicales et des cessions de parts des multinationales Al-Qaïda, Daech et autres moyennes entreprises de Mésopotamie et du Yémen...
Enfin, pour sceller cette nouvelle amitié, Mohamed aurait souhaité passer une première commande de 17 milliards de dollars d'armement. Bon Prince, Poutine aurait promis quelques brigades de blindés, une palanquée de missiles et quatre escadrilles de bombardiers à livrer à l'Egypte.

Mohamed chez François
Moins d'une semaine après son accolade avec Poutine, Mohamed Ben Salman était à Paris. Tapis rouge et Marseillaise. L'ordre du jour du vice-monarque était le même qu'en Russie : « diplomatie du carnet de chèque »
La France a été récompensée de son alignement diplomatique par une pluie de contrats : 12 milliards (avions civils, hélicoptères, études de centrales nucléaires...) Selon le Twetter arabe Mujtahidd généralement bien informé, Paris aurait également vendu de l'imagerie satellitaire et du renseignement stratégique. La conclusion de marchés d'armements pour quelques dizaines de milliards de plus (patrouilleurs, sous marins et même Rafale) aurait été ajournée au dernier moment en raison de la pression des concurrents américains mais aussi et surtout à cause de chikaya gauloises qu'un roman ne suffirait pas à relater. Le Drian ministre vaillant devra y mettre bon ordre durant les vacances pour permettre la signature du contrat de tous les records dès le mois d'octobre.

La NSA écoute, Obama ne dit rien
L'entente Riyad-Moscou-Paris et l'activisme des Salman pour inluencer les négociation du 5+1 et saboter la levée du boycott de l'Iran est pris très au sérieux à Washington qui écoute mais ne dit et ne fait rien. Le pacte du Quincy de 1945 sur la garantie de la sécurité du Royaume wahhabite par les USA a du plomb dans l'aile. Pourtant, Washington tourne le dos et feint d'ignorer les gesticulations saoudiennes dont les permanentes insultes aux droits de l'homme et à la condition de la femme indignent l'opinion publique américaine. Le chien aboie, la caravane passe... Il sera bien temps d'intervenir à la fin des négociations avec l'Iran. En outre, dans la perspective des élections présidentielles US en 2016,  l'Arabie est un sujet clivant entre démocrates et républicains. L'opinion américaine est régulièrement réveillée par les indices de suspicion de l'implication des services saoudiens dans l'attentat du 9/11 et l'évocation des complicités d'affaires entre les dynasties Bush et Saoud est embarrassante. Dernière cerise sur ce gâteau amer, Wikileaks vient de mettre en ligne un demi million de cables diplomatiques qui relatent les turpitudes saoudiennes. Bref, à Washington, les Saoud sont devenus infréquentables alors il est probable que la Maison Blanche restera dans la prudente attente de la prochaine révolution de palais sachant que les wahhabites malgré leurs coups de menton ne peuvent pas s'affranchir de la tutelle militaire et sécuritaire des USA.

Napoléon d'Arabie
L'armée saoudienne en guerre a piteusement constaté qu'elle n'était qu'un tigre de papier inopérant dès lors que le support technique de son principal fournisseur lui faisait défaut. Comme il est trop tard pour diversifier ses sources d'approvisionnement, Riyad tentent les cartes illusoires du bluff. 
En marge de la tournée du jeune Prince à Moscou et Paris, Riyad a fait savoir que pour équilibrer la menace avec l'Iran, le royaume avait les moyens d'acquérir l'arme nucléaire sur étagère. Au Pakistan ? En Corée du Nord ?

À prolonger cette tension impopulaire les Saoud pourraient bien être contraints à la détente sous la pression de leurs sujets et de la communauté internationale. La société saoudienne est malade ; elle est figée dans un carcan religieux aberrant sans perspective d'intégration aux lois du siècle. Chez les moins de trente ans (75% de la population) le chômage, l'assistanat, l'isolement, la drogue, l'obésité et la paranoïa sont des maux endémiques. La guerre du Yémen et la croisade anti-chiite ne parviennent plus à distraire la population de ses conditions pitoyables de vie au pays de Mohamed et de Crésus.
La trésorerie de plus de 700 milliards de l'Arabie permet toutes les audaces. Mohamed ben Salman après avoir tenté sans succès la stratégie de la guerre, pourrait être inspiré par celle de la réforme. Il n'est pas interdit de rêver !
Sur les réseaux sociaux, le jeune prince est affublé du surnom de « petit Général » ; comparaison sans raison avec le Général Bonaparte qui au soir de sa première victoire reçu de ses soldats le titre de « petit Caporal ». La route sera longue et n'est pas Napoléon qui veut !

dimanche 7 juin 2015

Les immigrés tunisiens de juin 1940



Nous sommes en juin 1940, sur la place principale de la ville de Gafsa, porte du desert de la Tunisie. En grande hâte, des jeunes gens en uniformes sont regroupés puis acheminés dans la nuit vers la capitale. Au petit matin, au port de La Goulette, ils embarquent sur la proue d’un paquebot qui cingle aussitôt vers Marseille.
Les jeunes recrues du 4ème Régiment de Tirailleurs Tunisiens partent défendre la France !
Pendant la traversée, les passagers de première classe depuis le pont supérieur leur jettent des friandises et des cigarettes qu’ils se disputent joyeusement, ivres de la découverte de la mer. Après un voyage de quatre jours, retardé par une avarie en rade de Bonifacio, ils posent leurs sacs sur le quai de la Joliette où des wagons à banquettes en dur les attendent. 

Le convoi gagne Paris. En Gare de Lyon, les hommes cantinent à la hâte d’une soupe avant de sauter dans des camions. Sur le pont d’Austerlitz traversé à faible allure, certains croient discerner la Tour Eiffel. 
Au petit matin, la troupe bivouaque en forêt de Rambouillet. Au lointain, le canon tonne. Les hommes ne s’en alarment pas, tout occupés qu’ils sont à contempler les arbres immenses, à caresser la mousse et effeuiller les fougères. Le lendemain, ils attendent en vain l’ordre de marche. Pour passer le temps, ils capturent des poules faisanes dont se régalent les officiers lesquels en échange blessent au fusil deux chevreuils, aussitôt égorgés et rôtis au bord de l’étang du Moulinet. Pour la plupart, la guerre est belle car la France ressemble au paradis.

Quatre jours plus tard, ils apprennent que Paris vient de capituler et que des unités de leur régiment se battent à Palaiseau. Le Capitaine a mission de rallier Chartres. Les routes sont encombrées par l’exode d’une population accablée. Les fantassins en colonnes pressés doublent en vitesse une file ininterrompue de civils hagards. C’est une débâcle indescriptible sans panache. L’armée allemande est déjà à Trappe. 
Vers le soir, au bout d’une route toute droite tracée entre les champs de blé de la Beauce, la petite troupe prend position près d’un hameau désert d’où l’on aperçoit brillant au couchant, les flèches de la cathédrale de Chartres.
La compagnie du 4ème RTT reçoit l'ordre de ralentir l'offensivedes chars allemands. Par petits groupes, les hommes creusent des tranchées. A la nuit tombée, alors que les obus pleuvent moins nombreux, l'officier rassemble ses hommes et leur parle probablement ce langage : « ne laissons pas l’histoire nous traiter de lâches. Jurons de périr ici pour l'honneur de la France ». Tous prêtent serment.
Le jour suivant, ils résistèrent jusqu’au soir. Les derniers survivants formant le carré en défense crièrent sans doute: « vive la France, vive la Tunisie…. Allahou akbar ! » avant d’être hachés par la mitraille.
C’était le dimanche 16 juin 1940, à Houville-la- Branche en Eure et Loir.
Le lundi 17 juin Pétain appelait à cesser les combats.
Le mardi 18 juin, les villageois qui s’étaient réfugiés dans la chênaie s’en retournèrent pour mettre en terre dans leur cimetière les restes des 63 héros.

Depuis, chaque année, les habitants observent une journée de deuil et s’en vont fleurir la mémoire des hommes qui arboraient l’éléphant d’Annibal sur leur fanion tricolore.

Si un jour, vous passez en Beauce, faites un détour par Houville-la Branche, c’est un village charmant qui mérite le recueillement.
Entre la rue du souvenir et celle du 16 juin 1940, reposent côte à côte soixante trois hommes 
« Morts pour la France ».