samedi 28 mai 2011

La révélation de Manal Al Sharif

Manal Al Sharif est une jeune femme saoudienne super diplômée qui travaille à l’Aramco, la compagnie arabo-américaine de pétrole.

Cette respectable veuve, est sortie de chez elle il y a quinze jours au volant de sa voiture. Et sa vie a basculé.
Arrêtée par la police elle est sermonnée avant d’être raccompagnée à son domicile. Quelques heures plus tard, elle est à nouveau interpellée et jetée en prison pour avoir gravement troublé l’ordre public.
Avant de la juger, les autorités exigent qu’elle fasse publiquement acte de contrition et de repentir sur facebook où elle compte des mille et des milliers d’amies. La délinquante s’obstine, aggravant son cas de jour en jour.

Les prédicateurs montent en épingle le fait divers. Leurs prêches enflamment les mosquées. Des gardes de la foi accusent Manal Al Sharif d’être une Matahari des chiites iraniens, d’autres prétendent qu’elle est au service des singes sionistes et des infidèles athées.
De toute évidence, Satan n’est pas loin.

La presse traite l’Affaire à la une. La population est divisée, il y a les proManal et les antiManal. Le roi hésite à se prononcer car la guerre civile menace la dynastie. Même les Américains et les Français, habituellement si empressés à voler au secours de la veuve opprimée, regardent leurs chaussures en se grattant l’oreille.
L’Arabie Saoudite, car c’est de ce pays qu’il s’agit est le premier exportateur de pétrole et le premier importateur d’armes. Ceci mérite considération. Que la Jeanne d’Arc saoudienne se débrouille. D’ailleurs, on a promis aux nobles bédouins de ne jamais se mêler de leurs affaires. On ne va pas commencer à propos d'une bédouine !

Ils ont tort, car ce fait divers pourrait faire battre les ailes du papillon dont on ignore les conséquences planétaires sur le prix du brut.
Manal Al Sharif ne vient pas moins de lancer une téméraire et extraordinaire croisade des femmes pour le permis de conduire.

Sur le net, la criminelle « présumée innocente » qui a filmé son arrestation appelle toutes ses consoeurs du pays de l’or noir, à suivre son exemple. Car en Arabie, les femmes n’ont pas le droit de tenir un volant. Aucune loi ne le dit, mais c’est comme ça. Manal s’est révoltée, elle a bravé la non-loi au nom de laquelle Ubu l’a mise en prison.

Son acte est révolutionnaire car il met en péril le socle (en arabe al quaïda) de l’idéologie intégriste musulmane.
La seule et unique fonction de la femme est la reproduction. Point. Elle est soumise. Elle est objet. Jamais elle ne conduit, toujours elle suit. Dans la rue, elle marche derrière, en voiture elle ne saurait être devant. Elle sait dire oui, elle sait se taire et retenir ses non. A-t-elle une âme ? Un cœur ? Une raison ? Là n’est pas le sujet. Elle est mère, fille, sœur, épouse de l’homme son maître et propriétaire. On ne lui dit pas madame, on ne la regarde pas, elle ne parle pas. Au visiteur qui frappe à la porte, elle claque dans ses mains pour demander « qui est là et signifier de passer son chemin car son homme n’y est pas ».
Elle n'a pas d’identité, pas de papiers, pas de photos dévoilées. Alors, un permis de conduire ! Vous n’y pensez pas ! Céder serait ouvrir la porte à toutes les extravagances ! Demain au prétexte de canicule elle refusera de porter des gants noirs dans la rue, puis, elle voudra montrer sa face, sa crinière, ses mamelles et son croupion…Quelle décadence ! Allah soit loué ne le permettra pas. Regardez la Tunisie qui sombre dans l’anarchie et la débauche à cause des créatures femelles qui sont parvenues à grignoter la moitié du pouvoir.

Oui mais Manal est une chourafa de la famille Al Sharif descendante du prophète ! Il est donc chariatiquement impossible que le diable ait envoûté la très Sainte lignée.

Mais alors, la révolte de Manal serait inspirée ?

lundi 23 mai 2011

Mohamed Bouazizi et Rosa Parks

Pour s’être porté au secours de la révolution américaine, le Général Lafayette (et tous ses descendants) fut honoré de la nationalité des Etats Unis. Ce geste unique attend toujours la réciproque.
Que Madame Naffissatou Diallo, encartée verte dans le Bronx soit par la volonté du peuple français naturalisée française avec ceux de sa lignée. Et ce sera justice.
Si de surcroît, la Fondation Jaurès lui propose un job et la mairie de Paris un appartement, le socialisme français s’en trouverait grandi.
Car il se pourrait bien qu’un tribunal américain dise bientôt que la femme de chambre a évité à la France d’être violée.


En regardant la semaine passée le Président Obama discourir sur la révolution arabe, j’ai cru qu’il parlait la langue de la France. Non pas comme un président qui fait son jogging à Manhattan affublé d’un Tshirt NYPolice et de Ray Ban, mais comme l’héritier d’une pensée, qui pendant des siècles, éclaira le monde avant de sombrer dans la décadence du fric et du mépris.
Mister President était calme, assuré, le geste rare, la voix posée, le regard balayant l’assistance au rythme de phrases courtes. Anglais compréhensible, sans accent, clair, précis. Pas de notes anti sèches, (peut-être) pas de prompteur. Un langage diplomatique direct.
Hommage aux arabes de la rue. Engagement solennel à soutenir les droits de l’homme et la société civile. Avertissement aux dictateurs. Et puis, énorme gâteau sous la cerise du soixante troisième anniversaire de la Nakba (catastrophe en arabe), l’injonction de retour aux frontières de 1967 pour permettre la création d’un Etat Palestinien souverain.

Obama n’avait pas terminé son discours que déjà les conservateurs israéliens criaient NON, les néoconservateurs américains et européens ajoutaient PAS QUESTION. Quant à leurs alliés objectifs, les pétro-monarques pétrifiés ; ils s’empressaient dans un réflexe pavlovien, de dénoncer un pénultième complot des « primates judéo sionistes » avant de donner consigne à leurs médias de parler plutôt du French FMI ou des noirs et des arabes dans le foot.
Ainsi toute la presse bienpensante s’accorda pour minimiser la déclaration d’Obama ou y dénicher des signes d’incohérences, de sans importances voire de perfidies. A Paris, le tricéphale Président provisoire du G8, du G20 et de la France, ne savait plus s’il fallait surenchérir ou réclamer de ne pas mettre tous les arabes dans le même panier de la révolution.
Finalement, il n’y a guère qu’à Tunis où l’on s’est réjoui discrètement. Au Caire pareillement, car aux deux milliards de dollars promis par Obama, les Saoudiens vexés se sont empressé d’en rajouter quatre.

L’anti-américanisme reste un sentiment profond que nul arabe ne dissimule. C’est un exutoire indispensable au même degré que l’amour du foot.
Pour ma part, je confesse le rouge au front, détester cordialement le ballon rond. Quant aux américains… Le peuple, comme tous les autres, est pluriel. Les présidents sont dissemblables. Bush n’est pas Obama, je crois.

Le discours prononcé le 19 mai était construit à partir d’un symbole fort. Le Président des Etats Unis a comparé l’immolé tunisien Mohamed Bouazizi à l’héroïne américaine Rosa Parks, une noire qui refusa un jour de décembre 1955 de quitter un siège réservé aux blancs dans un autobus. Ce geste de révolte inouï à l’époque provoqua le mouvement des droits civiques de Martin Luther King et fit basculer le pays dans une ère nouvelle.

Si Mohamed est Rosa ; si le sacrifice du marchand tunisien des quatre saisons est porteur du même souffle que le geste de la figure emblématique de la lutte contre la ségrégation raciale aux états unis, alors l’émancipation arabe est inéluctable. Tout du moins dans la perception de la Maison Blanche. Cette comparaison vaut raison d’espérer la solidarité des Américains. Dans ces moments fragiles, ce n’est pas rien ! Car sans l’appui de Washington, il est certain que le réveil arabe eut été étouffé.

Heureusement et à point nommé, la petite Tunisie, la grande Egypte et tous les révoltés des terres arabes, trouvent chez l’adversaire supposé le réconfort qu’ils attendaient de la France ; oublieuse de son Histoire, incapable d’en transposer les leçons !

Lafayette est aussi Américain.

mercredi 18 mai 2011

Somaliland

C’est un pays fantôme qui hante la mauvaise conscience de la communauté internationale depuis vingt ans très exactement.
C’est un pays à existence confidentielle. Son évocation est réservée à quelques diplomates initiés. Son nom même, est ignoré de mon dictionnaire qui le souligne en rouge pour me le faire écrire en anglais et en deux mots.
C’est pourtant une nation : un peuple, une langue, un drapeau, une armée, un parlement, une capitale, un président…

Cette ancienne colonie britannique puis italienne a été rattachée contre son gré à la Somalie voisine avant de faire sagement sécession et de s’autoproclamer République du Somaliland à la fin du siècle dernier : le 18 mai 1991. Ceci, dans l’indifférence générale car le monde avait les yeux fixés sur l’effroyable guerre qui sévissait au nord.
Depuis, les quatre millions d’habitants de la Terre des Somals (Ard es Somal en arabe) formant la Corne de l’Afrique, vivent paisiblement, pauvrement, dignement. Ils commercent avec Djibouti et l’Ethiopie. La pêche et l’élevage nourrissent chichement ce peuple de sages dont la philosophie est incompatible avec toute forme de rendement.
A Hargeisa la capitale, on sait que le stress est le pire ennemi de l’homme. Aussi, on cesse de travailler passé onze heures du matin. Chacun alors, se met à mâchouiller une botte de feuilles de qat dont les effets magiques décupleront le bonheur de chaque instant de la journée.

A les voir béats on les croirait baba cool écervelés. Pas du tout ! Les Somalilandais sont des citoyens responsables. Ils élisent un parlement et un président. Le vote est sans fraude, le perdant félicite le vainqueur, l’alternance est de rigueur. La presse est libre, la justice est juste. C’est un pays arabe. Musulman aussi. Africain également.
Bref, c’est un vilain petit canard qui embarrasse la communauté internationale.

C’est sans doute pourquoi le Somaliland n’est reconnu par aucune organisation. Ni ONU, ni OUA, ni URSSAF ni sécu. Aucune ambassade, aucun consulat. La Banque Mondiale et le FMI n’y ont jamais mis les pieds. Pas de prêts, pas de dettes. Les finances du pays sont saines. Peu de convoitises aussi : il y a bien quelques richesses en sous-sol, exploitées par un britannique discret, mais pas de quoi déplacer BHL et l’OTAN.
Paix, sécurité, stabilité, développement, démocratie....depuis 20 ans et sans rien coûter à personne. C’est du jamais vu dans le tiers monde ! Pourtant, pour des raisons mystérieuses, le Somaliland semble condamné à demeurer clandestin et sans papier, ignoré et isolé du reste du monde.

Au Palais Bourbon un député a interpellé le gouvernement : pourquoi la France ne reconnaîtrait-elle pas le Somaliland ? Réponse surréaliste du ministre: « Notre position demeure inchangée : le Somaliland est une province somalienne, dont l’avenir devra faire l’objet d’un accord avec les autorités du reste de la Somalie. » Autrement dit avec le gouvernement fantoche d’un pays pirates en guerre civile depuis 1986 !

Happy birthday Somalpeaceland !

vendredi 6 mai 2011

Obama a tué Ben Laden

En ce début de joli mois de mai, un événement éclipse la fête des chrétiens et des travailleurs ; la canonisation d’un pape et le mariage d’un prince ; les rumeurs d’une grossesse électorale et même les morts du Maroc, ceux de Libye, du Yémen, de Syrie et d’ailleurs…Du dérisoire.

Barack Hussein Obama (BHO) le shérif a tué Ousama Ben Laden (OBL) Geronimo.

Pouvais-je, Ô Lecteur (Ô Lectrice) égaré sur la toile, te laisser sans miens commentaires ?

La planète de Mc Luhan exulte de déception. Le pool CNN/Al Jazeera est censuré. Sur la 2, la 3, la 24, des experts nés de la dernière pluie, nous abreuvent doctement d’inepties pour tenter de compenser l’absence de « Live ». On avait vécu Bagdad et les Twin en direct mais sur la mort du terroriste number one : rien ! Pas d’images. La société est privée de spectacle. OBL est parti sans boîte noire ni caméra rejoindre la maman des poissons qui est bien gentille. Il repose désormais en paix dans les profondeurs de l’Océan des Arabes, curieusement appelé dans la seule langue française la mer d’Oman.

Né dans le désert, il passa sa vie à bourlinguer par monts et par vaux. Il vécut à flanc de montagne à Tora Bora et Abbottabad. Pourtant, secrètement il chérissait la mer. En le faisant catapulter en bière depuis un porte avions nucléaire, le Nobel de la paix a peut-être exhaussé les dernières volontés du Nobel du terrorisme.

Hollywood est en fièvre. La superproduction 3D coproduite par la coalition est déjà lancée. Les Pakistanais ont négocié les droits d’auteurs. Ils ont exigé que la scène où OBL est surpris dans l’intimité de sa chambre par le commando US soit modifiée. Il est vrai que dans le scénario original, la position du couple était de nature à choquer un public judéo-chrétien non averti des usages arabo-pachtoun. La sortie du film est prévue pour septembre. Le lancement sera assuré par une promotion à gros budget incluant la diffusion de produits dérivés.

En attendant, la France craint des représailles que de son coté Vigipirate espère discrètement pour enfin mériter l’importance qu’il n’a pas. Les médias font mousser la peur. C’est ainsi que ma voisine a fait provision de sucre comme en 40 ! Je tente de la rassurer en lui disant que le risque est derrière nous car le guide de la multinationale du mal n’est plus. Certes, la nature a horreur du vide, mais dans les jours prochains les filiales vont adouber un nouveau cheik.
Le nom d’Ayman circule dans la péninsule… Les lobbyistes tchétchènes et mauritaniens conspirent en coulisse… Pourtant, il est raisonnable d’espérer que les somalis et les touaregs feront pencher la balance en faveur d’une personnalité centriste modérée issue de la tendance islamocrate… Inchallah !

Le monde arabe reste zen. Il a d’autres chats à fouetter. Il croyait qu’OBL avait été tué il y a belle lurette, voilà qu’on lui dit que c’était à la lune dernière ! Cette polémique est vaine car le temps n’a pas importance, il n’y a de Dieu qu’Allah…il sait reconnaitre les siens !
Contrairement aux occidentaux qui réclament des images, des détails, des larmes, du sang et des cris d’agonie, l’Orient a déjà tourné la page. Peu lui importe que le corps d’OBL ait été soigneusement lavé selon le rite et que l’aumônier musulman du bord ait dit la prière des morts alors que le navire manœuvrait vers La Mecque. OBL était martyr de son vivant.

Le Président BHO n’a pas voulu de tribunal de l’Histoire pour juger celui qui a été présenté comme le plus grand terroriste de tous les temps. C’est dommage car il prive la révolution pacifique arabe du « socle » (en arabe el quaïda) qu’aurait constitué un procès à la Nuremberg.

mardi 3 mai 2011

Le médecin malgré lui de Bourguiba

C’est un livre à lire le crayon à la main car il prétend remettre à l’heure les pendules de l’Histoire de la Tunisie. Amor Chedli, le médecin du Combattant Suprême raconte.

Dans Bourguiba, tout était grand : le rhume devenait pneumonie, le chagrin d’amour épilepsie, la carie était soignée à New York et l’insomnie à Zurich. Les petits maux des chefs sont souvent des affaires d’Etat, surtout lorsqu’ils sont inoculés par de sordides microbes à deux pattes. Contrairement aux autres ouvrages de ceux qui ont approché Bourguiba, l’auteur ne cherche pas à se grandir avec excès de la proximité du grand homme ni à mettre en valeur une estime jalousée. Il relate. Et c’est une somme. En vérité, peut-être !

Tel que je l’ai connu, le Professeur Amor Chedli est un savant modeste mais ambitieux, d’une exquise courtoisie, toujours en retrait, toujours souriant, honnête, sévère. Plus diplomate que téméraire. Mais il faut être indulgent car soigner un Président n’est pas une sinécure surtout lorsque ses proches s’évertuent à l’empoisonner. Combien de tentatives déjouées ? Le livre du praticien relate des épisodes cachés de l’histoire de la Tunisie, notamment l’incroyable complot des blouses blanches. Il désigne sans ambages les proches et leur clique qui ont successivement trahi : l’épouse, la nièce, le Général…. Le réquisitoire est méticuleusement étayé, pièces à l’appui ; implacable. Certains s’en tirent avec le bénéfice du doute mais la lecture entre les lignes désigne quelques complices aujourd’hui disparus ; paix à leurs cendres, Chedli ne déterre pas les cadavres insignifiants de l’Histoire.
D’ailleurs, l’ancien Directeur de l’Institut Pasteur n’est pas historien ni politologue ; on aurait pu le regretter si son ouvrage dense et bien écrit n’avait pas la rigueur scientifique du chercheur ; c'est-à-dire le sens de l’observation et l’absence de préjugé. Ce détachement cache aussi l’humilité du propos qui ne s’aventure jamais sur des sujets mal maîtrisés.
On reste souvent sur sa faim. Ainsi à propos du bombardement israélien de Radès : Bourguiba - fait sans précédent ni suivant -, parvint à faire condamner l’Etat sioniste par le Conseil de Sécurité de l’ONU. Audace qui fut à l’origine de sa disgrâce.
On aurait tant souhaité en lire davantage sur d’autres sujets qui mériteraient d’y consacrer d’autres tomes – à plusieurs mains - dont on attend la publication demain…L’Histoire de la Tunisie est un vaste territoire vierge qui attend les historiens.

On lira avec stupéfaction les révélations consacrées aux semaines qui ont précédé le coup d’Etat de 1987. Le système Ben Ali, sans doute téléguidé par des officines spécialisées, se révèle d’une implacable duplicité. Chedli décrit minutieusement la cruelle instrumentalisation des islamismes, la manipulation des médias, la soumission des influences par la menace, le chantage ou la corruption, l’ingérence de Washington et d’Alger (et Paris ?).
Chedli ministre du gouvernement Ben Ali savait ce qui se tramait. Il s’est tu. Mais que pouvait-il faire sans lui-même se perdre ? A chacun sa conscience !
Le médecin ne risquera pas la prison alors que son illustre patient à qui il prescrivait des potions de sa composition sera enfermé au motif d’aliénation. Une autre équipe médicale se chargera de santé de l’ex- Président ; avec bonheur puisque avant de mourir treize ans plus tard, Habib Bourguiba saisira toutes les occasions de rares libertés que lui laissera le satrape pour manifester l’évidence de sa parfaite lucidité.
Mais alors, le Combattant Suprême était-il par son docteur-écrivain mal soigné ?
Après avoir échappé aux multiples bouillons de onze heures que lui concoctaient ses proches, Bourguiba sera finalement lentement euthanasié par Ben Ali.

L’ouvrage d’épistémologie médicale du Professeur de pathologie Amor Chedli est essentiel pour qui veut connaitre la folie du pouvoir dans le pays que chérissait tant Michel Foucault.

dimanche 1 mai 2011

La maison de Rimbaud à Aden

Je dois aux rimbaldiens de confesser une supercherie de jeunesse que j’espère aujourd’hui couverte par la prescription.

Aden est une ville fascinante de laideur et de majesté. Ses quartiers se nichent dans de petites vallées fortifiées qui communiquent entre elles par des passages en aplombs vertigineux sur la mer ou par des tunnels creusés dans la roche noire des volcans éteints. L’océan indien a déposé sur les plages tantôt du sable gris, tantôt du sable blanc où les tortues géantes préfèrent venir pondre lorsqu’elles échappent aux vilains requins.

Dans cette ville tout est misère, les hommes comme les animaux ont faim. Dans la rue, les écoliers ne s’aventurent jamais seuls par peur d’être attaqué par une escadrille de corneilles. Car à Aden, le corbeau se sachant immangeable ne craint pas les représailles ; son espérance de vie dépasse celle de l’homme qui sur cette terre ingrate, atteint rarement l’âge de raison. A Aden chacun sourit au miracle de l’instant d’être encore en vie.

C’est sans doute pourquoi jadis Arthur Rimbaud y puisa l’inspiration. En 1879, il débarque sur ce « roc affreux, sans un seul brin d’herbe ni une goutte d’eau bonne… »

Avec cent ans de retard pour pouvoir le prendre en photo, j’arrivais à Aden.

Un jour de fournaise, j’allais me réfugier chez mon ami Khader dont les hautes fonctions présumées lui valaient d’être installé dans une vieille bâtisse coloniale dont le luxe principal était un climatiseur bruyant. Nous sirotions une décoction de bogues de café au gingembre en devisant sur l’indice Dow Jones et autres futilités lorsque je me mis à évoquer avec regret le triste état de la noble ruine qui nous abritait. « La France grande et généreuse, mère des arts, des armes et des lois devrait nous aider à la restaurer ! » me dit en soupirant le directeur de la pauvre Chambre sans Commerce ni Industrie.

Le lendemain au cours d’un déjeuner avec des diplomates avides d’informations sur le très secret régime de la République (anti)Démocratique et (im)Populaire du sud Yémen, je crus faire mon intéressant en déclarant que les autorités seraient sensibles à la rénovation par le contribuable français de la maison d’Arthur Rimbaud. « Comment ! Vous avez trouvé la maison de Rimbaud ? Mais c’est tout à fait extraordinaire ! » Le jeune énarque chargé d’affaires et le conseiller culturel désœuvré tartinèrent de miel un télégramme diplomatique mémorable.

A Paris, la « découverte » d’Aden mit en ébullition les ministères. Devant cet enthousiasme inespéré pour leur pays habituellement méprisé, les autorités Yéménites ne purent qu’authentifier la découverte. L’Etat Mitterrandien très Rimbaldien mobilisa à la hâte experts et commissions.

Si bien que quelques années plus tard les ministres Jack Lang et Roland Dumas inauguraient « La maison de Rimbaud » Centre Culturel et Poétique franco-yéménite d’Aden. Puis la demeure hébergeât le Consulat de France avant de se transformer en établissement sans étoile dénommé par dépit ou dérision… « Rambo Hôtel ».

En 2001, deux chercheurs plus perspicaces découvrirent qu’Arthur Rimbaud n’avait jamais dormi dans ce lieu si ce n’est dans les rêves embrumés de deux comparses facétieux.