Je dois aux rimbaldiens de confesser une supercherie de jeunesse que j’espère aujourd’hui couverte par la prescription.
Aden est une ville fascinante de laideur et de majesté. Ses quartiers se nichent dans de petites vallées fortifiées qui communiquent entre elles par des passages en aplombs vertigineux sur la mer ou par des tunnels creusés dans la roche noire des volcans éteints. L’océan indien a déposé sur les plages tantôt du sable gris, tantôt du sable blanc où les tortues géantes préfèrent venir pondre lorsqu’elles échappent aux vilains requins.
Dans cette ville tout est misère, les hommes comme les animaux ont faim. Dans la rue, les écoliers ne s’aventurent jamais seuls par peur d’être attaqué par une escadrille de corneilles. Car à Aden, le corbeau se sachant immangeable ne craint pas les représailles ; son espérance de vie dépasse celle de l’homme qui sur cette terre ingrate, atteint rarement l’âge de raison. A Aden chacun sourit au miracle de l’instant d’être encore en vie.
C’est sans doute pourquoi jadis Arthur Rimbaud y puisa l’inspiration. En 1879, il débarque sur ce « roc affreux, sans un seul brin d’herbe ni une goutte d’eau bonne… »
Avec cent ans de retard pour pouvoir le prendre en photo, j’arrivais à Aden.
Un jour de fournaise, j’allais me réfugier chez mon ami Khader dont les hautes fonctions présumées lui valaient d’être installé dans une vieille bâtisse coloniale dont le luxe principal était un climatiseur bruyant. Nous sirotions une décoction de bogues de café au gingembre en devisant sur l’indice Dow Jones et autres futilités lorsque je me mis à évoquer avec regret le triste état de la noble ruine qui nous abritait. « La France grande et généreuse, mère des arts, des armes et des lois devrait nous aider à la restaurer ! » me dit en soupirant le directeur de la pauvre Chambre sans Commerce ni Industrie.
Le lendemain au cours d’un déjeuner avec des diplomates avides d’informations sur le très secret régime de la République (anti)Démocratique et (im)Populaire du sud Yémen, je crus faire mon intéressant en déclarant que les autorités seraient sensibles à la rénovation par le contribuable français de la maison d’Arthur Rimbaud. « Comment ! Vous avez trouvé la maison de Rimbaud ? Mais c’est tout à fait extraordinaire ! » Le jeune énarque chargé d’affaires et le conseiller culturel désœuvré tartinèrent de miel un télégramme diplomatique mémorable.
A Paris, la « découverte » d’Aden mit en ébullition les ministères. Devant cet enthousiasme inespéré pour leur pays habituellement méprisé, les autorités Yéménites ne purent qu’authentifier la découverte. L’Etat Mitterrandien très Rimbaldien mobilisa à la hâte experts et commissions.
Si bien que quelques années plus tard les ministres Jack Lang et Roland Dumas inauguraient « La maison de Rimbaud » Centre Culturel et Poétique franco-yéménite d’Aden. Puis la demeure hébergeât le Consulat de France avant de se transformer en établissement sans étoile dénommé par dépit ou dérision… « Rambo Hôtel ».
En 2001, deux chercheurs plus perspicaces découvrirent qu’Arthur Rimbaud n’avait jamais dormi dans ce lieu si ce n’est dans les rêves embrumés de deux comparses facétieux.
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