mardi 3 mai 2011

Le médecin malgré lui de Bourguiba

C’est un livre à lire le crayon à la main car il prétend remettre à l’heure les pendules de l’Histoire de la Tunisie. Amor Chedli, le médecin du Combattant Suprême raconte.

Dans Bourguiba, tout était grand : le rhume devenait pneumonie, le chagrin d’amour épilepsie, la carie était soignée à New York et l’insomnie à Zurich. Les petits maux des chefs sont souvent des affaires d’Etat, surtout lorsqu’ils sont inoculés par de sordides microbes à deux pattes. Contrairement aux autres ouvrages de ceux qui ont approché Bourguiba, l’auteur ne cherche pas à se grandir avec excès de la proximité du grand homme ni à mettre en valeur une estime jalousée. Il relate. Et c’est une somme. En vérité, peut-être !

Tel que je l’ai connu, le Professeur Amor Chedli est un savant modeste mais ambitieux, d’une exquise courtoisie, toujours en retrait, toujours souriant, honnête, sévère. Plus diplomate que téméraire. Mais il faut être indulgent car soigner un Président n’est pas une sinécure surtout lorsque ses proches s’évertuent à l’empoisonner. Combien de tentatives déjouées ? Le livre du praticien relate des épisodes cachés de l’histoire de la Tunisie, notamment l’incroyable complot des blouses blanches. Il désigne sans ambages les proches et leur clique qui ont successivement trahi : l’épouse, la nièce, le Général…. Le réquisitoire est méticuleusement étayé, pièces à l’appui ; implacable. Certains s’en tirent avec le bénéfice du doute mais la lecture entre les lignes désigne quelques complices aujourd’hui disparus ; paix à leurs cendres, Chedli ne déterre pas les cadavres insignifiants de l’Histoire.
D’ailleurs, l’ancien Directeur de l’Institut Pasteur n’est pas historien ni politologue ; on aurait pu le regretter si son ouvrage dense et bien écrit n’avait pas la rigueur scientifique du chercheur ; c'est-à-dire le sens de l’observation et l’absence de préjugé. Ce détachement cache aussi l’humilité du propos qui ne s’aventure jamais sur des sujets mal maîtrisés.
On reste souvent sur sa faim. Ainsi à propos du bombardement israélien de Radès : Bourguiba - fait sans précédent ni suivant -, parvint à faire condamner l’Etat sioniste par le Conseil de Sécurité de l’ONU. Audace qui fut à l’origine de sa disgrâce.
On aurait tant souhaité en lire davantage sur d’autres sujets qui mériteraient d’y consacrer d’autres tomes – à plusieurs mains - dont on attend la publication demain…L’Histoire de la Tunisie est un vaste territoire vierge qui attend les historiens.

On lira avec stupéfaction les révélations consacrées aux semaines qui ont précédé le coup d’Etat de 1987. Le système Ben Ali, sans doute téléguidé par des officines spécialisées, se révèle d’une implacable duplicité. Chedli décrit minutieusement la cruelle instrumentalisation des islamismes, la manipulation des médias, la soumission des influences par la menace, le chantage ou la corruption, l’ingérence de Washington et d’Alger (et Paris ?).
Chedli ministre du gouvernement Ben Ali savait ce qui se tramait. Il s’est tu. Mais que pouvait-il faire sans lui-même se perdre ? A chacun sa conscience !
Le médecin ne risquera pas la prison alors que son illustre patient à qui il prescrivait des potions de sa composition sera enfermé au motif d’aliénation. Une autre équipe médicale se chargera de santé de l’ex- Président ; avec bonheur puisque avant de mourir treize ans plus tard, Habib Bourguiba saisira toutes les occasions de rares libertés que lui laissera le satrape pour manifester l’évidence de sa parfaite lucidité.
Mais alors, le Combattant Suprême était-il par son docteur-écrivain mal soigné ?
Après avoir échappé aux multiples bouillons de onze heures que lui concoctaient ses proches, Bourguiba sera finalement lentement euthanasié par Ben Ali.

L’ouvrage d’épistémologie médicale du Professeur de pathologie Amor Chedli est essentiel pour qui veut connaitre la folie du pouvoir dans le pays que chérissait tant Michel Foucault.

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