mardi 23 mars 2010

A voté !

C’est dimanche, jour d’élection. L’école est ouverte. Le réfectoire a été débarrassé on y a installé deux tables derrière lesquelles siègent trois vieilles dames l’air grave. Mes enfants sont intrigués. Une voix pointue les avise que par décision préfectorale ils n’ont pas le droit d’entrer dans l’isoloir. Voici la machine avec ses trois boutons. Je fais mon choix. Je valide. Une voix derrière le rideau confirme et m’invite à récupérer mes lardons qui troublent la solennité du lieu. « Dis-moi, dis-moi, pour qui tu as voté papa ? » Je ne vais pas leur expliquer la différence entre Péchon et Hucresse. « J’ai voté pour la plus grosse tête, devinez qui c’est ! ». Et les voila en train de mesurer la bobine des candidats sur les affiches.

Au vingt heures de la télé les mômes me demandent si j’ai gagné. Je dis que le match est nul. Il faut dire que le spectacle est à l’avenant, les caciques moulinent la langue de bois, même Dany ex-le-rouge pédale dans les banalités. Heureusement qu’il y a les filles : l’élégante poitevine, la secrétaire batailleuse, la douce africaine, la marraine railleuse et la nouvelle amoureuse. Bon sang mais c’est bien sûr ! Le résultat crève l’écran, il laisse les hommes sans autres perspectives que celles du télé-foot et de la bière. La Femme est l’avenir de l’Homme. La France vient de faire sienne la prophétie d’Aragon chantée par Jean Ferrat. C’est le message subliminal des élections régionales. L’histoire bégaye, le désarroi est grand. Le pays appelle Jeanne d’Arc et Louise Michel au secours de son histoire, il pleurniche doucement dans l’iphone : « allo maman bobo !» Tous les politologues ont compris mais aucun n’ose prophétiser l’évidence que le prochain Président sera assurément une femme.

L’avenir, c’est Martine, Ségolène, Rama, Marine, Cécile !

Répondant à la convocation de l’immortelle Simone, elles se sont réunies clandestinement dès lundi matin au SPA d’un grand hôtel de la capitale. L’histoire retiendra de cette rencontre dite « des bains-douches » le scellement d’un pacte pour exclure de la vie publique tous les hoplites incapables de vaincre la guerre du chômage. C’est une révolution qui se prépare, la Gaule va rompre avec des millénaires d’arrogance. Le coq sera châtré. Réduits au rôle d’appendices accessoires les mecs abandonneront jusqu'à leur droit de vote et laisseront aux maîtresses le soin de conduire l’avenir de leur progéniture. Dégagés de leurs responsabilités, ils pourront aller se parfumer, s’épiler, se muscler, se faire beau, exhiber leur corps sur les plages ou sur les pubs des magazines : « parce que je le vaux bien ! »

« Ecoutez les filles ! » lance Simone en rajustant son peignoir de bain, « nous ne laisserons ni les nerveux, ni les prétentieux, ni les rondouillards et autres incapables poursuivre leur chantier de démolition. Au train où vont les choses ils vendront bientôt le Louvre et Versailles aux Chinois pour payer les traites. Je vous le dis solennellement, le pouvoir est à notre portée, faites que ce jour soit le premier du printemps des femmes de France! »

« Holà ! » interpelle Martine « j’ai un TGV pour Lille dans une heure ». Ségolène la snobe en soupirant que son Falcon l’attend au Bourget. Puis toutes les deux conciliabulent brièvement et déposent une motion que Simone rejette d’un regard noir. « Chacune d’entre vous représente plus de quinze pour cent des votants, le fascisme est du genre masculin exclusivement, alors… ». Puis, pour détendre l’atmosphère l’académicienne suggère le parcours de santé en conseillant d’éviter de parler politique. « Faisons d’abord mieux connaissance » dit-elle.

Deux heures plus tard, les confidences sur les peelings, les culottes de cheval, les vergetures, les implants silicone, les teintures... rapprochent les copines. Pendant la séance de massage les voici qui pouffent en se racontant leurs expériences graveleuses avec des célébrités.
L’atmosphère est tout à fait détendue dans le jacuzzi lorsque Simone annonce l’ordre du jour et invite chaque dame à prendre la parole à tour de rôle. Deux heures après, les participantes emmitouflées dans des serviettes tièdes s’affalent dans des chaises longues au bord de la piscine. C’est le moment de la synthèse.

Il est décidé que tout homme quels que soient ses penchants et ses opinions sera écarté des affaires publiques. Martine et Ségolène alterneront à l’Elysée et Matignon selon un tour de rôle à la russe. Rama se verra attribuer un grand ministère de la Diplomatie, de la Repentance et du Commerce Extérieur, Marine prendra la Mer, Cécile se chargera de tout le reste. «
Et qui s’occupera des gosses ?
» s’exclame Simone !

Les enfants ??
Je me réveille, éteins la télé et me rendors.

mardi 16 mars 2010

L’entremets entre les mots

Sur la plage déserte de Gammarth je confesse avoir planté une chaise longue.

Puis, pour ne pas réveiller la mer, j’ai calé mes soupirs au rythme de son clapot. Un éclat de soleil s’attarde sur ma tempe, le sable joue avec mes petits doigts…le pied ! Les yeux clos je repense à ma fuite devant l’interminable hiver gris et glacé. Le bonheur c’est simple comme un avion. En deux heures on change de saison.

Coïncidence du calendrier en cette belle journée d’hiver on célèbre l’anniversaire de la naissance du Prophète Mohamed. Par la même occasion on fête aussi quatorze siècles de chamailleries chariatiques entre tenants et opposants à la commémoration de l’événement. Cette polémique stérile alimentée par les dernières fatwas télé-satellitaires est superbement ignorée du peuple carthaginois capable de transiger sur tout sauf sur sa légendaire gourmandise. Car le jour du Prophète est celui de la traditionnelle Assida au zgougou. Il s’agit d’une crème à base de graines de pignons de pin laborieusement élaborée selon des recettes transmises de mère en fille depuis la nuit des omeyyades. Pendant huit jours, les familles s’échangent des saladiers entiers de cette incomparable douceur dont il existe des variantes à la noisette ou aux pistaches. On goûte, on compare, on s’extasie, on se pâme, on en reprend, on s’empâte avec ferveur. Cette semaine est celle de la douceur et de l’embonpoint, elle est sacrée ; même les grévistes de la faim marquent une pause.

Voila pourquoi, à l’écart des tentations de l’entremets je digère en soupirant.

Le lendemain m’attire vers la médina. C’est la plus belle du monde. Elle exhale tout le raffinement de neuf siècles de savoir vivre arabo-andalou. Par bonheur les nouveaux riches et les bourgeois l’on délaissée, ils sont partis habiter d’hideuses villas ou des cases superposées dans des quartiers sans âmes aux rues tracées pour leur 4X4. Par bonheur encore, les touristes ne s’aventurent pas au-delà du souk de la rue de l’Eglise, face à la porte de France. Par bonheur enfin depuis quarante ans, un petit groupe d’urbanistes et d’architectes passionnés œuvrent à sa conservation. Je musarde dans les ruelles, rêvassant, à la quête de souvenirs d’enfant. Je crois reconnaitre le muret contre lequel on jouait avec des noyaux d’abricots. Mon manège intrigue les habitants qui d’abord me prennent pour un étranger égaré. Une brave dame me soumet à un interrogatoire serré. Me voilà reconnu comme le fils, petit fils, arrière petit fils, arrière-arrière petit fils du quartier. On m’invite en invoquant le tout puissant. Impossible de se dérober. Chaque maison m’accueille avec un bol d’Assida.

Je finis par m’évader le ventre lourd et le cœur léger.

Derrière la grande mosquée, dans une petite librairie déserte je m’assois sur un tabouret en dégustant le thé du visiteur. Je prends un Mohamed Talbi. Ce grand savant n’est pas édité en France. Il expose que seuls le Coran et la sunna obligent. La charia est « incohérente, obsolète », elle exalte la rudimentarité et la laideur, elle abhorre les femmes ». L’islam n’est pas voile, il est culte proclame encore le vieil érudit dans un épais volume d’islamologie. Sur un présentoir, un petit bouquin orange attire ma main. J’ouvre au hasard « Il est des gens nés dans la tendresse. Faits pour les caresses. Des vies dont les pires nuits sont éclairées. D’autres naissent dans la tristesse. Dans la détresse. Nul ne se dérobera à son destin… » J’emporte le livre de Hassib Knani « Mes Voisins » qu’avidement je lis assis sur la margelle de la fontaine de la place de la Kasba. C’est truculent et subtile. L’écriture est majestueuse. Mon temps s’arrête comme chaque fois que je tombe amoureux d’amour d’un livre. A la dernière page, je rêve : « allo Gallimard, Grasset, Seuil, vite appelez les éditions Sahar à Carthage ! » mais les jeux d’un groupe d’enfants me réveillent.

La tête dans les étoiles, je retourne à ma chaise longue d’où j’écris ce billet.