mardi 23 février 2021

Rapport Stora ? N'en parlons plus !

Depuis que les politologues échographient le vote des  musulmans de France, l’islam est devenu le thème majeur qui précède toute élection présidentielle. La communauté la plus nombreuse est celle d’origine algérienne dont l’estimation est de 4 à 7 millions d’adultes et d’enfants. Elle fait l’objet de sondages fréquents qui indiquent sa désaffection pour le mouvement d’Emmanuel Macron et sa sympathie montante pour le parti de la France Insoumise « des islamo-gauchistes ».


La campagne de communication censée renverser la tendance devait démarrer par une opération de réconciliations des mémoires de la guerre d’Algérie. L’exercice de calinothérapie était délicat car il ne fallait pas heurter les très susceptibles autorités d’Alger, ni les harkis, ni les familles de rapatriés, ni les anciens combattants…sans compter leurs descendants. 

En raison de la pandémie, le débat sur ce thème était d’une actualité secondaire. Pourtant, alors que nul ne réclamait quoi que ce soit hormis des vaccins, le Président Macron a maintenu son agenda pour présenter le 20 janvier à l’opinion qui regardait ailleurs, un rapport commandé à Benjamin Stora, savant de l’histoire de la guerre d’Algérie ayant publié une cinquantaine d’ouvrages qui n’ont reçu que des éloges sauf le dernier….édité par l’Élysée. 


À Alger mais aussi à Paris, les journalistes se sont  tout d’abord trouvé en mal d’avis. Fallait-il louanger ou démolir ce travail très habilement rédigé dans lequel chacun pouvait y trouver à boire et à manger ? Comme l’intérêt des foules n’était pas au rendez-vous, les journaux ont assuré le service minimum en relayant les papiers de l’Agence France Presse.


Tardivement, la réaction officielle des autorités algériennes s’est habilement habillée de deux articles publiés à la rubrique Histoire de la revue mensuelle de l’Armée populaire algérienne El Djeiche. 

Sous le titre « Explosions nucléaires et chimiques françaises en Algérie: des crimes à ne pas oublier »  un mémorialiste énumére les horreurs de l’époque. Quelques pages plus loin, l’interview d’un général de division évoque les 17 essais nucléaires dans le Sahara il y a soixante ans et rappel que « La France coloniale en laissant derrière elle ses déchets …doit assumer ses responsabilités historiques …. sur le principe pollueur-payeur introduit et reconnu par l’ONU »


Cette réponse du berger algérien à la bergère française est une manière de fixer les priorités d’un hypothétique rabibochage des mémoires qui est bien éloigné des propositions symboliques de Stora de restituer l’épée de l’Émir Abdelkader ou de panthéoniser Gisèle Halimi. 


Alors, l’ambassadeur de France à Alger, diplomate chevronné, bon arabisant, ayant été précédemment en poste à Tripoli, Tunis et Riyad est monté au créneau pour défendre les idées de son Président. « Depuis son élection, le président Macron a engagé une démarche de reconnaissance lucide des crimes commis durant la période coloniale dans une volonté sincère d’apaisement des mémoires » Il a souligné que le Président de la République n’avait aucun a priori car il « n’a été ni acteur, ni témoin engagé de cette période ». Ceci est d’autant plus vrai qu’au sortir de la guerre d’Algérie, le papa de Macron n’avait que douze ans !

Cette plaidoirie n’aurait soulevé aucune interrogation dans les chancelleries si celle-ci était parue dans un journal français ou algérien. Mais à contre courant des usages, l’interview de l’ambassadeur a été publié par Arab News un quotidien saoudien détenu par la famille royale qui tente de ravauder l’image « islamo-fasciste » du prince Ben Salmane en Occident. Il est vrai que dans sa précédente accréditation en Arabie, l’ambassadeur français avait contribué à la création de l’édition française de cet organe. Ce n’est pas une bonne raison. Que viennent faire les obscurantistes saoudiens dans nos affaires de famille, ont bougonné les grincheux.


On s’attendait à ce que le débat sur la mémoire de la guerre de libération de l’Algérie soit bientôt nourri par les déclarations de diplomates algériens à des journaux d’Ankara ou de Moscou… Mais au dernières nouvelles, le Président Macron a appelé le Président Tebboune samedi dernier: « Ils ont, en outre, échangé sur les suites à donner au rapport sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie.. » rapporte un communiqué de l'Élysée.

Traduction: n’en parlons plus !



https://www.mdn.dz/site_principal/sommaire/revues/images/eldjeich_fr.pdf

https://www.arabnews.fr/node/60826/france

https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2021/02/21/entretien-telephonique-avec-m-abdelmadjid-tebboune-president-de-la-republique-algerienne-democratique-et-populaire

mercredi 17 février 2021

Les marchands de canons défient la Covid à Abu Dhabi

Alors que depuis un an, les manifestations internationales sont reportées ou annulées, les Émirats Arabes Unis ont maintenu l’organisation du salon de l’armement IDEX qui ouvrira ses portes dimanche prochain. Tous les industriels fournisseurs de guerres terrestres et navales dans le monde vont se presser à Abu Dhabi au risque d’y récolter quelques mauvaises fièvres.

On attend 70 000 visiteurs. 110 délégations étrangères, 900 exposants de 59 pays et 35 pavillons dont celui de la France qui regroupera les principaux industriels du secteur. 

Le commerce des armes est florissant au Moyen Orient où 160 milliards de dollars ont été dépensés en 2020 dont 19,8 milliards rien que pour les Émirats Arabes Unis.


Pour rassurer, les autorités n’ont pas ménagé leurs efforts: contrôles systématiques, isolation des contagieux, vaccination massive. Plus de la moitié des 9 millions d’habitants que recense la fédération des sept petits émirats ont été vaccinés. Las, les infections et la mortalité ne baissent pas: 3 000 contaminés et quinze morts chaque jour. Les visiteurs étrangers se rassurent en pensant que les victimes se comptent surtout parmi les immigrés indiens qui s’entassent dans les cités ouvrières.

Des précautions draconiennes ont été prises. Dès leur arrivée à l’aéroport, les visiteurs seront testés-badgés et un laisser-passer sanitaire sera collé sur leur passeport. Une vingtaine d’hôtels de luxe ont été sélectionnés où les précautions sanitaires seront redoublées, y compris à la plage et à la piscine où les hôtes pourront profiter de la douceur du climat en cette saison.


Il est de tradition, pendant ce salon qui a lieu tous les deux ans, que les émiriens annoncent un achat spectaculaire. Lors du premier IDEX en 1993, le ministre de la Défense de l’époque Pierre Joxe, était revenu avec une commande inespérée de 436 chars Leclerc pour un montant de 21 milliards de francs. 

Cette habile politique de marketing attire tous les marchands de canons du monde qui espèrent conclure le deal du siècle. À qui reviendra le pompon de l’année 2021 ? Mystère. 


Les Israéliens devaient être à l’honneur et trôner au centre de la foire dans un pavillon abritant une quarantaine de ses entreprises les plus performantes. Il faut dire que depuis les accords Abraham, Abu Dhabi et Tel Aviv vivent une lune de miel. 130 000 touristes ont afflué ces derniers mois dans les gigantesques galeries commerciales et les parcs de loisirs de Dubaï et les hommes d’affaires multiplient les accords de coopération encouragés pas les autorités. Mais depuis le strict confinement décrété par l’État hébreu en janvier dernier et la fermeture de l’aéroport Ben Gourion, les échanges se sont compliqués et les industriels israéliens n’ont pas obtenu de dérogation de circulation pour aller célébrer l’alliance militaro-industrielle entre les deux pays. Les  Émirats ont adressé à Netanyahou une supplique émouvante: « nous comprenons la complexité des voyages de nos jours, mais nous pensons qu'il s'agit de circonstances spéciales et sollicitons votre aide pour permettre à la délégation israélienne de participer à l'exposition. comme prévu. » Les industriels hébreux ont pareillement multiplié les interventions. 

Insoutenable suspens. Espoir d’une mansuétude de dernière minute !…


En France, c’est la ruée. On se frotte les mains au gel hydroalcoolique. Il n’y a plus un seul jet privé à louer. Tous les grands patrons de l’armement tricolore seront présents. Il y aura aussi assurément la ministre Florence Parly et de nombreux généraux cela va de soi. Ils seront reçu par Cheikh Mohamed, Émir de Dubaï et ministre de la défense de la fédération depuis 1971 (accessoirement l’un des hommes les plus riches du monde et le père des princesse séquestrées Shamsa et Latifa). 

La présence dans la délégation française de la ministre de la Culture Roselyne Bachelot est elle aussi fortement espérée car au moment même où les marchands de canons feront leurs emplettes on inaugurera au Louvre d’Abu Dhabi une exposition, organisée en collaboration avec le Centre Pompidou qui rassemblera 80 oeuvres merveilleuses de Paul Klee, André Masson, Wassily Kandinsky, Cy Twombly, Lee Krasner et Jackson Pollock, Cy Twombly, Lee Ufan, Wassily Kandinsky, Henri Michaux, Juan Miró, Christian Dotremont, Jean Dubuffet, André Masson…

Ils ont bien de la chance les Émiriens et les Émiriennes de pouvoir se consoler de la vue de machines à tuer en allant caresser du regard tant de chefs d’oeuvres !


https://www.louvreabudhabi.ae/fr

https://idexuae.ae/



dimanche 7 février 2021

Le monde est malade, la Chine se porte bien

C’est en prenant du recul que l’Histoire pose les jalons de la bascule du temps. Le Moyen-Âge, la Renaissance, la Révolution Française, les guerres mondiales sont des périodes traits d’union. Singulièrement, 2020 s’inscrira comme la date précise et facile à retenir du passage au monde nouveau.

L’année 20 a été déconcertante 

Au plan économique et financier le baril de pétrole s’est « vendu » un temps à moins 34 $ pour rebondir à 60 $; les emprunts d’états se sont négociés à des taux négatifs; l’action Tesla a bondi de 600; la valeur du bitcoin a quadruplé. 

Le désordre climatique s’est accentué: l’Australie et le Brésil se sont embrasés; il a neigé dans le désert d’Arabie pendant qu’une canicule gagnait l’Antarctique…

La cybercriminalité s’est généralisée au point de devenir le risque majeur des  organisations civiles et militaires. Après la guerre des étoiles, c’est la guerre de la toile.  

Ces désordres pourtant très alarmants ont été escamotés par la formidable implosion de la bombe Covid dont on ne connait ni l’origine, ni la cause, ni les effets, ni les conséquences sur l’avenir.


Safe China

Les statistiques journalières du centre John Hopkins égrènent les scores de cette « guerre biologique » qui a épargné la Chine - 4 600 victimes - et ravagé le reste du monde faisant provisoirement plus de 2,2 millions de morts.  La Corée du Sud, Taïwan, le Viet Nam sortent également quasi indemnes.  Ils ont employé la seule méthode efficace pour lutter contre les épidémies depuis la nuit des temps: détecter, tracer, isoler. Ce palmarès de la gouvernance bouleverse les équilibres et les rapports de forces géostratégiques. 

On se consolera en songeant que le désastre eut été bien plus grand encore si la pandémie avait terrassé ces pays et fermé leurs usines. Où aurions nous trouvé les masques, les tests, les respirateurs, les lits de réanimation… et la foultitude de produits usinés dont la production de masse au moindre coût est devenue un monopole asiatique au fil de la mondialisation. Le « système des objets » décrit par Baudrillard en 1968 est made in China.


Les forces armées désarmées par les virus

Au cybervirus qui détruit les systèmes d’information et obère l’usage des matériels, s’ajoute désormais la menace invisible  et létale du biovirus. Nous sommes passé de l’arme nucléaire de destruction massive à l'arme virale de neutralisation globale.


Après avoir brièvement communiqué sur l’immobilisation des porte-avions et des frégates, les États se sont bien gardé de publier les effets de la COVID 19 sur la disponibilité de leurs forces et la perte de leur capacité d’emploi. 

Ce n’est pas un hasard si les deux nations proportionnellement les plus militarisés du monde, les Émirats Arabes Unis et Israël, se sont précipitées pour vacciner massivement leur population. Dans les Émirats les officiers (nationaux) ont eu droit au Pfizer, les hommes de troupe (étrangers) au vaccin chinois. Cela n’a pas empêché l’État Major d’être contraint d’alléger ses opérations extérieures au Yémen, au Somaliland et en Libye. 

En Israël, 12 500 soldats ont été mis en quarantaine et toutes les permissions ont été annulées (Time of Israel 2 février)

Au Maroc, l’armée est prioritaire et nul n’a protesté. Mais en Espagne, le Chef d’État Major a été contraint de démissionner pour s’être fait piquer avant tout le monde.

Aux États-Unis, les armées  publient chaque jour un bilan détaillé: 228 000 cas positifs et 256 décès (5 février). La vaccination reste au choix du soldat mais le port du masque est devenu obligatoire.

En France, le ministère de la défense communique a minima.  La contamination affecte la troupe « dans les mêmes proportions que les civils » 


Vaccin diplomatique

L’Union Européenne qui a choisi de grouper ses commandes est à la remorque. La Hongrie dissidente a homologué les vaccins chinois et russes pour compléter ses besoins et il est probable que d’autres pays de l’UE suivront ce mauvais exemple devant l’évidence qu’il n’y aura pas avant longtemps suffisamment de doses pour tout le monde. 

Les Britanniques promptement et massivement vaccinés se félicitent de s’être affranchis de la bureaucratie bruxelloise. C’est le premier effet positif du Brexit !


Le choix de la nationalité du vaccin est une posture d’alignement diplomatique. D’un coté les euro-étasuniens, de l’autre les sino-russes. Mais la concurrence fait rage dans chaque camp et tous les coups sont permis.

Algérie et Maroc qui se regardent en chiens de faïence ne pouvaient envisager de fédérer leurs commandes. 

Le roi du Maroc vient de se faire injecter la première des 65 millions de doses de toutes provenance qui seront administrées à ses sujets. 

Le Président algérien qui est à toujours en décovidage dans un hôpital allemand a commandé aux Russes le Spoutnik V dont 500 000 échantillons sont attendus sous peu. Alger qui ne craint pas le désastre envisage un transfert de technologie pour produire localement le vaccin. 


Hallal et kasher

Il semblerait que l’option chinoise, un moment envisagée, ait été écartée après que les réseaux sociaux aient révélé la crainte que le produit comporte un adjuvant à base de gélatine de porc ! Les scientifiques ont apporté des certitudes qui n’ont pas rassuré les incrédules. Mais c’est finalement le principe de précaution qui a été retenu. 

À l’autre bout du monde, le Président indonésien a consulté le conseil des ulémas avant de donner de sa personne en se faisant vacciner en grande cérémonie. 

Dans l’État hébreux, un sage religieux a démontré que la question de l’adjuvant porcin ne se posait pas,  le produit n’étant pas consommé par voie orale. Le message n’a pas totalement convaincu. Tout comme les musulmans salafistes, les irréductibles intégristes juifs refusent catégoriquement la piqure et c’est par milliers que chaque jour, ils défilent dans les rues de Tel Aviv sans masque, agglutinés en grappes derrière le cercueil de leurs rabbins qui décèdent les uns après les autres…. de la Covid.


Course au désarmement et sauve qui peu

Le vaccin est une protection dont l’efficacité sera améliorée au fil du temps par des réponses adaptées au fur et à mesure des mutations du virus. 60 sont en attente d’essais cliniques et 170 au stade de recherche (dont un français). C’est un espoir réconfortant qui s’ajoute à celui des médicaments innovants. Mais il est à craindre que dans les années à venir une course à l’échalote s’engage entre le mal et le vaccin car pour le moment, aucun scientifique n’évoque l’éradication de la pandémie. Alors, il faudra continuer de vivre masqué dans une ambiance anxiogène, entourée de sauve-qui-peu.

Député français Monsieur Meyer Habib est fier d’avoir été le premier homme politique français à s’être fait piquer…. en Israel ! Plus digne est la posture de Bill et Mélinda Gate  qui appellent de leurs voeux un monde post-pandémique plus fort, plus égalitaire, plus résilient et souscrivent à la lutte contre la COVID pour 1,7 milliards de dollars au profit de COVAX la centrale d’achat et de distribution équitable des vaccins de l’OMS.



Vaccin bien public mondial ?

Le 12 janvier, une information importante est passée sous les radars de la presse française. Il s’agit de la démission surprise des dirigeants du géant chinois Sinopharm dont le vaccin venait d’être homologué par les autorités deux semaines plus tôt. Le nouveau PDG, ingénieur dans l’industrie médicale est aussi membre du Comité national de la Conférence consultative politique du peuple chinois. Le parti commande au fusil disait Mao. 

En Chine, la politique est toujours au centre de toute action. Chaque entreprise possède une cellule du parti communiste (90 millions d’encartés). Celle-ci n’intervient pas directement dans la gestion mais elle veille au respect de la doctrine dont la santé est l'un des piliers stratégiques. 

Le Président Xi Jinping a réitéré son souhait de proclamer le vaccin « bien public de l’humanité » au même titre que l’air ou l’eau. Le Président Biden n’y a pas encore fait écho, mais c’est sans doute un thème d’apaisement et de rapprochement dans la conjoncture de tension entre leur deux pays.

En attendant, Pékin aura t-il les moyens d’imposer sa volonté notamment aux géants de l’industrie pharmaceutique occidentale avec lesquels il a noué au fil des années des partenariats très étroits de co-traitance industrielles et de recherche et innovation ? 

De l’issue de cette partie de Mah-Jong avec la Maison-Blanche et les dix premiers laboratoires pharmaceutiques (Big Pharma) dépend l’approvisionnement global et équitable des humains en vaccins. Finalement, Pékin et Washington portent l’espoir d’une incertaine mais indispensable souveraineté sanitaire mondiale.