mardi 27 décembre 2011

Spanc ou les miasmes d’un fromage à trente milliards d’euros

Le Président de la communauté de commune du Pays Patelinois est un Monsieur sérieux. Il a fait des études à la rue Saint Guillaume avant de devenir haut fonctionnaire à Bercy.

Reconnaissant envers la République qui le nourrit, il sacrifie ses loisirs de fin de semaine à l’administration du patelin dont il est natif à deux heures de Paris. Le Maire est aussi Conseiller Général et père de famille. Cela fait beaucoup, mais c’est courant. C’est le virus du service public. Ce n’est pas une question d’argent. D’ailleurs, je crois très naïvement que le bonhomme qui perçoit son salaire de serviteur de l’Etat verse l’intégralité de ses indemnités électives, soit cinq mille euros par mois environ à la caisse des écoles et aux associations d’handicapés. L’ambition de cet édile n’est pas le ruban puis la rosette ; il veut faire et défaire les lois, il veut devenir député!
C’est tout le mal que je lui souhaite. Il ne sera sans doute ni meilleur ni pire législateur que celui qu’il remplacera.

Mais je veux et j’exige qu’il cesse de s’occuper de mes petits besoins et de mes grosses commissions !

Voila l’affaire :
Je suis par lui, suspecté de souiller le sol Normand et de polluer la nappe phréatique où s’abreuvent les Percherons. J’apprends que mes commodités contreviennent à pas moins de trente lois et règlements !
Que Cécile du Pot me pardonne, je jure que je ne le savais pas.

J’ai honte depuis qu’une charmante jeune fille est venue frapper au carreau de la cuisine.
Je suis du SPANC, me dit elle, je viens vérifier votre ANC .
(???)
« Ah bon ! Entrez, asseyez-vous, vous préférez une Ricoré ou une Ovomaltine ? »
Elle a ouvert un ordinateur et m’a posé une foule de questions bizarres :
« - Combien de petits coins avez-vous ?
-Avez-vous une machine à laver ?
-Une douche ?
-Où se déversent vos eaux pluviales ? »

Là, j’ai répondu qu’en Pays Patelinois un micro anti cyclone nous protégeait de toutes précipitations.
Gentille la fille, mais complètement dépourvue d’humour. Elle a décliné mes breuvages mais croqué un sablé.
«- Où est enterrée votre fosse septique ? »
Devant mon air sceptique elle m’a expliqué que rapport à la règlementation Européenne, Elyséennes, Matignonesque, Normande, Percheronne et Patelinoise, elle était investie du pouvoir d’investiguer où se perdaient mes urines et mes selles du jour !!!!
« Mais chère madame » plaidais-je, « ne séjournant que du vendredi au dimanche, il m’arrive de me retenir jusqu’à mon retour vers le tout à l’égout Parisien dont je dépends. Certes, j’avoue qu’une ou deux fois, par absence de précaution j’ai pu laisser échapper quelques pou-pou dans la cuvette ! On devrait les retrouver dans le puisard au fond du jardin. Si vous voulez bien vous donner la peine … »
L’inspectrice inspecta.

Alors que je lui faisais perfidement remarquer qu’une vache voisine était en train de se soulager de dix kilos de bouses à deux mètres du ruisseau, la préposée du Service Public d’Assainissement Non Collectif, (prononcer spank) me rétorqua que les sécrétions bovines ne relevaient pas de son autorité. Je fis appel à son bon sens : « convenez qu’entre mon pou pou du week end et 10kg fois 100 vaches soit une tonne de bouse à mouches par jour, soit par an...sans compter les veaux, cochons, couvées...et le troupeau de blaireaux...et les sangliers...et les taupes... »

Miss Spank me détailla comme si j’étais un parisien. Alors, je n’insistais pas.
Avant de me quitter à regret feint, elle me remit un dossier de 27 pages -signé de l’énarque (futur député s’il me fiche la paix) - où tout est clairement expliqué aux Docteurs en droit résidents de la communauté de communes du Pays Patelinois. La dernière page écrite en petits caractères affiche le tarif des « redevances » pour contrôle périodique entre 30 et 100€ à percevoir par le spanc.

Le bricolage de la législation sur l’évacuation des eaux usées par fosses septiques concernent plus de cinq millions de maisons individuelles. Quelques résidences secondaires, mais surtout des habitations modestes occupées par des pauvres qui devront mettre leurs rejets domestiques aux normes. Une installation de plusieurs milliers d’euros que le spank viendra régulièrement contrôler. Les récalcitrants seront privés d’eau du robinet.
C’est un marché au doigt mouillé de trente milliard d’euros !
Un énorme fromage pour les « trois frères » Saur, Veolia et Suez ; une rente viagère pour les collectivités ; un surplus de travail (bien mal rémunéré) pour nos élus désintéressés qui devront présider les commissions ad hoc.

Attention Messieurs les candidats députés, les souillons et les crottés, les pollueurs de tréfonds, les croquants mal embouchés pourraient bien décrocher les fourches et rendre le climat électoral malsain !

jeudi 15 décembre 2011

Et la guerre d’Iran n’aura pas lieu

Le RQ-170 est un drone américain tellement furtif et secret qu’il a tout à coup disparu des écrans de contrôle alors qu’il survolait le Béloutchistan. L’objet perdu est réapparu quelques jours plus tard à la télévision iranienne.
C’est une étrange histoire qui va peut-être changer la face du monde.

Les drones sont des engins téléguidés à l’exemple de ceux qu’apporte le père Noël aux enfants de riches. Il y en a de toutes tailles. Des mini comme des mouches qui passent sous les portes sans faire de bruit, des mégas comme des Boeing qui volent à quinze kilomètres d’altitude. Tous ont des yeux magiques qui traversent les nuages et sondent le sol. Ils peuvent rester en l’air des jours et des nuits.
Les petits tueurs emportent du poison, les gros lâchent des missiles « Feu du Diable » Hellfire d’une redoutable précision.
Plus de cent fois, Obama a baissé le pouce, jamais le condamné n’a échappé. Aucune montagne d’Afghanistan n’offre de protection contre l’assassinat à distance. Par ce procédé, le Président a exécuté un Américain d’Al Qaïda en villégiature au Yémen. Le soupçonné n’avait même pas été jugé ! Ce qui est sans précédent au pays du premier amendement !
Le drone se pilote comme un jouet depuis un pupitre auquel il est relié par satellite à des milliers de kilomètres de sa cible. Il est invisible, anonyme et invulnérable, car il n’y a pas de bouclier défensif ni pour l’instant d’engins capables de le détruire. C’est l’arme absolue, l’arme indispensable qui fait la différence dans les guerres modernes.
Sans l’aide des drones américains Lévy n’aurait pas réduit Kadhafi!

Mais les hommes politiques français sont ingrats. Ainsi, contre l’avis de la grande muette qui sourde d’indignation, la France s’apprête à passer une commande à Dassault, l’exportateur champion du Monde du fiasco en rafale. L’avionneur de Corbeil Essonne presque centenaire en milliards et en années s’est allié aux Israéliens pour fournir dans quelques années et si tout va bien un drone équivalent au bijou américain qui trône sur les étagères et qui est moins cher. Le Sénat indigné s’est levé pour retoquer le budget du ministre de la défense. Les généraux siègent sans désemparer et les députés menacent de défiler. Avant même de l’avoir engagée, la France a perdu la guerre des drones.
Alors que les Etats Unis maintiennent en l’air plusieurs centaines d’engins armés, l’Europe se lance avec retard dans le développement de cette arme redoutable et bon marché. Les Russes et les Chinois sont aussi à la traîne.

Les Iraniens qui travaillent sur le sujet depuis plus de vingt ans, ont réussi l’exploit de prendre le contrôle du plus sophistiqué des drones d’observation US. L’appareil, obéissant aux ordres de ses nouveaux maîtres est venu sagement atterrir à leurs pieds. Pour l‘Iran, c’est une victoire et un butin inestimable. Ses savants viennent de démontrer leur capacité d’électroniciens hors pairs qu’ils sauront mettre rapidement à profit pour copier l’engin et produire un reverse engineering avec l’aide de leurs complices russes et chinois accourus en hâte.
Les Américains ont commencé par démentir la capture de l’engin. Les Iraniens ont exhibé le drone à la télévision. Le Pentagone, sans beaucoup convaincre, a prétendu qu’il s’agissait d’une maquette. Enfin, le Président Obama a réclamé la restitution de l’avion sans pilote. Ce qui a provoqué l’hilarité persane.
La frénésie diplomatique suscitée par l’événement montre qu’il est d’une portée insoupçonnée. Car non seulement, l’Iran dispose maintenant d’un prototype pour reproduire l’arme secrète, mais elle vient d’apporter la preuve de sa capacité à se prémunir des attaques de ce genre d’engins en les kidnappant. L’Iran devient la seconde puissance mondiale dans ce secteur d’armement. Il ne serait pas étonnant que Téhéran annonce l’abandon de son couteux programme nucléaire devenu dérisoire face à la nouvelle arme de dissuasion qu’il maitrise désormais.
Et la guerre d’Iran n’aura pas lieu !

lundi 12 décembre 2011

L’océan arabe

C’est un espace ignoré du sens commun.
Pourtant la mer arabe n’est pas un mirage mais une évidence géographique.
Tous les pays arabes sans exception ont une façade maritime, parfois même deux : le Maroc ouvre sur l’Atlantique et la Méditerranée ; l’Egypte sur la grande bleue et la Mer Rouge, l’Arabie sur la Mer Rouge et le Golfe Persique.
Et aussi la Palestine avec Gaza entre mers… mortes.
Bahrein signifie « deux mers ».

Pour l’Occidental l’arabe est bédouin, jamais marin.
Mais l’Oriental se regarde de la même façon. Sans doute sous l’influence de l’islam, a t-il enraciné dans sa mémoire le saint voyage aride de La Mecque à Médine ? Le coran cite furtivement la mer des perles et celle du corail.

Aujourd’hui, la notoriété du marin arabe, pourtant précurseur incontesté de la cartographie et voyageur depuis la nuit des temps, ne dépasse pas celle du canotier suisse. C’est injuste car nul navigateur amateur n’oserait affronter les terribles tempêtes de Socotra au Yémen ni rallier les côtes de Somalie depuis le Golfe du Bengale sur un boutre chargé jusqu’au mat de quatre cents tonnes de bric-à-brac. Les raïs de ces lourds voiliers calfatés à la filasse et au goudron (al katran) sont pourtant en audace les égaux des pêcheurs d’Iroise. Ils sont « émirs el bahr » rois de la mer, origine du mot amiral, titre complaisamment abandonné aux admirateurs envahissants.
Pour se convaincre des talents ataviques des marins maures, il suffit de mesurer l’exploit des pirates de la Corne d’Afrique dont les coquilles de noix s’aventurent à des journées de large pour aborder aux grappins des navires gigantesques au nez et à la barbe d’une armada de frégates et de corvettes.
La légende du chamelier Abdallah le copain de Tintin a chassé celle de Sinbad le marin. L’escadre des 100 navires de Saladin contre les pirates génois est oubliée. Il est vrai que pour les arabes, l’espace maritime est surtout une zone de pêche et une voie de communication, il n’a jamais été le chemin des conquêtes, il est toujours celui de l’exil périlleux. Pourtant, sans Ahmed Ibn Majid, Vasco de Gama serait resté aussi inconnu que son pilote !

Finalement, c’est au siècle du pétrole que l’océan arabe aura été intégralement colonisé. Il l’est encore car c’est un domaine stratégique où transite l’essentiel du commerce mondial. Gibraltar (Djebel Tarek), Messine, Suez, Bab El Mandeb, Ormuz sont des entonnoirs dont l’obturation plongerait l’Europe et l’Asie dans l’embarras. Depuis Gamel Abdel Nasser, cette arme de dissuasion n’a jamais été brandie par aucun des 22 pays de la ligue arabe en dehors de tartarinades de circonstance. De même, aucune manœuvre commune des forces navales arabes n’a jamais eu lieu hors contrôle d’une puissance étrangère. D’ailleurs, les marines nationales sont faiblement armées et remplissent principalement des missions de garde côtière.

Seules l’Algérie, l’Egypte et la Syrie disposent de capacités offensives crédibles notamment avec quelques sous-marins d’attaques vendus et entretenus par la Russie.
C’est insuffisant pour protéger la mer arabe d’une réplique de la guerre froide. En Syrie, le port de Tartous est la seule base de soutien de la flotte russe dans cette partie du monde. Sans elle Moscou ne pourrait plus maintenir des forces en Méditerranée.Les Chinois patientent...
Au Nord de Tartous, la côte libanaise paisible en apparence a montré lors de la guerre de 2006 une redoutable capacité navale défensive en neutralisant la frégate Hanit navire amiral de la flotte israélienne. Chez les marins d’Orient, cet événement est célébré comme une victoire navale équivalente à celle de Sawari des Egyptiens sur la flotte Byzantine en 655.
Aujourd’hui, l’armée de mer égyptienne est à l’image du pays : désorganisée, celle de la Libye : inexistante tout comme celle de la petite Tunisie.
Restent les flottes algérienne et marocaine toutes deux bien équipées et entrainées à s’entre-dissuader dans la querelle qui les oppose sur…le Sahara Occidental ou République Sahraouie la bien mal nommée car ce pays est une plage de mille kilomètres sur l’Atlantique.

En bas de la Méditerranée, la guerre froide se prolonge en Mer Rouge et dans l’Océan Indien où les rivages abritent la plus forte concentration de pirates de l’histoire. Ils sont regroupés au sein d’une holding dont le résultat brut d’exploitation des rançons dépasse celui de la Lloyd’s. A ce niveau de business détaxé, les pirates sont devenus les corsaires d’investisseurs avisés. Nul ne connaît les marionnettistes, nul ne sait au service de qui se rangera cette redoutable flotte de gueux en cas de conflit avec l’Iran.
La Somalie est abandonnée des Etats arabes mais pas des musulmans perses et ottomans. Les Iraniens ne craignent pas les bandits de mer, leur aide humanitaire est régulièrement acheminée par bateau. Les Turcs compatissent et assistent pareillement. Ainsi, Erdogan est venu en famille à Mogadiscio pendant le mois de ramadan. Ce geste qui intervenait quelques mois après l’attaque par les commandos israéliens d’un navire turc en route pour Gaza, lui a valu la considération de tous les musulmans.

Les Turcs discernent peut-être la renaissance d’une pensée maritime qui était enfouie dans la mémoire inconsciente des bédouins.

La Péninsule arabe Al Jazeera Arabya (l’île Arabe) est située au Nord Ouest de l’Océan Indien, elle est enchâssée entre le Golfe et la Mer Rouge. On peut se demander quelle est l’influence de la sémantique sur le sentiment insulaire du peuple de « l’île arabe ». Quelle identité marine ressent l’habitant de l’Algérie qui en arabe signifie « les îles », pays qui d’ailleurs ne possède que quelques cailloux immergés ! Existe-t-il dans l’inconscient arabe un sentiment d’insularité autre que spirituel ? Existe-t-il chez les Européens une volonté de le combattre ? Le cœur de la cité aghlabide fortifiée de Tunis s’ouvre sur une magnifique porte Bab El Bahr (Porte de la mer) que le protectorat s’empressa de baptiser Porte de France ! Plus au sud, la Mer des Arabes a été francisée en « Mer d’Oman ».
Demain, probablement, toutes les mers arabes seront des champs d’affrontement entre les grandes puissances car elles sont les autoroutes marines où défilent les plus grandes richesses du monde.

Cette guerre froide et humide, asymétrique, post-printanière, risque d’entraîner la somalisation des rivages. A moins que l’Oumma ait les pieds sur terre, cesse de regarder passer les nuages, et se tourne vers la mer pour hisser le pavillon rouge, noir, vert, blanc.

vendredi 25 novembre 2011

Marzouki, le Président sans cravate

Ils ont d’abord été dirigés par un grand cerveau malade, puis par une petite cervelle névropathe ; c’est sans doute pourquoi, dans leur grande sagesse, après des décennies de migraines, les Tunisiens ont choisi de désigner à la tête du pays un neurologue.
L’élection du Docteur indigné Marzouki est une revanche sur ses confrères qui en 1987 avaient déclaré Bourguiba sénile et le satrape digne de lui succéder.

Le personnage est à l’image de ses lunettes : immenses et carrées. Posture élancée, look pressé, col ouvert sans cravate. Le Président Moncef fils de Mohamed El Bédoui Marzouki est un authentiquement bédouin têtu et sans concession ; noblesse qu’il n’a jamais cherché à travestir. En arabe comme en français il parle tranchant avec force et conviction. Auditeur des souffrances et des humiliations, lui-même victime de la terreur, il sera audible et probablement suivi largement par le peuple tunisien. Les pouvoirs de sa fonction ont été sérieusement amputés, mais il portera haut la voix de la Tunisie, pays connu désormais du monde entier comme le symbole de la colère.

Son arrivée au palais de Carthage ne sera pas sans écho ni conséquence car c’est la première fois –après Mandela - qu’un militant actif des droits de l’homme est élu à la tête d’une nation. En terre arabe, c’est du jamais vu, c’est révolutionnaire ! Auparavant, nul cauchemar semblable n’avait hanté les dix mille et une nuits des autocrates de la Ligue arabe ! Comment sera-t-il reçu dans cette assemblée ? Qui osera lui donner l’accolade ? Qui osera ne pas la lui donner ?
Le nouveau Président est inclassable, il n’est pas du sérail, pas fils de, il est l’obligé de personne. A leurs yeux il cumule les tares : de gauche, droits-de-l’hommiste, savant, écrivain, orateur, monogame, et surtout, musulman-arabe-tunisien dans l’ordre et le désordre.

Si les inégalités et les bakchichs reculent en Tunisie, si la peine de mort est abolie, si la femme reste l’égale de l’homme, si l’exécutif, le législatif et le judiciaire deviennent indépendants, si la démocratie de l’alternance s’impose, alors le monde arabo islamique connaîtra une formidable renaissance. Marzouki et ses anciens compagnons de prison ont un an pour réussir la désincarcération des Tunisiens et leur insertion dans un modèle de gouvernance au parfum de pain et de jasmin.

Les premiers gestes du Président seront épiés car lourds de symboles.
Déjà, alors qu’il n’est pas encore intronisé, il vient de faire preuve d’audace (peut-être suicidaire) en refusant de recevoir une délégation du lobbying juif américain. Ceci augure de l’indépendance et de la liberté que chaque Tunisien attend.
On dit que le pouvoir transforme l’homme, mais il est peu probable qu’à 67 ans le militant entame une carrière de parvenu.

Chacun spécule à sa manière sur l’avenir des relations carthago-élyséennes. Elles nous réserveront des surprises ! C’est une certitude.

A une seule lettre près, l’anagramme de Marzouki le rapproche de son homologue français. Mais il s’agit d’un « S » : majuscule, tortueux, serpentin sans trait d’union. L’accroche sera difficile, la poignée de main molle. Le Président français ira-t-il à Carthage après avoir fait étape à Canossa ?

Une rumeur circule au Bistro de la Muette.
La cellule loisir du Château planche sur les vacances présidentielles hivernales. L’affaire n’est pas simple. Le yacht de l’ami désintéressé est au carénage, le Maroc est squatté par le retraité du FMI, l’Algérie est cinquantenaire, la Libye inconfortable, Assouan est assiégé, Petra emmuré, le Golfe est dangereusement persique, il n’y a bien Israël mais…
Plus éloignées du champ de bataille annoncé, il y a l’Italie pluvieuse, Malte l’ennuyeuse, la Grèce dégage…Reste la perfide Turquie qui propose un laissez-passer incognito pour quinze jours tout compris à Finike. C’est une gentille station balnéaire près d’Antalya. Mais un attaché que la généreuse hospitalité ottomane intriguait a découvert que c’est là que se déroula la fameuse bataille de Sawari !

Finalement, après dix huit réunions fébriles trois options ont été retenues : Disney, Brégançon et La Lanterne.
Le Président, s’est emporté : il veut passer Noël à Tabarka !

vendredi 18 novembre 2011

Le Qatar, un confetti puissant

Etat lilliputien super gagnant au loto de la mondialisation, l’Etat du Qatar ne peut être décrit que par des superlatifs.
Grand comme la basse Normandie, peuplé comme la Lozère, bientôt premier producteur de gaz du monde, le Qatar est riche comme Crésus.
C’est une péninsule plate et aride accrochée aux sables d’Arabie qui s’avance au Nord dans le Golf persique vers l’Iran dont elle partage les gisements offshore. Le pays offre des paysages désolants de steppes caillouteuses battues par les vents brûlants sous un ciel rarement clair. La terre la plus ingrate du Moyen-Orient est la propriété de quelques milliers de bédouins obstinés qui ont survécu dans ce milieu hostile à toute forme de vie.

J’ai découvert le Qatar au siècle dernier.
A ma descente d’avion par un soir d’hiver tempéré, je sautai dans le taxi d’un brave Egyptien qui me fit la conversation. Pendant que nous roulions, je tentai à travers la vitre de percer la nuit avare de réverbères. Je demandai au chauffeur de me montrer le centre ville : « mais nous venons de le dépasser ! » me dit-il en riant avant de m’abandonner sur un terrain vague où broutaient quelques chameaux face à l’un des deux hôtels nouvellement construits de la capitale.
Trente ans plus tard, ce n’est plus Doha mais Manhattan et la Baie des Anges sur la même carte postale. La métamorphose est facile me direz-vous car l’argent peut tout ! Et au Qatar, ils en ont tellement qu’ils sont obligés de travailler pour le dépenser ! Pourtant, bien d’autres pays arabes fortunés sont à plaindre. Soyons juste, la prospérité du Qatar où tous les services publics sont performants et gratuits, vient de la sagacité de ses habitants et de la perspicacité de ses dirigeants.
Dans les années 80, le Qatar n’était qu’une promesse de richesse vulnérable, à la merci du premier mercenaire venu. Par chance, les prédateurs étaient occupés à d’autres grandes manœuvres en Irak, en Russie et en Asie centrale. Doha sut se faire oublier et avaler toutes les couleuvres. Cette diversion lui permit de se préparer à gérer les revenus de ses gazoducs en construction mais aussi de nourrir une folle ambition : celle de conquérir le monde. Personne n’en sut rien ; fort heureusement, car tous auraient ri de cette grenouille qui voulait se faire aussi grosse que le bœuf. Les plus brillants potaches de la famille régnante s’attelèrent à ce rêve insensé de devenir, par l’argent, le centre de l’univers. Ils déclinèrent leur stratégie en plusieurs étapes : d’abord se protéger, ensuite exister aux yeux des autres, puis s’immiscer dans les affaires du monde avant de s’imposer enfin comme le siège de la « World Company ».

Vu du ciel, le Qatar ressemble à un gigantesque porte-avion. Pour éloigner les envieux de la compétition et considérant sans doute qu’il avait du sable à revendre, l’Emir offrit aux Etats Unis le droit d’implanter la plus gigantesque base militaire du Moyen-Orient. Ce cadeau bien pensé le protégea à bon compte des velléités de ses voisins proches et plus lointains. Ensuite, par des achats bien ciblés et des gracieusetés bien ordonnées, il acquit facilement les protections complémentaires de Paris et de Londres.
Mais le meilleur des boucliers stratégiques reste l’homo sapiens, espèce rare en cette contrée. Alors à la vitesse grand V, le pays s’est peuplé d’immigrés. Ils sont à présent plus d’un million : américains, européens, arabes, asiatiques. Ils débarquent par centaines chaque jour dans l’eldorado gazier. Ils y séjournent le temps de leur CDD. Une ville de 120 000 habitants a été créée pour Exxon, Shell, Total et leurs associés qataris. Ras Laffan est un hyper-méga-complexe de liquéfaction de gaz que l’on visite en hélicoptère.
La capitale Doha s’est spécialisée dans l’événementiel. Si vous souhaitez organiser les Jeux Olympiques, un tournoi de bridge, le séminaire de votre entreprise, le championnat du Monde de tartiflette ou l’anniversaire de votre petit neveu, Doha EST le lieu. Rapport qualité-prix imbattable. Les hôtels sont luxueux, les buffets pantagruéliques, le service docile et prévenant. Les galeries commerciales bien climatisées offrent un shopping aux meilleurs prix. Carrefour a aménagé son hypermarché façon Venise avec des gondoles électriques qui baladent les clients sur des canaux aux eaux translucides. Au pont du Rialto reconstitué, la pizza est fameuse !

Pour crier au monde la nouvelle de sa naissance le Qatar a créé Al Jazeera, chaine satellitaire d’information continue regardée de Nouakchott à Basrah, par un arabe sur six. Et ce n’est pas un hasard car elle est de très loin la meilleure chaine de télévision. Ses scoops sur Ben Laden lui ont conféré une audience planétaire, mais surtout a permis au monde d’apprendre l’existence de l’Emirat et de mesurer son influence idéologique considérable. Depuis qu’elle émet aussi en langue anglaise, elle rivalise désormais avec CNN et la BBC grâce à des correspondants et des bureaux dans toutes les capitales.
Au surplus, à coup de millions, le Qatar invite les leaders de toutes les disciplines : culturelles et artistiques, économiques et politiques, scientifiques et sportives. Si vous avez un nom qui résonne dans le Landerneau, vous serez immanquablement convié.
Aucune célébrité ne résiste au meilleur tour operator du moment. Jugez plutôt. Une limousine viendra vous prendre à votre domicile, vous déposera à la passerelle d’un jet privé avec chambre à coucher où vous pourrez faire un somme le temps du voyage. A l’arrivée, le traitement VIP sera à la hauteur de votre étonnement, vous serez reçu brièvement mais avec une exquise courtoisie par une altesse. Vous serez ensuite confié à un auditoire d’experts de toutes nationalités à la compétence avérée, qui vous écouteront avec un intérêt immense. Après un repos bien mérité et le temps qu’il vous plaira de flâner, votre avion vous ramènera à la maison. Enfin, c’est avec tact et discernement que vous serez défrayé fort généreusement. Si votre notoriété ne mérite pas ce traitement privilégié, vous recevrez un voucher pour un siège en first ou classe affaires et un chambre au Ritz ou au Sheraton. Voici pourquoi les happy few adorent Doha. Pour eux, c’est Cannes et Davos toute l’année !

La diplomatie du carnet de chèque est efficace. Nul n’y résiste. Doha a les meilleures relations du monde avec tout le monde. C’est pourquoi tous les ennemis du monde s’y réconcilient ou font semblant. Le ministre des affaires étrangères du Qatar est un Talleyrand sans équivalent arabe qui dispose des moyens de ne jamais dire non.
A travers les placements immobiliers de son fonds souverain l’émirat est partout y compris dans les contrées les plus fermées et les plus reculées comme les Dahlaks en Erythrée. Les investissements multinationaux dans le gaz, le pétrole, le téléphone, l’eau, les transports complètent un maillage d’influence planétaire surprenant. Depuis la mort d’Arafat, la révolution égyptienne, la folie syrienne et la sénilité saoudienne, la diplomatie qatari a champ libre, elle fait feu de tout bois et s’impose comme le leader des états arabes.
Bien entendu cette boulimie est suspecte. Elle est mise au compte d’une servitude sioniste, ou néoconservatrice américaine ou même ultra libérale européenne…En vérité, les Qataris ne sont pas des laquais mais des malins. Ce ne sont pas des vendus, c’est le reste du monde qui est à vendre. Dés qu’un oursin diplomatique pique le pied de Washington, Londres, Téhéran, Alger, Paris, Moscou, le reflexe est d’appeler Doha. La caricature du genre fut l’épopée des infirmières bulgares, emprisonnées en Libye, libérées par la France avec des qatari riyals.
Depuis, l’Elysée considère le Qatar non seulement comme le partenaire privilégié de sa politique arabe mais aussi comme un auxiliaire précieux dans ses affaires de culte. Ainsi, il y a trois ans, alors que le Ramadan ne coïncidait pas encore avec les vacances estivales, les élus du 92 en présence du Préfet, du fils du Président de la République française et de l’ambassadeur de l’émir recevaient deux centaines de musulmans du canton autour d’un somptueux iftar dans une salle décorée d’un gigantesque drapeau du Qatar. Le partenariat Qatari-Français ne manque pas de surprendre, il ne se limite pas au tiroir-caisse.

Mais après avoir joué les mécènes et les intermédiaires généreux, Doha entend désormais peser de tout son poids sur le destin des musulmans de France, d’Europe et d’ailleurs.

Son ingérence dans la révolution puis dans la contre révolution arabe est manifeste, tant par le rôle d’Al Jazeera que par le soutien financier des mouvements islamistes. La participation militaire symbolique (Le Figaro s’est trompé de deux zéros en l’évaluant à 5 000 hommes) en Libye avec l’OTAN est une nouveauté dans la mesure où le Qatar revendique une victoire, et partant les dividendes d’une paix qu’il a largement anticipée en se faisant attribuer la gestion du pétrole libyen pendant les hostilités. L’intronisation et le parrainage du très chariatique CNT a surpris. Lors de la conférence de presse de la « victoire » à Paris, l’Emir a répondu qu’il n’avait pas besoin d’invitation pour se rendre à Tripoli car il se considére en Libye comme chez lui. La formule très diplomatique a réveillé des souvenirs chez les nationalistes arabes, mais elle est porteuse d’ambiguïté car pour les idéologues bien en cours à Doha, la nation arabe sera islamique ou ne sera pas.
Il est révélateur que Rachid El Ghannouchi, le très habile leader du parti tunisien Ennahda victorieux des élections, se soit précipité à Doha afin d’inviter l’Emir à venir assister à l’inauguration de la constituante à Tunis. Sans doute l’Emir lui aura-t-il répondu qu’il était chez lui en Tunisie et qu’il s’y rendrait quand bon lui semblera et probablement avec des amis français…

La Tunisie et la Libye offrent des opportunités inespérées non seulement pour les puissances pétro-gazières mais aussi pour l’école musulmane de la péninsule arabe. Le wahhabisme d’Arabie Saoudite est présenté comme rétrograde, son rival du Qatar comme progressiste. Les deux sont respectables. Mais chez eux.
Jusqu’à quel point les jeunes démocraties musulmanes du Machrek pourront-elles préserver leur identité et s’épargner la charia ? Quel dessein se cache derrière la main généreuse du Qatar ?

lundi 7 novembre 2011

Alerte à la démocratie en Grèce et en Tunisie

Je lis la presse. Papandreou, traité comme un moins que rien au G20. Pire qu’un ex-dictateur maghrébin. Pour un peu on lui aurait tiré un Hellfire depuis un drone survolant la croisette.

Les commentateurs hellénophobes s’en donnent à cœur joie.
Les Grecs ? Des menteurs, des profiteurs, des métèques. Des prétentieux sortis de la cuisse de Jupiter sous le prétexte que leurs ancêtres ont inventé la démocratie dix siècles avant l’Hégire ! Ils mériteraient qu’on leur envoie le général BHL !

Pourtant, le petit peuple Grec a traversé la nuit des temps en préservant sa langue sa philosophie, sa manière d’être. Il est vieux comme le Parthénon mais il n’a pas attendu l’âge de la consommation pour apprendre l’art de déguster les offrandes de l’existence. Ce pays élu du ciel rassemble tant de beauté et de douceur qu’aucun avenir meilleur ne saurait lui être proposé sauf celui de le laisser vivre en paix.
Le Grec est un sage. D’expérience il sait que le pouvoir est sale, que les chefs sont corrompus, que l’injustice est fatale. Au pays de la demos kratia le peuple demos n’a jamais vraiment cru en son pouvoir kratos. Depuis trois mille ans, il est volé ; il s’en accommode avec fatalité.

L’Europe par ses bienfaits a transformé la Grèce en pays Potemkine.
A coups de milliards, elle y a construit des stades, des routes, des aéroports, des voies de communications modernes pour que les tomates de Hollande et la féta de Normandie distribuées par Carrefour puissent irriguer le moindre village. A la parade, le pays aligne une armée suréquipée de milliers de blindés et autre joujou capable de contenir une invraisemblable invasion russe ou ottomane.
Mais derrière ce paravent d’opulence, la vie quotidienne est laborieuse et frugale.

Pendant des décennies, la Grèce a été méthodiquement banqueroutée alors que les experts regardaient en l’air en sifflotant. L’Union Européenne des banquiers ayant trop prêté se réveilla finalement.

Découvrant qu’une fois de plus les Karandopoulos avaient piqué dans la caisse, le peuple des cigales s’est cotisé pour rembourser. Les salaires, les retraites ont été amputés de vingt et plus pour cent, les taxes et impôts ont doublé. Les bakchichs aussi. Car ce cancer métastase tous les services publics et même les hôpitaux où le patient paye pour une piqure, un lit, une couverture…pire qu’en Afrique. L’école est une garderie gratuite mais seuls les cours du soir payants offrent une chance d’accéder à l’instruction.
Encouragés par ces premières bonnes dispositions, les huissiers de l’Europe ont exigé un effort supplémentaire. Alors les Zorba ont pris la rue et leurs politiciens en otage. Ils ont crié qu’ils ne voulaient plus entendre le dictat des estivants européens.

Ils ont hurlé : Europe δεν !

Mais comme l’Europe n’entend pas le grec et que le malentendu entre mal entendant risquait de perdurer, le Premier Ministre Papandreou traduisit la revendication hellène en langue latine : ad referendum !
Alors, l’indignation fut générale, la bourse chuta, on convoqua le malotru à Cannes, on le fit attendre à genoux sur les marches du Palais, avant d’accepter finalement avec indulgence son acte de contrition. Ah mais !

Demain la Grèce sera anarchie, dictature, ou demoskratia, elle sera sauvée par les Turcs, les Arabes ou les Chinois, mais elle ne sera plus jamais européenne.

Haro aussi sur la Tunisie. La presse se déchaîne.

C’est la fin de la saison du jasmin, de l’alcool de figue et des câlins tarifés sur la plage d’Hammamet. On dit que les club-Med de Djerba imposeraient désormais le port du maillot de bain intégral.
Du jour au lendemain, par la seule magie des urnes, les paisibles musulmans malékites lotophages sont devenus de farouches salafo-wahhabo-pachtoun –jihadistes avec un Laguiole entre les dents !

Nul n’a relevé que l’élection de la constituante porte l’espoir d’un compromis entre le pouvoir du livre et celui du peuple. Car pas plus en Islam qu’en toute autre religion la démocratie n’est en odeur de sainteté. Après le Liban et la Palestine, la Tunisie rejoint le club très fragile des démocraties arabes. C’est un événement considérable ! Pourtant, Paris refuse l’évidence de l’augure d’un pays converti au débat et à l’alternance.
Il se trouve même des éditorialistes savants qui font d’audacieux rapprochements entre Ben Ali et le bon Shah, Ghannouchi et le méchant Khomeiny, Persepolis et Tunis !

La rue ne s’est pas embrasée pour déménager la Kasbah à la Zitouna. Les peuples arabes se sont soulevé tout comme ceux de l’empire russe à la fin des années 80 parce qu’ils étaient saturés d’injustice.
L’histoire tunisienne chemine plutôt celle de la Pologne où Ben Ali a fait ses classes ; il avait d’ailleurs pour Jaruzelski une déférence filiale. Les deux dictateurs sont tombés de manière semblable : poussés par la foule et abandonnés par leurs protecteurs étrangers. Les dissidents « catholistes » polonais ont contribué à la chute du régime tout comme les opposants tunisiens. A l’époque l’Occident unanime avait chaleureusement salué la victoire de l’église sur la dictature communiste. Comparaison n’est pas raison mais elle permet de relativiser et d’espérer qu’à l’exemple des intégristes polonais qui ont mis de l’eau dans leur jus de betterave, les salafistes tunisiens allongeront leur sirop d’orgeat. "L’extrémisme est soluble dans la démocratie".C'est une profession de foi compatible.

L’examen des chiffres du scrutin montre que l’on est loin du raz de marée Ennahda constaté hâtivement par la presse. Certes ce parti arrive en tête des suffrages exprimés mais les autres courants séculiers alliés font jeu égal. Avec 5 sièges, les « passéistes » représentés par l’ancien ministre de la défense de Ben Ali fait à peine mieux que l’antique parti communiste. Enfin, un bon tiers de la population en âge de voter ne s’est pas déplacé. Cette dernière mesure est inquiétante car elle révèle la proportion d’insoumis à la révolution et surtout d’inconvertis à la démocratie.
Sans doute une partie de ceux là ont-ils perdu espoir. Leur attente urgente n’est pas celle des urnes mais de l’assiette.
Au Sud surtout, la pauvreté grignote chaque jour davantage le plaisir de vivre dans le plus doux pays du monde.
Les vainqueurs des élections savent que demain il faudra décréter la solidarité : un revenu minimum, la gratuité des soins, satisfaire les revendications, assainir la police, libérer la justice, rassurer les patrons…La chantier est immense. La création d’un espace économique commun avec la Tripolitaine n’est pas une chimère !

La Tunisie a changé. La France ne s’en est pas aperçue. Ses hommes politiques persistent à se complaire dans une attitude de « vigilance » alors qu’ils avaient une confiance totale dans le satrape et sa clique. Depuis les élections, aucun homme politique français n’a été aperçu à Tunis. Il est vrai que la saison ne s’y prête guère et que les messagers parisiens habitués du Spoon de Carthage et de La Résidence de Raouad ne sont pas du même monde que les futurs ministres tunisiens dont il est à parier que peu d’entre eux seront des anciens de Saint-Cyr, de Saint-Pères ou de Saint-Guillaume.
Le prochain gouvernement de la kasbah sera un cercle de "carcinocrates" totalisant des années de prison. Les sécularistes et les islamistes étaient frères de geôles. Ils ont partagé le couffin hebdomadaire.
Libérés, ils ont aussi subi la ségrégation de l’ambassade de France ; en exil, ils ont bénéficié de la coopération « exemplaire » entre la rue Nélaton et l’Avenue Bourguiba.
Alors, une déclaration chaleureuse à l’exemple de celles –diplomatiques ou sincères - de Washington, Madrid ou Bruxelles eut été bienséante en cette circonstance rare, propice à l’oubli d’un passé qui fâche. Las, la classe politique n’a eu que des paroles de défiance.

La « mère des arts des armes et des lois » est fâchée avec la Tunisie et la Grèce qui osent dévoyer la démocratie « à la Française », elle parait appeler de ses vœux le retour des colonels et du général.

mardi 1 novembre 2011

La grippe tunisienne

La grippe qui fauche les vieux à l’entrée de l’hiver est venue frapper à ma porte. Mon voisin Normand m’a apporté une fiole de réconfortant miracle avec son mode d’emploi. « Tu mets ta chéchia au bout du lit. Tu sirotes. Quand tu en vois deux, tu es guéri ! »

A peine convalescent, on me pousse à prendre position. « Alors la Tunisie ? Islamiste ou séculariste ? »
Je soupire et feins l’assoupissement.

Que sais-je des militants d’Ennahda ? Quels crimes ont-ils commis autres que ceux attribués par le satrape ?
Premier prisonnier politique de Ben Ali, Si Mahmoud grand père de mes enfants, avait été jeté dans le pavillon des islamistes. L’usurpateur espérait qu’ils le lyncheraient. Ils l’ont protégé. A son procès, Maître Mourou est venu l’embrasser montrant ainsi qu’il n’était pas dupe.
A la prison, chaque soir après dix heures, les tortionnaires arrivaient. Coups et hurlements. Les nervis « attendrissaient » la viande de leur semblable, trop hallal à leur goût.
Vous n’aimez pas beaucoup les islamistes, constatait alors un ministre français au cours d’un diner avec son homologue. Mais au contraire « je les aime saignants » s’esclaffait le tunisien en entamant son beefsteak. Triste époque !

Notre vieille maison à Hamilcar, œuvre d’un ancien colon italien orientaliste, avait un petit minaret. C’est sans doute pour effacer l’offense que Ben Ali l’aura fait raser ; à moins que ce ne soit pour que l’un de ses protégés puisse construire la demeure de ses ambitions.

Voici pourquoi les benalistes tunisiens anti-islamistes qui étaient d’authentiques fascistes ne seront jamais mes amis.

Leurs amis de France non plus.
Depuis 1993, et sans que rien n’ait jamais pu lui être reproché, Monsieur Karkar était assigné à résidence dans une chambre d’hôtel au fin fond de la France profonde. L’homme tenu en laisse devait se présenter deux fois par jour au commissariat.
Hier seulement, la mesure vient d’être levée. Il faut dire que Salah Karkar est co-fondateur du parti qui vient de gagner les élections en Tunisie. La France retiendra t- elle la leçon qu’il ne faut jamais chercher à appliquer sur son sol la loi d’un dictateur étranger ?
Ce n’est pas certain.
En attendant, j’invite le retourné d’exil à venir s’installer chez Monsieur Tahar Materi occupant l’ancienne Dar Belhassine où je l’y rejoindrai volontiers avec toute ma famille aux prochaines vacances.

Bien sur, je suis partial et satisfait. Mais quel démocrate le serait à moins.
Entre la peste et le choléra, entre la dictature et l’obscurantisme, je choisi la grippe.

mardi 25 octobre 2011

Nécrologie de la semaine

Le Prince Sultan, héritier du Royaume d’Arabie est mort dans la fleur de l’âge à 86 ans. C’était le doyen des ministres de la défense du Monde. Il fut le plus gros acheteur d’armements. Il n’était pourtant pas va-t-en guerre ni sanguinaire, mais pragmatique. Il avait compris que la paix dépendait en grande partie des marchands de canons. Ainsi, pour leur être agréable, il leur achetait des lots de quincaillerie sans en discuter ni le prix ni les rétro-commissions. Le personnage le plus courtisé de la terre était lucide et truculent. Pour maquiller leurs turpitudes, les corrompus taxaient de cupide celui qui les engraissait. Il laissait dire et s’en battait l’œil.
Le Prince n’aimait plus la France, devenue arrogante et irrévérencieuse, si loin de celle du Général de Gaulle qu’il admirait tant. Au cours d’une audience en Arabie, un ministre donneur de leçons, s’était fait congédier comme un valet.
La dernière fois que Sultan avait signé un gros contrat avec la France c’était en 1994. Le négociateur du gouvernement français était comme son Altesse Royale un personnage jovial au regard pétillant de malice. Le marché devint une affaire. Un juge enquête encore sur ses débordements. Le destin se montre parfois ironique avec l’histoire car l’élégant ancien ministre Jacques Douffiagues a quitté la vie quelques heures avant le Prince Sultan.

Kadhafi aura fait mentir l’adage de l’égalité des êtres devant la mort. Il fut comme le Prince, quarante ans durant adulé de tous les grands. Il y a quelques mois encore, Rome lui baisait la main, Paris lui lavait les pieds. C’était lui aussi un fameux client ; fantasque mais généreux. Mais c’est bien connu les fournisseurs sont fourbes, ils ne recherchent que leurs intérêts.
Mouammar avait reçu de ses amis infidèles des assurances avant sa sortie. Il aura été trompé. Des missiles ont bombardé son convoi. Il a fui à pied, été chassé, rattrapé, battu, supplicié, transbahuté, une balle au front. Fin. Son corps a été dénudé, exposé, filmé ! Quelques heures plus tard, le ministre français déclarait que le chasseur était un Dassault, son collègue américain répliquait que le drone était un Predator : deux armes désormais certifiées « dictator‘s killer proven ». Les Italiens malins laissèrent filtrer que le pistolet fatal était un Beretta.
Indigné par cette barbarie, Moscou a qualifié l’Otan-isation du leader de meurtre inqualifiable. Il faut dire que feu Kadhafi collectionnait les chars, les missiles et les avions made in Russia.

Jean Amadou, autre saltimbanque est mort de nous avoir fait rire sans jamais faire de mal à une mouche. Il était l’homme « bébête show » de « l’oreille en coin » à l’affiche du théâtre des « Deux ânes ». Il donna des milliers de bons mots à des millions de Français qui se tenaient les côtes. Il se proclamait de droite et de mauvaise foi. On suspectait le contraire. Ayant atteint un âge princier, Amadou a succombé à un brutal excès de dérision inspiré par l’actualité internationale récente. Il mérite la délicieuse formule diplomatique rituelle que s’adressent les chancelleries arabes lorsque trépassent les grands hommes : « implorons Dieu d'accorder au défunt Sa Miséricorde et de l'accueillir en Son Paradis aux côtés de ceux qu'Il a comblés de Ses bienfaits et de Sa grâce » car contrairement au Prince et au dictateur sa disparition sera sans conséquences tragiques sur les survivants.

vendredi 21 octobre 2011

Tunisie : l’index bleu est levé !

En sortant du métro, un journal éponyme m’offre l’information gratuitement : les six cent mille tunisiens de France peuvent voter à compter d’aujourd’hui ! Je me rue au cybercafé du coin. La toile me confirme la nouvelle. Un puissant moteur de recherche trouve le bureau de vote le plus proche de mon domicile : rue Lavergne à Asnières.
Jamais mis les pieds dans cette banlieue. Pas simple à trouver. Après deux heures d’errance j’y suis. Le local communal est humble. Les organisateurs courtois, affables.

C’est un grand jour. C’est la première élection arabe libre. Il faut savourer son plaisir. Il y a de l’émotion dans l’air, des larmes au bord des yeux. Suis-je inscrit ? Ce n’est pas grave. On cherche, on trouve, je signe, dépose mon portable et ma carte d’identité. Un scrutateur m’explique en me tendant une grande feuille et un stylo : « c’est simple, vous entrez dans l’isoloir, fermez le rideau, mettez une croix sur la bannière de la liste choisie, pliez la feuille en huit, et la mettez dans l’urne ». Pour prévenir la fraude, il trempe mon index gauche dans un liquide pâteux. Je le récupère tout bleu.

Le bulletin de vote est grand comme la première page de France-Soir. C’est une liste de quarante huit partis. Ecriture arabe et française. Aux mal comprenant comme moi, chaque formation se signale par un idéogramme : une balance, un poisson, une faucille, un bateau, un olivier. Jolis dessins. Choix difficile. Je pense à M’Hamed, Hédi, Serge. Longue méditation. Je prolonge le plaisir. Enfin, je glisse mon bulletin dans l’urne « a voté ! ». Je quitte ces lieux silencieux comme à regret.
Il manque la cacophonie joyeuse du tabbel, de la tarbouka, de la flûte, du bignou et des youyous. Il manque Smaïl Hattab, Zina et Aziza, les makrouds et l’orgeat, la fumée du bhour et le rire des enfants. La fête de la démocratie mériterait pourtant une nouba inoubliable…
Dans le hall, un rayonnant jeune homme l’index bleu brandit comme E. T se fait photographier devant l’affiche des listes.
Je m’éloigne serein, léger, comme apaisé par l’initiation au rite désormais inscrit dans l’avenir de la Tunisie.
Pour finir le pèlerinage, j’entre chez un coiffeur comme il se doit.

mardi 18 octobre 2011

Tunisie : la révolution d’Octobre

A l'exception de quelques prophètes, personne n’avait vu venir le soulèvement de Janvier, mois habituellement sans printemps ni jasmin.
Afin que nul ne soit pris au dépourvu, la Tunisie a décidé que la prochaine révolution aura lieu en Octobre, solstice d’un nouveau calendrier dont le peuple choisira la saison qui suivra.

La campagne électorale a été passionnément médiocre. Le chômage, l’injustice, les disparités qui rendent la vie dure au quotidien dans le plus beau pays du Monde, n’ont pas été au centre des débats. Certes l’enjeu du scrutin porte sur la désignation des rédacteurs de la future constitution. Mais cette longue étape était-elle bien nécessaire ? Les britanniques n’ont pas de constitution, la république parlementaire israélienne non plus. Les juifs intégristes se sont toujours opposés à l’adoption d’un texte supérieur à la Torah. Israël ajourne sans cesse l’adoption d’une constitution depuis…1948! Espérons que les constituants tunisiens seront plus véloces mais ce n’est pas gagné d’avance...
Car dans un pays où tous les actes solennels s’accomplissent au Nom (bismi) d’Allah, l’omni présence de Dieu dans la campagne électorale était inévitable. Toutefois, le clivage mosquée/bistro ne saurait porter un modèle de société. A focaliser le débat sur la religion, le paysage politique reste flou et au terme d’une campagne de plusieurs mois, il est bien difficile de situer les courants politiques sur l’éventail. L’islamisme de droite est-il soluble dans le sécularisme libéral, celui de gauche dans le socialisme ? Où se cache l’opportunisme caméléon de l’ancien régime ?

La Tunisie libre se joue de la peur des deux modèles qu’elle récuse : l’Occident immoral et l’Orient rétrograde. Le fait que Ben Ali soit l’hôte de l’Arabie Saoudite ajoute à la confusion des esprits. Ses partisans ont multiplié les incidents, instrumentalisant de vrais-faux barbus illuminés. Déjà en 1987, pour préparer son coup d’Etat, le petit général- alors ministre de l’intérieur de Bourguiba -avait multiplié les provocations pseudo islamistes en organisant des attentats à l’explosif et au vitriol, il avait même mis en scène l’attaque de sa propre voiture sur le chemin de Monastir ! Les tontons macoutes du satrape ont récidivé. L’Histoire fera reproche au gouvernement transitoire d’avoir prolongé leur impunité.

L’avenir constitutionnel aurait pu se contenter d’un référendum. C’était trop simple. Et puis les révoltés de la Kasbah réclamaient une constituante. Alors les très nombreux et très brillants juristes ont choisi un mode de désignation à la mesure de leurs immenses talents.
"Le scrutin plurinominal proportionnel au plus fort reste" est une pépite de la science électorale, objet de nombreuses thèses et travaux divers que résume fort clairement un livret de la collection « Que sais-je ? » hélas épuisé depuis 1952. Il parait qu’un opuscule de vulgarisation de 600 pages édité à la hâte en langue arabe et consultable sur Facebook permet de se familiariser avec le calcul du quotient de Hare et les risques du syndrome d’Alabama.
En Tunisie lorsqu'on demande à quelqu'un de montrer son oreille, la personne lance le bras droit au dessus de sa tête pour saisir son oreille gauche. Avec 1500 listes et près de 10 000 candidats, le sport démocratique s’annonce de haute compétition. Mais les tunisiens peuvent le faire !
Pourtant, ce mode de sélection, qui prête à l’ironie facile, est incontestablement le plus démocratique et le plus équitable qui soit après celui du tirage au sort. Il permettra l’élection d’une assemblée mosaïque fidèlement représentative de la centaine de micro partis dont un grand nombre ne portent que l’ambition personnelle de leur chef qui sont condamnés d’avance à s’entendre ou se vendre.

Qu’importe, le processus démocratique est en marche, nul ne pourra l’arrêter ni contester les résultats du 23 octobre (hormis les mathématiciens). Le pouvoir de la nouvelle assemblée sera considérable. Il lui reviendra de construire le socle de la seconde république, mais aussi de désigner l’exécutif qui devra résoudre tout, tout de suite, sous peine de récidive meurtrière.

Le coup d’état n’est à craindre que de l’étranger.

Washington a été clair: Il respectera le verdict des urnes. Alger est muet. Tripoli n’a pas encore mué. Paris est inaudible.

Sans doute encore l’otage des affaires d’un passé trop récent, la capitale française guette surtout la reprise des bonnes affaires.
Il y a quinze jours, Boulevard du Montparnasse, à la très chic Closerie des Lilas, le ministre tunisien du tourisme pérorait en aimable compagnie. Il évoquait les perspectives d’élargissement du Maghreb à ... Israël. Ses invités, un ministre et un ancien premier ministre français se pâmaient. On était si loin des oreilles de l’électeur de Bir El Hafay et de Takrouna.
La République Tunisienne n’a toujours pas d’ambassadeur accrédité en France. Le poste est vacant depuis huit mois, c’est du jamais vu depuis la guerre de Bizerte il y a cinquante ans ! Rue Barbey-de-Jouy, l’ambassade de Tunisie a été vidée de ses meubles de prix : emportés par « la famille ». Aux côtés de quelques fonctionnaires de la carrière, une centaine de policiers, sous protection diplomatique, poursuivent tranquillement leur petit business en veillant sur les cartons d’archives qui leur assurent l’impunité.

Le weekend end prochain, près de trois cent mille tunisiens du Grand Paris se presseront autour des consulats de Paris et de Pantin et d’une poigné de bureaux disséminés en grande banlieue. Où sont les autres bureaux de vote ? Comment se déroulera le scrutin ? La communauté tunisienne de France est en quête d’un modus operandi qu’elle trouvera peut-être vendredi…en sortant des mosquées.
La classe politique française, toujours prompt à donner des leçons, a raté une belle occasion de coopération républicaine.
Gageons qu’elle se rachètera en assistant les démocrates libyens immigrés en France pour l’élection de leur constituante !!!!

jeudi 29 septembre 2011

Les services spéciaux et la République des mallettes

Au cœur des services spéciaux d’Alain Chouet. Le titre est mauvais. Le sous titre est du même tonneau : « La menace islamiste : fausses pistes et vrais dangers ».
Les éditeurs sont des racoleurs pour caddies d’Auchan en quête de barbouze 007.

L’ouvrage mérite pourtant une tête de gondole, mais à La Hune. C’est une lecture conseillée à tous les sciences po de 16 à 77ans désireux de s’ouvrir à l’intelligence. C’est un guide deux en un : le Petit Futé de l’Islam plus le Routard des pays arabes. L’excellent bouquin mal titré mais digne d’être primé, est la transcription littéraire d’un entretien avec Jean Guisnel, ce qui lui donne un incomparable attrait de lecture. Mais ce n’est pas du bavardage de comptoir, c’est de la géopolitique solide, argumentée, ponctuée de formules savoureuses.

Alain Chouet est sans conteste l’un des dix meilleurs experts français d’un monde inconnu qui compte un milliard et demi de mahométans. Mais la science de ce grand serviteur de l’Etat n’a jamais dépassé le cercle restreint de la communauté du Renseignement. L’homme sorti discrètement de l’ombre demeure raillé dans les hautes sphères, son savoir déconcerte les « télé-experts », ses analyses mâtinées de bon sens bédouin et limousin déconcertent les énarques. Et puis, c’est un espion arabophone, un attentif et un curieux qui connaît le décor, les acteurs, les coutumes et les scenarii. Alors forcément sa langue à souvent déplu, davantage encore depuis sa mise à la retraite, car il l’a sortie de sa poche.

Demain, le pouvoir ne pourra plus prétendre à l’innocence de l’ignorance. Alain Chouet est maintenant accessible au grand public. En 1998, il avait écrit que la Tunisie était un chaudron prêt à exploser sous la pression des turpitudes avérées de la maffiocratie du « mari de la coiffeuse et de ses deux cents cousins ». Les membres du gouvernement ont pris le parti d’ignorer les avertissements des hommes à leur service, poursuivant leurs copinages assidus avec des personnages douteux. C’est pourquoi en décembre 2010, la ministre de la défense fut sans doute la seule de son ministère à être surprise par la Révolution qui gâcha ses vacances et compromit les projets immobiliers de ses vieux parents.
Les propos d’Alain Chouet sur l’Iran, l’Arabie, le Yémen, la Syrie, la Libye, le Pakistan...sont diplomatiquement incorrects mais implacablement eprémonitoires.
A lire très vite pour comprendre le monde musulman et les enjeux de la guerre des ombres.

M’accordant une pause casse-croute avant d’entamer le dernier Pierre Péan, je me mis à penser que si Alain Chouet avait enseigné à l’ENE, l’Ecole Nationale d’Exportation - projet d’Edith Cresson torpillé par les énarques- le commerce extérieur de la France ne serait pas moribond et l’économie sur le point de perdre sa notation triple A la fameuse AAA+ des authentiques amateurs d’andouilles.

La République des Malettes est un bon titre de l’enquête de Pierre Péan sur « La principauté française de non-droit », excellent sous titre. N’achetez que la couverture ! Le reste est un peu ennuyeux et surtout très triste.

Le sujet n’était pas facile à traiter car le commerce de l’armement est un domaine crypté, réservé à une petite communauté d’initiés qui se tiennent tous par la barbichette. L’unité de compte étant la centaine de millions, les moyens consacrés par les officines aux traquenards en tous genres dépassent ceux des services officiels.
Le commerce des canons est complexe ; il implique la conversion d’hommes politiques intègres ou cupides car sans leur feu vert, il n’y a pas d’autorisation d’exportation.

Dans ce milieu, les hommes d’affaires ne sont pas des enfants de cœur. On s’en doutait. Pierre Péan les présente comme des voyous de banlieue sans foi ni loi. C’est excessif. Après tout ils ne font que leur métier de prédateur. La plupart ne sont pas de premier choix et leur envergure internationale ne fait pas d’envieux chez nos concurrents. Mais on a les intermédiaires que l’on mérite, il n’y a pas de quoi en faire un fromage sauf lorsqu’il y a mort d’hommes avant la livraison de la marchandise. Le vrai scandale que dénonce Pierre Péan, c’est que ces entremetteurs de paille et de foin entrent à l’Elysée comme dans un moulin. Ils sont à tu et à toi avec les ministres, femmes et maîtresses comprises. Ensemble ils éclusent des vins de champagne et de bordeaux à trois smic le flacon et roulent sous la table en partageant des secrets d’Etat, d’alcôves et de corbeille. On pourrait passer l’éponge si la vocation tardive de nos élus VRP menait au succès. Hélas, à chacun son métier, celui de l’armement ne s’improvise pas et la French Cancan Connexion n’est guère prisée chez les acheteurs de bibelots de guerre. Les insuccès s’accumulent du Brésil à l’Arabie. Les gros clients du Moyen-Orient qui ne sont pas nés du dernier vent de sable, lèvent les yeux au ciel et hochent la tête lorsque par indulgence ils consentent à recevoir la bande des Pieds Nickelés parisiens.

mardi 27 septembre 2011

Tunisie: « Justice – Liberté – Ordre »

Un seul mot résume tous les maux de la Tunisie : injustice.
La liberté est un concept réservé à l'intelligentsia des cultures levantines. L’égalité est à contresens du bon sens car le destin des hommes ne saurait être corrigé puisqu’il est écrit.
Mais nul ne peut nuire sans être puni. Le Tunisien ne transige pas sur ce principe. Sa mémoire est éternelle. Sa révolution réclame avant toutes choses : la justice, al adâla.
Il appelle la foudre sur Ben Ali, sa famille et leurs serviles serviteurs. D’expérience, il se méfie des réquisitoires et des plaidoiries qui résonnent sous les dorures. Vous faisant découvrir sa ville, le chauffeur de taxi vous dira : « voici le Palais de justice…enfin…. voici le Palais car pour ce qui est de la justice, on ne l’y a jamais vu entrer ! » Corruption, chantage, prébendes, les abus de toutes sortes des potentats et de leurs caméristes ont réduit le Tunisien à exercer le seul droit qui lui restait : celui de s’immoler.

L’injustice est une blessure profonde ouverte dans les cœurs depuis des générations. Le protectorat ne fut pas seulement une dépendance, mais surtout au quotidien la manifestation d’une discrimination permanente. L’occupation arrogante et impunie de la Palestine est une souffrance pour tous les arabes. Nul n’a cicatrisé les massacres de Sabra, de Chatila, de Jenin, de Gaza… Par deux fois, Israël a tué sur le sol tunisien aussi. D’évidence, les démocraties du vicomte de Tocqueville protègent l’impunité des assassins. Comment dans ces conditions plaider pour les droits de l’Homme comme socle de la justice ?

Le 23 octobre les Tunisiens voteront pour choisir une assemblée constituante laquelle désignera un Président et un gouvernement. Le scrutin de listes favorisera la représentation de la centaine de partis dont la plupart traduisent les ambitions personnelles de prédateurs.
Déjà, au gré des sondages, se profile une forte majorité de partisans de la justice. Ils suivent le chemin tracé par leurs cousins chrétiens démocrates d’Europe et d’Amérique, au début du siècle dernier. Comme eux ils sont divisés en tendances conservatrices et progressistes dont les parangons sont l’Arabie Saoudite et la Turquie perçus à tort ou sans raison comme des pays de justice. Le Royaume Saoudien applique strictement la loi de l’islam, la République turque l’interprète avec des accents de laïcité.

« Ordre – Liberté - Justice », c’est la devise inscrite sur les armoiries de la République Tunisienne. Quels que soient les résultats du scrutin, la Constituante aura l'obligation de la lire à l’envers.

La Tunisie de demain sera probablement une démocratie musulmane innovante dont la tâche immense sera de réconcilier la République avec la justice avant de prendre Kairouan comme capitale et d’inviter la Tripolitaine à partager son destin.

jeudi 8 septembre 2011

Mal de mots

Jadis, ma copine mannequin passait des heures à lécher la vitrine des confiseurs. Aussi gourmande que jolie, l’interdite de grossir salivait devant les guimauves et les chocolateries pendant que les males fantasmaient sur sa lune et ses étoiles. Je fis sa connaissance alors que sortant de chez Millet je m’apprêtais à croquer une religieuse. Je ne pus résister à son regard suppliant. Nous avons partagé notre envie inéquitablement car par charité, j’engloutis le plus gros morceau du gâteau. Coup de foudre, nous sommes devenus complices. Souvent, je la rejoignais, calmant la fièvre de son addiction par quelques gâteries émiettées avec parcimonie.

Nous partagions des mignardises : une conversation, un mille feuilles, ou juste quelques mots de miel et de candi.

Entre deux dégustations, je l’entrainais chez mes dealers. Je croyais que le supplice de l’envie inaccessible épargnait les accrocs à la lecture et qu’il suffisait de pousser la porte d’une librairie pour accéder au libre plaisir des lignes. Les clients s’écartaient devant la jeune filiforme et le vieux ventru. Je reniflais les titres, elle surveillait ma température. Ma méthode était simple : je goûtais à tout, je picorais quelques mots à chaque ouvrage puis relevais la tête pour en savourer le dosage. Je me limitais à l’achat de mille pages, provision raisonnable pour quelques nuits d’insomnies.

Un jour que nous étions cachés sous une couverture, nous fîmes serment de nous délivrer de notre asservissement par intervertissement.

Mon amie dévora ma bibliothèque en commençant par les livres de cuisine. Pomiane, Curnonsky, Guedda, Madame de Grosrouvre…plus de cent volumes engloutis en 80 jours. Puis, de Céline elle ne fit qu’une bouchée, picorant ça et là pour se distraire du Bukowski, du Colette, du Genet, du Saramago et même de l’Althusser qu’elle poussait en sirotant les fables de La Fontaine. Tant et si bien qu’elle tint sans effort aucun sa ligne modèle car désormais elle passait devant les pâtisseries sans les voir, son nez ravissant plongé dans un folio de La Pléiade.

Comme j’en avais fait promesse, je m’interdisais de franchir le seuil des libraires. Le front collé aux devantures, les mains en conques sur les tempes, je frissonnais en manque de parutions. Les bouquinistes me chassaient du pied comme un voyeur lubrique, parfois, pour m’éloigner, ils me jetaient des tranches de Salammbô à moitié rongées par les rats. Depuis, je maigris de jour en jour. J’ai beau m’empiffrer de croissants au beurre, de pâtés en croûte et de poix chiches, il me semble ingérer des confettis.

Je survis grâce à la soupe au vermicelle alphabet et aux biscuits Scrabble avec lesquels j’écris ce billet que je relis sans appétit, dans le fol espoir d’une rémission.

vendredi 2 septembre 2011

Qui sera la Libye de demain ?


50 mille bombes, 50 mille morts. Kadhafi toujours vivant.
Fallait-il faire la guerre au prétexte que le dictateur est fou ? Car la chose est entendue, depuis quarante ans les observateurs et spécialistes de la pathologie du pouvoir nous assurent qu’il est maboul à enfermer dans sa guitoune. Le Guide agité du bocal sera-t-il finalement camisolé par un autre malin patient ?
On se souvient que Mouammar dans un moment de lucidité, avait jadis estimé que son collègue français était un peu dérangé. Il tenait du camping de Marigny et de l’Elysée que le Président était à soigner. Qui mieux qu’un fou pour juger de la folie d’un autre fou ?
Restons lucide et équitable, le rôle du Président instrumentalisé est secondaire. Reconnaissons le mérite de l’instigateur Général - « le philosophe est le spécialiste des généralistes » - qui a libéré les arabes de la quadragénaire honte que leur inspirait le clown de Tripoli.

Dans ce monde de dérangés, de néoconservateurs pétro-givrés, de sionistes terrifiants, de philosophes déjantés, de nucléaristes acharnés, de va-t-en guerres exaltés, d’hominidés écervelés, la Libye du Kadafou était un refuge où se précipitaient tous les aliénés de la terre. Les palais du roi des fêlés abritaient le gotha des psychopathes cupides, sans vergogne. Où vont-ils trouver asile à présent ? Que va devenir la Gouvernance Mondiale sans bouffon ? Ce régime insupportable était indispensable à l’équilibre international ; c’était le maître étalon de la gouvernance vulgaire, l’exemple de ce que la richesse peut produire de pire. Qui demain prendra sa place ?

L’Algérie est sur les rangs. Elle a tous les superlatifs de la fonction : fortune, corruption, gabegie. Sa jeunesse se jette à l’eau sur des radeaux d’infortune, ses chômeurs s’entretuent, ses anciens meurent faute de soins. De 1992 à 2002, les algériens se sont entre massacrés. Combien ? Nul ne le sait exactement ; plus de cent mille, peut-être plus de deux cent mille… Hommes, femmes, enfants. De bons musulmans, abattus ou égorgés par des takfirites illuminés. Dix ans de cauchemar absolu. Puis dix ans d’accalmie relative. Mais voici que la bête immonde montre à nouveau son museau. Le pays vient de connaître un ramadan de sang.
Le plus spectaculaire attentat du mois sacré est celui de Cherchell. La ville Phénicienne abrite depuis soixante dix ans une Académie militaire qui a formé plusieurs générations d’officiers français, puis algériens.
Le 27ème jour de ramadan, alors que les cadets se rassemblent au réfectoire pour rompre le jeûne, un kamikaze se fait exploser. Les survivants se précipitent au secours des blessés lorsque surgissant à moto, une seconde bombe vivante vient parachever l’horreur.
Je songe à relire « L’attentat » d’alias Yasmina Khadra. Le grand écrivain est un ancien officier de Cherchell. Aidera t-il à comprendre… Qui et pourquoi ? En chaque attentat il y a un message de chantage. Quel est celui de la nuit du destin ?

En 2012 la France commémorera la paix d’Evian et l’Algérie ses cinquante années d’indépendance. Souhaitons que l’une ne fasse plus la guerre et que l’autre soit enfin réconciliée avec elle-même pour affronter tous les insensés de la terre en quête d’un nouvel asile.

lundi 22 août 2011

Aux urnes binationaux aux armes bi-citoyens !


Nous sommes en juin1940, à Gafsa. Des jeunes gens en uniformes sont regroupés puis acheminés dans la nuit vers Tunis. Au petit matin, ils embarquent sur la proue d’un paquebot qui cingle aussitôt vers Marseille. Les hommes du 4ème Régiment de Tirailleurs Tunisiens partent libérer la France !
Pendant la traversée, les passagers de première classe depuis le pont supérieur leur jettent des friandises et des cigarettes qu’ils se disputent joyeusement déjà ivres de la découverte de la mer. Après un voyage de quatre jours retardé par une avarie en rade de Bonifacio, ils posent leurs sacs sur le quai de la Joliette où des wagons à banquettes en dur les attendent. Le convoi gagne Paris. En Gare de Lyon, les hommes cantinent à la hâte d’une soupe avant de sauter dans des camions. Sur le pont d’Austerlitz traversé à faible allure, certains croient discerner la Tour Eiffel. Au petit matin, la troupe bivouaque en forêt de Rambouillet. Au lointain, le canon tonne. Les hommes ne s’en alarment pas, tout occupés qu’ils sont à contempler les arbres immenses, caresser la mousse, effeuiller les fougères. Le lendemain, ils attendent en vain l’ordre de marche. Pour passer le temps, ils capturent trois poules faisanes dont se régalent les officiers lesquels en échange blessent au fusil deux chevreuils, aussitôt égorgés et rôtis au bord de l’étang du Moulinet. Pour la plupart des hommes la guerre est une belle découverte : la France ressemble au paradis.

Quatre jours plus tard, ils apprennent que Paris vient de capituler et que des unités de leur régiment se battent à Palaiseau. Enfin, le Capitaine reçoit l’ordre de rallier Chartres. Les routes sont encombrées par l’exode d’une population accablée. Les armées françaises en colonnes pressées doublent en vitesse une file ininterrompue de civils hagards. C’est une débâcle indescriptible sans gloire ni panache. L’armée allemande est déjà à Trappe. Vers le soir, au bout d’une route toute droite tracée entre les champs de blé de la Beauce, la troupe prend position près d’un hameau désert d’où l’on aperçoit brillant au couchant, les flèches de la cathédrale de Chartres.
La compagnie du 4ème RTT reçoit l’ordre de tenter de stopper l’avance des chars allemands. Par petits groupes, les hommes creusent des tranchées. A la nuit tombée, alors que les obus pleuvent moins nombreux, le Commandant rassemble ses hommes et leur parle à peu près ce langage : « ne laissons pas l’histoire nous traiter de lâches. Jurons de périr ici pour l'honneur de la France ». Tous prêtent serment.
Le jour suivant, ils résistèrent jusqu’au soir. Les derniers survivants formant le carré en défense crièrent : « vive la France…. Allahou akbar ! » avant d’être hachés par la mitraille.
C’était le dimanche 16 juin 1940, à Houville-la- Branche en Eure et Loir.
Le lundi, Pétain signait l’armistice.
Le mardi 18 juin, les 50 villageois qui s’étaient réfugiés dans la chênaie s’en retournèrent pour mettre en terre dans leur cimetière les restes de 63 gosses. Depuis, chaque année, les habitants observent une journée de deuil et s’en vont fleurir la mémoire des hommes qui arboraient l’éléphant d’Annibal sur leur fanion tricolore.
Si un jour, vous passez en Beauce, faites un détour par Houville-la Branche, c’est un village charmant qui invite au pique nique. Entre la rue du souvenir et celle du 16 juin 1940, reposent côte à côte soixante trois hommes « Morts pour la France ».

Le quatorze juillet dernier l’ambassadeur de France en Tunisie recevait en sa résidence somptueuse de La Marsa la communauté française pour célébrer la mère des révolutions. Il avait aussi invité une soixantaine de jeunes de 18 ans pour leur seule qualité de double appartenance. Dans son discours, le diplomate a chaudement encouragé ces nouveaux citoyens à aller voter le 23 octobre prochain pour la constituante tunisienne puis au printemps 2012 pour la présidentielle française. L’appel est singulier car c’est la première fois qu’un plénipotentiaire français invite ses concitoyens à participer à un scrutin étranger. Curieusement, le propos n’a suscité aucune polémique ni à Paris, ni dans l’indulgente capitale tunisienne. L’accrédité aurait-il usé du même langage à Rabat ou Alger ? Son intention probable était de nourrir dans l’hexagone un vrai faux débat qui a fait long feu.

Dédions lui ce billet.

Il existe des citoyens français qui par le droit ou la faveur d’un autre état souverain portent une seconde voire une troisième ou énième nationalité. La vexillophilie n'est pas un vice honteux.
La Fédération de Foot s’en accommode fort bien mais pas le Front National.
Le fisc dans sa grande impartialité ne s’en formalise pas. A quelques exceptions arabes d’affaires près, il considère comme redevable celui dont le foyer est en France. Point.
Le code électoral ne distingue pas le citoyen français de Clermont de celui de Pétaouchnock. Dès lors qu’ils portent une carte d’identité RF, ils votent. On peut se demander si le Français installé au bout du monde depuis des lustres est plus attaché au destin de la France que l’immigré installé depuis trente ans à la Garenne Beuvron… De même, est-il démocratiquement décent de pouvoir voter dans plusieurs pays ? Ici pour les blancs, à coté pour les bleus et là-bas pour les rouges. On peut bien être socialiste chez soit et fasciste sur son lieu de vacance ou inversement. L’exercice du bi-vote est délicat.

En apparence plus simple, le dilemne de la double allégeance ne se pose pas dès lors que le binational revêt l’uniforme. Les soldats tunisiens (citoyens indigènes de l’Union Française) tombés à Houville-la- Branche sont morts pour la France. Les malgré-nous mosellans et alsaciens étaient allemands. Le soldat captif dont on arbore de façon incongrue le portrait sur les mairies de France où il n’a jamais mis les pieds est israélien. Car même pour les gardes suisses du Vatican, la tenue et les galons font le larron.
Reste le libre choix de l’uniforme. Il peut paraitre simple, car à entendre le chef de l’Etat dans la cour des Invalides le mois dernier: « L’armée française, c’est l’affirmation par le peuple de sa volonté de demeurer libre…la France doit à son armée d’avoir passé avec la liberté du monde un pacte multiséculaire… » Discours contredit par la réalité ; il suffit de compter les théâtres où la France non menacée dans son intégrité, sacrifie des soldats pour des causes sans causes enveloppées de mots de libre liberté.

Alors, quels conseils donner au jeune multinational dont l’arrière grand-père en 1942 avec Leclerc a vaincu Rommel et prononcé le serment de libérer la France depuis Koufra ?
Koufra où s'en revient l'Histoire.
Koufra en Libye, oasis verdoyante et prospère au bout du désert. Koufra, portail des trésors de la Cyrénaïque. Koufra, proche de l’Egypte, du Tchad, du Soudan et si loin de Tripoli. Koufra qui suinte le pétrole, enjeu de la guerre.
Ces dernières semaines, la belle Koufra aurait été prise par les « rebelles » de Benghazi, reprise par les forces de Kadhafi avant d’être occupée par l’armée soudanaise d’Omar El Bachir avec, disent les mauvaises langues, la bénédiction de l’ONU, de l’OTAN et surtout de BHL.

samedi 20 août 2011

Le thuriféraire et la blogosphère


Ceci est mon coup de gueule de rentrée.

L’an passé à la même saison, moult dictateurs arabes étaient encore chéris de l’Elysée. Sous les lambris d’un salon parisien, la causerie de la première dame de Syrie était applaudie par trois ministres de la République. Dehors, les mandatés du commerce extérieur faisaient la navette, entre la cérémonie d’un ruban rouge et celle d’un contrat blanc bleu, entre l’hôtel Bristol, le Bourget et Tripoli. Et puis, l’épidémie a foudroyé les tyrans et avec eux, les thuriféraires français d’un monde maffieux.

Thuriféraire, ce mot est en passe d’égaler en popularité le volapuk, l’abracadabrantesque, le casse toi pc et le dégage. Il a été utilisé par le journaliste René Naba pour qualifier un expert du Petit Orient, lequel l’a immédiatement poursuivi en diffamation. L’indigné, un cireur de babouche décoré, estime que ses écrits à la gloire de Ben Ali étaient justes, sincères et totalement désintéressés. Le thuriféraire, - à ne pas confondre avec le gonfalonier, porteur d’oriflamme - est un encenseur, un épandeur de fumée, un flatteur de narines.

Le mot de Naba a fait mouche. Paris a ri. Le visionnaire autoproclamé de l’Orient est nu. Désormais, par décence, les télés s’abstiennent de l’exhiber. De rage et sans doute pour compenser ses cachets perdus, le flagorneur a intenté un procès à René Naba ; il lui réclame vingt mille euros. Un autre larron qui avait été mis dans le même sac, a de son coté, saisi le Procureur de la République. Par le civil et le pénal, les deux comparses parviendront-ils à faire embastiller le pamphlétaire talentueux et à le ruiner en frais de justice ? Quelles sont les raisons de cette réaction inédite ? Quelles intérêts malsains pourfendeurs de liberté arabe, quelle communauté de connivence René Naba a-t-il débusqué pour que ces deux personnages médiatiques se lancent dans une bataille stérile ? Car les offensés appellent la justice française d’aujourd’hui à se comporter comme la justice arabe d’hier. Ils n’ont pas procès gagné d’avance !

Cette affaire pose la question des faiseurs d’opinion, celle des « consultants » payés par les médias pour vendre au public le discours qu’il souhaite entendre entre deux publicités de lessive. Naba met à jour les boniments doctement énoncés à la messe du 20 heures. Thuriféraire soit loué, les français restèrent trente deux ans ignorant de la souffrance des Tunisiens. Jamais les vacances au soleil ne furent compromises. Lorsque Monsieur l’expert qui est français, arabe et chrétien nous disait avec une mine enfarinée « tout est rose et jasmin au pays de Carthage », comment vouliez-vous le suspecter de connivence sans passer pour un réactionnaire raciste ? Comment contredire l’islamophobie habile, sans passer pour un musulman fanatique ?

René Naba est un homme rare. Il a osé. Son écriture est libre et sincère. Son blog dérange.

Un thuriféraire veut le faire taire, tout comme il cherche à obtenir dans une autre procédure la censure du remarquable site tunisien Nawaat.
Ce petit monsieur est un zéro arabe dont je ne traduirai pas le nom car il mérite d’être rayé de la blogosphère.

jeudi 21 juillet 2011

Lumière sur la guerre de l’ombre des Francais en Afghanistan

Lire ou écrire, il faut choisir, on ne peut faire les deux à la fois. Les deux escapades sont incompatibles.
Autrefois, je voyageais en lisant. C’était un double chemin qui se rejoignait parfois. Lire Loti sur une hauteur d’Istanbul, Hemingway à Ronda, Cossery et Vialatte à Héliopolis… Mon grand regret sera de n’avoir pas conduit mes pas vers l’Afghanistan, destination du bout de la nuit. J’y aurais relu Céline qui n’y mit jamais les pieds.
Aujourd'hui, me voici assigné à résidence chez mes normandes. Alors du fond d’un fauteuil moelleux, je me résigne aux voyages en charentaises.

L’actualité de juillet est afghane. Devant les cercueils, le serment maintes fois entendu est stupidement rabâché : « vous ne serez pas mort pour rien ! » Président grave, familles éplorées, camarades dents serrés, couleurs, sonneries, salut. Tout comme hier en Bosnie et demain en Libye une centaine de gosses abandonnent leur vie pour la France et une cause que nul ne perçoit distinctement.

Depuis plus de trente ans, la une des journaux nous enfume. Que savons-nous de ces millions de malheureux décimés par la guerre, la drogue, la misère ? Qui, comment, pourquoi et jusqu’où ira le martyr de ces peuples ? Quelles revanches le destin réservera t-il aux survivants du jeu cruel des grands ?
De 1978 à 1992, les soviétiques ont tué un million et demi d’afghans, ensuite les rescapés se sont entre-assassinés avant que l’OTAN ne vienne accélérer l’hécatombe à partir de 2002.

Aujourd’hui, le corps expéditionnaire occidental est en train de réussir l’exploit de coaliser contre lui l’Iran chiite et le Pakistan sunnite et partant, toutes les tribus afghanes. C’est l’union des tireurs de ficelles. La débâcle est proche. L’enjeu est énorme car il peut donner naissance à la création d’un ensemble formant superpuissance dont la seule perspective réjouissante est que l’Afghanistan cessera d’être le premier exportateur mondial de drogues dures. Ceci n’est pas un détail pour les cent mille junkies de New York, Paris, Moscou…qui laissent chaque année la brune afghane leur prendre la vie. Les pétroliers s’inquiètent aussi de l’isolement de l’Arabie dont le principal allié le Pakistan se rapproche de son ennemi l’Iran. Quant à l’Inde et la Chine « attendez-vous à savoir… » Bref dans les prochaines semaines les géo stratèges de comptoirs ne vont pas chômer.

Pour tenter de comprendre l’Afghanistan, le choix d’un ouvrage est délicat. Je feuillette les présentoirs de « La Procure » une librairie digne de foi. Voici un livre à couverture noire dont les premiers mots « une histoire sans mémoire.. » sonnent justes. Huit cents pages plus loin, une conclusion du même tonneau: « … la France sait peut-être mieux que d’autres que le royaume de l’insolence peut aussi être le cimetière des prétentions ».
C’est du lourd, j’achète « La guerre de l’ombre des Français en Afghanistan 1979-2011 » de Jean-Christophe Notin.

Vingt et une nuits d’insomnies plus tard, je le proclame : ce livre est une somme. Je le dis sans ambages car après tout c’est l’été, la saison des je, des vacances d’écriture et des devoirs de lecture. En un mot comme en cent et en seulement trois syllabes ce livre est: pa ssio nnant. Aux curieux qui interrogent je réponds : « sur l’Afghanistan ? Lisez Notin voyons ! » C’est chez Fayard. C’est 26 euros.C’est bien moins cher qu’un charter.

lundi 20 juin 2011

Guerre de la musique en pays Sarthois

Ce modeste blog traite de sujets futiles avec sérieux et inversement.
Bouteille à la mer voguant vers des amis lointains, c’est un clin d’œil de comptoir aux copains exilés dans des pays où l’herbe est moins verte, une façon de trinquer à la mémoire des frères disparus, une thérapie de la nostalgie ; c’est l’assouvissement d’un besoin d’écrire allongé sur un sofa et la vanité illusoire de prolonger la validité d’une carte de reporter, échue depuis belle lurette.

Ce blog est rarement lu au delà d’un cercle de copains et de quelques logiciels détectives. Les post récoltent quelques insultes indulgentes et de rares compliments immérités. Mais il en est un qui buzz et dont l’ampleur de la réaction est étonnante.

Il s’agit du billet « Danse et musique à Bonnétable »

http://hybel.blogspot.com/2011/04/danse-et-musique-bonnetable.html

Depuis le 26 avril dernier il fait un bruit d’enfer. Son audience n’a pas atteint encore le score de l’édition d’Ouest France-Maine Libre mais elle dépasse largement celle de l’Echo Sarthois.
Il faut dire que ce scandale ignoré de la presse régionale est emblématique du divorce consommé entre la France profonde et ses élus. A lire les 35 commentaires publiés à ce jour (dont celui d’un conseiller général qui fait la pluie et le beau temps), on comprend que la politique locale n’est plus le lieu d’apprentissage d’une démocratie apaisée mais le champ de bataille programmé de basses campagnes.

André Malraux qui êtes au ciel, faites un signe ! Jack Lang, depuis le bistro de la place des Vosges, envoyez un texto à votre ancien bureau, Claude Angeli, parlez à l’oreille du canard, Bernard Guetta et Jean Daniel… rien qu’une p’tite note de musique…

Ah non, pas toi, BHL tais-toi !

mercredi 15 juin 2011

La pluie et le beau temps

La Normandie aussi a vécu son printemps aride.
Non pas au G8 de Deauville, mais dans les pâturages et les bocages transformés en désert. Cent jours sans eau. Jamais vu ça, affirmaient les centenaires. Dans les prairies, les vaches grattaient le sol de leurs sabots pour déterrer quelques racines desséchées. La botte de foin s’échangeait sous le manteau à des prix faramineux. Les puits étaient à sec et le lit de l’Eure défait.

Allait-il pleuvoir à la fin ?
Ptèt ben qu’oui, ptèt ben qu’non. La météo débitait des menteries. « Y’a pas plus de nuages dans le ciel que de beurre en broche… » Au train où vont les choses me dit Joseph le fermier d’à côté, « j’va planter des cactus et élever des chameaux ». L’Henriette son épousée, n’était pas partante. C’est une bigote qui voit dans les caprices du ciel la colère du Père. Pour elle, la cause de tous les malheurs est entendue : « y’a plus personne à la messe. Alors, le bon dieu, occupé qu’il est avec les volcans en irruption, les centrales en fusion, les arabes en révolution…et j’en passe…il nous a oublié. Faudrait ptèt s’rappler à son bon souvenir pour l’Ascension ». Quand l’idée eut fait son chemin de croix dans la commune, il fut unanimement décidé lors du repas de la fête des voisins qu’il serait célébré des rogations.

Les rogations sont des prières pour la pluie. Depuis la nuit des temps jusqu’à jadis elles avaient lieu le lundi, mardi et mercredi précédant l’Ascension. Notre assemblée de joyeux Normands convint aussi sur ma suggestion de mohametant, de faire appel à l’imam de Sée pour qu’une salat al istisqâ (prière de la pluie) soit également dite. Ça ne mange pas de pain ! Lança le Maire après une tournée de goutte. Et pour assurer le coup, faudrait envoyer deux pèlerins, l’un à Rome et l’autre à la Mecque surenchérit un pochtron. Ben voyons !

Ce qui fut dit fut fait.
Au matin du cent deuxième jour de canicule une procession nombreuse et recueillie parcourut les chemins et les champs. Le prêtre vêtu d’une aube immaculée et d’une chasuble dorée aspergea la terre de gouttes d’eau bénite, puis, il déposa ça et là des petites pierres ornées d’une croix en cire blanche.
Pendant ce temps, sur la pelouse de paille où des tapis avaient été disposés, une dizaine de fidèles entonnèrent derrière l’imam la prière à deux rakaat. Pour faire pendant aux infidèles, on versa le sang d’un agneau égorgé sur la mare asséchée. Puis on rôtit la bête, tandis que Joseph mettait en perce un tonnelet de cidre aigrelet.

Par l’effet conjugué des prières, un gros nuage surgit. L’assistance resta un long moment comme statufiée, le nez en l’air, les yeux fixés sur ce signe évident. Le diacre et l’imam se congratulèrent avec force accolades. Jean-Yves en profita pour déboucher une bombonne de calva dont il sacrifia un petit verre au pied d’un pommier. A cet instant précis, le tonnerre gronda. Martine et quelques autres bigotes se signèrent en hâte. Slimane qui était sur le point de trinquer récita une sourate en fermant les yeux, les paumes ouvertes vers ciel. Ses mains recueillirent les premières gouttes d’un déluge qui crépita ensuite longuement sur le toit de la grange où l’assemblée s’était réfugiée.

Après les vêpres et salat el-asr, après méchoui et calendos, chacun s’en fut sur son petit nuage.
Le sommeil me porta vers des rêves insensés de prières exaucées. Et la pluie de plomb qui s’abattait sur les révoltés arabes cessa.

mardi 14 juin 2011

Kadhafi en rêvait, BHL l’a fait

Depuis le déclenchement du feu sur Tripoli, plus de cinq cent mille exilés ont franchi la frontière tuniso-libyenne : des travailleurs du quart monde au ventre vide et des familles entières, femmes, enfants sur des camionnettes surchargées ou à pieds poussant un troupeau de bêtes. Tous fuient l’horreur.
A l’échelle d’un pays de dix millions d’habitants, le défi est gigantesque. Imaginons l’état de la France si elle devait en quelques semaines accueillir plus de trois millions de pieds noirs.

« Bienvenue en Tunisie » pays du sourire et du jasmin. A Ben Gardane et à Tataouine, les boulangers font les trois huit, les mitrons tartinent les pains chauds de « Vache qui rit » qui sont immédiatement enfournés par une file d'affamés. A l’intérieur du pays, jusqu’à Kairouan, on se serre pour faire de la place aux arrivants ; dans les crèches, les écoles et les hôpitaux. Ni richesse ni travail à partager, mais c’est de bon cœur que l’on met quelques couverts de plus. L’hospitalité est une tradition ancestrale. La honte de s’y soustraire est pire que la mort.

Les Libyens sont des frères. Khadafi rêvait de l’union des deux pays. BHL l’a faite. Car de cette transhumance imposée naîtra l’évidence d’un seul peuple. La guerre a fait tomber la frontière de l’égoïsme des joueurs d’échecs.

« Mektoub », c’est inéluctable, la Tripolitaine avec la Tunisie puis la Cyrénaïque avec l’Egypte feront jonction. Et le domino libyen permettra l’émergence d’un ensemble homogène, cohérent et puissant. Ceci, lorsque les forces politiques, pour l’instant inexprimées, se solidariseront à l’exemple des hôtes tunisiens avec les exilés libyens. A condition aussi qu’elles puissent vaincre l’hostilité des puissants dont la perspective d’un Maghreb Unique est incompatible avec la vision d’un monde figé selon leurs intérêts passés.

Pour une fois, l’Algérie et la France sont au diapason. Le discours du ministre français de l’intérieur est synchrone avec la posture de son collègue d’Alger. L’un refoule avec force humiliation quelques milliers de rescapés d’un naufrage, l’autre claque la porte de la solidarité laissant le peuple algérien muet d’indignation par l’égoïsme de ses dirigeants. Car l’Algérie a purement et simplement fermé ses frontières à l’exode libyen. Elle n’a laissé qu’un passage au compte-gouttes. Les anciens de l’ALN au pouvoir s’en remettent totalement à la Tunisie dont ils ont éprouvé la générosité il y a cinquante ans. Pour dédouaner leur conscience, les Présidents de France et d’Algérie payent la note de l’aubergiste : ainsi, le Premier Ministre tunisien est rentré de Paris et d’Alger avec deux chèques à six zéros et des promesses de rallonges dans ses valises.

Les révoltes arabes forment entre elles un mouvement authentiquement révolutionnaire. Elles expriment le rejet d’un système d’asservissement féodal et la recherche d’un mode de société fondé sur la primauté de valeurs nouvelles, pour l’instant difficilement identifiables dans notre grille de lecture mais assurément revendicative du droit à l’indignation et la résistance. Bien que non pertinente, car l’histoire bégaie rarement, la recherche d’exemples passés permet la mise en évidence d’un facteur singulier : l’unicité. A regarder les mouvements de révolte et d’émancipation des années soixante (ségrégation raciale aux USA, liberté d’expression en France, autodétermination en Tchécoslovaquie…) aucun lien ne permettait la jonction des soulèvements dans un projet de société en commun. A l’inverse, le monde arabe est un. Par la langue, la tradition, l’histoire, les référents, les coutumes, la pratique culturelle.

Ce que démontre la vague de réfugiés libyens en Tunisie, c’est la fraternité et la simplicité du vivre ensemble. L’intégration d’un arabe dans un autre pays arabe est immédiate. Comparaison n’est pas raison mais, les peuples des Etats (non) Unis Arabes ont bien davantage de liens fusionnels que ceux des Etats Unis d’Amérique. C’est sans doute pourquoi la perception américaine des arabes est globale alors que celle des européens –eux même tellement différents les uns des autres- est ségrégationniste.

Notre vision du monde arabe est déformée d’un coté par la perception d’une géographie post-coloniale d’anthropologue qui nous porte à souligner les différences plutôt que les ressemblances, et d’un autre coté, par la transposition d’un regard miroir sur la vieille France. Ainsi, on s’attarde sur les tribus d’Afrique du Nord tout comme avant 1914 on différenciait les Bretons, des Basques, des Normands…Sur les chiites et les sunnites (transposition catholiques/protestants). Bien entendu, chaque population dans le monde arabe a sa personnalité, pas seulement au plan national et régional mais aussi dans les villages ou les villes traversées par un oued qui fractionne des identités artificielles comme à Gafsa ou Gabès. Mais ces différences propres à toutes les sociétés ne sauraient dissimuler la réalité du socle commun. Le devenir des peuples du Maghreb dans l’union est une évidence, celui d’une jonction avec le Moyen-Orient aussi.

Alors que le Soudan et la Syrie descendent encore plus bas dans l’horreur, les Etats du Golfe ont perçu le danger de la contagion des rebellions. Prenant prétexte du terrorisme, et du péril chiite, l’Arabie construit un mur de béton et d’électronique avec ses voisins. Ses troupes portent main forte à celles de Bahreïn et du Yémen pour mater les révoltes. Le Qatar et les Emirats bombardent Tripoli. Le Conseil de Coopération du Golfe dont le volet sécuritaire regroupe les pétromonarchies derrière un « bouclier » de défense à invité les royaumes de Jordanie et du Maroc à les rejoindre. Rabat n’a pas donné suite. Le monarque chérifien est plus jeune, plus instruit, plus proche de l’Espagne et des couronnes européennes dont il est invité à s’inspirer tant qu’il est encore temps.

Les murs des Etats Arabes tiendront-ils sous la pression des foules ?

On est loin de la concertation. Les révolutionnaires de l’an premier voyagent surtout vers l’Occident. Les sociétés civiles arabes n’échangent pas encore leurs expériences. Le champ de la fraternisation reste occupé par les islamistes. Pour l’instant, les « rues arabes » restent parallèles. Le désert les empêche de faire tâche d’huile. Pire, le grain de sable sahraoui menace d’entrainer le Maroc et l’Algérie dans une guerre fratricide.
Reste quelques lueurs d’espoir : celles des touristes qui viendront goûter les douceurs de l’été du printemps arabe.

Les estivants Algériens en Tunisie sont habituellement plus d’un million. Combien seront-ils cette année ?

jeudi 2 juin 2011

La Libye s’invite au salon du Bourget

Quelques semaines après les soulèvements tunisiens et égyptiens, la France mettait le feu à la Libye. Lorsque la fumée sera retombée, on découvrira – s’il y en a -, les motifs réels et sérieux de cette guerre à sens unique dont les effets collatéraux sont multiples.

Pour l’heure, la population tripolitaine est prise dans une nasse. La fuite par la mer est risquée car l’Europe de Schengen ne jette aucune bouée. Au Sud l’armée des insurgés accueille avec suspicion les présumés kadhafistes. A l’ouest, un océan de désert sans fin. Au nord la bordure algérienne est honteusement et hermétiquement fermée. Reste la Tunisie : « Bienvenue, vous êtes ici chez vous ! » Cette formule n’est pas une simple politesse ; le pays a accueilli en 70 jours plus de 500 000 exilés. Parmi lesquels des travailleurs de toutes nationalités qui ont été réacheminés vers leur pays d’origine, et des milliers de pauvres hères oubliés, venus de contrées tellement lointaines et misérables que le prix de leur vie ne vaut pas celui du voyage de retour.
Egalement, 350 000 libyens fuyant en camionnettes : femmes, enfants, vieillards entassés sur des meubles et des matelas. Les Tunisiens ont fait de la place dans les écoles et les crèches à leurs petits voisins, les malades sont soignés, tous sont réconfortés d’un toit et de repas partagés.
En Tunisie l’hospitalité est la première religion.

Compatissante, la France a d’abord réagi timidement en accordant dès février trois cent cinquante mille euros, puis en avril trois cent cinquante millions, enfin la semaine dernière à Deauville, l’enveloppe est passée à un milliard d’euros de crédits. C’est beaucoup et peu à la fois. Mais le contribuable français qui paye ici les dommages de son va-t-en guerre de Président devrait rentrer dans ses fonds (principal et intérêts), pas seulement parce que Tunis paye toujours ses dettes.

Depuis quarante ans, Paris avait obstinément espéré que Tripoli devienne l’Eldorado de son commerce extérieur de la paix. Giscard y livra une trentaine de Mirage ; Mitterrand se plia à tous les samaleks pour placer des Airbus ; Chirac se montra un rien moins naïf ; mais son successeur mit carrément Paris et la tour Eiffel à genoux devant le dictateur contre la promesse de commandes faramineuses de centrales nucléaires et de Rafale. Las, Kadhafi n’a jamais prisé le « made in France » et à part des broutilles de surveillances et quelques bateaux, il a toujours préféré acheter ailleurs. Question de service après-vente sans doute.

Pourtant, par une triste ironie du destin, Mouammar est devenu cette année le premier agent commercial de l’industrie française d’armement. Car dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, le produit n’a de valeur que par rapport à son usage. Une arme entreposée dans un hangar ne fait peur à personne si elle n’a pas fait la preuve de sa terreur. Le label « combat proven » pour un engin de guerre, c’est comme la médaille d’or à la Foire de Paris ou l’étoile au Michelin, ça booste les ventes. C’est pourquoi, le gouvernement français n’a pas lésiné. Toutes les capacités militaires air et mer ont été déployées en Libye.
Premiers sur zone, le porte avion, les navires de commandement, les frégates et même les sous-marins. Le savoir-faire des chantiers navals et des systèmes de combats embarqués sont à l’épreuve. Les Russes qui hésitaient hier encore se sont décidés au vue des dernières performances et les Saoudiens sortent aussi le chéquier en prévision de la prochaine visite présidentielle française.
Car tous les experts militaires du monde observent attentivement le théâtre des opérations, ils établissent des comparatifs. Les notes françaises sont bonnes selon les Britanniques ; c’est dire si les perspectives de marchés sont encourageantes !
Il y a le Rafale qui surclasse tous ses concurrents. Les exportations du fleuron de l’aviation française pourraient bien enfin décoller à la faveur d’une giga commande de l’Inde qui vient d’éliminer le chasseur bombardier américain de la compétition. Les Emirats Arabes Unis et le Qatar, qui participent aux grandes manœuvres libyennes vont passer de nouvelles commandes.
Les missiliers se frottent aussi les mains car des dizaines de millions d’euros ont été dépensées dans des bombardements « chirurgicaux » par les fameux Scalp et autres air sol. Ces dernières nouveautés coûtent entre trois cent mille et deux millions d’euros pièce ; on comprend qu’elles soient très parcimonieusement tirées lors des démonstrations commerciales. Les résultats constatés à Tripoli sont excellents, alors les intentions de commandes pleuvent. De plus, certains pays du Golfe ayant généreusement doté la rébellion libyenne de leurs stocks de missiles sol sol obsolètes, s’apprêtent à regarnir leurs étagères avec les derniers modèles.
Au chapitre des ventilos, la communauté internationale vient seulement d’autoriser l’emploi d’hélicoptères. Déjà, les premiers retours d’expériences sont prometteurs. Les industriels des transmissions et d’interceptions ne manquent pas eux aussi de vanter l’expérimentation in situ de leur matériel.
Seules ombres au tableau, l’infanterie et l’arme blindée qui restent encore provisoirement interdites de manœuvre et surtout les drones tueurs, domaine dans lequel la France empêtré dans une coopération avec les israéliens est en queue de peloton. Les US ont aimablement prêté quelques exemplaires que la France finira bien par acquérir.

Les grincheux ne manqueront pas de faire observer que jusqu’à présent les troupes de Kadhafi, réputés indolentes n’ont pas riposté une seule fois. Incompétence ou verrouillage systémique des fournisseurs ? La stratégie embrumée du dictateur imprévisible peut encore nous réserver des surprises.
Assurément, au prochain salon international du Bourget à la fin du mois, l’aéronautique militaire française et la communauté de l’armement sabreront le champagne sous une pluie de contrats. La Tunisie qui a été invitée au G8 sera-t-elle conviée en qualité de victime collatérale du champ de manœuvres ? Ce n’est pas certain ! Mais la Libye est assurée d’être à l’honneur de toutes les conversations sur les stands et les pavillons pour son action décisive dans la relance du commerce extérieur de la France.

Ceci est relatif. Comparaison n’est pas raison mais à titre indicatif et incongru, en 2009, les exportations françaises d’armements s’élevaient à 4,3 milliards, celles des vins et spiritueux à 9 milliards d’euros et celles de fromages à 2,5 milliards.

Alors, pas de quoi trinquer ni en faire tout un fromage !