mardi 26 août 2014

Une loi sur la double allégeance



Depuis que j'ai appris à marcher, je manifeste dans les rues de Paris en criant « Palestine solidarité ». Je suis fatigué. A quoi servent ces indignations sinon à panser le chagrin et la détresse face à l'injustice sans cesse récidivée ? Combien de gosses massacrés depuis l'expansion de l'Etat d'Israël ? Combien sont à venir ?
La propagande odieuse de Tel Aviv est relayée par les minorités qui instrumentalisent les diasporas. Elle ne laisse aux juifs d'autres choix que l'approbation ou la trahison et aux non-juifs la soumission ou la qualification de raciste.

Président et gouvernement soutiennent l'extrême droite israélienne et proclament qu'il ne faut pas importer en France le génocide de Gaza. Mais pourtant ils consentent à « exporter » plusieurs milliers de citoyens Français pour servir dans l'armée israélienne ! Un matin, sur France Inter, l'un d'entre eux s'est exprimé. J'ai rendu mon petit déjeuner.

Juifs et juives de France ont la faculté d'acquérir la nationalité israélienne par la simple preuve de leur religion. Ils doivent alors allégeance à l'Etat hébreu et remplissent leurs obligations militaires. Combien de Français binationaux  portent l'uniforme de l'armée israélienne ? Combien d'engagés et de réservistes ? 5 000, 50 000, 100 000 ? Nul ne le sait. Le chiffre est tabou. Le gouvernement français plonge la tête dans le sable. Il laisse faire mais stigmatise inéquitablement (mais avec raison) la poignée de jeunes paumés qui rejoignent « le jihad pour punir Bachar »

« L'exception francisraélienne », un reportage stupéfiant de Rabha Attaf publié sur Mediapart et Med in Marseille révèle les campagnes de conscription menées par le Consulat d'Israël à Marseille pour enrôler de jeunes Français. L'intervention des sergents recruteurs de l'armée israélienne sur le territoire français n'incommode pas le gouvernement. Elle démontre pourtant la volonté de l'Etat hébreu d'universaliser sa guerre et de la propager sur le territoire français où sont précisément rassemblées les plus nombreuses communautés juives et arabes d'Europe. Car dans ce contexte, comment ne pas soupçonner un « cousin » de Sarcelle d'avoir estivé comme réserviste sur une plage de Gaza ? Comment ne pas suspecter tout juif de France d'être un tueur de palestinien ? Mon copain d'être un salaud ? Comment éviter l'amalgame entre anti sioniste et antisémite ?

Que se passerait-il si demain au nom d'une fraternité religieuse ou culturelle, poussés par une propagande bien orchestrée, des milliers de jeunes Français décidaient de rejoindre la lutte armée palestinienne et s'enrôlaient pour aller jeter des pierres sur des chars ou tirer des roquettes sur un dôme ?
Au nom de quelle justice d'aucuns seraient empêchés de rejoindre le drapeau de leur choix pendant que d'autres auraient la permission d'aller combattre sous la bannière blanche et bleue ?

La double allégeance est une imposture insupportable car elle bouscule dangereusement l'unité et la cohésion de la nation française.

Pourtant, la classe politique n'y trouvent aucun inconvénient. Le lobbying pro-israélien qui prétend abusivement représenter l'ensemble des juifs de France à travers le CRIF est tout puissant. Toute critique est étouffée. L'histoire de France est appelée en leçon, on brandit le spectre de l'an-ti-sé-mi-tisme : le grand mot qui sème la confusion et paralyse toute discussion car la loi sanctionne l'outrance.
En ultime argument, le débat serait insane au prétexte qu'il figure au catalogue du Front National. L'évoquer, c'est « faire le jeu » de l'extrême droite, c'est tourner le dos à la lumière, à l'esprit de La Fayette, aux capacités d'assimilation et de discernement de la France plurielle, c'est être défaitiste...
Paris ne sera jamais Sarajevo voyons !
Pas certain.

Jusqu'à présent, et fort heureusement, la guerre israélo-palestinien n'a pas métastasé dans l'hexagone car si l'émotion et l'indignation de la population sont grandes, peu ou pas de familles françaises sont apparentées aux Palestiniens de Gaza. Certes l'actualité sanglante attise les sentiments de colère, quelques gestes d'antisémitisme se manifestent et le massacre de Toulouse qui endeuilla des familles juives et musulmanes est toujours en mémoire, mais le risque de vengeance communautaire et de vendettas parait extrêmement faible. Le sentiment national des arabes de France prédomine sur celui de leur pays d'origine.
Le Moyen-Orient est loin.

Il en serait tout autrement si un conflit éclatait entre deux pays du Maghreb.
L'hypothèse n'est pas à exclure car depuis des décennies, le Royaume du Maroc et la République d'Algérie se regardent en chiens de faïence. Cela fait tant de temps que cela dure qu'Algériens et Marocains sont en passe d'oublier qu'ils sont frères de sang. La frontière est fermée, les relations bilatérales sont frigorifiées, le commerce et les échanges restent clandestins.
Au nom de la lutte équilibrée contre le « terrorisme international » Moscou et Washington livrent chacun à la région entre quatre à six milliards de dollars d'armement par an. A tout moment, pour une raison futile, la guerre peut éclater. Nul ne sait comment réagiront alors les millions de citoyens franco-maghrébins de France qui seront immanquablement appelés sous les drapeaux de leur seconde patrie.

Car il faut savoir que tout Français fils et petits fils de maghrébins hérite automatiquement de la nationalité d'origine de ses aïeux.
La plupart des jeunes issus de la troisième génération ne parlent pas la langue de leurs ancêtres et n'ont jamais franchi la Méditerranée mais ils cultivent (parfois à leur corps défendant) la singularité familiale d'avoir deux cartes d'identité. On a vu à Paris et dans les banlieues certains d'entre eux en mal de repère brandir dans la rue en signe de révolte le drapeau de leur grand père. C'est dire l'incertitude du sentiment d'appartenance et les risques d'influence et de récupération par la nation « d'origine ». En cas de conflit au Maghreb, ces « malgré nous » seront entrainés dans une spirale génocidaire que l'Etat français ne pourra pas maitriser.


Ce scénario catastrophe est une fiction que le législateur refuse encore d'envisager.
Gouverner, c'est prévoir.
Pour désamorcer le pétard à mèche lente de la double allégeance, il suffirait d'une simple loi :
« Tout citoyen qui portera l'uniforme d'une armée étrangère sera automatiquement déchu de la nationalité française »

samedi 2 août 2014

Tunisie, l'armée veille sur la Révolution

Ben Ali, Général de police avait gagné ses galons par la délation de complots imaginaires. Parvenu à la dictature suprême il consacrait des heures à mettre à jour ses innombrables fiches qu'il plastifiait et classait méthodiquement. Le taciturne était un méfiant qui portait en toute circonstance un gilet pare balles. Tous ceux qui l'approchaient étaient préalablement fouillés au corps. Par dessus tout, il redoutait les militaires, en particulier les diplômés des académies qui lui paraissaient constituer une menace permanente à la survie de sa médiocrité. C'est pourquoi, plusieurs réseaux de mouchards spécialisés étaient chargés de les surveiller. Un jour, par émulation, zèle ou jalousie, une équipe de cafards inventa un complot militaire islamiste. Le satrape parano de Carthage s'en délecta. Il ordonna l'arrestation de 25 officiers supérieurs, 88 officiers, 82 sous-officiers et 49 troupiers, en tout 244 hommes d'élite.

L'un d'entre eux, Sami Kurda a raconté sa descente aux enfers. «  Le Complot de Barraket Essahel » publié aux Sud éditions est un coup de poing à l'estomac qui donne envie de donner l'accolade à l'auteur. 
En mai1991 des arrestations se succèdent au sein de l'armée.  «  non pas moi ! » pense le jeune Commandant « je n’ai strictement rien à me reprocher » Il avait tort.
Livré  à la police politique, il sera ignominieusement torturé.
Son livre est le récit méthodique de ses souffrances et de celles de ses codétenus. Mais contrairement aux témoignages habituels du genre, l’homme ne fait pas le fier, il relate avec sincérité ses terreurs et ses lâchetés. Craignant la douleur, il confesse qu'il espérait la mort. Alors qu'on lui demandait la liste de ses complices, il suppliait ses bourreaux : « aidez-moi, mettez-moi sur la voie ! » Un tortionnaire lui souffle la première lettre d'un patronyme à deviner. Aussitôt la boule de chair cherche désespérément des noms à livrer. Il avoue tout ce qu’on lui demande, il signe sans ouvrir les yeux. Enfin, on le laisse gémir en paix. Une nuit, le Général-Président de la publique fait une ronde pour s’assurer du sanglant de ses ordres.

Après avoir taillé dans les chairs pendant quatre semaines, les tortionnaires imbéciles finissent par se rendre à l'évidence des invraisemblances : l'affaire est bidon. Le ministre de l'intérieur de l'époque Abdallah Kallel regroupe les officiers dont certains doivent être portés, il bafouille des regrets aux innocentés qui sont pansés avant d'être libérés puis très vite révoqués sous des prétextes divers.
Commence alors pour ces handicapés dépouillés de leurs uniformes une vie de paria «  nous avions quitté les murs du pénitencier pour nous retrouver dans une prison à ciel ouvert ». Privés de carte d'identité et donc de toute capacité citoyenne élémentaire : travailler, se soigner, conduire une voiture, ouvrir un compte en banque, payer son électricité, à chaque contrôle de police commissariat assuré, surveillance du domicile, écoutes téléphoniques, perquisitions nocturnes intempestives.... 20 ans de brimades incessantes !

L'inespérée Révolution de janvier 2011 est une délivrance.
Enfin, les bataillons de martyrs peuvent réclamer justice. Mais l'enquête à peine ouverte est très vite refermée car les bourreaux d'hier sont encore puissants aujourd'hui. Les condamnation à des peines légères sont vite purgées. Qu'importe, les victimes s'organisent en association et réclament leur réhabilitation.
C'est chose faite.

Jeudi dernier, sous les ors de la grande salle du Palais de Carthage, le Président de la République Moncef Marzouki (ancien Président de la Ligue tunisienne des droits de l'Homme) a rassemblé les rescapés et leurs familles.
Au premier rang, au coté du ministre de la défense, sur une chaise vide, la casquette du regretté Colonel Mohsen Kaabi : 54 jours de torture, deux décennies de persécutions administratives et policières. Cérémonie émouvante ponctuée d'hymnes et de youyous. Défilés des officiers réintégrés dans leur grade et leur honneur. Discours sobre et digne de leur porte parole le Colonel Major Mohamed Ahmed.

Le dénouement de cette affaire marque l'Histoire de l'armée tunisienne d'un nouveau jalon tout à son honneur.

Car discrètement mais avec détermination la petite armée n' a de cesse d'afficher l'exemple de ses vertus républicaines. Chacun se souvient qu'elle déclinât le pouvoir au matin de la révolution alors que la foule de la Kasbah l'y invitait. Ensuite, tous les officiers nommés à des responsabilités civiles se sont spontanément effacés refusant les prébendes des hommes politiques qui voulaient les instrumentaliser.
Depuis, l'armée tunisienne se consacre entièrement à la préservation de l'intégrité du territoire : contenir la folie meurtrière contagieuse de la Libye, coopérer avec l'Algérie pour combattre les trafiquants-tueurs d'Acmi, repêcher les corps des naufragés de l'immigration vers Lampedusa... Ce n'est pas rien ! Les défis sont immenses, les moyens dérisoires, l'aide internationale timide.
La grande muette assume, elle encaisse en silence. Inlassablement, elle enterre ses morts, victimes de souricières terroristes. 
Principale bouc émissaire de la dictature d'hier, l'armée tunisienne paye aujourd'hui le plus lourd tribut à la révolution dont elle est devenue de facto la plus populaire des gardiennes.
L'épilogue de l'affaire du faux complot Barraket Essahel montre que les officiers tunisiens sont des républicains discrets qui n'oublient rien.