mercredi 10 mars 2021

Macron au Parthénon ?

Après les Rafale, la vente à la Grèce de quelques navires de guerre est une probabilité de 5 milliards qui enfièvre les diplomates français du commerce de l’armement.


Souvenirs

En Septembre 1975, le voyage du président Giscard d’Estaing en Grèce fut un triomphe. Comme il l’a confié : « De l’aéroport jusqu’au palais du Premier ministre, il y avait une foule de quatre rangs pour m’applaudir ». Comme le montrent les images de l’INA le président Giscard d’Estaing était applaudi par les Grecs assistant à la cérémonie d’accueil et les personnes présentes criaient mélodiquement le fameux slogan : « Ελλάς-Γαλλία-συμμαχία » Grèce-France-Alliance*

En février 2013, le parcours de la visite officielle de François Hollande en Grèce était bordé des seules forces de sécurité et de quelques badauds qui lui tournaient le dos. 

Mais si Emmanuel Macron décide d’aller à Athènes à la fin du mois, il y sera à bras d’hommes porté par la foule jusqu’au Parthénon, 


Diplomatie de la canonnière 

En juillet dernier, au large de la Libye, face à des navires turcs, une frégate française ont été à deux doigts d’ouvrir le feu. Cet acte d'audace et de bravoure a provoqué l’admiration des Grecs qui pensaient que le monde entier les avait oubliés et que la Turquie allait à nouveau les broyer. 

Il faut se souvenir que depuis dix siècles ils repoussent l’hégémonie des Turcs; que depuis deux siècles les deux pays par quatre fois se sont fait la guerre; que l’histoire récente rappelle aux jeunes générations l’occupation et la partition de Chypre où les habitants se regardent encore en chiens de faïence; qu’enfin, il n’est pas de semaines sans incidents en mer Égée pour la souveraineté d’îlots contestées. 

Les derniers développements de cette hostilité croisée se manifestent aussi en Méditerranée pour la délimitation d’’une zone de prospection gazière. Dans cette affaire les intérêts grecs, chypriotes, égyptiens, émiriens, israéliens et français sont liés. Ils s’opposent à ceux d’Ankara et de Tripoli. L’OTAN, dont la Grèce et la Turquie sont pourtant membres, regarde ailleurs. Les États-Unis de Trump n’ont pas bougé. L’Union Européenne guidée par l’Allemagne où vivent 3 millions de turcs a soupesé le volume de ses échanges avec la Turquie par rapport à la dette de la Grèce. Bref, les Grecs qui se sentent abandonnés de tous, ont le sentiment d’avoir retrouvé en Macron l’ami des années Giscard.

Pour récompenser la fidélité de son allié, ils ont passé en janvier dernier une commande flash de 2,5 milliards d’euros à Dassault pour 6 Rafale neufs et 12 d’occasion.


Diplomatie marine

Par ailleurs, Athènes a lancé un consultation pour la modernisation de sa flotte de guerre qui compte notamment une trentaine de frégates et patrouilleurs. Les industriels français de l’armement sont sur les rangs. Ils soupèsent leurs chances de damer le pion aux allemands et aux anglo-saxons. Ils sont encouragés par le sentiment très francophile de l’opinion publique et des députés du Conseil des Grecs, qui doivent souverainement décider ce type d’achat. Les observateurs prédisent que conservateurs et progressistes pourraient se rejoindre pour plébisciter le choix du made in France.


Il n’y a pas que les navires de guerre qui font saliver les exportateurs. La Grèce règne toujours sur les mers avec sa marine marchande qui est la première du monde; mais depuis la crise financière de 2008 qui a anéanti l’économie, le pays surendetté a été contraint sous la pression des banques de massivement privatiser. C’est ainsi que la Chine a positionné au Pirée son « Cheval de Troie » Cosco qui est rapidement devenu le principal terminal de la route de la soie en Europe et le second port de Méditerranée. Les Chinois, au grand dam des États- Uniens et des Européens s’apprêtent pareillement à faire main basse sur Hellenic Shipyard le principal chantier naval du pays qui était, avant sa faillite, associé à un partenaire français.


Macron à l’Acropole ?

Le 25 mars prochain, la Grèce célébrera sa fête nationale qui coïncide cette année avec le bicentenaire de son indépendance. Macron est invité. Viendra t-il ? Suspense. Covid oblige, les déplacements officiels ne sont pas d’actualité. N’est pas Pape François qui veut. Le courage du vieux Saint père qui vient de passer quatre jours en Irak pour faire avancer la paix ne semble pas avoir provoqué d’émules. Le secrétaire d’État américain a même inauguré la formule des voyages officiels numériques en visitant depuis son bureau et dans la même journée le Mexique et le Canada !

Le 25 mars est aussi la fête de l’Annonciation. 

Ce jour-là, les peuples laïcs et orthodoxes rassemblés communient à l’unisson dans une même ferveur religieuse et patriotique. 

Ce jour là, sur l’emblématique place Sintagma où d’habitude la foule des touristes contemple la relève de la garde des Εύζωνες en jupette blanche plissée de 400 plis, symbole des 400 ans d’occupation turque, on dressera une tribune pavoisée comme à la Concorde un 14 juillet. 

Ce jour là, officiels et chefs d’États amis regarderont défiler l’histoire de la Grèce. 

Emmanuel Macron sera t-il acclamé au pied de l’Acropole par une foule chantant «Ελλάς-Γαλλία-συμμαχία» Grèce-France-Alliance ?



* https://initiativegrecqueaparis.wordpress.com/2013/03/26/grece-france-alliance-aux-privatisations-par-foivos-marias/


mardi 2 mars 2021

Le Prince MBS victime des droits de l'homme ?

 On se souvient que pour son premier voyage officiel à l’étranger, Trump  s’était précipité en famille en Arabie Saoudite où il avait donné carte blanche aux Salmane en échange d’un chèque de 100 milliards de dollars.

Le Président Biden lui, s’est contenté d’un appel tardif par téléphone au sénile roi d’Arabie, père du prince MBS l’assassin de Khashoggi. Politesse diplomatique oblige, le sujet sanglant n’a pas été abordé. L’échange s’est réduit à deux monologues par le truchement des interprètes.

Le communiqué laconique de douze lignes de la Maison Blanche reprend les traditionnelles formules protocolaires sur les relations séculaires entre les deux pays, la paix au Yémen et la sécurité de la région face à l’Iran. Pourtant, les trois quarts du texte évoquent un sujet totalement inédit dans les usages diplomatiques.


Le Président a noté avec satisfaction la libération récente de plusieurs militants saoudo-américains et de Mme Loujain al-Hathloul, et a affirmé l’importance que les États-Unis accordent aux droits de l’homme universels et à l’état de droit.


Il faudrait souligner trois fois ces mots car ils renversent la tables des connivences habituelles. Dans les chancelleries arabes, le message a fait sursauter. Désormais, on ne touchera plus à la liberté d’un citoyen binational sans craindre la foudre de Washington. C’est bien. 

Mieux, Loujain al-Hathloul sujette saoudienne, qui a grandi en France (Paris ne s’en souvient plus), persécutée, emprisonnée, torturée et enfin libérée est désormais sous la protection des États-Unis. Le jour où elle pourra s’y rendre, il est probable qu’elle sera célébrée en héroïne sous une pluie de confettis sur la 5ème avenue de New York. Les mots de Biden portent un message d’espoir pour toutes les Loujain arabes martyrisées. Biden inaugure une nouvelle doctrine d’intervention dans les affaires judiciaires d’un pays. À l’avenir, l’injustice et la menace sur les droits d’une personne justifieront l’ingérence des États-Unis dans les affaires intérieures d’un pays. C’est la jurisprudence al-Hathloul. S’appliquera t-elle aussi à la Russie, la Chine, la Birmanie ?…


Alors que sous Trump et ses prédécesseurs les États-Unis taisaient les atteintes aux libertés fondamentales en Arabie, Biden soufflette les Saouds en leur rappelant la primauté des droits de l’homme et de l’état de droit. Cela signifie t-il que toute autre considération et marchandage mercantile (pétrole, armement…) seront sans effets ? L’avenir le dira, mais en attendant c’est une déclaration d’intention singulière à marquer d’une pierre blanche.

Lorsqu’on connait l’état des libertés publiques en Arabie, on imagine l’espérance que le message de Biden a provoquée dans le petit peuple du royaume des ténèbres. On se souvient que les printemps arabes avaient été encouragés/déclenchés par le discours de Barak Obama à l’Université du Caire en juin 2009. Pareillement, on peut supposer que les premier mots  adressés par le nouveau Président Biden au monarque saoudien le 25 février 2021 vont résonner haut et que les droits de l’homme constitueront désormais le coeur de la feuille de route du Département d’État, nouvel adepte de la « Diplomacy of Conscience».  Tout en se gardant d’être naïf ou angélique, ces intentions sont de bonnes augures et portent l’espoir que la réaction du nouveau « gendarme du monde» modérera le sentiment d’impunité des dictateurs arabes.


Sous la protection de Trump, la dynastie Ben Salman avait pu sans crainte multiplier les exécutions sommaires, séquestrer contre rançon des centaines de princes et d’hommes d’affaires, retenir contre son gré un premier ministre étranger (Saad Hariri), massacrer impunément pendant six ans les populations du Yémen… De ces opérations préméditées, la plus « aboutie » aura été l’équarrissage de la dépouille de Khashoggi au consulat d’Arabie d’Istanbul. Celle-ci, comme toutes les précédentes, avait pour but de susciter l’effroi et la terreur. Elle a révulsé au-delà de toute expectation le monde entier. Elle a révélé le mode de gouvernance de MBS par l’intimidation. Où qu’il se trouve, nul ne doit se sentir à l’abri de ses foudres. Un mot de trop, une respiration de travers et la tête tombe. Encouragé par ses amis républicains et évangélistes, protégé par les Trump, il était dieu, il est désormais le diable. La publication ordonnée par la Maison Blanche du rapport au Congrès américain sur sa responsabilité dans l’assassinat du journaliste résident américain Khashoggi ne lui permet plus d’envisager de succéder un jour à son père ni de siéger dans des sommets internationaux. Il est toxique.


Pour se consoler de ce camouflet qui le discrédite, le prince a reçu quelques timides messages de soutien de ses obligés voisins arabes Les capitales européennes sont demeurées muettes. Officiellement, car elles convoitent sans l'afficher quelques marchés délaissés ! 

Le ministère saoudien des Affaires étrangères a rappelé l’harmonie des relations avec les États-Unis depuis huit décennies; sous-entendant par là qu’elles pourraient se dégrader. Mais en matière de sécurité et de survie de la monarchie, la protection US est irremplaçable. Il faudrait des années pour qu’une autre puissance étrangère prenne le relais. 

Le roi est par conséquent contraint de faire le ménage dans sa maison en désignant un nouveau prince héritier parmi l’un de ses dix fils.  Il devra le faire rapidement s’il ne veut pas être renversé par une branche « plus fréquentable » de la dynastie des Saoud. Ils sont plusieurs milliers de princes à pouvoir prétendre au trône, parmi lesquels une bonne quinzaine de candidats sérieux enhardis par les encouragements de Washington. Ils aiguisent leurs sabres et attendent l’occasion de se glisser sous les griffes du lion pour aller lui trancher la crinière.



https://www.whitehouse.gov/briefing-room/statements-releases/2021/02/25/readout-of-president-joseph-r-biden-jr-call-with-king-salman-bin-abdulaziz-al-saud-of-saudi-arabia/