jeudi 9 août 2018

Canada et Arabie Badawi

Hommage à Chrystia Freeland, la bien nommée native de Rivière-la-Paix. Elle est ministre des Affaires étrangère du Canada, terre d'asile de ceux qui fuient la barbarie. Son nom sera à jamais associé à celui de Badawi. Badawi, le Gandhi de l'Arabie. En langue arabe, ce patronyme se décline et se conjugue désormais à tous les temps ; c'est un mot nouveau qui exprime à la fois le courage, la justice et la liberté.
Chacun connait l'histoire de ce paisible blogger saoudien emprisonné et fouetté en place publique. Son épouse Ensaf, réfugiée avec ses trois enfants à Montréal, se bat inlassablement pour la libération de Raif et de ses proches persécutée : frères, sœurs, cousins, copains... Les pays signataires de la déclaration des droits de l'Homme sont indifférents à l'exception de la Suède, de l'Allemagne, de la Suisse et du Canada.


Indignée par les nouvelles arrestations de Badawi, l'Honorable dame Freeland a publiquement appelé le Royaume d'Arabie à libérer les emprisonnés de Riyad. Alors, répondant à l'audace de cette « intolérable ingérence », le roi et le petit prince ont donné 24 heures à l'ambassadeur du Canada pour faire ses valises. Puis, pour faire bonne mesure, ils ont gelé toutes les transactions commerciales et financières avec Ottawa, rappelé les quelques 7 000 étudiants boursiers et leurs familles, suspendu les relations aériennes, convoqué tous les pays arabes à se solidariser et déclenché un campagne médiatique en faveur ... du Quebec libre ! Et comme dame Freeland refusait d'aller baiser les babouches de l'offensé, le roi a ordonné à ses sujets malades s'aller se faire soigner hors du Canada et il a déclenché un mini crach à la bourse de Toronto en bradant massivement quelques millions de titres.


Malgré la canicule, ces gesticulations ont été accueillies avec sans-froid. Hors la réaction bien sentie de quelques chroniqueurs de la presse canadienne, la nouvelle a été reléguée en quatrième de couverture alors qu'elle faisait la une des journaux en Arabie. À Ottawa, un porte parole a sobrement réagit en quelques mots : « Canada will continue to advocate for human rights and for the brave women and men who push for these fundamental rights around the world ». Et d'entonner in petto et in french l'hymne national: ô Canada toujours guidé par sa lumière, gardera l'honneur de son drapeau !
Les échanges commerciaux entre les deux pays sont modestes, à peine quelques petits milliards. Le pays des caribous n'a pas besoin du pétrole et du gaz arabe alors que les saoudiens raffolent du sirop d'érable et fréquentent massivement les universités et les cliniques canadiennes. L'affaire est donc en apparence dérisoire d'autant que l'ire de Riyadh ne concerne pas la livraison à l'armée saoudienne de 900 blindés au prix de 14 milliards de dollars destinés à massacrer les yéménites. Le fabuleux contrat ne paraît pas menacé car les industries d'armements canadiennes sont pour la plupart des filiales de groupes US. Au pire, le marché sera repris par la maison mère et sous traité de l'autre coté de la frontière.

Fort de son expérience de fâcherie avec le Qatar qui a pourtant tourné au fiasco, Riyad a également intimé à tous ses pays vassaux d'adopter la même posture indignée. Alors, le « Parlement arabe » ; instance provisoire depuis 2001 où siègent 67 parlementaires fantômes désignés par 22 dictatures et deux démocraties en devenir, a immédiatement rugit...dans l'indifférence générale.
Le message de menace « ubi et orbi » du monarque wahhabite n'a pas d'avantage perturbé les vacances des grands qui ont repoussé à la rentrée l'examen de cette délicate guéguerre entre caribous et camélidés. Il est urgent d'attendre. À Washington on joue au golf, à Brégançon on fait la planche, à Bruxelles on s'informe, à Moscou, une porte parole a sentencieusement déclaré « l'instrumentalisation politique des droits humains est inacceptable ».

Décryptage
Au delà de ce qui pourrait apparaître comme une crise diplomatique sans conséquences provoquée par un roi sénile et son héritier juvénile, l'affaire Badawi ô Canada suscite une autre interprétation. 
En Arabie sous protectorat des États Unis, nul ne peut imaginer que les Salman père et fils (respectivement, monarque, héritier et ambassadeur à Washington), n'aient pas avisé Donald Trump ou son conseiller Jared Kushner de leur projet d'expulser l'ambassadeur du Canada. Ce feu vert extravagant de la Maison Blanche prolonge au delà du cercle restreint du G7 les conséquences du fiasco de la réunion d'Ottawa en juin dernier et fracture à un moindre coût le puzzle de la diplomatie multilatérale.

On vous achète au prix fort l'impunité de torturer nos sujets et de massacrer nos voisins, alors taisez-vous ! Quelle sera la réplique du monde des libertés à l'arrogance de Salman ? Viendra t-elle de Londres comme en quarante ? Theresa May n'est pas Churchill. Pourtant, nul doute que la Reine Elisabeth, le Prince Philip et leurs 2,3 milliards de sujets dans les 53 pays solidaires du Commonwealth sont extremely shoked par ce chantage insensé.

Badawi n'est pas seulement l'icône de la résistance à la barbarie en Arabie, il est le marqueur de la ligne de démarcation entre les états respectueux des droits humains et les voyoucraties.
Être ou ne pas être Badawi telle est la question du moment !


Bis repetita
cette affaire est le rebondissement de celle de 2015 publiée sous le titre  « L'horreur d'Arabie, l'honneur de la Suède »


Rahif Badawi 31 ans, blogueur. Pour avoir clamé la vérité a été condamné à dix ans de prison et 1000 coups de fouet. Walid Abu Al-Khair, son avocat a été condamné à quinze ans mais dispensé de flagellation.
Le 16 janvier 2015, Rahif Badawi recevait le fouet en place public. Les images faisaient le tour de la terre. Dix jours plus tard, le nouveau roi Salman était intronisé. On s'attendait à un geste de clémence, il n'en fut rien. Sourd aux appels du couple Obama, de Merkel et même du Prince Charles, Riyadh laissa entendre qu'un nouveau procès pour apostasie aurait lieu afin de décapiter proprement les deux empêcheurs de penser en rond. A Berlin, on a hoqueté. Le vice-chancellier dépêché à Riyad a signifié le gel d'un contrat d'armement.
A Stockholm, où l'un des condamnés avait été distingué en 2012 du prestigieux Prix Olof Palme, on a manifesté.  La ministre des Affaires Etrangère Madame Margot Wallström a décidé de faire part de la mauvaise humeur de son pays lors d'un sommet de la Ligue Arabe où elle était invitée. Mais au dernier moment, elle a été empêchée de prononcer son discours par les manœuvres en coulisse des Saoudiens. Alors elle s'est fâchée tout rouge : rupture de la coopération militaire avec l'Arabie ! Le geste n'est pas symbolique car la Suède, ce n'est pas seulement Nokia et Ikea, c'est aussi Ericsson, Volvo et surtout Saab, un groupe de 13 mille ouvriers qui fabrique des sous marins, de l'artillerie, des drones et des avions de chasse. La Suède c'est la 22ème puissance économique mondiale, et sa ministre des Affaires étrangères n'est pas une godiche de l'année! Agée de 60 ans, Margot Wallström a été Commissaire Européen, Vice-Présidente de la Commission Européenne, Représentante Spéciale du Secrétaire Générale de l'ONU... Sur la scène diplomatique mondiale, c'est une actrice de premier plan. Elle vient de donner une magistrale leçon de morale, inédite dans l'histoire des relations internationales.
 Mais pour les Saoud, elle n'est qu'une femelle dévoilée. L'affront était trop grand, le roi Salman et sa cour sont entrés en rage. Rappel de l'ambassadeur, injonction aux pays vassaux de faire de même. Campagne de presse, appel au boycott, suspension et annulation des visas de voyages... Parallèlement, les Saoudiens ont demandé aux pays Européens « amis » de se démarquer.
L'ambassadeur de France à Riyad a réuni le club des hommes d'affaires dont le président a fort opportunément rappelé que 80 sociétés françaises ont investi 15 milliards de dollars en Arabie où elles emploient plus de 27 000 personnes...Bref, la France jette une verre d'eau d'eau sur l'allumette suédoise. La solidarité européenne attendra.


vendredi 3 août 2018

Et c'est ainsi que Benalla est grand !

De mémoire d'oreilles vivantes jamais pareille cacophonie médiatique n'avait perturbé l'été. Cette affaire est celle de l'opacité et des cachotteries. Elle pue les non dits, les contre-vérités les aveux rétractées, les mensonges et les connivences. Ce scandale au sommet aura immanquablement des rebondissements au gré des cascades de révélations qu'elle promet.

La communication présidentielle en charge d'habiller la réalité et de travestir les enjeux politiques a disjoncté, elle a de surcroit perdu l'initiative du message d'enfumage estival. On se souvient que l'an dernier Nemo le chien faisait la une des médias, aujourd'hui, c'est Alexandre le gorille dont la notoriété éclipse largement celle du discret Édouard, Premier ministre de la France. Le protégé de Macron n'a pas fini de saturer l'actualité. L'accalmie du mois d'août est trompeuse car elle prépare les scoops de la rentrée avec la publication d'une avalanche de livres promis au succès. 
Les écrivants-reporters, les plumitifs amateurs, et les nègres professionnels  flairant le bon filon sont déjà à l'ouvrage. Ils investiguent et traquent les confidences avec fébrilité. Une course de vitesse est engagée. Les premiers édités seront les mieux payés. Déjà, sans perdre de temps, le héros lamentable, assisté d'un ancien journaliste sulfureux et de sa compère conseillère en publicité du couple présidentiel, a commencé à mitonner une autobiographie à faire pleurer dans les chaumières. * Le titre du best seller n'a pas été dévoilé, mais gageons que les droits payés à son auteur compenseront généreusement la perte de son job de nervi à cocarde. Le tirage record est assuré car les français sont avides de questions-réponses sur ce baratineur qui parle à l'oreille du Président de la République.

Mais d'où vient ce Benalla-là ?
Est-ce un descendant des ben Allah « fils de Dieu » patronyme souvent attribué aux enfants trouvés ? De ben Nahla « fils de palmier » ? De Ben Hala «  fils d'état catastrophique ?...Les déclinaisons arabes sont nombreuses et riches en élucubrations. Quant au prénom du sbire de Jupiter, il porte bien l'annonce de son destin : Alexö protecteur, andros hommes. Identité prédestinée de celui qui sous un costume sur mesure et une barbe soigneusement taillé rayonne d'ambitions à la hauteur du personnage grec. Autres suppositions : Alexandre serait la latinisation turquo-arabe d'Iskander ; ou alors sa maman était une fan de Claude François, comme lui immigrée d'Alexandrie ?.. Sur ce premier chapitre, on peut broder des pages exaltantes !

Pourtant, la presse people française est restée pudiquement discrète sur cette question. Cette posture responsable et vertueuse est peut-être tout simplement la conséquence de l'émancipation provisoire de l'opinion de la nation black-blanc-beur après la récente victoire des bleus. Les mots qui fâchent sont venus de quelques médias d’extrêmes droites et d'Algérie où un journal francophone a cru déceler en Benalla un binational franco-marocain chargé d'espionner l'Élysée pour le double compte d'Israël et du Maroc. Sur cette lancée, un autre affirmait l'avoir photographié au milieu des forces de police durant de la dernière manifestation d'étudiants en médecine.... à Alger. Alexô-manu serait un transfuge au don d'ubiquité ! Cet intérêt algérien contraste avec la passivité des autres pays arabes où la presse s'est contentée de reprendre succinctement les dépêches d'agences. Il faut dire que dans les dictatures du Moyen Orient, un estafier qui tabasse un vulgaire quidam...Y'a pas de quoi fouetter un chat !

Reste que l'origine arabe de cet homme de l'ombre renforce le mystère de l'affaire. Que le sous-chef-de-cabinet-chargé-de-mission-lieutenant-colonel- avec armes et pin-pon, se fut appelé Noël Flantier, Lucien Bramare ou Hubert Bonisseur de la Bath, alors l'affaire eut été moins piquante. L'ascension fulgurante d'un beur - fut-il  assimilé et franc-maçonné - dans le milieu fermé de la haute police dérangeait probablement les convenances de l'entre soi. C'est sans doute l'une des raisons pour lesquelles le plus proche des maillons faibles du Président a été piégé. Pourtant, le fusible n'a pas immédiatement sauté car Macron-patron l'a couvert et défendu bec et ongles. Cette posture n'aura qu'un temps. Alors au lieu d'attendre « qu'on vienne le chercher » pour être lapidé, le gendarme amateur serait bien inspiré de racheter sa conduite en démissionnant de la fonction publique avant de partir exercer ses talents dans une multinationale aux antipodes. En Nouvelle Calédonie, à Tahiti, en Tasmanie par exemple, là où sous les soleils mouillés de ces ciels brouillés... tout n'est qu'ordre et beauté, luxe, calme et volupté. Il pourra tranquillement lire les OSS 117 de Jean Bruce, le voyage de Charles Baudelaire ou les chroniques d'Alexandre Vialatte...Afin qu'enfin soulagés de sa média-présence, nous puissions d'aise soupirer :
et c'est ainsi que Benalla est grand !