vendredi 26 janvier 2018

Rêveries de Marc Trévidic en Tunisie


Le Président Macron se rendra dans quelques jours en visite officielle à Tunis pour signer un accord de coopération en matière de sécurité. Demandera t-il à Marc Trévidic de l'accompagner ? Il le faudrait car ce haut magistrat spécialiste de l'anti terrorisme est un ami sincère et un expert de la Tunisie. Il en connait la beauté des rivages, il sait les secrets enfouis au fond des jarres, les petits bonheurs quotidiens, les cauchemars que réserve le destin.

Magistrat populaire, dès qu'un attentat survient, il court les plateaux de télévision pour posément expliquer les dangers du salafisme. On croyait que son expérience se limitait à l'audition d'innombrables suspects derrière les portes capitonnées de son cabinet d'instruction. Que non, le juge est allé au delà des exigences de son métier, il a trouvé le temps de voyager et d'écrire un livre ! On pourrait penser : encore une vedette qui cherche à monnayer sa notoriété par une opération commerciale sur le créneau porteur de la jihadologie... Pas du tout ! À peine feuilleté, l'exemplaire est emporté pour être prestement dévoré sous la lampe.
« Ahlam » de Marc Trévidic publié au Livre de poche.

Pour comprendre la mutation des agneaux en loups, le juge s'est transporté sans greffier en Tunisie. Sur les lieux d'élevage, dans l'enclos même où à l'écart de tous soupçons, est nourri sous la mère l'égorgeur qui sera demain recruté chez Daech ou Al Quaida. Avec une méthodologie d'anthropologue, il a échographié le processus de radicalisation in vitro sur une période de quinze ans.
Marc Trévidic n'est pourtant pas sociologue, son « Ahlam » n'est pas un remake du magistral « Chebika », de Jean Duvignaud, il n'est pas tunisien comme Albert Memmi dont l'inoubliable « Statue de Sel » sonde les cœurs profonds, et pourtant...son ouvrage entrera probablement dans l'anthologie de la littérature tunisienne comme le témoin talentueux d'une époque marquée par la confrontation sanglante de deux idéologies.

« Ahlam » est le récit romanesque et touchant de la rencontre entre un bobo parisien et une famille tunisienne ordinaire.  Ahlam  en arabe est le pluriel de rêve. C'est le prénom que les couples d'amoureux donnent à leur fille dans l'espoir d'une vie de bonheur. Ahlam est la cadette de Issam. Une fratrie fusionnelle. Deux enfants merveilleux. La mère Nora est institutrice, le père Farhat est pêcheur à Kerkennah, une île de charme sans relief ni beauté particulière. Le 2 janvier de l'an 2000, Paul, un jeune artiste peintre parisien blasé débarque du ferry et pose son sac. Le Français sympathise. Comme il a de l'argent et de la notoriété, la dictature lui permet de s'installer. Suivront le récit de quinze années d'aventures amoureuses au cœur d'une Tunisie profonde qui se révolte, invente une révolution mais reste écartelée entre l'attrait des lumières de l'ouest et la profondeur des abîmes de l'Est. Au verso de la jolie carte postale, une ode étonnante au peuple tunisien menacé, un roman allégorique qui enchevêtre les passions détruites par le fanatisme. Hors Allah, les salafistes n'aiment rien, ni la musique, ni la peinture, ni même leur mère...Ils ont la haine de la vie.

Pour comprendre l'importance de la Tunisie qui nous protège, lisez « Ahlam » de Marc Tévidic, un « grand tunisien ».

samedi 20 janvier 2018

Yémen: le sang des armes, les larmes des mots

En diplomatie, l’argument de celui qui tient un revolver est toujours le meilleur. Pour dissuader il faut être armé. Cette doctrine fait le miel de tous les fabricants d'armements depuis l'artisan qui bricole des mitraillettes dans les souks de Peshawar, jusqu'aux géants de l’industrie américaine. Le marché mondial est en hyper croissance. Tous les pays en veulent. Les pauvres réclament des fusils mitrailleurs, les riches des missiles balistiques. (1)

Gros consommateurs, les arabes sont de bons clients: Arabie, Bahrein, Egypte, Émirats Unis, Maroc, Soudan, sont en guerre contre le Yémen. L'Algérie et le Maroc tout comme l'Egypte et le Soudan se regardent en chiens de faïence et s'arment méthodiquement. Le Qatar est menacé de disparition. L'Irak, la Syrie, la Somalie, la Libye et le Yémen sont en ruines... En l'espace d'une génération, ce bellicisme fratricide a entrainé la mort de centaines de milliers de pauvres gens et causé la destruction de nations entières. Pendant qu'ils s’entre-trucidaient les arabes pourtant tous solidaires de la cause palestinienne n'ont pas réussi à s'unir pour récupérer un seul km2 des territoires annexés par l'État colonial hébreu. Ceci expliquant peut-être cela.

Le monde arabe est devenu le plus vaste des champs de manœuvres militaires de la terre. Son principal pourvoyeur est l'Arabie Saoudite, 4ème importateur mondial d'armements, acheteur compulsif de tout ce que les Américains acceptent de lui vendre. Accessoirement, la monarchie fait aussi ses emplettes en Grande Bretagne, en Russie et en France mais il s'agit d'indulgences diplomatiques ponctuelles à bon compte.
L'Arabie se distingue des autres nations par l'achat de systèmes de défense complets, clés en main incluant les munitions, les pièces détachées, les infrastructures, la formation et surtout, l'assistance technique indispensable à l'entretien de ces engins sophistiqués. Car pour faire rouler un char lourd, il faut dix mécaniciens ; pour faire voler un avion de chasse, il faut cinquante techniciens au sol ; pour faire naviguer une frégate, il faut plus de mille marins à quai... Or l'Arabie est un nain démographique, les sujets mâles du royaume sont à peine dix millions. La conscription n'est pas obligatoire, les volontaires sont rares pour servir comme hommes de troupe ou même comme sous-officiers. Alors Riyad recrute des mercenaires du Soudan, d'Egypte, du Pakistan, d'Inde, du Bangladesh, d'Indonésie et fait appel à des sociétés militaires privées occidentales. Les officiers supérieurs sont tous saoudiens. La plupart ont étudié dans des académies américaines ou européennes et restent étroitement secondés par des coopérants. Ils s'éloignent rarement de leurs tuteurs sous peine de catastrophe. Ainsi, en décembre 2004, un navire flambant neuf à un milliard est allé s'encastrer dans un récif corallien en pleine parade célébrant la fête de la marine. (2)

C'est cette armée de supplétifs qui fait la guerre au Yémen. En 2015, le très impulsif Prince héritier Mohamed Ben Salman pensait qu'une victoire rapide rallierait à sa gloire tous les sujets du royaume. Las, depuis 35 mois, l'un des pays les plus pauvres du monde résiste à une coalition d'armées arabes suréquipées soutenues par les Etats Unis, la Grande Bretagne et la France. Cette guerre perdue d'avance est un remake du Viet- Nam.
Les experts du monde entier observent les affrontements. Ils pointent la vulnérabilité de l'armada face aux boutres en bois et aux barques rapides qui menacent de couler quelques pétroliers pour fermer l'accès à la mer Rouge. Ils commentent l'illusoire protection des boucliers anti-missiles Patriot qui laissent passer des projectiles, ils commentent la vulnérabilité des chars, des avions de chasse et des hélicoptères... D'aucuns méditent sur l'efficacité réelle de ces très coûteux engins.
Après les Libanais, les Yéménites sont en train de faire la preuve qu'avec peu de moyens mais beaucoup de vaillance, on peut repousser un envahisseur sur-armé. (3)
Ouvrons une parenthèse sur un passé trop vite oublié. Le 12 juillet 2006, l’armée israélienne (tout comme l'armée saoudienne aujourd'hui), lançait une « offensive préventive » sur le Liban. Officiellement, les bombardements aériens n'étaient pas dirigés contre les Libanais, mais contre les « terroristes ». Des blindés fonçaient vers une conquête qu’ils pensaient facile. Las, en quelques heures, plus de cinquante forteresses rampantes étaient mises hors de combats par les fantassins du Hezbollah. Le char israélien Merkava achevait lamentablement sa réputation d’invincible cuirassé des sables. Le 14 juillet le vaisseau amiral de la flotte israélienne se faisait surprendre (dixit les autorités) par un missile tiré depuis le rivage. Le désastre de l’offensive israélienne allait vite être consommé après 33 jours de combats. C'était l'été, les médias étaient en vacances la propagande de Tel-Aviv se chargea de faire oublier au monde sa cuisante défaite. (4)

Tout comme hier celle du Liban, la guerre du Yémen est aussi celle des mots.
Voici comment une agence de presse internationale présente le conflit : « la coalition de pays arabes menée par l'Arabie saoudite en soutien au gouvernement yéménite (le bons secouriste) combat les miliciens chiites rebelles houthi  (des méchants insurgés fanatiques ) »  Pour décrire le déluge, la presse rapporte « des raids épisodiques »  ou des « frappes ciblées ». Les Yéménites dont on ne peut résumer la résistance à quelques milliers d'irréductibles de la tribu des houthis (musulmans chiites de rite zaydite localisés dans le gouvernorat de Saada) balancent parfois en riposte un missile bricolé qui se fracasse sur le territoire saoudien. Alors aussitôt, Washington, Londres et Paris s'indigent et dénoncent « une odieuse agression ». Une commission d'enquête internationale est promptement chargée de déterminer la marque du projectile et surtout son origine qui signe une « évidente » complicité étrangère. Pourtant mal placés pour donner des leçons en la matière, les États Unis et leurs alliés désignent immanquablement l'Iran car toute autre provenance de l'armement utilisé par les Yéménites serait diplomatiquement inconvenante.

Après mille journées de massacres sans broncher, la communauté internationale a fini par s'émouvoir : « Les chiffres sont effrayants, constamment revus à la hausse : 11,3 millions de petits Yéménites (soit presque chaque enfant) ont besoin de l’aide humanitaire pour survivre dans un pays qui dépend à 90 % de l’approvisionnement extérieur » (5)
Des chiffres très exagérés réplique l'Arabie via les principales agences mondiales de communications qui sont chargées – à prix d'or - de travestir la réalité. Ainsi, l'agresseur est présenté en victime. On inverse les rôles : le loup est l'agneau. Comble de la duplicité, la fondation caritative du roi Salman clame à tous vents qu'elle vole inlassablement au secours des populations qu'elle bombarde et affame. Sans vergogne elle affirme avoir dépensé 821 millions de dollars pour développer 175 projets humanitaires au Yémen. Elle vient même de distribuer à la population très exactement 49 000 colis de survie en guise d'étrennes de fin d'année !
La propagande s'exporte jusqu'à Paris où y a quelques semaines, une palanquée d'officiers saoudiens sont venus très discrètement discourir sur « les perspectives du conflit au Yémen » devant quelques représentants d'ONG humanitaires qui avaient été convoquées par le Quai d'Orsay. Nulle presse n'en a parlé. Pas même « les experts télévisés » qui décrivent cette partie du monde sans y avoir jamais mis les pieds et occultent l'ancestrale détermination des Yéménites de toutes les tribus et de toutes confessions à repousser les étrangers.  

L'extermination des populations par le feu, la faim, le blocus des soins, est-il assimilable à un génocide ? L'Arabie est-elle coupable de crimes contre l'humanité ? Sommes nous complices ?
Quelques voix fortes résonnent dans le Parlement Européen : « il est scandaleux que ce conflit ignoré soit alimenté par les armes provenant de l’Union, en particulier de la Grande-Bretagne et de la France », dénonce l’eurodéputé Yannick Jadot. Une majorité de ses collègues ont voté plusieurs résolutions (non contraignantes) qui condamnent l'agression saoudienne et appellent à suspendre la livraison d'armes européennes à l'Arabie Saoudite. Seule la Suède malgré l'importance de son industrie d'armement a sauvé l'honneur en confirmant l'arrêt de sa coopération militaire (6). 

À Paris, la diplomatie Élyséenne fait ses comptes. L'heure n'est pas aux audaces vertueuses mais au pragmatisme prudent car comme d'habitude, Riyad fait miroiter de fabuleux contrats pour prix de son alignement. Alors on évalue la fragilité du pouvoir de Mohamed Ben Salman, on soupèse ses chances de survie car au delà de la guerre froide que se livrent l'Arabie Saoudite et l'Iran, le conflit du Yémen est surtout une guerre interne entre marionnettistes saoudiens qui se disputent le trône.








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samedi 13 janvier 2018

Manifestations au bout de la nuit en Tunisie


À quelques jours de la visite officielle du Président Macron en Tunisie, les radars des médias balayent le champ hivernal du printemps arabe qui commémore sept ans de révolution. Le pays va mal. Ce n'est pas une révélation. Depuis la chute de la dictature, les riches ne se sont jamais autant enrichis, les pauvres cherchent toujours à fuir la misère au risque même de servir de nourriture aux poissons.
La situation n'est pas nouvelle, elle s'est progressivement dégradée avant d'empirer gravement.
Lorsqu'en novembre 2016, apprenant que conseillé par Dominique Strauss-Khan, le Premier ministre Youssef Chahed, avait engrangé les promesses de crédits faramineux pour près de 14 milliards de dollars, l'auteur de ces lignes était dubitatif. « Car le pays est gangréné par les mafieux, maîtres des prébendes et de la contrebande. Les seconds couteaux de Ben Ali sont devenus les premières gâchettes du pays. Ils régentent les trafics illicites avec l'Algérie et la Libye, ils pillent et démolissent la fonction publique, ils sont intouchables. Les affairistes de l'ancien régime et les nouveaux commerçants islamistes font désormais bon ménage, rien ne leur résiste. L'iniquité et le marchandage se répandent dans toutes les couches de la société. L'argent douteux domine les idées et les convictions ».


Manifester est un droit constitutionnel (art 37) chèrement acquis auquel tous les Tunisiens sont attachés. Depuis sept ans, les rassemblements de protestation sont permanents. Il n'est pas de journée sans cortèges qui défilent derrière des banderoles et des mégaphones sur l'avenue Bourguiba, la principale artère de la capitale. Les marcheurs sont dix, cent, parfois bien davantage. Les causes qu'ils défendent sont diverses et variées, futiles ou graves ; qu'importe, elles sont exprimées dans un espace public de liberté unique dans tout le monde arabe. Les mots d'ordre sont relayés par les réseaux sociaux qui propagent l'indignation et alertent l'opinion sur une injustice de trop. La police accompagne habituellement et débonnairement le cortège sous l'oeil plus ou moins indifférent mais vigilant des badauds et des passants. Exutoires des colères et des indignations ces rassemblements pacifiques participent au fonctionnement de la jeune démocratie.

Les vagues de protestations qui se sont propagées dans une dizaine de villes cette semaine sont d'une toute autre nature. Elles n'ont pas eu lieu de jour comme d'habitude, mais de nuit quand « tous les chats sont gris ». Alors entre les casseurs, les protestataires et les flics, nul n'a pu reconnaitre les siens. Ces troubles sociaux violents dont les marionnettistes sont inconnues, ont permis d'encager de nombreux jeunes activistes parmi les quelque huit cents interpellés accusés de violences ou de pillages. La gauche seule force d'opposition à la coalition des conservateurs et des islamistes est la première à faire les frais de ces désordres qui interviennent trois semaines après l'appel lancé par 250 démocrates tunisiens :

« Les gouvernements qui se sont succédé depuis 2011 se sont tous dérobés devant la nécessité d’engager un combat frontal contre la corruption et les privilèges.... L’offensive réactionnaire est minée de l’intérieur, parce qu’elle est dirigée par deux hommes et deux partis. Cibler uniquement Caïd Essebsi servirait directement les islamistes ; cibler uniquement Ghannouchi servirait directement Nidaa Tounès – et le RCD (ancien parti du dictateur Ben Ali) qui se cache derrière lui.
Il faut lutter dans le cadre unitaire le plus vaste. Toutes les forces – politiques, syndicales, associatives, intellectuelles, artistiques, les mouvements de femmes et la jeunesse –, toutes les forces de la société civile doivent y participer et prendre leur part dans le combat. Les clivages du passé doivent être surmontés... »

Alors, d'aucuns se demandent si la répression à grand spectacle « des casseurs » de la nuit ne permet pas d'occulter l'ampleur des manifestations qui se déroulent au grand jour.

Le 1er février prochain, Emmanuel Macron se souviendra qu'à son dernier voyage à Tunis il y a quatorze mois alors qu'il n'était que futur candidat, nul ne l'attendait et personne ne l'avait reçu à part un jeune membre du gouvernement - sans doute inspiré par l'intelligence et la bonne éducation - qui a depuis été écarté. Il est vrai qu'à l'époque, le Président Caïd Essebsi 91 ans, ne pouvait imaginer que la France se choisirait un jeunot.
Et si finalement, tous les maux du pouvoir tunisien venaient de sa méfiance des jeunes ?