En
diplomatie, l’argument de celui qui tient un revolver est toujours
le meilleur. Pour dissuader il faut être armé. Cette doctrine fait
le miel de tous les fabricants d'armements depuis l'artisan
qui bricole des mitraillettes dans les souks de Peshawar, jusqu'aux
géants de l’industrie américaine. Le marché mondial est en hyper
croissance. Tous les pays en veulent. Les pauvres réclament des
fusils mitrailleurs, les riches des missiles balistiques. (1)
Gros
consommateurs, les arabes sont de bons clients: Arabie,
Bahrein, Egypte, Émirats Unis, Maroc, Soudan, sont en guerre contre
le Yémen. L'Algérie et le Maroc tout comme l'Egypte et le Soudan se
regardent en chiens de faïence et s'arment méthodiquement. Le Qatar est menacé de disparition. L'Irak, la Syrie, la
Somalie, la Libye et le Yémen sont en ruines... En l'espace d'une
génération, ce bellicisme fratricide a entrainé la mort de
centaines de milliers de pauvres gens et causé la destruction de
nations entières. Pendant qu'ils s’entre-trucidaient
les arabes pourtant tous solidaires de la cause palestinienne
n'ont pas réussi à s'unir pour récupérer un seul km2 des
territoires annexés par l'État colonial hébreu. Ceci expliquant
peut-être cela.
Le
monde arabe
est devenu le plus vaste des champs de manœuvres militaires de la
terre. Son principal pourvoyeur est l'Arabie Saoudite, 4ème
importateur mondial d'armements, acheteur compulsif de
tout ce que les Américains
acceptent de lui vendre. Accessoirement, la monarchie fait aussi ses
emplettes en Grande Bretagne, en Russie et en France mais il s'agit
d'indulgences diplomatiques ponctuelles à bon compte.
L'Arabie
se distingue des
autres nations par l'achat de systèmes de défense complets, clés
en main incluant les munitions, les pièces détachées, les
infrastructures, la formation et surtout, l'assistance technique
indispensable à l'entretien de ces engins sophistiqués. Car pour
faire rouler un char lourd, il faut dix mécaniciens ; pour
faire voler un avion de chasse, il faut cinquante techniciens au
sol ; pour faire naviguer une frégate, il faut plus de mille
marins à quai... Or l'Arabie est un nain démographique, les sujets
mâles du royaume sont à peine dix millions. La conscription n'est
pas obligatoire, les volontaires sont rares pour servir comme hommes
de troupe ou même comme sous-officiers. Alors Riyad recrute des
mercenaires du Soudan, d'Egypte, du Pakistan, d'Inde, du Bangladesh,
d'Indonésie et fait appel à des sociétés militaires privées
occidentales. Les officiers supérieurs sont tous saoudiens. La
plupart ont étudié dans des académies américaines ou européennes
et restent étroitement secondés par des coopérants. Ils
s'éloignent rarement de leurs tuteurs sous peine de catastrophe.
Ainsi, en décembre 2004, un navire flambant neuf à un milliard est
allé s'encastrer dans un récif corallien en pleine parade célébrant
la fête de la marine. (2)
C'est
cette armée de supplétifs qui fait la guerre au Yémen. En 2015, le
très impulsif Prince héritier Mohamed Ben Salman pensait qu'une
victoire rapide rallierait à sa gloire tous les sujets du royaume.
Las, depuis 35 mois, l'un des pays les plus pauvres du monde résiste
à une coalition d'armées arabes suréquipées
soutenues par les Etats Unis, la
Grande Bretagne et la France. Cette guerre perdue d'avance est un
remake du Viet- Nam.
Les
experts du monde entier observent les affrontements. Ils pointent la
vulnérabilité de l'armada face aux boutres en bois et aux barques
rapides qui menacent de couler quelques pétroliers pour fermer
l'accès à la mer Rouge. Ils commentent l'illusoire protection des
boucliers anti-missiles
Patriot qui laissent passer des projectiles, ils commentent
la vulnérabilité des chars, des avions de chasse et des
hélicoptères... D'aucuns méditent sur l'efficacité réelle de ces
très coûteux engins.
Après
les Libanais, les Yéménites sont en train de faire la preuve
qu'avec peu de moyens mais beaucoup de vaillance, on peut repousser
un envahisseur sur-armé. (3)
Ouvrons
une parenthèse sur un passé trop vite oublié. Le
12 juillet 2006, l’armée israélienne (tout
comme l'armée saoudienne
aujourd'hui), lançait une « offensive préventive » sur le Liban.
Officiellement, les bombardements aériens n'étaient pas dirigés
contre les Libanais, mais contre les « terroristes ». Des blindés fonçaient vers une conquête qu’ils
pensaient facile. Las, en quelques heures, plus de cinquante
forteresses rampantes étaient mises hors de combats par les
fantassins du Hezbollah. Le char israélien Merkava achevait
lamentablement sa réputation d’invincible cuirassé des sables. Le
14 juillet le vaisseau amiral de la flotte israélienne se faisait
surprendre (dixit les autorités) par un missile tiré depuis le
rivage. Le désastre de l’offensive israélienne
allait vite être consommé après 33 jours de combats. C'était
l'été, les médias étaient en vacances la propagande de Tel-Aviv
se chargea de faire oublier au monde
sa cuisante défaite. (4)
Tout
comme hier celle du Liban,
la guerre du Yémen est aussi celle des mots.
Voici
comment une agence de presse internationale présente le conflit : « la
coalition de pays arabes menée par l'Arabie saoudite en soutien au
gouvernement yéménite (le bons secouriste) combat
les miliciens chiites rebelles houthi (des
méchants insurgés fanatiques ) » Pour
décrire le déluge, la presse rapporte « des
raids épisodiques » ou
des « frappes
ciblées ». Les
Yéménites
dont on ne peut résumer la résistance à quelques milliers
d'irréductibles de la tribu des houthis (musulmans chiites de rite
zaydite localisés dans le gouvernorat de Saada) balancent parfois en
riposte un missile bricolé qui se fracasse sur le territoire
saoudien. Alors aussitôt, Washington, Londres et Paris s'indigent et
dénoncent « une
odieuse agression ».
Une commission d'enquête internationale est promptement chargée de
déterminer la marque du projectile et surtout son origine qui signe
une « évidente »
complicité étrangère. Pourtant mal placés pour donner des leçons
en la matière, les États Unis et leurs alliés désignent
immanquablement l'Iran car toute autre provenance de l'armement
utilisé par les Yéménites serait diplomatiquement inconvenante.
Après
mille journées de massacres sans broncher, la communauté
internationale a fini par s'émouvoir : « Les
chiffres sont effrayants, constamment revus à la hausse : 11,3
millions de petits Yéménites (soit presque chaque enfant) ont
besoin de l’aide humanitaire pour survivre dans un pays qui dépend
à 90 % de l’approvisionnement extérieur » (5)
Des
chiffres très exagérés
réplique l'Arabie via les principales agences mondiales de
communications qui sont chargées – à prix d'or - de travestir la
réalité. Ainsi, l'agresseur est présenté en victime. On inverse
les rôles : le loup
est l'agneau.
Comble de la duplicité, la fondation caritative du roi Salman clame
à tous vents qu'elle vole inlassablement au secours des populations
qu'elle bombarde et affame. Sans vergogne elle affirme avoir dépensé
821 millions de dollars pour développer 175 projets humanitaires au
Yémen. Elle vient même de distribuer à la population très exactement 49 000 colis de survie en guise
d'étrennes de fin d'année !
La
propagande s'exporte jusqu'à Paris où y a quelques semaines, une
palanquée d'officiers saoudiens sont venus très discrètement
discourir sur « les
perspectives du conflit au Yémen »
devant quelques représentants d'ONG humanitaires qui avaient été
convoquées par le Quai d'Orsay. Nulle presse n'en a parlé. Pas même
« les experts télévisés » qui décrivent
cette partie du monde sans y avoir jamais mis les pieds et occultent
l'ancestrale détermination des Yéménites
de toutes les tribus et de toutes confessions à repousser les
étrangers.
L'extermination
des populations
par le feu, la faim, le blocus des soins, est-il assimilable à un
génocide ? L'Arabie est-elle coupable de crimes contre
l'humanité ? Sommes nous complices ?
Quelques
voix fortes résonnent dans le Parlement Européen : « il
est scandaleux que ce conflit ignoré soit alimenté par les armes
provenant de l’Union, en particulier de la Grande-Bretagne et de la
France »,
dénonce l’eurodéputé Yannick Jadot. Une majorité de ses
collègues ont voté plusieurs résolutions
(non
contraignantes) qui condamnent l'agression saoudienne et appellent à
suspendre la livraison d'armes européennes à l'Arabie Saoudite.
Seule la Suède malgré l'importance de son industrie d'armement a
sauvé l'honneur en confirmant l'arrêt de sa coopération
militaire (6).
À
Paris, la diplomatie Élyséenne fait ses comptes. L'heure n'est pas
aux audaces vertueuses mais au pragmatisme prudent car comme
d'habitude, Riyad fait miroiter de fabuleux contrats pour prix de son
alignement. Alors on évalue la fragilité du pouvoir de Mohamed Ben Salman,
on soupèse ses chances de survie car au delà de la guerre froide
que se livrent l'Arabie Saoudite et l'Iran, le conflit du Yémen est
surtout une guerre interne entre marionnettistes saoudiens qui se
disputent le trône.
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