samedi 21 septembre 2013

Vers la déconfiture de la France en Syrie



Hélas, diplomatiquement et militairement la France s'est laissé piéger.
On imagine le tollé international qu'aurait soulevé une coalition uniquement composée des Etats Unis et de l'Arabie Saoudite. Il fallait à la conjuration un compère de moralité, un indigné patenté, un tampon socialiste pacifiste droit-de-l'hommiste. 
Ballot, le Président français, sans doute instrumentalisé par le jeu de malice des Saoudiens et des Israéliens, s'est empressé de remplir la fonction. Les bleus du Quai d'Orsay n'ont rien vu venir; ils se sont abstenu de poser des conditions. Maintenant, il est trop tard pour faire machine arrière et le dégagement diplomatique vers l'Iran qui s'amorce permettra tout juste de temporiser. Reste que la facture risque d'être salée.
Car la table de la diplomatie française a proprement été renversée!

Dans le monde arabe, la fracture est consommée. Désormais, la chose est entendue et répétée: Paris est inféodé. Oubliée la posture de De Gaulle dénonçant l'arrogance israélienne, balayée la main tendue de Giscard aux Palestiniens, révolue la politique équilibriste de Mitterrand, effacée l'audace de Chirac, amnésiées les bizarreries de Sarkozy. Désormais France USA c'est kif kif. La posture du médiateur ami de tous est révolu. Les accrédités du corps d'Orient sont discrédités.
A Pékin, nos plénipotentiaires rament, à Moscou, ils plongent, partout ailleurs, ils tentent d'expliquer en apnée que Paris reste la capitale d'une nation libre et indépendante dont l'influence dépasse largement les faubourgs de Bamako. A l'Assemblée Générale des Nations Unis, les pays en espoir de développement et les pays émergents ricanent. A Bruxelles, les piliers fissurés de l'Union Européenne menacent de s'effondrer; celui de la Politique Etrangère et de Sécurité Commune (PESC) est ébranlé, l'Europe de la défense est une histoire ancienne oubliée, la force européenne d'action rapide est une galéjade du siècle passé.

Qu'importe, sous les ors des Palais hypothéqués de la République Française l'illusion de la grandeur demeure. Le conseil de sécurité, le véto, l'arme nucléaire, autant de dissuasions inopérantes qui servent encore de prétextes pour parader et confondre offensive militaire et défilé du 14 juillet.
L'Elysée fébrile tonne et gronde mais le porte-avion reste à quai. L'aéronavale qui n'est pas en capacité de «punir» sans l'assistance d'Israël et de l'US Army attend le feu vert pour appareiller. Sur zone, quelques centaines de matelots patientent en faisant des ronds dans l'eau. Des chasseurs bombardiers sont pré-positionnés en méditerranée. 

Le scénario est au point: quelques Rafales iront larguer des missiles Scalp «fire and go» à bonne distance des côtes syriennes.
L'armée française est surtout crédible au sol. Elle excelle dans le sale boulot, celui de risque-sa-peau. Comme en Bosnie et en Afghanistan. En Syrie, à l'inverse de la Libye et du Mali, les opérations ne se limiteront pas à quelques canonnades à distance. Il faut s'attendre à encaisser les coups qui viendront en retour. Les combats au sol seront inévitables et contrairement aux Américains qui sous traitent aux armées privées (Blackwater/Academi) et aux Saoudiens qui disposent d'un réservoir de Pakistanais, l'armée française n'a ni mercenaires ni supplétifs à sacrifier. A moins que le Tchad et le Mali...

La guerre zéro mort étant illusoire, Paris et Tel Aviv évaluent le nombre de victimes que son opinion est prête à supporter. Le pouvoir syrien fait exactement le même calcul. Il prépare sa riposte en conséquence sachant que quelques centaines de victimes suffiront à faire lever les pouces des attaquants. Car en dehors des révoltés syriens, des moujahdines fanatisés et des révolutionnaires hachichés, qui est prêt à mourir pour la Syrie? Même à très bon prix car l'argent n'est pas un problème depuis que l'Arabie s'est engagée à couvrir l'intégralité des dépenses de guerre: «without any limit» a précisé le ministre salafiste. 

Mais, la population française en majorité hostile à l'engagement de Hollande ne supportera pas la vue d'une goutte de sang et il est à craindre que dans l'hexagone, la guerre consolidera une alliance de circonstance entre la droite parlementaire, une partie de la gauche et même le Front National!
La perspective de sortie de crise s'annonce donc avec un retour sur investissement négatif. Car après le cessez le feu, la mise en accusation de Bachar, la construction des murs d'une Syrie fractionnée en ruine... 
In fine, au terme de la pantomime diplomatique et sanglante, qui sera le dindon de la farce?

vendredi 20 septembre 2013

Tunisie la guerre des ombres




Imaginez une France où Jean-Luc Mélanchon et Noël Mamère se seraient fait assassiner et vous aurez l'état de détresse dans lequel se trouve aujourd'hui la Tunisie.
Les députés Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi ont été révolvérisés à Tunis par un fantôme au nom dévoilé par le ministre tunisien de la police.
Il s'agit d'un Français de Paris bien connu de la brigade criminelle et des juges anti-terroristes qui l'ont fait condamner en 2008 à sept ans de prison. Libéré prématurément il aurait tranquillement rejoint ses comparses en Tunisie sans que personne ne songe à activer la puce électronique mouchardeuse dont le criminel avait sans doute été équipé à l'insu de son plein gré. Echec de la géolocalisation. La piste du suspect ayant fait long feu, les autorités tunisiennes ont annoncé l'arrestation de complices mais sans en dévoiler les noms, puis elles ont rendu publique une liste de salafistes qui courent toujours.
Ansar Al Sharia, la franchise locale d'Al Quaïda toujours prompte à revendiquer le moindre méfait a catégoriquement nié toute implication.
A Tunis, irrémédiablement, les forces contre révolutionnaires semblaient se conjurer pour mettre en échec la justice.

Et puis, la semaine dernière, coup de théâtre: on apprend par la presse que des services secrets étrangers avaient alerté les autorités tunisiennes une semaine avant l'assassinat de Brahmi. Le ministre tunisien confirme. Il fait une colère et ordonne une enquête administrative car l'avis d'alerte relayé par le directeur de la sureté se serait perdu dans les méandres de la bureaucratie. C'est du grand guignol ! N'accablons pas ici l'incapable gouvernement tunisien. La rue s'en charge magistralement.

La révélation n'est pas un scoop. En Tunisie chacun sait que la CIA, le Mossad, les espions algériens, italiens, français et saoudiens savent tout avant tout le monde. On ne compte plus les complots déjoués par Bourguiba et Ben Ali grâce aux confidences des précieuses oreilles étrangères. Ce qui est nouveau et stupéfiant, c'est que le pouvoir issu d'un processus démocratique soit resté inerte.
Le Ministère de l'intérieur conserve les réflexes de la dictature: pour lui, un député est une personnalité secondaire. Si la menace avait concerné un ministre ou un quelconque haut fonctionnaire, la mobilisation sécuritaire eut été immédiate. Intentionnellement ou par habitude, la police continue de protéger un régime absolutiste. Sauf à accuser les responsables de complicité et de haute trahison, le laxisme irresponsable dont ils ont fait preuve atteste de leur inappétence aux valeurs républicaines.

Ont-ils voulu deux mois plus tard se racheter en organisant la fuite de l'information ? En ont-ils été contraints par leurs informateurs étrangers ? Dans les deux cas, cette affaire marque un tournant dans l'avenir sécuritaire du pays et partant dans l'émergence ou l'échec de l'expérience démocratique.
Depuis la révolution, la loi n'a pas été modifiée : c'est toujours celle d'une monocratie. Le parquet est tout puissant, la marge de manoeuvre  des juges est infime. L'arbitraire est toujours aux affaires et le caprice d'un puissant peut vous mener en prison. Ces trois derniers mois, le nombre de journalistes incarcérés dépasse celui des trente dernières années. Le pays gronde, insensible aux intimidations. Les meurtres des élus ne seront jamais pardonnés par le peuple qui ne lâchera rien. D'instinct il sait que la Justice, ntra enfin le jour où s'ouvrira le procès des députés tués.

Dans ce contexte de résistance populaire, le coup de semonce en direction du pouvoir islamiste est clair.
Si l'impunité et l'incurie se prolongent, il faut s'attendre à ce que les flingueurs soient flingués. Punitivement ou préventivement. La menace d'ingérence est à peine voilée et ce n'est pas le respect du principe de  souveraineté qui arrêtera les barbouzes de tous horizons. Chaque jour Washington ordonne le tir de missiles depuis des drones en maraude dans le ciel du Yémen sans que la communauté internationale s'en émeuve. En Tunisie nul besoin d'avoir recourt à ces système sophistiqués, le bras d'un supplétif suffira. Car dans cette affaire troublante, on prête beaucoup à la centrale américaine: c'est la plus riche. Reste qu'elle n'a pas brillé par ses exploits depuis la défection de son principal agent Ben Ali et que la politique d'Obama vis-à-vis du laboratoire tunisien n'est pas lisible du tout. Alors qui ?

Discrète ou inconscience, la France est aux abonnés absents. Elle estive au Levant. Ah si seulement Belaïd et Brahmi avaient été gazés au sarin, les Rouletabille du journal Le Monde auraient enquêté minutieusement et Hollande serait monté en première ligne !
A trop vouloir jouer dans la cour des grands Paris néglige sa zone d'influence. Ce qui se passe à Damas n'aura jamais de conséquences sur le devenir de la Sarthe ou du Cantal alors que Tunis est notre banlieue.
La Tunisie a besoin de l'abri d'un bouclier puissant pour construire sa démocratie, or l'Elysée n'a toujours pas perçu les enjeux. Son soutien reste dosé, prudent, frileux, inaudible, et finalement dérisoire.
Ainsi, se souvenant  tardivement de la nationalité française du meurtrier présumé des députés tunisiens, le parquet de Paris s'apprête à ouvrir une instruction sous la pression des deux veuves courages. Il faut optimisme garder. C'est un signe timide vers la prise de conscience de l'unicité des intérêts supérieurs des deux pays.

mardi 3 septembre 2013

Hollande a trouvé son chemin de Damas


Paris veut infliger une correction de quelques frappes au mauvais élève. Il faut « punir Bachar » dit François Hollande. La désignation du vilain potache par son seul prénom minimise la faute qui lui est reprochée et elle grandit le pouvoir supposé de l’instituteur donneur de leçon. C’est également pour le Président une façon de ne pas mettre tous les œufs du poulailler El Assad dans le même panier. L’oncle de Bachar, un précurseur réducteur de Frères musulmans à Hama en 1982, (38 000 morts quand même !) prospère depuis trente ans à Paris, Londres et Marbella. Il est aujourd’hui un actif soutien à la coalition pour la « libération » de son pays. Certes, la boucherie en Syrie n’est pas seulement la conséquence d’une fâcherie au sein d’une illustre famille hier encore saluée sur tapis rouge par la communauté internationale. Depuis Mitterrand, tous les Présidents se sont prosternés devant le maître de Damas. 

François Hollande qui n’est pourtant pas un sanguin s’est fâché calmement avant de déclarer la guerre un peu hâtivement. Il est conséquent avec l’image que lui renvoie le miroir des Français. La posture d’indignée sied à la France, gardienne de l’histoire de la conscience humaine. Car cent mille morts, ce n’est pas rien ! C’est beaucoup plus que le Kuwait, le Kosovo et le Mali, c’est bien moins que le Rwanda, le Congo, le Soudan, l’Algérie, l’Irak, la Bosnie…En matière de crime contre l’humanité, le curseur du numerus clausus varie selon le lieu et le calendrier. Reste que pour autant, nul n’est disposé à partir se faire trouer la peau.
Le Président de la France et du Mali libéré affiche sa conception innovante de la morale internationale. Son appel à la croisade punitive a des accents de charité chrétienne et de devoir sacré d’ingérence qui sont loin d’être partagés par les fidèles français.
La géographie des alliances religieuses offre une curieuse représentation :

Agrégées autour de Bachar El Assad de confession musulmane alaouite,  les familles chiites d’Iran, d’Irak et du Liban font bloc; solidarité confessionnelle unanime oblige. La Russie orthodoxe est un allié inconditionnel.
Rome et les Eglises d’Orient, bienveillantes avec Damas sont  farouchement opposées à toutes interventions étrangères. A travers la Chambre des Communes, l’église anglicane britannique s’est exprimée dans l’abstinence.
Coté va-t-en-guerre : les musulmans wahhabites salafistes d’Arabie et du Qatar, les juifs d’Israël, d’Amérique et de France, les néoconservateurs évangélistes américains et l’agnostique Président Hollande. Il est probable que le protestant Obama sera mis en minorité par les catholiques du Congrès.
Enfin, il y a la masse des autres musulmans qui ne s’expriment pas ou alors si bas qu’on ne les entend pas. Et pour cause ! On oublie de dire que les cent mille victimes de la boucherie de Syrie sont presque tous sunnites. Parmi elles, il y a aussi quelques jeunes Français, des « malgré nous » sacrifiés d’une communauté ignorée, avant-garde perdue d’une illusoire expédition punitive.

La croisade des « punisseurs » offre un étrange assemblage confessionnel. On y cherchera en vain des motivations humanitaires et morales. Les Etats ne sont pas philanthropes, Hollande n’est pas à la tête d’une ONG, il dirige un business en récession. Nécessité fait loi. La diplomatie française n’a plus les moyens de jouer les modérateurs et les bons offices, désormais on exige qu’elle produise un retour immédiat sur investissent. Et sur la Syrie, Paris mise sur les dividendes de la guerre.

L’alliance avec les Israélo-US est conforme aux inclinaisons du pouvoir parisien, mais la prise de position radicale du Président Français démolit la traditionnelle amitié franco-russe.
Paris tourne le dos à Moscou et se jette dans les bras de Riyad.
Le jeu en vaut-il la chandelle ?

L’Arabie Saoudite reste le premier client de l’industrie d’armement française mais ni Chirac, ni Sarkozy n’avaient réussi à colmater la calamiteuse gestion des contrats d’Etat à Etat Sawari. A peine un an après son élection, le Président Hollande a fait sauter le verrou du ressentiment. Les Saoudiens viennent de commander pour un milliard et des brouettes d’infrastructures qui permettront aux célèbres Frégates de caréner à Jeddah. D’autres milliards vont suivre. Paris se met à rêver au Rafale argumentant que si Ryad s’en était doté, ils auraient pu ensemble (avec les Israéliens ?) bombarder Damas sous cocarde saoudienne. Ni vu ni connu, comme en Iran au bon vieux temps de l’amitié avec Saddam et sans demander l’avis des américains !
L’Arabie est aussi un gros client potentiel pour les « trois frères » français de l’aménagement du territoire. L’eau, les transports, la construction mais aussi la grande distribution, la pharmacie, le pétrole etc. Tous les PDG du CAC 40 courtisent l’eldorado saoudien riche d’un excédent annuel de cent milliards de dollars.
Le Président Hollande, un HEC de formation, connaît l’art et la manière de séduire les cercles d’affaires. En avril dernier il réunissait à l’Elysée un parterre de deux cents entrepreneurs  saoudiens cornaqués par des anciens de l’INSEAD pour rappeler fort opportunément que « la France dispose d’une expertise unique au monde  en matière d’énergie nucléaire ».
Bingo ! Dans quelques mois, l’Arabie Saoudite lancera un appel d’offres pour la construction de seize réacteurs.
A ce prix, Riyad vaut bien une messe et un retournement de François sur le chemin de Damas !