Imaginez une France où Jean-Luc Mélanchon et Noël Mamère se seraient fait assassiner et vous aurez l'état de détresse dans lequel se trouve aujourd'hui la Tunisie.
Les députés Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi ont été révolvérisés à Tunis par un fantôme au nom dévoilé par le ministre tunisien de la police.
Il s'agit d'un Français de Paris bien connu de la brigade criminelle et des juges anti-terroristes qui l'ont fait condamner en 2008 à sept ans de prison. Libéré prématurément il aurait tranquillement rejoint ses comparses en Tunisie sans que personne ne songe à activer la puce électronique mouchardeuse dont le criminel avait sans doute été équipé à l'insu de son plein gré. Echec de la géolocalisation. La piste du suspect ayant fait long feu, les autorités tunisiennes ont annoncé l'arrestation de complices mais sans en dévoiler les noms, puis elles ont rendu publique une liste de salafistes qui courent toujours.
Ansar Al Sharia, la franchise locale d'Al Quaïda toujours prompte à revendiquer le moindre méfait a catégoriquement nié toute implication.
A Tunis, irrémédiablement, les forces contre révolutionnaires semblaient se conjurer pour mettre en échec la justice.
Et puis, la semaine dernière, coup de théâtre: on apprend par la presse que des services secrets étrangers avaient alerté les autorités tunisiennes une semaine avant l'assassinat de Brahmi. Le ministre tunisien confirme. Il fait une colère et ordonne une enquête administrative car l'avis d'alerte relayé par le directeur de la sureté se serait perdu dans les méandres de la bureaucratie. C'est du grand guignol ! N'accablons pas ici l'incapable gouvernement tunisien. La rue s'en charge magistralement.
La révélation n'est pas un scoop. En Tunisie chacun sait que la CIA, le Mossad, les espions algériens, italiens, français et saoudiens savent tout avant tout le monde. On ne compte plus les complots déjoués par Bourguiba et Ben Ali grâce aux confidences des précieuses oreilles étrangères. Ce qui est nouveau et stupéfiant, c'est que le pouvoir issu d'un processus démocratique soit resté inerte.
Le Ministère de l'intérieur conserve les réflexes de la dictature: pour lui, un député est une personnalité secondaire. Si la menace avait concerné un ministre ou un quelconque haut fonctionnaire, la mobilisation sécuritaire eut été immédiate. Intentionnellement ou par habitude, la police continue de protéger un régime absolutiste. Sauf à accuser les responsables de complicité et de haute trahison, le laxisme irresponsable dont ils ont fait preuve atteste de leur inappétence aux valeurs républicaines.
Ont-ils voulu deux mois plus tard se racheter en organisant la fuite de l'information ? En ont-ils été contraints par leurs informateurs étrangers ? Dans les deux cas, cette affaire marque un tournant dans l'avenir sécuritaire du pays et partant dans l'émergence ou l'échec de l'expérience démocratique.
Depuis la révolution, la loi n'a pas été modifiée : c'est toujours celle d'une monocratie. Le parquet est tout puissant, la marge de manoeuvre des juges est infime. L'arbitraire est toujours aux affaires et le caprice d'un puissant peut vous mener en prison. Ces trois derniers mois, le nombre de journalistes incarcérés dépasse celui des trente dernières années. Le pays gronde, insensible aux intimidations. Les meurtres des élus ne seront jamais pardonnés par le peuple qui ne lâchera rien. D'instinct il sait que la Justice, naîtra enfin le jour où s'ouvrira le procès des députés tués.
Dans ce contexte de résistance populaire, le coup de semonce en direction du pouvoir islamiste est clair.
Si l'impunité et l'incurie se prolongent, il faut s'attendre à ce que les flingueurs soient flingués. Punitivement ou préventivement. La menace d'ingérence est à peine voilée et ce n'est pas le respect du principe de souveraineté qui arrêtera les barbouzes de tous horizons. Chaque jour Washington ordonne le tir de missiles depuis des drones en maraude dans le ciel du Yémen sans que la communauté internationale s'en émeuve. En Tunisie nul besoin d'avoir recourt à ces système sophistiqués, le bras d'un supplétif suffira. Car dans cette affaire troublante, on prête beaucoup à la centrale américaine: c'est la plus riche. Reste qu'elle n'a pas brillé par ses exploits depuis la défection de son principal agent Ben Ali et que la politique d'Obama vis-à-vis du laboratoire tunisien n'est pas lisible du tout. Alors qui ?
Discrète ou inconscience, la France est aux abonnés absents. Elle estive au Levant. Ah si seulement Belaïd et Brahmi avaient été gazés au sarin, les Rouletabille du journal Le Monde auraient enquêté minutieusement et Hollande serait monté en première ligne !
A trop vouloir jouer dans la cour des grands Paris néglige sa zone d'influence. Ce qui se passe à Damas n'aura jamais de conséquences sur le devenir de la Sarthe ou du Cantal alors que Tunis est notre banlieue.
La Tunisie a besoin de l'abri d'un bouclier puissant pour construire sa démocratie, or l'Elysée n'a toujours pas perçu les enjeux. Son soutien reste dosé, prudent, frileux, inaudible, et finalement dérisoire.
Ainsi, se souvenant tardivement de la nationalité française du meurtrier présumé des députés tunisiens, le parquet de Paris s'apprête à ouvrir une instruction sous la pression des deux veuves courages. Il faut optimisme garder. C'est un signe timide vers la prise de conscience de l'unicité des intérêts supérieurs des deux pays.
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