dimanche 25 juin 2023

Algérie, sujet tabou

En France, l’Algérie est un sujet tabou. Tout est caché, tout est tu, surtout l’histoire qui est ensevelie dans des archives cadenassées où nul n’a le droit d’aller passer le doigt pour lire sous la poussière. 


Populations amalgamées

En Algérie, la légitimité politique repose toujours sur le récit de sa décolonisation, sur « la rente mémorielle ». Le récit officiel propage inlassablement une histoire composée de ressentiments, de haine et d’esprit de revanche. Il continue de nourrir la polémique et de pourrir la relation avec Paris. Certes l’occupation a été douloureuse mais, - comparaison n’est pas raison - c’est  comme si la France et l’Allemagne étaient encore revanchardes des guerres du passé dont les deux dernières ont saigné les populations par millions et ravagé leur territoire. Cette mésentente chronique est d’autant plus extravagante qu’il y a aujourd’hui cinq à sept fois plus d’Algériens en France qu’il y avait de Français en Algérie en 1962 et que la population algérienne vivant en France dépasse celle de l’Algérie au début de la colonisation. L’amalgame des peuples est une réalité tacitement et pareillement ignorée  par Alger et  Paris car elle pose l’épineuse question de la double allégeance des binationaux. La nationalité algérienne qui se transmet automatiquement de père en fils est pourtant une source  d’optimisme car dans moins d’un siècle, les dizaines de millions de citoyens français qui auront conservé de jure la capacité de voter en Algérie pourront enfin y imposer la démocratie. Cette perspective réjouissante qui n’est pas de tous les goûts est aussi un tabou.


Forteresse du passé

L’Algérie comme le Yémen, la Suisse, l’Afghanistan… est géographiquement une forteresse imprenable. Le Sahara, l’Atlas tellien qui s’étend du Maroc à la Tunisie, et surtout son rivage accidenté forment un triple barrage qui lui confère une redoutable protection naturelle. Tous les audacieux s’y sont cassé les dents.

 

Ainsi en 1541, au prétexte de réduire la domination des barbaresques en Méditerranée le « maître du monde » Charles-Quint Empereur d’Allemagne, roi d’Espagne, des Flandres, d’Autriche … prend la tête d’une expédition navale gigantesque composée de 75 galères de combat, 450 navires de transport de troupes: 12 000 galériens et marins, 22 000 soldats, 2 500 chevaux…L’armada qui se présente le 20 octobre devant Alger promettait de ne faire qu’une bouchée de la garnison de 6 000 hommes. Pourtant, on raconte qu’Hassan Agha et ses janissaires turcs restèrent sereins car une prophétie prétendait que la ville serait un jour prise par des soldats habillés de rouge. Les européens étaient en bleu. Alors malgré les premiers assauts meurtriers de la citadelle, le Régent de l’empire ottoman s’abstint de hisser le drapeau blanc. La victoire de Charles-Quint semblait certaine quand soudain, une tempête terrible se leva obligeant les assaillants à reprendre la mer pour mettre leurs bateaux à l’abri. Quinze jours durant, les vents souffleront en ouragan et les navires iront se fracasser sur al Jazair (les îles en arabe), un chapelet de 56 archipels hérissés d’écueils acérés. Pendants les rares accalmies, les intrépides qui parvinrent à débarquer furent massacrés. Charles-Quint abandonnera 12 000 cadavres. 

Et c’est ainsi que la Régence d’Alger, vassal de l’empire ottoman poursuivra pendant trois siècles la domination du commerce en Méditerranée. Louis XIV tentera bien quelques incursions timides puis les Danois, puis les Espagnols, enfin en 1816 et en 1824 les Anglais. Tous échoueront lamentablement.


Le blé d’Algérie

L’Algérie n’était pas seulement la base des barbaresques qui faisaient régner leur loi sur la Méditerranée, c’était aussi un pays agricole fertile qui commerçait avec l’Europe. Les premières fâcheries avec la France seront causées par de malencontreuses livraisons de blé au Directoire puis aux armées de Napoléon. Ces transactions à crédit conclues par l’intermédiaire des familles Bacri et Bushnash ne furent pas honorées. Si bien qu’après quelques années, par les intérêts accumulés, la dette atteignit des montants considérables. Les tractations étaient dans une impasse. Le Dey agacé coupa quelques têtes dont celle de David Bacri.  En vain. Au fil du temps, à Paris et Alger,  les souverains se succédaient sans qu’aucun ne parvienne à solder ce contentieux qui empoisonnera les relations bilatérales pendant trente ans ! 

Finalement, en 1827, le Dey Hussein excédé par les dénégations et les tergiversations du consul de France Pierre Deval lui balance son éventail à la figure. Scandale de lèse majesté ! Car à travers son représentant, c’est le roi de France Charles X qui est offensé. Sournoisement conseillé par un diplomate britannique, le Dey refuse de s’excuser. C’est la guerre. 


Le 14 juin 1830 le Maréchal comte Louis de Bourmont entreprend le siège d’Alger à la tête d’un corps expéditionnaire de 64 000 hommes, Il débarque ses troupes sur la langue de sable de Sidi-Ferruch, judicieusement repérée par l’espion Boutin. Le 5 juillet, malgré une résistance héroïque, Hussein Dey capitule acceptant de signer une convention qui le condamne à l’exil. Le corps expéditionnaire français triomphe, Paris exulte, et même les esprits chagrins conviennent qu’après tout, l’investissement était largement couvert par la saisie du trésor d’Alger. Quelques semaines plus tard à Paris, Charles X est contraint d’abdiquer après les « Trois glorieuses » et de Bourmont est limogé par le nouveau roi Louis Philippe. 


La colonisation

De Bourmont n’aura été « roi d’Alger » que quelques semaines. Il sera remplacé par des dizaines de généraux, la plupart avides de gloire facile. Il faudra 17 années de sangs coulés et de terres brûlées pour conquérir les plaines et les vallées fertiles où s’installeront progressivement un million de colons. Il faudra 72 ans pour vaincre les irréductibles touaregs du Sahara. Après une relative accalmie pendant les guerres mondiales, l’insurrection reprendra dès 1945 pour s’achever à l’indépendance en 1962. 

Combien de victimes civiles ? De 500 000 à 1,5 million. Autant d’abominations et de souffrances dont un Algérien sur dix fut victime. Tout comme chaque famille française qui porte le deuil d’un descendant tué à la guerre contre les Allemands en 1870, en 1914-1918, en 1939-1945, chaque Algérien est issu d’une lignée  de moudjahidines (combattant de la foi) qui remonte à 1830, à l’exception de la période 1914-1918 et 1939-1945 où les engagés modérément volontaires partirent aux côtés de leur ennemis d’hier combattre les nazis. Ils furent 175 000 en 1914 et 150 000 en 1940. Dans les cimetières militaires de France 42 000 d’entre eux reposent avec leurs frères d’armes que rien ne différencie sauf la forme de leur tombe.


Macron se tait

L’Algérie aujourd’hui importe du blé, l’agriculture est délaissée, l’industrie est sans performance, l’économie est totalement dépendante des exportations de gaz et de pétrole. C’est un pays riche mal gouverné qui gaspille sa rente. La population jeune fuit le chômage, la pagaille, l’iniquité et l’absence de liberté. Cette immigration n’est pas seulement celle des gens de peu, un demi-million de cadres, ingénieurs, médecins algériens seraient installés en France. Peut-on attribuer à la seule conjoncture la cause de cette immigration massive ? N’y a t-il pas aussi chez l’Algérien des liens historiques et culturels parfois subliminaux qui l’attire vers la France ? 

Le pouvoir d’Alger cherche à distendre ces liens. Il y est aidé par la droite ultra de France avec qui il partage cette affinité idéologique. Le logiciel  géopolitique algérien a l’âge de ses dirigeants septuagénaires, il se résume à la formule d’équilibriste d’antan: vendre le pétrole aux occidentaux pour acheter des armes à l’ex-URSS. « Poutine est un ami de l’humanité » vient de déclarer le Président Algérien qui nourrit le même culte de l’autorité soldatesque que son comparse russe. 

Tebboune et Macron feront-ils encore semblant de s’entendre ? C’est peu probable. Le Président Tebboune vient en effet de  rétablir dans l’hymne national algérien le couplet menaçant suivant: « O France, le temps des palabres est révolu, voici venu le jour où il te faut rendre des comptes. Prépare-toi ! » Paris sans doute, se prépare au pire.

Une interrogation hante la nuit des gouvernants après l'évocation par Macron de "l'hypothèse d'un engagement majeur des forces armées" : si demain face à une menace de Poutine, la France mobilisait combien parmi les 9 millions de citoyens que l’origine attache à l’Algérie rejoindraient les casernes ?

Encore un sujet tabou !