mardi 26 mai 2015

La guerre de l'Arabie Heureuse



En Arabie Saoudite, il s'est passé plus de choses en 100 jours qu'en 25 ans. Depuis son intronisation le roi Salman Ben Abdlaziz al Saoud a renversé la table et réveillé brutalement la cour au Bois Dormant.
Le nouveau monarque a réglé ses comptes et aboli l'usage du compromis. Toutes les altesses en place ont valsé, la plupart des ministres ont été remplacés par des proches et des favoris. S'affranchissant de toute consultation des pairs, le roi octogénaire a désigné au débotté son neveu Mohamed ben Nayef comme Prince héritier, ministre de l'intérieur et son fils Mohamed ben Salman comme vice-héritier et ministre de la guerre. C'est un putsch de Palais !
Le binôme des Mohamedeyn porte désormais les deux sabres d'une théocratie obscurantiste obsédée par l'éradication de la mécréance dont les ennemis déclarés sont les chiites et les « révolutions arabes ».
Sans s'attarder, ils ont commencé leur croisade par le Yémen voisin : le légendaire pays de « l'Arabie Heureuse ».

Solidarité des pauvres contre arrogance des riches
Prenant prétexte d'un pénultième coup d'Etat à Sanaa, depuis le 25 mars l'Arabie bombarde méthodiquement le Yémen : routes, ports, aéroports, industries ont été anéantis. Plus d'eau potable, plus d'électricité, plus de minoteries ni de pain.
Le pays traverse une catastrophe humanitaire épouvantable qui tranche avec l’indifférence internationale. Combien de morts ? Nul ne les compte. Des dizaines de milliers ? Qui s'en soucie ? C'est bien moins que la Syrie, l'Irak, le Soudan, la Libye et même la Somalie.
En Somalie justement, terre de misère parmi les plus pauvres de la terre, où déjà vingt mille femmes et enfants, fuyant la guerre entassés sur des boutres et des barques de pécheurs, ont trouvé refuge après trente heures de navigation hasardeuse dans le Golfe d'Aden. La petite république du Somaliland oubliée du monde a généreusement ouvert ses bras pour partager son peu. Solidarité des pauvres envers les affamés victimes de l'Arabie pétrolière repue.
La maison des Saoud a un principe : il faut à chacun payer le prix de sa soumission.
Pour préparer l'opinion crédule, le roi a accordé une prime équivalente à deux mois de revenus à ses sujets. Aux cent pilotes de chasse traumatisés d'avoir carbonisé leurs frères yéménites le Prince Al Walid ben Talal, sans doute bien inspiré, a offert à chacun d'entre eux une Bentley à 200 mille euros. Lors d'un cessez le feu de cinq jours exigé par les Américains pour enterrer les morts et évacuer les blessés, le roi Salman dans un élan de générosité surréaliste a proposé une aide humanitaire d'un milliard de dollars. Bâton et carotte pour domestiquer les ânes !
Têtus sans doute, mais bêtes certainement pas. C'est mal connaître les Yéménites.
Dans un vieux court métrage (1937, René Clément je crois) on voit l'armée coloniale britannique défiler au pas dans la poussière d'une avenue de Sanaa. Soudain, un quidam en haillons surgit de la foule, il donne un formidable coup de pied au cul d'un troufion de la dernière rangée. Le détachement s'arrête. L'officier saisit son pistolet et abat froidement l'insouciant hilare qui n'avait pas pris la peine de fuir. La troupe reprend sa marche comme si de rien n'était....Surgit alors un second quidam, et la scène se répète à l'identique.
N'est pas né le Saoud qui asservira les yéménites !

Une guerre civile fratricide
Malgré la formidable propagande saoudienne qui accompagne l'agression du Yémen la réprobation arabe est perceptible, y compris chez ceux qui affichent une solidarité de façade grassement monnayée.
Dans le royaume des ténèbres, le conflit est vécu comme une guerre civile de province car dans la péninsule arabe toutes les tribus sont plus ou moins apparentées, rares sont les Saoudiens qui n'ont pas une deuxième, une troisième ou une quatrième épouse yéménite. C'est pourquoi cette guerre a des relents de génocide. Le citoyen enrage, il se tait, intimidé par le fouet, la cage ou la décapitation ; mais il s'abstient d'applaudir même du bout des doigts malgré les invites incessantes des médias inféodés.
La noblesse gronde en cachette et boude ostensiblement. Les altesses royales pétrifiées gardent la tête dans le sable. Tous les grands chambellans ont été congédiés, remplacés par des jeunes parvenus à la solde des Mohamedeyn. Même le Prince de sang royal Saoud Al Fayçal ben Abdelaziz, inamovible ministre des affaires étrangères depuis 40 ans a dû céder sa charge à un ambassadeur populacier. Ceux des princes qui n'ont pas été limogés ont préféré discrètement démissionner plutôt que de faire allégeance à un ministre roturier.
Partageons l'espoir des optimistes qui voient dans ces mesures le signe du déclin des privilèges et la promesse d'une réforme de cette anachronique monarchie absolue.

Le malaise de la société saoudienne
La guerre du Yémen révèle la crise du modèle théocratique saoudien dont la légitimité populaire est désormais ouvertement contestée. La doctrine politique de la famille Saoud gardienne de la charia date du temps du roi Dagobert ! Hormis la noblesse décadente et le clergé sclérosé, la bourgeoisie et le tiers état ont évolué, ils s’accommodent mal des contraintes quotidiennes moyenâgeuses. Fuyant une éducation nationale aberrante exclusivement consacrée à l'enseignement de la religion, 150 000 jeunes partent chaque année étudier à l'étranger dont la moitié aux États Unis ( un millier seulement en France). L'avenir qu'ils ambitionnent pour leur pays n'est pas celui d'une prison de l'inquisition! Sur les réseaux sociaux, ils tentent de faire évoluer la société mais sont impitoyablement persécutés : 4 600 détenus d'opinion selon les autorités, plus de 30 mille selon des observateurs indépendants qui dénoncent les discriminations et les persécutions qui frappent les Saoudiens chiites minoritaires (8 à 10% de la population).
Signe d'espoir fragile, les forces de répression des trois armées (police, défense et garde nationale) sans doute trop occupées par la guerre, semblent moins déterminées depuis l'intronisation de Salman.

Les armées saoudiennes dépendantes
L'offensive sur le Yémen a mis en évidence la faiblesse des armées pourtant formidablement équipées. Seule l'aviation soutenue par les moyens logistiques US et britannique a pu faire décoller ses F15, Typhoon, et autres Tornado pour mener des milliers de sorties. A l'exception de quelques commandos de reconnaissance, aucune troupe saoudienne n'a réussi des percées. À l'inverse, les villes saoudiennes frontalières demeurent sous la menace de ripostes qui ont  semé la panique et provoqué un mouvement d'exode des populations des villes de Najran, Jazan et Abha.
D'évidence, sans ses supplétifs et ses mercenaires, l'armée saoudienne, 4ème budget mondial est un tigre de papier qui n'inspire guère de terreur autre que celle d'avoir les moyens financiers d'acquérir secrètement un engin nucléaire sur étagère.

Malgré les accords militaires bilatéraux, ni les Pakistanais ni les Turcs n'ont accepté de fournir des troupes. Les Égyptiens négocient sans fin, ils ont aéroporté des soldats tardivement et en catimini. Seuls les Soudanais, les Sénégalais et les Malaisiens ont acheminé quelques détachements symboliques qui n'ont pas encore tiré un seul coup de fusil.
Il semblerait que les cadres de l'armée saoudienne n'aient pas montré beaucoup d'ardeur au combat. Il faut dire que leur commandant en chef, le fils du roi, est un fringant trentenaire totalement inexpérimenté. Il peine à s'imposer auprès des officiers supérieurs et généraux qui ont reçu leurs galons du prince Sultan, défunt ministre de la défense de 1963 à 2011, dont la descendance a été mise à l'écart par le nouveau monarque.
On a remarqué la discrétion de la garde nationale qui constitue pourtant l'élite combattante des tribus saoudiennes. Le Prince Mitab ben Abdallah fils de l'ancien roi a été évincé de toute prétention à la succession. Il est pourtant resté malgré les purges du sérail le chef incontesté de cette garde prétorienne d'élite puissamment assistée par des sociétés militaires privées. Or il semblerait que cette armée n'ait pas été engagée dans les combats.
On peut aussi s’interroger sur le degré d'allégeance des tentaculaires services secrets dont le légendaire patron le Prince Bandar Ben Sultan a été limogé dés l’intronisation du nouveau roi.

Protéger Al-Qaïda ?
L'offensive saoudienne n'a ciblé que la partie très peuplée du Yémen, elle a épargné les larges territoires contrôlés par Al-Qaïda. Curieusement, toutes les villes ont été bombardées par les F15 saoudiens à l'exception de Mukalla, capitale de l'Hadramaout, siège de l'organisation terroriste internationale. Selon des sources invérifiables, les Américains ont rétabli l'équité en tirant depuis un drone un missile qui aurait pulvérisé le QG des commanditaires des assassins de Charlie Hebdo. Paris aurait remercié.
Des twitters prétendent que les trois objectifs de l'expédition militaire saoudienne étaient de secourir Al Qaïda aux prises avec ses pires ennemis les houtistes yémenites, ensuite de semer une salutaire diversion au sein de la population saoudienne au bord du « printemps arabe », et enfin de tenter de reconstituer le jihad des monarchies sunnites contre la république islamique.
Les Saoudiens sont divisés entre les irréductibles sectaires adorateurs du modèle califale et les modernistes qui voudraient que l'Arabie quitte le 14ème siècle pour entrer dans la réalité du 21ème. Cette fracture idéologique expliquerait que le palais louvoie entre les extrêmes, joue dangereusement avec le pire Daech et le moins pire Al-Qaïda ou inversement, ceci dans l'espoir illusoire que la monarchie y survivra.

Vers des lendemains d'affaires
Au plan international, la réactivité est timide ou absente. La communauté bien pensante et commerçante agrée les bombardements sans toutefois y prendre part directement (sauf les monarchies jordanienne et marocaine) Toutes les chancelleries ont déserté le pays des victimes. Pas un seul média occidental couvre la tragédie. C'est une guerre à huis clos qui promet de durer cent ans.
À Moscou et à Téhéran, on s'offusque, on s'indigne, rien de plus. Le calendrier diplomatique est ailleurs, le Yémen n'est qu'un pion sur l'échiquier de la nouvelle guerre froide.
A Washington, on anticipe la campagne électorale de 2016 sur fond de lutte contre le terrorisme d'origine mystérieuse et de variation du prix du brut. Pourtant, l'enjeu militaro-industriel n'est pas négligeable. Il s'agit de vendre à la coalition du Conseil de Coopération du Golfe un bouclier d'armement face à l'Iran. Or sous la pression israélienne, les USA continuent de refuser aux Saoudiens toute participation au programme stratégique du Joint Strike Fighter: une affaire d'une centaine de milliards à la clé au doigt mouillé !
À Paris, on espère que les négociations traîneront en longueur pour permettre quelques beaux jours de plus à l'industrie d'armement!






samedi 2 mai 2015

Issayas Afewerki, dictateur maître-noyeur de l'Érythrée


Par milliers, les Érythréens se noient. Tout le monde s'en fout. L'actualité préfère les futilités : le foute balle, la famille Le Pen, le temps qu'il fera en mai... La France se regarde le nombril et ne veut pas lever les yeux sur l'horizon.
L'été s'annonce serein. On a pris toutes les précautions pour éviter la pollution. Sur la Côte d'Azur, on envisage la pose des filets pour empêcher les immigrants de venir semer l'effroi. Imaginez la scène en plein festival de Cannes ! Des cadavres gonflés, décomposés d'enfants, femmes et hommes échoués sur la plage !

Suite aux naufrages en série, le ministre de l'intérieur communicant a sobrement stigmatisé les passeurs. Il a rappelé les bons scores de la police et manifesté sa ferme résolution de rechercher une « solution  européenne à ce drame humain ». On est rassuré.

Il y a quinze jours, le Président tunisien était à Paris. Durant les nombreux échanges de discours, on s'est félicité de part et d'autre de la parfaite coopération en matière de lutte contre l'immigration clandestine. Il est vrai que depuis la révolution, les boat-people comme les touristes, ont déserté la Tunisie. Désormais ils embarquent depuis la Libye. C'est l'un des effets pervers de la chute de Kadhafi. Jadis, quand les filières de passeurs étaient dominées par les Tunisiens, c'était un moindre mal car elles agissaient dans le respect d'un certain code de l'honneur. L'intermédiaire n'était payé qu'à l'arrivée à bon port du migrant clandestin. Depuis que Sarkozy a démoli la Libye (sous les applaudissements de Hollande) c'est dans ce pays sans loi que sont stockés les bipèdes avant leur exportation par les mafieux. Les pauvres diables sont d'abord rançonnés ou contraints de travailler deux années pour gagner leur passage ; ultime et périlleuse étape de la migration des damnés de la mer, réduits à la condition de gnous qui se jettent à l'eau.
220 000 traversants par an, à leurs risques et périls. Rien qu'au mois d'avril on a repêché pas moins de 1 500 noyés. Rendez-vous compte, cinquante par jour !
Étaient-ils des hominidés semblables à ceux de l'Airbus du pilote fou ? Ont-ils été identifiés ? Ont-ils été inhumés ? Leurs familles seront-elles seulement informées ?
Comparaison n'est pas raison !

La République n'est pas humaine. À Calais, les âmes charitables qui offrent le gîte aux rescapés de la Méditerranée voulant tenter la Manche sont verbalisées. Qui osera afficher ce slogan sur les Champs Elysées : « j'aime mon chien, j'adopte un Érythréen ».
Ils partent de la Corne de l'Afrique, traversent en rampant les déserts du Soudan, d'Egypte et de Libye pour ensuite tenter de pagayer vers l'Europe. Ils sont 4 000 chaque mois !
Pourquoi ?
Le peuple érythréen magnifique est doublement victime d'un dictateur et de notre lâcheté

Chaque continent traine sa honte : l'Asie a la Corée du Nord, l'Amérique a Cuba, l'Afrique a l'Érythrée.
Une délégation de l'ONU vient d'y passer quatre mois : « toute la société est militarisée, le service national est universel et de durée indéfinie...l'Érythrée est un pays  la détention est un fait ordinaire...hommes, femmes, enfants, jeunes et vieux dans des centres de détentions officiels et officieux, sur le sol ou sous terre, dans des containers en métal ou dans des grottes... » Pour avoir une vision croisée de ce pays de cauchemar, on peut aussi lire le blog de Léonard Vincent « les Érythréens » ou les témoignages d'un ancien ambassadeur US révélés par WikiLeaks.

Ce pays de la Corne de l'Afrique oublié de l'humanité humaine est un peu plus vaste que le Portugal.
Population : 6 millions, 9 langues, deux religions, chrétienne et musulmane à égalité.
Capitale : Asmara 300 mille habitants.
Armée et service de travail forcé (estimation) : entre 300 mille à 2 millions d'hommes et femmes.
Ecoles : 600.
Prisons : 800.
Président: Issayas Aferwerki, dictateur depuis 22 ans.

Les conscrits âgés de 18 à 40 ans peuvent échapper au service armé imposé et acheter le droit de quitter le pays moyennant le versement de pots de vin. La gestion de cet État pénitencier consiste principalement à commercialiser ses ressources humaines sur le marché international de l'esclavage pour en soutirer une rente viagère. La première ressource de la dictature vient des transferts des immigrés à l'étranger et de l'impôt forcé qu'ils doivent verser à leur ambassade pour éviter les persécutions de leurs familles demeurées au pays.

L'Érythrée est l'un des dix pays les plus pauvres du monde en raison de l'affectation de ses ressources à ses dépenses militaires.
Toute la jeunesse est enrôlée pour garder la frontière de « l'ennemi d'Éthiopie » et subsidiairement celle de « l'ami du Soudan » et du « voisin de Djibouti ».  La façade maritime sur la Mer Rouge est renforcée par les méchants requins qui pullulent ainsi que par quelques commandos de coopérants étrangers en villégiature discrète.
L'état de guerre permanent avec l'Ethiopie voisine au prétexte d'un différend frontalier sans enjeu permet au régime sans foi d'imposer sa loi martiale permanente sur l'ensemble d'un territoire qui est totalement militarisé.

Les paradisiaques îles Dahlak sont des destinations à la mode chez les jeunes milliardaires des monarchies voisines du Golfe auxquels se joignaient jadis les rejetons de Kadhafi. Ils débarquent aux beaux jours d'hiver en C-130 Hercules avec 25 tonnes de matériel de camping, 4X4 et jet-ski pour des week end de fête.
Une entreprise franco-qatari y a construit des infrastructures de luxe ainsi qu'une dizaine de résidences touristiques à Massawa, ville qui dispose d'un aéroport international jamais inauguré et d'un port en eau profonde jamais fréquenté sauf par les navires de l'armée israélienne qui a loué dans la région plusieurs bases d'observation et d'intervention. Il faut dire que l'Érythrée attire les curieux car son rivage sur la mer Rouge commande le détroit de Bab el Mandeb où transite le pétrole vers le Canal de Suez.
L'état voyou est suspecté de pactiser avec les Saoudiens, les Iraniens, les Chinois et surtout avec les shebab somaliens, mais c'est au gré du plus offrant.

L'indéboulonnable dictateur Afewerki est un malin retors qui pratique avec talent l'art de la duplicité diplomatique. Peu d'informations filtrent sur ce septuagénaire ancien maoïste formé à l'université de Pékin sous la Révolution culturelle. Il serait caractériel, alcoolique, malade régulièrement opéré à Tel Aviv et Doha...

La France entretient une ambassade timbre-poste à Asmara. Pourquoi ? Nul ne le sait. Ses diplomates sont astreints à résidence car il leur est interdit de franchir la banlieue de la capitale sans laisser-passer dûment sollicité dix jours à l'avance. Nos parlementaires concernés (dont par pudeur il faut taire les noms) députés , sénateurs, conseillers de l'assemblée des Français de l'étranger, Présidents des groupes d'amitiés et surtout Matignon et le Quai d'Orsay sont totalement aphones sur cette destination.


De son coté, l'Union Européenne parle pour ne rien dire car elle ne veut rien faire. Elle est « préoccupée » par la situation , « maintient un dialogue politique » tout en dénonçant régulièrement les violations aux droits humains fondamentaux, toutefois, « la Commission poursuit sa coopération ».

Pourquoi nul n'a pensé à créer une armée « libre » à l'exemple de celle partie en croisade pour « punir Bachar » ?
Pourquoi la coalition de l'Arabie Saoudite dont cent avions bombardent quotidiennement les ménites sous les applaudissements occidentaux n'a-t-elle pas songé à détourner un F16 sur le Palais d'Asmara ? Où sont nos Rafale tueurs de dictateurs ? Qu'est devenue la doctrine de l'ingérence humanitaire ?

L'Érythrée est le second pourvoyeur de l'immigration clandestine en l'Europe. Ce peuple errant qui ne demande qu'à vivre paisiblement sur sa terre est contraint de fuir le régime abjecte d'un dictateur fou dont la communauté internationale toute entière est complice.
Il y a sûrement quelque chose à faire !

Pour en savoir plus :

vendredi 1 mai 2015

Tunisie, la révolution n'est pas finie


Au premier coup d'oeil Tunis a changé.

La circulation a perdu ses agents siffleurs et ses sens interdits, le code de la route semble avoir été aboli. Chacun se débrouille avec civilité.
Le long des avenue des palmiers décapités dressent leurs troncs interminables vers le ciel. On me dit que les arbres sont victimes d'une bestiole qui leur mange le cœur. La population pleure cette malédiction qui menace aussi les oliviers centenaires, les jasmins, les figuiers... C'est le début de la fin du monde !
Comme pour conjurer le sort, la foule fébrile grouille et s'affaire dans tous les sens. Elle est méconnaissable.

Le fantôme dévoilé de Bourguiba
Les Belphégor, les femmes en noir, les bâchées qui attristaient la rue hier encore ont toutes disparu. Les barbus se sont rasé, les sandalettes et les sarouals de Pachtouns sont passés de mode. Travestis de blanc, quelques islamistes furtifs rasent les murs. Inouï ! Au Kram, dans la banlieue de Tunis, on croise moins de créatures voilées qu'à Rambouillet. Certes, la plupart des filles couvrent leurs cheveux d'un fichu de couleur, mais la taille est galbée et les jeans moulés.
En quelques mois, la rue tunisienne s'est métamorphosée. L'attentat du musée du Bardo a douloureusement choqué la population. L'opinion a subitement basculé dans la défiance et l'hostilité ouverte envers l'islamisme.

C'est la réincarnation du modèle séculier d'antan. Bourguiba est de retour. Sa pensée assassinée il y a trente ans, ressurgit comme l’idéal d'une société tolérance, sans complexe, apaisée, fier de sa tunisianité. Le nouveau Président de la République et son gouvernement tentent d'appliquer les recettes du vieux leader : main de fer dans gant de velours, pragmatisme avant toute chose, politique des petits pas...L'Assemblée des Représentants du Peuple siège et légifère dans l'indigence ; ses 217 députés manquent de locaux, de personnels et d'outils informatiques.

La révolution permanente
La liberté d'expression est totale. Ce matin, la principale avenue de la capitale a été fermée à la circulation pour cause de manifestation. Une cinquantaine de braillards défilent au milieu de la foule indifférente des badauds. À coté du théâtre municipal, un quidam - sans doute pour se convaincre d'une réalité hier encore inconcevable - a badigeonné à grands traits sur une palissade cette évidence : « Tunisie, première démocratie arabe ».

Hélas, les touristes qui préfèrent la dictature, ne viennent plus. Porte de France, rue de l'Eglise, pas un seul infidèle. Le souk des parfums a retrouvé ses senteurs orientales et la corporation des Chaouachia s'est reconvertie dans la chéchia libyenne. « Finalement ce n'est pas plus mal, on se retrouve entre nous » me confie mon voisin, un fonctionnaire tranquillement attablé devant une tête de mouton rôtie, spécialité délectable de ce fameux restaurant populaire proche de la Kasbah.

Les Tunisiens anxieux de l'avenir sont devenus boulimiques. Ils se gavent de cholestérols et de paroles.

Les médias fourmillent de reportages et de débats contradictoires du plus grave au plus futile. Faut-il renforcer encore davantage la législation liberticide héritée de la dictature au motif de contrer le terrorisme ?  Le ministre du tourisme est-il bien inspiré de lancer la confection d'un coûteux drapeau grand comme vingt stades de foot pour stupidement figurer au livre des records ? Il aurait été mieux inspiré de lancer une campagne de propreté car la Tunisie est devenue une déchetterie à ciel ouvert.

Le chômage et l'inflation sont en hausse, le pouvoir d'achat est en baisse, ce qui génère une contestation permanente. Les grèves se succèdent : hier l'éducation nationale, demain la santé et la justice. La production de phosphate est paralysée depuis des mois...
La jeunesse déboussolée se concentre sur le petit écran d'une Tunisie virtuelle auto contemplative en selfies qui échange sur Facebook. Pour la fête du lycée à Kairouan et Kasserine, des potaches ont déployé un énorme portrait de Hitler et des calicots à la gloire de Daech. Ça fait froid dans le dos.

Le fantôme de Ben Ali
L'économie est au centre de toutes les préoccupations. Pourtant, d'évidence, l'activité a repris. Dans la presse, les banques et les grandes groupes industriels publient leurs résultats trimestriels. À l'exception de l'hôtellerie et du tourisme, tous les indicateurs sont en hausse. Le gigantesque Carrefour de La Marsa, ouvert même le dimanche ne désemplit pas.
Pourtant, rêvant sans doute d'un retour à l'ordre passé, le patronat se plaint d'être menacé par la justice alors que la justice n'a condamné aucun patron. Le Président de la République voudrait faire voter une loi d'amnistie en faveur des copains et des coquins de l'ancien dictateur, le leader islamiste Ghannouchi lui emboîte le pas en déclarant que le satrape réfugié en Arabie Saoudite a droit à un passeport comme tout citoyen ordinaire.
Les complices de Ben Ali conservent pignon sur rue. Les biens mal acquis ou confisqués n'ont pas été restitués, les lobbying de la corruption demeurent très puissants ; sans trop y croire, victimes et spoliés attendent des jours meilleurs.

L'alibi de la Libye
Noir ou blanchi, gris ou propre, l'argent circule en abondance. Il provient notamment des deux millions de Libyens qui ont fui la guerre. Ce ne sont pas des indigents. Les peuples tunisien et tripolitain qui partagent la même langue et les mêmes traditions sont en train de fusionner dans un espace économique commun qui s'étend désormais de Bizerte jusqu'à Tobrouk.

El khat est la route transfrontalière qui mène versla ligne de démarcation dont les hommes ne veulent plus. Dans sa thèse de doctorat de science politique, « Courir ou mourir » Hamza Meddeb décortique notemment les techniques de la contrebande dont l'ampleur atteint des chiffres astronomiques. Certaines marchandises font des aller-et-retour pour profiter de subventions compensatoires. La chaine des trafiquants permet à des centaine de milliers de gens d'améliorer leur ordinaire ou de simplement subsister.
La frontière entre la Tunisie et la Libye est inhospitalière, des montagnes de cailloux, des sables mouvants, des dunes infestées de mines qui se déplacent au gré des tempêtes de sable. Traditionnellement des dromadaires esseulés font la navette, ils sont dressés à baraquer dés qu'ils repèrent une jeep à l'horizon. Depuis que la guerre fait rage en Libye, l'armée tunisienne a verrouillé la frontière, elle filtre les passages, mais le trafic s'est adapté et les caïds de la mafia n'hésitent plus à forcer les barrages et à soulever les populations. Le problème est tellement grave que le pouvoir se demande parfois s'il ne serait pas un moindre mal de proclamer l'union économique. Car aujourd'hui, chacun se rend compte que l'imbrication est irréversible et que lorsque les deux gouvernements libyens autoproclamés auront fait la paix, un accord de totale liberté des échanges tuniso-libyen devra formaliser la réalité.
La situation n'est pas bien différente sur la frontière avec l'Algérie qui est tout aussi poreuse.L'essence algérienne de contrebande inonde le marché tunisien.

Le G8 préfère les dictatures
Toute cette économie souterraine échappe à l'impôt et aggrave le déficit public, mais elle allège le chômage et finalement achète la paix sociale. Faute d'y trouver remèdes, le pouvoir s'en accommode. Les plus à plaindre sont les retraités et les pensionnés dont le pouvoir d'achat est érodé par une inflation incontrôlée. Heureusement, vaille que vaille, les services publics fonctionnent, l'administration administre, la sécurité est assurée.
Pourtant, le gouvernement donne l'impression de gérer au jour le jour. A-t-il une feuille de route ?

Le Président de la République court le monde pour réclamer des sous ; il se souvient qu'au lendemain de la révolution en mai 2011, le G8 réuni en grande pompe à Deauville avait solennellement promis 20 milliards au « printemps arabe » dont la Tunisie attend toujours le premier dollar. À Paris tout récemment, le Président Caïd Essebsi a préconisé un plan Marshall, de relance de l'économie, on lui a proposé de l'armement pour terroriser les terroristes. De son coté, Washington va livrer des hélicoptères , peut-être même des drones, et la Chine vient d'offrir des fusils et des munitions. La militarisation de la Tunisie semble être la seule réponse de la communauté internationale à l'appel au secours de l'unique laboratoire de la démocratie arabe.
De leurs cotés, les places financières restent à l'affût, alléchés par l'odeur des privatisations inévitables: énergie, eau, phosphate, banques, transports, santé...
Ainsi, on pourrait tristement croire que l'avenir de la Tunisie balance entre le modèle du Liban et celui du Mexique, pourtant, rien n'est perdu d'avance car les Tunisiens en cortèges continuent de scander l'hymne d'Aboukacem Chebbi : si un jour le peuple veut vivre, le destin lui répondra...
La révolution tunisienne n'est pas finie.