En
Arabie Saoudite, il s'est passé plus de choses en 100 jours qu'en 25
ans. Depuis son intronisation le roi Salman Ben Abdlaziz al Saoud a
renversé la table et réveillé brutalement la cour au Bois Dormant.
Le
nouveau monarque a réglé ses comptes et aboli l'usage du compromis.
Toutes les altesses en place ont valsé, la plupart des ministres ont
été remplacés
par des proches et des favoris. S'affranchissant de toute
consultation des pairs, le roi octogénaire a désigné au débotté
son neveu Mohamed ben Nayef comme Prince héritier, ministre de
l'intérieur et son fils Mohamed ben Salman comme vice-héritier et
ministre de la guerre. C'est un putsch de Palais !
Le
binôme des Mohamedeyn porte désormais les deux sabres d'une
théocratie obscurantiste obsédée par l'éradication de la
mécréance dont les ennemis déclarés sont les chiites et les
« révolutions arabes ».
Sans
s'attarder, ils ont commencé leur croisade par le Yémen voisin :
le légendaire pays de « l'Arabie Heureuse ».
Solidarité
des pauvres contre arrogance des riches
Prenant
prétexte d'un pénultième coup d'Etat à Sanaa, depuis le 25 mars
l'Arabie bombarde méthodiquement le Yémen : routes, ports,
aéroports, industries ont été anéantis. Plus d'eau potable, plus
d'électricité, plus de minoteries ni de pain.
Le
pays traverse une catastrophe humanitaire épouvantable qui tranche
avec l’indifférence internationale. Combien de morts ?
Nul ne les compte. Des dizaines de milliers ? Qui s'en soucie ?
C'est bien moins que la Syrie, l'Irak, le Soudan, la Libye et même
la Somalie.
En
Somalie justement, terre de misère parmi les plus pauvres de la
terre, où déjà vingt mille femmes et enfants, fuyant la guerre
entassés
sur des boutres et des barques de pécheurs, ont trouvé refuge après
trente heures de navigation hasardeuse dans le Golfe d'Aden. La
petite république du Somaliland oubliée du monde a généreusement
ouvert ses bras pour partager son peu. Solidarité des pauvres envers
les affamés victimes de l'Arabie pétrolière repue.
La
maison des Saoud a un principe : il faut à chacun payer le prix
de sa soumission.
Pour
préparer l'opinion crédule, le roi a accordé une prime équivalente
à deux mois de revenus à ses sujets. Aux cent pilotes de chasse
traumatisés d'avoir carbonisé leurs frères yéménites le Prince
Al Walid ben Talal, sans doute bien inspiré, a offert à chacun
d'entre eux une Bentley à 200 mille euros.
Lors d'un cessez le feu de cinq jours exigé par les
Américains
pour enterrer les morts et évacuer les blessés, le roi Salman dans
un élan de générosité surréaliste a proposé une aide
humanitaire d'un milliard de dollars. Bâton et carotte pour
domestiquer les ânes !
Dans
un vieux court métrage (1937, René Clément je crois) on voit
l'armée coloniale britannique défiler au pas dans la poussière
d'une avenue de Sanaa. Soudain, un quidam en haillons surgit de la
foule, il donne un formidable coup de pied au cul d'un troufion de la
dernière rangée. Le détachement s'arrête. L'officier saisit son
pistolet et abat froidement l'insouciant hilare qui n'avait pas
pris la
peine de fuir. La troupe reprend sa marche comme si de rien
n'était....Surgit alors un second quidam, et la scène se répète à
l'identique.
N'est
pas né le Saoud qui asservira les yéménites !
Une
guerre civile fratricide
Malgré
la formidable propagande saoudienne qui accompagne l'agression du
Yémen la réprobation arabe est perceptible, y compris chez ceux qui
affichent une solidarité de façade grassement monnayée.
Dans
le royaume des ténèbres, le conflit est vécu comme une guerre
civile de province car dans la péninsule arabe toutes les tribus
sont plus ou moins apparentées, rares sont les Saoudiens
qui n'ont pas une deuxième, une
troisième ou une quatrième épouse yéménite. C'est pourquoi cette
guerre a des relents de génocide. Le citoyen enrage, il se tait,
intimidé par le fouet,
la cage ou la décapitation ; mais il s'abstient
d'applaudir même du bout des doigts malgré les invites incessantes
des médias inféodés.
La
noblesse gronde en cachette et boude ostensiblement. Les altesses
royales pétrifiées gardent la tête dans le sable. Tous les grands
chambellans ont été congédiés, remplacés par des jeunes parvenus
à la solde des Mohamedeyn. Même le Prince de sang royal Saoud Al
Fayçal ben Abdelaziz, inamovible ministre des affaires étrangères
depuis 40 ans a dû céder
sa charge à un ambassadeur populacier. Ceux des princes qui n'ont
pas été limogés ont préféré discrètement démissionner plutôt
que de faire allégeance à un ministre roturier.
Partageons
l'espoir des optimistes qui voient dans ces mesures le signe du
déclin des privilèges et la promesse d'une réforme de cette
anachronique monarchie absolue.
Le
malaise de la société saoudienne
La
guerre du Yémen révèle la crise du modèle théocratique saoudien
dont la légitimité populaire est désormais ouvertement contestée.
La doctrine politique de la famille Saoud gardienne de la charia date
du temps du roi Dagobert ! Hormis la noblesse décadente et le clergé
sclérosé, la bourgeoisie et le tiers état ont évolué, ils
s’accommodent mal des contraintes quotidiennes moyenâgeuses.
Fuyant une éducation nationale aberrante exclusivement consacrée à
l'enseignement de la religion, 150 000 jeunes partent chaque année
étudier à l'étranger dont la moitié aux États Unis ( un
millier seulement en France). L'avenir qu'ils ambitionnent pour leur
pays n'est pas celui d'une prison de l'inquisition! Sur les réseaux
sociaux, ils tentent de faire évoluer la société mais sont
impitoyablement persécutés
:
4 600 détenus d'opinion selon les autorités, plus de 30 mille selon
des observateurs indépendants qui
dénoncent les discriminations et les persécutions qui frappent les
Saoudiens chiites
minoritaires (8 à 10% de la population).
Signe
d'espoir fragile, les forces de répression des trois armées
(police, défense et garde nationale) sans doute trop occupées
par la guerre, semblent moins déterminées depuis
l'intronisation de Salman.
Les
armées saoudiennes dépendantes
L'offensive
sur le Yémen a mis en évidence la faiblesse des armées pourtant
formidablement équipées. Seule l'aviation soutenue par les moyens
logistiques
US et britannique a pu faire décoller ses F15, Typhoon, et autres
Tornado pour mener des milliers de sorties. A
l'exception de quelques commandos de reconnaissance, aucune troupe
saoudienne n'a réussi des percées. À l'inverse, les villes
saoudiennes frontalières demeurent sous la menace de ripostes
qui ont semé
la panique et provoqué un mouvement d'exode des populations des
villes de Najran, Jazan et Abha.
D'évidence,
sans ses supplétifs et ses mercenaires, l'armée saoudienne, 4ème
budget mondial est un tigre de papier qui
n'inspire guère de terreur autre que celle d'avoir les moyens
financiers d'acquérir secrètement un engin nucléaire sur étagère.
Malgré
les accords militaires bilatéraux, ni les Pakistanais ni les Turcs
n'ont accepté de fournir des troupes. Les Égyptiens négocient sans
fin, ils ont aéroporté des soldats tardivement et en catimini.
Seuls les
Soudanais, les Sénégalais et les Malaisiens ont acheminé quelques
détachements symboliques qui n'ont pas encore tiré un seul coup de
fusil.
Il
semblerait que les cadres de l'armée saoudienne n'aient pas montré
beaucoup d'ardeur au combat. Il faut dire que leur commandant en
chef, le fils du roi, est un fringant trentenaire totalement
inexpérimenté. Il peine à s'imposer auprès des officiers
supérieurs et généraux qui ont reçu leurs galons du prince
Sultan, défunt ministre de la défense de 1963 à 2011, dont la
descendance a été mise à l'écart par le nouveau monarque.
On
a remarqué la discrétion de la garde nationale qui constitue
pourtant l'élite combattante des tribus saoudiennes. Le Prince Mitab
ben Abdallah fils de l'ancien roi a été évincé de toute
prétention à la succession. Il est pourtant resté malgré les
purges du sérail le chef incontesté de cette garde prétorienne
d'élite puissamment assistée par des sociétés militaires privées.
Or il semblerait que cette armée n'ait pas été engagée
dans
les combats.
On
peut aussi s’interroger sur le degré d'allégeance des
tentaculaires services secrets dont le légendaire patron le Prince
Bandar Ben Sultan a été limogé dés l’intronisation du nouveau
roi.
Protéger
Al-Qaïda ?
L'offensive
saoudienne n'a ciblé que la partie très peuplée du Yémen, elle a
épargné les larges territoires contrôlés par Al-Qaïda.
Curieusement, toutes les villes ont été bombardées par les F15
saoudiens à l'exception de Mukalla, capitale de l'Hadramaout, siège
de l'organisation terroriste internationale. Selon des sources
invérifiables, les
Américains
ont rétabli l'équité en tirant depuis un drone un missile qui
aurait pulvérisé le QG des commanditaires des assassins de Charlie
Hebdo. Paris aurait remercié.
Des
twitters prétendent que les trois objectifs de l'expédition
militaire saoudienne étaient de secourir Al Qaïda
aux
prises
avec
ses pires ennemis les houtistes yémenites, ensuite de semer une
salutaire diversion au sein de la population saoudienne au bord du
« printemps arabe », et enfin de tenter de
reconstituer le jihad des monarchies sunnites contre la république
islamique.
Les
Saoudiens sont divisés
entre les irréductibles sectaires adorateurs du modèle califale et
les modernistes qui voudraient que l'Arabie quitte le 14ème siècle
pour entrer dans la réalité du 21ème. Cette fracture idéologique
expliquerait que le palais louvoie entre les extrêmes, joue
dangereusement avec le pire Daech et le moins pire Al-Qaïda ou
inversement, ceci dans l'espoir illusoire que la monarchie y
survivra.
Vers
des lendemains d'affaires
Au
plan international, la réactivité est timide ou absente. La
communauté bien pensante et commerçante agrée les bombardements
sans toutefois y prendre part directement (sauf les monarchies
jordanienne et marocaine)
Toutes les chancelleries ont déserté le pays des victimes. Pas un
seul média occidental couvre la tragédie. C'est une guerre à huis
clos qui promet de durer cent ans.
À
Moscou et à Téhéran, on s'offusque, on s'indigne, rien de plus. Le
calendrier diplomatique est ailleurs, le Yémen n'est qu'un pion sur
l'échiquier de la nouvelle guerre froide.
A
Washington, on anticipe la campagne électorale de 2016 sur fond de
lutte contre le terrorisme d'origine mystérieuse et de variation du
prix du brut. Pourtant, l'enjeu militaro-industriel n'est pas
négligeable. Il s'agit de vendre à la coalition du Conseil de
Coopération du Golfe un bouclier d'armement face à l'Iran. Or sous
la pression israélienne, les USA continuent de refuser aux Saoudiens
toute participation au programme stratégique du Joint Strike
Fighter: une affaire d'une centaine de milliards à la clé au doigt
mouillé !
À
Paris, on espère que les négociations traîneront en longueur pour
permettre quelques beaux jours de plus à l'industrie d'armement!
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