mardi 26 mai 2015

La guerre de l'Arabie Heureuse



En Arabie Saoudite, il s'est passé plus de choses en 100 jours qu'en 25 ans. Depuis son intronisation le roi Salman Ben Abdlaziz al Saoud a renversé la table et réveillé brutalement la cour au Bois Dormant.
Le nouveau monarque a réglé ses comptes et aboli l'usage du compromis. Toutes les altesses en place ont valsé, la plupart des ministres ont été remplacés par des proches et des favoris. S'affranchissant de toute consultation des pairs, le roi octogénaire a désigné au débotté son neveu Mohamed ben Nayef comme Prince héritier, ministre de l'intérieur et son fils Mohamed ben Salman comme vice-héritier et ministre de la guerre. C'est un putsch de Palais !
Le binôme des Mohamedeyn porte désormais les deux sabres d'une théocratie obscurantiste obsédée par l'éradication de la mécréance dont les ennemis déclarés sont les chiites et les « révolutions arabes ».
Sans s'attarder, ils ont commencé leur croisade par le Yémen voisin : le légendaire pays de « l'Arabie Heureuse ».

Solidarité des pauvres contre arrogance des riches
Prenant prétexte d'un pénultième coup d'Etat à Sanaa, depuis le 25 mars l'Arabie bombarde méthodiquement le Yémen : routes, ports, aéroports, industries ont été anéantis. Plus d'eau potable, plus d'électricité, plus de minoteries ni de pain.
Le pays traverse une catastrophe humanitaire épouvantable qui tranche avec l’indifférence internationale. Combien de morts ? Nul ne les compte. Des dizaines de milliers ? Qui s'en soucie ? C'est bien moins que la Syrie, l'Irak, le Soudan, la Libye et même la Somalie.
En Somalie justement, terre de misère parmi les plus pauvres de la terre, où déjà vingt mille femmes et enfants, fuyant la guerre entassés sur des boutres et des barques de pécheurs, ont trouvé refuge après trente heures de navigation hasardeuse dans le Golfe d'Aden. La petite république du Somaliland oubliée du monde a généreusement ouvert ses bras pour partager son peu. Solidarité des pauvres envers les affamés victimes de l'Arabie pétrolière repue.
La maison des Saoud a un principe : il faut à chacun payer le prix de sa soumission.
Pour préparer l'opinion crédule, le roi a accordé une prime équivalente à deux mois de revenus à ses sujets. Aux cent pilotes de chasse traumatisés d'avoir carbonisé leurs frères yéménites le Prince Al Walid ben Talal, sans doute bien inspiré, a offert à chacun d'entre eux une Bentley à 200 mille euros. Lors d'un cessez le feu de cinq jours exigé par les Américains pour enterrer les morts et évacuer les blessés, le roi Salman dans un élan de générosité surréaliste a proposé une aide humanitaire d'un milliard de dollars. Bâton et carotte pour domestiquer les ânes !
Têtus sans doute, mais bêtes certainement pas. C'est mal connaître les Yéménites.
Dans un vieux court métrage (1937, René Clément je crois) on voit l'armée coloniale britannique défiler au pas dans la poussière d'une avenue de Sanaa. Soudain, un quidam en haillons surgit de la foule, il donne un formidable coup de pied au cul d'un troufion de la dernière rangée. Le détachement s'arrête. L'officier saisit son pistolet et abat froidement l'insouciant hilare qui n'avait pas pris la peine de fuir. La troupe reprend sa marche comme si de rien n'était....Surgit alors un second quidam, et la scène se répète à l'identique.
N'est pas né le Saoud qui asservira les yéménites !

Une guerre civile fratricide
Malgré la formidable propagande saoudienne qui accompagne l'agression du Yémen la réprobation arabe est perceptible, y compris chez ceux qui affichent une solidarité de façade grassement monnayée.
Dans le royaume des ténèbres, le conflit est vécu comme une guerre civile de province car dans la péninsule arabe toutes les tribus sont plus ou moins apparentées, rares sont les Saoudiens qui n'ont pas une deuxième, une troisième ou une quatrième épouse yéménite. C'est pourquoi cette guerre a des relents de génocide. Le citoyen enrage, il se tait, intimidé par le fouet, la cage ou la décapitation ; mais il s'abstient d'applaudir même du bout des doigts malgré les invites incessantes des médias inféodés.
La noblesse gronde en cachette et boude ostensiblement. Les altesses royales pétrifiées gardent la tête dans le sable. Tous les grands chambellans ont été congédiés, remplacés par des jeunes parvenus à la solde des Mohamedeyn. Même le Prince de sang royal Saoud Al Fayçal ben Abdelaziz, inamovible ministre des affaires étrangères depuis 40 ans a dû céder sa charge à un ambassadeur populacier. Ceux des princes qui n'ont pas été limogés ont préféré discrètement démissionner plutôt que de faire allégeance à un ministre roturier.
Partageons l'espoir des optimistes qui voient dans ces mesures le signe du déclin des privilèges et la promesse d'une réforme de cette anachronique monarchie absolue.

Le malaise de la société saoudienne
La guerre du Yémen révèle la crise du modèle théocratique saoudien dont la légitimité populaire est désormais ouvertement contestée. La doctrine politique de la famille Saoud gardienne de la charia date du temps du roi Dagobert ! Hormis la noblesse décadente et le clergé sclérosé, la bourgeoisie et le tiers état ont évolué, ils s’accommodent mal des contraintes quotidiennes moyenâgeuses. Fuyant une éducation nationale aberrante exclusivement consacrée à l'enseignement de la religion, 150 000 jeunes partent chaque année étudier à l'étranger dont la moitié aux États Unis ( un millier seulement en France). L'avenir qu'ils ambitionnent pour leur pays n'est pas celui d'une prison de l'inquisition! Sur les réseaux sociaux, ils tentent de faire évoluer la société mais sont impitoyablement persécutés : 4 600 détenus d'opinion selon les autorités, plus de 30 mille selon des observateurs indépendants qui dénoncent les discriminations et les persécutions qui frappent les Saoudiens chiites minoritaires (8 à 10% de la population).
Signe d'espoir fragile, les forces de répression des trois armées (police, défense et garde nationale) sans doute trop occupées par la guerre, semblent moins déterminées depuis l'intronisation de Salman.

Les armées saoudiennes dépendantes
L'offensive sur le Yémen a mis en évidence la faiblesse des armées pourtant formidablement équipées. Seule l'aviation soutenue par les moyens logistiques US et britannique a pu faire décoller ses F15, Typhoon, et autres Tornado pour mener des milliers de sorties. A l'exception de quelques commandos de reconnaissance, aucune troupe saoudienne n'a réussi des percées. À l'inverse, les villes saoudiennes frontalières demeurent sous la menace de ripostes qui ont  semé la panique et provoqué un mouvement d'exode des populations des villes de Najran, Jazan et Abha.
D'évidence, sans ses supplétifs et ses mercenaires, l'armée saoudienne, 4ème budget mondial est un tigre de papier qui n'inspire guère de terreur autre que celle d'avoir les moyens financiers d'acquérir secrètement un engin nucléaire sur étagère.

Malgré les accords militaires bilatéraux, ni les Pakistanais ni les Turcs n'ont accepté de fournir des troupes. Les Égyptiens négocient sans fin, ils ont aéroporté des soldats tardivement et en catimini. Seuls les Soudanais, les Sénégalais et les Malaisiens ont acheminé quelques détachements symboliques qui n'ont pas encore tiré un seul coup de fusil.
Il semblerait que les cadres de l'armée saoudienne n'aient pas montré beaucoup d'ardeur au combat. Il faut dire que leur commandant en chef, le fils du roi, est un fringant trentenaire totalement inexpérimenté. Il peine à s'imposer auprès des officiers supérieurs et généraux qui ont reçu leurs galons du prince Sultan, défunt ministre de la défense de 1963 à 2011, dont la descendance a été mise à l'écart par le nouveau monarque.
On a remarqué la discrétion de la garde nationale qui constitue pourtant l'élite combattante des tribus saoudiennes. Le Prince Mitab ben Abdallah fils de l'ancien roi a été évincé de toute prétention à la succession. Il est pourtant resté malgré les purges du sérail le chef incontesté de cette garde prétorienne d'élite puissamment assistée par des sociétés militaires privées. Or il semblerait que cette armée n'ait pas été engagée dans les combats.
On peut aussi s’interroger sur le degré d'allégeance des tentaculaires services secrets dont le légendaire patron le Prince Bandar Ben Sultan a été limogé dés l’intronisation du nouveau roi.

Protéger Al-Qaïda ?
L'offensive saoudienne n'a ciblé que la partie très peuplée du Yémen, elle a épargné les larges territoires contrôlés par Al-Qaïda. Curieusement, toutes les villes ont été bombardées par les F15 saoudiens à l'exception de Mukalla, capitale de l'Hadramaout, siège de l'organisation terroriste internationale. Selon des sources invérifiables, les Américains ont rétabli l'équité en tirant depuis un drone un missile qui aurait pulvérisé le QG des commanditaires des assassins de Charlie Hebdo. Paris aurait remercié.
Des twitters prétendent que les trois objectifs de l'expédition militaire saoudienne étaient de secourir Al Qaïda aux prises avec ses pires ennemis les houtistes yémenites, ensuite de semer une salutaire diversion au sein de la population saoudienne au bord du « printemps arabe », et enfin de tenter de reconstituer le jihad des monarchies sunnites contre la république islamique.
Les Saoudiens sont divisés entre les irréductibles sectaires adorateurs du modèle califale et les modernistes qui voudraient que l'Arabie quitte le 14ème siècle pour entrer dans la réalité du 21ème. Cette fracture idéologique expliquerait que le palais louvoie entre les extrêmes, joue dangereusement avec le pire Daech et le moins pire Al-Qaïda ou inversement, ceci dans l'espoir illusoire que la monarchie y survivra.

Vers des lendemains d'affaires
Au plan international, la réactivité est timide ou absente. La communauté bien pensante et commerçante agrée les bombardements sans toutefois y prendre part directement (sauf les monarchies jordanienne et marocaine) Toutes les chancelleries ont déserté le pays des victimes. Pas un seul média occidental couvre la tragédie. C'est une guerre à huis clos qui promet de durer cent ans.
À Moscou et à Téhéran, on s'offusque, on s'indigne, rien de plus. Le calendrier diplomatique est ailleurs, le Yémen n'est qu'un pion sur l'échiquier de la nouvelle guerre froide.
A Washington, on anticipe la campagne électorale de 2016 sur fond de lutte contre le terrorisme d'origine mystérieuse et de variation du prix du brut. Pourtant, l'enjeu militaro-industriel n'est pas négligeable. Il s'agit de vendre à la coalition du Conseil de Coopération du Golfe un bouclier d'armement face à l'Iran. Or sous la pression israélienne, les USA continuent de refuser aux Saoudiens toute participation au programme stratégique du Joint Strike Fighter: une affaire d'une centaine de milliards à la clé au doigt mouillé !
À Paris, on espère que les négociations traîneront en longueur pour permettre quelques beaux jours de plus à l'industrie d'armement!






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