dimanche 7 juin 2015

Les immigrés tunisiens de juin 1940



Nous sommes en juin 1940, sur la place principale de la ville de Gafsa, porte du desert de la Tunisie. En grande hâte, des jeunes gens en uniformes sont regroupés puis acheminés dans la nuit vers la capitale. Au petit matin, au port de La Goulette, ils embarquent sur la proue d’un paquebot qui cingle aussitôt vers Marseille.
Les jeunes recrues du 4ème Régiment de Tirailleurs Tunisiens partent défendre la France !
Pendant la traversée, les passagers de première classe depuis le pont supérieur leur jettent des friandises et des cigarettes qu’ils se disputent joyeusement, ivres de la découverte de la mer. Après un voyage de quatre jours, retardé par une avarie en rade de Bonifacio, ils posent leurs sacs sur le quai de la Joliette où des wagons à banquettes en dur les attendent. 

Le convoi gagne Paris. En Gare de Lyon, les hommes cantinent à la hâte d’une soupe avant de sauter dans des camions. Sur le pont d’Austerlitz traversé à faible allure, certains croient discerner la Tour Eiffel. 
Au petit matin, la troupe bivouaque en forêt de Rambouillet. Au lointain, le canon tonne. Les hommes ne s’en alarment pas, tout occupés qu’ils sont à contempler les arbres immenses, à caresser la mousse et effeuiller les fougères. Le lendemain, ils attendent en vain l’ordre de marche. Pour passer le temps, ils capturent des poules faisanes dont se régalent les officiers lesquels en échange blessent au fusil deux chevreuils, aussitôt égorgés et rôtis au bord de l’étang du Moulinet. Pour la plupart, la guerre est belle car la France ressemble au paradis.

Quatre jours plus tard, ils apprennent que Paris vient de capituler et que des unités de leur régiment se battent à Palaiseau. Le Capitaine a mission de rallier Chartres. Les routes sont encombrées par l’exode d’une population accablée. Les fantassins en colonnes pressés doublent en vitesse une file ininterrompue de civils hagards. C’est une débâcle indescriptible sans panache. L’armée allemande est déjà à Trappe. 
Vers le soir, au bout d’une route toute droite tracée entre les champs de blé de la Beauce, la petite troupe prend position près d’un hameau désert d’où l’on aperçoit brillant au couchant, les flèches de la cathédrale de Chartres.
La compagnie du 4ème RTT reçoit l'ordre de ralentir l'offensivedes chars allemands. Par petits groupes, les hommes creusent des tranchées. A la nuit tombée, alors que les obus pleuvent moins nombreux, l'officier rassemble ses hommes et leur parle probablement ce langage : « ne laissons pas l’histoire nous traiter de lâches. Jurons de périr ici pour l'honneur de la France ». Tous prêtent serment.
Le jour suivant, ils résistèrent jusqu’au soir. Les derniers survivants formant le carré en défense crièrent sans doute: « vive la France, vive la Tunisie…. Allahou akbar ! » avant d’être hachés par la mitraille.
C’était le dimanche 16 juin 1940, à Houville-la- Branche en Eure et Loir.
Le lundi 17 juin Pétain appelait à cesser les combats.
Le mardi 18 juin, les villageois qui s’étaient réfugiés dans la chênaie s’en retournèrent pour mettre en terre dans leur cimetière les restes des 63 héros.

Depuis, chaque année, les habitants observent une journée de deuil et s’en vont fleurir la mémoire des hommes qui arboraient l’éléphant d’Annibal sur leur fanion tricolore.

Si un jour, vous passez en Beauce, faites un détour par Houville-la Branche, c’est un village charmant qui mérite le recueillement.
Entre la rue du souvenir et celle du 16 juin 1940, reposent côte à côte soixante trois hommes 
« Morts pour la France ».


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