vendredi 31 mars 2017

Voyages au salon du livre 2017

Le salon du livre de Paris rassemble chaque année dans une halle gigantesque de la Porte de Versailles une pitance abondante pour lecteur compulsif. Pendant trois jours, ce lieu lugubre devient la plus grande librairie du monde : 1200 exposants, 160 mille visiteurs... Perdu au milieu de cet océan de savoir on se sent comme un misérable petit savant de peu de choses.

Au centre de l'exposition, les grands éditeurs exhibent des milliers de titres empilés sur des plateaux ou sagement alignés le long de rayonnages sans fin. Dans tous les coins, des auteurs à succès dédicacent aux chalands ravis le « livre dont on parle ». 

Fuyons.

Le pavillon du Maroc est à l'honneur. Tout y est sobre mais élégant. On y croise le regard du vieux Ben Jelloun et le sourire de la jeune Slimani. Une foule joyeuse et compacte empêche de s'approcher.

Dans le calme d'une allée moins fréquentée, la littérature coréenne étale quelques unes de ses trop rares traductions. Un éditeur a eu l'idée de rassembler les meilleurs pages des auteurs contemporains sur le thème de la nourriture. Car en Corée, le manger est l'expression d'un art quotidien trois fois renouvelé ; oublier d'y consacrer quelques passages ôterait au livre toute saveur. Benjamin Joinau et Simon Kim ont compilé à l'Atelier des Cahiers les traductions de 34 textes par 26 auteurs sous le titre « Manger cent façons ». Trois cents pages à savourer sans modération, y compris celles consacrées aux ragoûts de chiens à la gelée de glands.

Plus loin, des hôtesses affables expliquent le fonctionnement de curieuses bornes littéraires. L'objet ressemble à un parcmètre mais avec trois boutons verts : 1, 2 ou 3 minutes. Vous appuyez et le robot vous crache un ruban d'écriture de la largeur d'un smartphone. Cette expérimentation est destinée aux lieux publics. Le concept est à peaufiner car ni le format ni la texture du papier ne facilitent l'usage auquel je pense.

Voici le stand généreusement achalandé du Québec. Ce n'est pas un pays, c'est l'hiver, celui des poètes et des troubadours, celui de Gilles Vigneault 
Là bas, on dit d'un gars souriant qu'il sèche ses dents. Celui qui m'aborde est Shannon Desbiens de chez Les Bouquinistes à Chicoutimi, une petite ville logée au bout du monde, à cinq heures de char de Montréal. L'an dernier, la belle province lui a décerné le prix d'excellence des libraires. Ce n'est pas rien ! C'est son premier voyage à l'étranger. Il découvre Paris et les bizarres cousins français. Il me conseille un livre pour chaque main.

« Le nid de pierres » de Tristan Malavoy aux éditions du Boréal est un roman qui ne ressemble à aucun autre. Frigorifiant, ensorcelant, réveillant les peurs enfantines. Le lecteur est pris au piège. Impossible de fermer l'oeil sans achever ce bouquin funeste, ensorcelant, épatant.
« Le poids de la neige » de Christian Guay-Poliquin édité par La Peuplade est une histoire simple et dépouillée. Le narrateur gravement blessé sur une route verglacée est recueilli dans un hameau isolé. Le vieux Mathias le soigne dans sa cabane dénudée. Huit clos imposé dans l'interminable attente du dégel, du retour de l'électricité et des provisions. Récit glaçant des douloureuses journées sans fin d'un paralysé dépendant de son prochain. Simple, monacal, épuré, magnifique.

Quelques jours après mes pérégrinations, mes provisions de lecture sont épuisées. Je me demande à quoi ressemble le printemps qui pointe en ce moment au Québec ? Jadis, Marie Perreault m'avait dit au revoir d'une drôle de façon,

Si tu marches comme hier
au rythme de leur pas,
tu verras des frontières
me séparer de toi.

Si la chanson s'arrête
ou ton bonheur s'éteint
ou la vie est trop bête
pour qu'on n'en sache rien,

Reviens, nous oublierons
que c'est lourd et c'est long
une musique à refaire,
sur des paroles d'hier
...

mercredi 22 mars 2017

La méthode Macron pour capter le vote musulman

Insidieusement, le communautarisme s'invite dans le débat des présidentielles. Discrètement, chaque candidat caresse les électeurs juifs et musulmans dans le sens du poil sans même savoir combien ils sont. La loi de la raison républicaine interdit de les compter, ce qui autorise toutes les approximations : 500 mille à un million pour les premiers, 2 à 6 millions pour les seconds ?

Ils sont inéquitablement représentés. À l'Assemblée nationale les musulmans bi-nationaux arabes se comptent sur les doigts de la main alors que les députés juifs bi-nationaux israéliens sont de l'aveu de Meyer Habib une soixantaine. Dénicher un maire ou un premier adjoint au prénom musulman dans les 40 000 communes de France relève de la gageure. Enfin, dans la fonction publique et les entreprises, le plafond de verre oblige les mal prénommés à céder le pas.
Le vote communautaire est un grand mystère qui alimente tous les fantasmes. Il est souvent nié alors que l'analyse conduite par des chercheurs dans des circonscriptions « ghetto » de Sarcelle ou de Trappes notamment, a démontré une sur-représentation des votes juifs et musulmans lors des dernières élections présidentielles. À droite pour les uns, à gauche pour les autres. Mais l'absence d'étude pertinente à l'échelle nationale alimente toutes les suppositions.
C'est sans doute pourquoi, sur ce terrain périlleux, les candidats marchent sur des œufs.

Ainsi, aucun d'entre eux n'aura pris le risque de décliner l'invitation à dîner du Conseil Représentatif des Institutions Juives de France le 22 février dernier. Comme chaque année, les 800 convives payants ont écouté les slogans habituels : « l'anti-sionisme c'est de l'antisémitisme déguisé » ou encore « Israël n'est pas une État colonialiste mais anti-terroriste ».
Tous les prétendants à la Présidentielle ont applaudi. Sauf Mélenchon et Le Pen car ils n'avaient pas été invités. Le message du CRIF est clair : juifs de France, votez pour qui vous voulez sauf pour la France Insoumise et le Front National !
Certes, cette tribune de l'État hébreu ne fait pas l'unanimité chez les juifs pas plus que celles du Qatar ou de l'Arabie Saoudite chez les musulmans et fort heureusement, il est exclu que les mosquées de France – tout comme les synagogues - appellent à voter pour un candidat. Encore faut-il craindre quelques invitations incongrues aux dîners d'iftar pendant le mois de ramadan en juin prochain qui coïncidera avec la campagne des législatives.
Pour l'heure, il est acquis que les salafistes se tiendront à l'écart des scrutins car une interprétation (abusive) du Coran leur interdit d'apporter leur suffrage à un mécréant. Les islamolâtres n'auront donc d'autres choix que le bulletin blanc ou l'abstention, d'autant que le téméraire docteur Kamel Messaoudi, candidat de l'Union des démocrates musulmans n'a obtenu que 3 parrainages. Par conséquent, le roman de Houellebecq s'éloigne de la prémonition.

Pour autant, le vote des bi-nationaux franco maghrébins peut assurément faire basculer le scrutin. Lionel Jospin, saqué par les Algériens, l'a appris à ses dépends en 2002. Hollande avait retenu la leçon en 2012, par pour longtemps car il n'est pas facile de plaire aux musulmans sans fâcher les juifs et inversement. Ainsi, Benoît Hamon ayant promis que lui Président, la France reconnaitra l'État Palestinien, il a immédiatement été qualifié d'islamo-gauchiste par les amis de Valls qui l'ont accusé de vouloir séduire à bon compte les électeurs arabes des banlieues. Signe fort : la section Israël du PS a déserté en bloc pour rejoindre le camp Macron. Illustration de l'éternel « syndrome Jérusalem » qui depuis des lustres divise le parti socialiste sur cet impossible compromis.

Macron qui cherche à plaire à tout le monde a choisi une technique d'aguichage subtile. Sans doute contaminé par un tropisme néo-colonial qui considère que les citoyens arabes de France sont sous l'influence de leur pays d'origine, il a entrepris d'aller sur la terre de leurs ancêtres.
Sa première escale électorale l'a conduit à Tunis. Accompagné de Bertrand Delanoë natif de Bizerte, il espérait briller. Bide total. Président et gouvernement l'ont snobé. Il faut dire que la jeune démocratie tunisienne a d'autres chats à fouetter et que l'ancien ministre n'a pas particulièrement soutenu la révolution lorsqu'il était aux affaires. Et puis, les affinités de Carthage sont plutôt sarkozistes.

Au Liban, cœur de la pensée politique arabo-musulmane moderne, Macron était guidé par la sénatrice ex-PS Bazira Khiari « farouchement républicaine, sereinement musulmane » et par un banquier d'affaires de la place. Beyrouth lui a réservé son meilleur accueil. Réceptions, cortège officiel, pin pon... Bref, Macron se l'est joué Président. Le Liban qui est attaché à ses traditions d'hospitalité, a fait savoir que tous les candidats seraient reçus avec égards et bienveillance. Alors, après Fillon et Macron, Marine Le Pen s'est précipitée. Elle a pareillement été reçue. Les Libanais qui adorent les sous entendus, racontent que le Président du Conseil des ministres Saad Hariri, richissime homme d'affaires qui porte aussi la nationalité saoudienne, n'a pas manqué de rendre compte aux Altesses d'Arabie.

À Alger, Macron a marqué des points. Un sans faute minutieusement préparé qui lui a valu les honneurs du tapis rouge. Reprenant l'idée du journaliste Rachid Arhab, il a d'abord déclaré qu'il était favorable à la création d'une chaîne de télévision franco-algérienne sur le modèle d'Arte : applaudissements ! Puis, il a qualifié la colonisation de crime contre l'humanité : ovation ! Par cette petite phrase très inspirée, il a rallié le soutien du pouvoir et engrangé en France des promesses de votes inespérés.
Il suffirait que Macron élargisse son propos à la colonisation israélienne et dénonce clairement comme Mélenchon l'offense aux droits humains en Palestine, pour que l'intégralité de la communauté arabe de France se mette « En Marche ».
Osera t-il aller jusque là pour assurer ses chances de victoire ?

À Rabat, la sortie de Macron interprétée de multiples façons, a été frigorifiquement appréciée. D'ailleurs, depuis des mois, le roi Mohamed VI a fait le choix de tourner le dos aux gesticulations socialo-parisiennes ; il voit l'avenir de son pays avec l'Afrique plutôt qu'avec l'Europe.
Impatients, les comités de soutien macronien au Maroc attendent depuis des semaines la venue de leur candidat qui est sans cesse repoussée d'un week end à l'autre. L'enjeu est doublement important car «... la communauté française au Maroc compte 48 800 personnes... La communauté marocaine en France compte 1 500 000 personnes dont 670 000 bi-nationaux ».


Ces chiffes très officiels sont extraits du rapport d'Élisabeth Guigou publié par l'Assemblée Nationale le 16 juin 2016. Ils permettent, par extrapolation en proportion et addition des bi-nationaux algériens et tunisiens, d'évaluer le nombre de citoyens français de la communauté musulmane maghrébine à 2,4 millions. Soit l'équivalent de la population de Paris. Cela vaut bien une messe !