Le
salon du livre de Paris rassemble chaque année dans une halle
gigantesque de la Porte de Versailles une pitance abondante pour
lecteur compulsif. Pendant trois jours, ce lieu lugubre devient la
plus grande librairie du monde : 1200 exposants, 160 mille
visiteurs... Perdu au milieu de cet océan de savoir on se sent comme
un misérable petit savant de peu de choses.
Au
centre de l'exposition, les grands éditeurs exhibent des milliers
de titres empilés sur des plateaux ou sagement alignés le long de
rayonnages sans fin. Dans tous les coins, des auteurs à succès
dédicacent aux chalands ravis le « livre dont on parle ».
Fuyons.
Le
pavillon du Maroc est à l'honneur. Tout y est sobre mais élégant.
On y croise le regard du vieux Ben Jelloun et le sourire de la jeune
Slimani. Une foule joyeuse et compacte empêche de s'approcher.
Dans
le calme d'une allée moins fréquentée, la littérature coréenne
étale quelques unes
de ses trop rares traductions. Un éditeur a eu l'idée de rassembler
les meilleurs pages des auteurs contemporains sur le thème de la
nourriture. Car en Corée, le manger est l'expression d'un art
quotidien trois fois renouvelé ; oublier d'y consacrer quelques
passages ôterait au livre toute saveur. Benjamin Joinau et Simon Kim
ont compilé à l'Atelier des Cahiers les traductions de 34 textes
par 26 auteurs sous le titre « Manger cent
façons ».
Trois cents pages à savourer sans modération, y compris celles
consacrées aux ragoûts de chiens à la gelée de glands.
Plus
loin, des hôtesses affables expliquent le fonctionnement de
curieuses bornes littéraires. L'objet ressemble à un parcmètre mais
avec trois boutons verts : 1, 2 ou 3 minutes. Vous appuyez et le
robot vous crache un ruban d'écriture de la largeur d'un smartphone.
Cette expérimentation est destinée aux lieux publics. Le concept
est à peaufiner car ni le format
ni
la texture du papier ne facilitent l'usage auquel je pense.
Voici
le stand généreusement achalandé du Québec. Ce n'est pas un
pays, c'est l'hiver,
celui des poètes et des troubadours, celui de Gilles Vigneault !
Là bas,
on dit d'un gars souriant qu'il sèche ses dents. Celui qui m'aborde
est Shannon Desbiens de chez Les Bouquinistes à Chicoutimi, une
petite ville logée au bout du monde, à cinq heures de char de
Montréal. L'an dernier, la belle province lui a décerné le prix
d'excellence des libraires. Ce n'est pas rien ! C'est son
premier voyage à l'étranger. Il découvre Paris et les bizarres
cousins français. Il me conseille
un
livre pour chaque main.
« Le
nid de pierres »
de Tristan Malavoy aux éditions du Boréal est un roman qui ne
ressemble à aucun autre. Frigorifiant, ensorcelant, réveillant les
peurs enfantines. Le lecteur est pris au piège. Impossible
de fermer
l'oeil sans achever ce bouquin funeste, ensorcelant, épatant.
« Le
poids de la neige »
de Christian Guay-Poliquin édité par La Peuplade est une histoire
simple et dépouillée. Le narrateur gravement blessé sur une route
verglacée est recueilli dans un hameau isolé. Le vieux Mathias le
soigne dans sa cabane dénudée. Huit clos imposé dans
l'interminable attente du dégel, du retour de l'électricité et des provisions. Récit glaçant des douloureuses journées sans fin
d'un paralysé dépendant de son prochain. Simple, monacal, épuré,
magnifique.
Quelques
jours après mes pérégrinations,
mes provisions de lecture sont épuisées. Je me demande à quoi
ressemble le printemps qui pointe en ce moment au Québec ?
Jadis, Marie Perreault m'avait dit au revoir d'une drôle de
façon,
Si
tu marches comme hier
au
rythme de leur pas,
tu
verras des frontières
me
séparer de toi.
Si
la chanson s'arrête
ou
ton bonheur s'éteint
ou
la vie est trop bête
pour
qu'on n'en sache rien,
Reviens,
nous oublierons
que
c'est lourd et c'est long
une
musique à refaire,
sur
des paroles d'hier
...
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