dimanche 31 janvier 2010

Le mariage sous cape

En Normandie chacun sait qu’un serment bien arrosé est promesse de félicité alors qu’une cérémonie sans crachin est présage de misères.

C’est pourquoi on dit : « mariage pluvieux mariage heureux »

L’adage existe aussi en Arabie. Mais pour des raisons météorologiques, on dit « à mariage plus vieux mariage heureux »
Dans la très sèche cité de Bahrah, un fringant vieillard de 95 ans vient d’épouser en troisième noce une jeunesse de 30 printemps. Sa première épouse, ses dix enfants et ses 35 petits enfants étaient à la noce. Hamdan fait ses six kilomètres à pied chaque jour pour aller prier à la mosquée. Il ne boit que le lait de ses chamelles. Alhamdou lillah !

Chez les créatures voilées, les espoirs de bonheur augmentent aussi avec l’âge. C’est pourquoi il est fréquent que les très jeunes filles se rebiffent. Elles veulent absolument coiffer Sainte-Catherine. Dernièrement, la jeune Buraïdah a provoqué un scandale en hurlant à son mariage : « au secours, au secours, je n’en veux pas ! » Il faut préciser que l’épousée a douze ans et que son nouveau mari sera octogénaire aux prunes. « Nan nan » criait-elle « je ne veux pas devenir la belle grand-mère d’une quarantaine de petits enfants tous plus âgés que moi ». Un journaliste qui passait par là rapporta les faits sans doute pour amuser ses lecteurs. Il déclencha un formidable débat national.

Depuis, l’Arabie est divisée. Il y a d’un coté les internationalistes qui rappellent que le Royaume a signé moultes conventions onusiennes entérinant l’âge de la majorité à 18 ans. De l’autre il y a la fatwa du mufti du royaume Abdulaziz Al-Cheikh qui fixe à 10 ans le permis de convolage. Le prophète n’a-t-il pas montré la voie en épousant il y a quatorze siècles Aïcha, neuf ans ?
Les pouvoirs publics se devaient d’intervenir, c’est ainsi que le Ministère de la Justice à décidé de nommer une commission chargée « de suivre le dossier et de prendre les mesures qui s’imposent » la cour de cassation a été saisie (Ah !)
En attendant, le tribunal d’El Jouf, dans une affaire semblable a déclaré parfaitement légal le mariage de deux sœurs de 13 et 14 ans. (Oh !)

Une autre polémique concerne le mariage « messyar ». C’est un mariage plaisir dont voici le mode d’emploi. Il suffit de dire : « je t’épouse pour le plaisir sans aucun héritage et pour une durée déterminée… » Si elle dit oui en présence de deux témoins pris au hasard l’union est halal, on peut se coucher tranquille. Pour le Cheikh Al-Aoudeh ce type de mariage CDD est parfaitement chariatique mais à l’autre bout du royaume son collègue Al-0baikan vilipende cette tartuferie d’origine chiite. Difficile d’y retrouver son latin. En attendant les petits malins et les grandes coquines profitent du vide chariatique.

Au Majlis el Choura le parlement royal, des voix s’élèvent qui souhaitent légiférer une bonne fois pour toutes sur ces questions. L’opposition s’y oppose. Trop de loi tue la loi, c’est bien connu et de citer l’exemple de la France, terre de liberté et de tolérance à peine voilée.

Car en Arabie pays du hijab obligatoire, la nudité aussi fait débat. Dernièrement le bon roi Abdallah a osé se faire photographier aux côtés d’une saoudienne au visage complètement dévoilé ! Oui vous avez bien lu, le visage de la femme était absolument nu. On lui voyait les yeux, le nez, le menton…tout quoi. Le cliché est paru à la une des journaux. On dit que le roi a même serré la main de la professeure puis il a épinglé sur son abaya noire la plus haute distinction du royaume. Au train où vont les choses et si Allah lui prête vie, le monarque permettra peut-être aux femmes de conduire leur voiture, aux vitres fumées bien sûr !

lundi 18 janvier 2010

Burka de cire

Dans un pays imaginaire, il est interdit aux femmes de se dévoiler la face en public. La police religieuse veille scrupuleusement à l’observation de cette loi.

Cependant, pour des raisons que vous ne devinerez pas, il y a des petits malins mâles qui se déguisent en femme. Ces travelos sont impitoyablement traqués. Mais la tâche est ardue, comment en effet derrière le voile débusquer le faux mistigri ? Dans les rues, les pandores scrutent la démarche des bâches qui passent. Ils espionnent les conversations et guettent la moindre virilité cachée.

La procédure prévoit « en cas d’indices probants et concordants » de conduire les Belphégor à la ville sainte où, comme chacun sait, il est strictement interdit de se masquer le visage ; ce qui est bien pratique pour découvrir les pots aux roses. Certains se demanderont pourquoi l’interdit des lieux sacrés ne s’applique pas aux autres sables de la Péninsule et partant, aux terres de la fille aînée de l’église ?
Aux droits-de-l’hommistes qui voudraient connaitre le sort réservé aux travestis, ils apprendront avec soulagement que le doute profitant toujours au suspect, celui-ci est entrainé vers l’hôpital pour y subir une ablation volontaire immédiate, ce qui vaut mieux que la décapitation…Souvent, le facétieux repentit se reconvertit en chapon chez KFC.

Hélas toute opération de maintien de l’ordre entraine des bavures, c’est pourquoi les autorités cherchent désespérément un moyen de contrôle moderne et efficace.

Il existe bien les fameux chiens loups renifleurs de supercheries. Mais pour éviter la répulsion que suscitent ces animaux léchouilleurs et impurs, il est indispensable de les déguiser en agneaux. Or pour des raisons d’atavisme ou de canicule les lainages sont très mal supportés par ces auxiliaires canins.
Il y a aussi le robot palpeur chinois qui a connu un engouement spectaculaire mais il a du être abandonné car les autorités soupçonnaient à tort ou à raison certaines coquines d’y prendre goût.
Reste le célèbre scanner pelvien du concours Lépine dont la production peine à satisfaire la demande.
Il faut dire que le marché du détecteur d’homme est en pleine expansion. On estime en effet que derrière la meurtrière de la burka une femme sur trois est un homme. Alors qu’à l’inverse –mais il n’existe pas de statistiques fiables- la proportion de femmes portant moustache et béret serait infime.

Je tiens toutes ces informations de mon ami Abdu, heureux bénéficiaire d’un permis Schengen qui lui donne droit à quelques jours d’intempéries parisiennes. Lorsque je lui ai dit qu’aucune loi en France ne s’opposait à la circulation des mâles en burka, il ne m’a pas cru. « Ya habibi ! Ici c’est le pays de l’égalité entre les hommes /femmes on s’habille comme on veut
En guise de démonstration, je l’ai entrainé au Bois de Boulogne où en échange d’un billet bleu, une brésilienne mamelue lui a démontré qu’il fallait se méfier des apparences. Mon pote en était tourneboulé. Il a gambergé toute la nuit. Au matin, il m’a avoué ses phantasmes.

Pour lui changer les idées, je l’ai emmené sur la Butte Montmartre. On est redescendu par les escaliers vers le Marché Saint Pierre, on a longé les magasins de tissu : je regardais les femmes, il s’attardait sur les voilages.
J’ai fini par le conduire chez Gabi un Tun de La Goulette roi de la cotonnade. Je le trouvais devant son magasin. « Où étais-tu ? Parole j’ai cru que t’étais mort ! Rentre, assis-toi, asseyez-vous ! T’as bonne mine! T’as toujours ta BM ? Tu te souviens Enghien ? La purée ! Combien ? Combien on avait griffé ?» L’accueil de Gabi est chaleureux comme le soleil de là-bas. « Et ton ami tu me le présentes pas ? Un café, un café ??? » Sans attendre, un gamin part en courant au bistro du coin.
Après avoir siroté, j’entre dans le vif du sujet. « Je voudrai environ 8m de tissu noir pour faire des rideaux » Illico les vendeuses réquisitionnées déroulent les coupons. On soupèse, on compare, on teste la transparence, on choisi. Gabi revient avec un calepin pour prendre les mesures. « Je te les fais gratis tes rideaux, y’en a pour cinq minutes » De fil en aiguille je suis bien obligé d’avouer que nous voulons faire des burka. Gabi ouvre des grands yeux en agitant les mains comme des marionnettes « Et alors ? Où est le problème ? Ici le client est roi ! ..... Tu vas sortir comme ça ? Il est fou ! Ma parole il est fou ! Si ta pauvre mère te voyait ! …» Une heure après on était déguisé de pied en cape.

En se donnant la main avec Abdu, on est descendu le cœur battant par la rue Lepic. Amputés des trois quarts de notre champ de vision, on avait l’oppressante impression d’être vulnérables. On marchait comme à tâtons. La nuit était en nous. Derrière la fissure du tissu notre regard devait suinter la peur. Mais les gens faisaient semblant de ne pas nous voir ou alors ils hâtaient le pas pour nous dépasser et nous jeter un bref regard noir. Arrivés faubourg Montmartre, nous avions pris un peu d’assurance. Mais il a commencé à pleuvoir alors on s’est réfugiés dans le passage du Panorama. Tout à coup venu de nulle part, un flot de touristes nous a entrainés jusqu’au musée Grévin où nous nous sommes fondus parmi les célébrités en cire.

Dans le petit théâtre qui met en scène les répliques figées, on s’est toutes les deux assises fatiguées, hébétées, entre Jospin et Luchini. Bien vite, les flashs ont crépité. Les touristes nous ont harcelés croyant sans doute que nous étions des figurantes animées. Il fallut prendre la pose rigide devant Zidane, Poutine, Diam’s , Sartre, Charlotte Corday, Gabin, Ghandi, Brigitte Bardot et même Voltaire ! La tête emmaillotée commençait à me tourner. J’eus l’impression que la grande bougie avec un képi me parlait : « Je sais ce qui s’est passé ici, je vois ce que vous avez voulu faire. Je vous ai compris ! » J’étais en sueur. Une bande de Lyonnais éméchés souhaitait nous photographier avec le pape. Heureusement, un service d’ordre muséal et courtois les en dissuada. On a fini par s’échapper. Dans un taxi conduit par un marocain silencieux, nous sommes rentrés chez moi sans dire un mot.

jeudi 7 janvier 2010

Les mains de Rodin

Je pensais qu’un dimanche midi serait propice à la visite. Peine perdue, il y avait bien mille personnes au musée Rodin. Des Japonais, des Russes, des Grecs, des Polonais, des Ouigours, des Espagnols, des Brésiliens…S’agissait-il de visiteurs ? Je ne le crois pas car tous sans exception photographiaient méthodiquement les bronzes et les marbres et semblaient pressés d’achever leur corvée. Certains de ces étranges étrangers prenaient la pose du Penseur, d’autres se juchaient sur les épaules de Victor Hugo ou enlaçaient les de Wissant de Calais. Mais pourquoi donc les bofs du monde entier se donnent-ils rendez-vous à Paris ? J’avais envie de les sortir, « allez oust ! Ici c’est patrimoine na-tio-nal, ceux qui ne sont pas amoureux dehors ! »

Emporté par la foule, je n’ai pas vu grand-chose de l’exposition Rodin-Matisse. Juste quelques images fugitives volées par-dessus l’épaule d’un Ukrainien. Je peine à vous les restituer.
Le face à face des œuvres est troublant. Il révèle des traits jumeaux. Le même contour. La posture et le galbe du modèle pareillement restitués. Faut-il s'en extasier ? Le cheminement vers l'essentiel est une obsession commune aux grands artistes, c’est la quête de l'épure, d'un rien plein du tout. Être artiste, c'est consacrer sa vie à raboter un tronc d'arbre pour en faire une brindille plus émouvante que la forêt.
En ce sens, la cambrure de Matisse EST la femme. Son dessin bleu est la nativité, la sensualité, l’aversion, la tendresse, la félicité, la beauté... Oui, tout cela en quelques traits sur un carton.
Chez Rodin, la femme c'est Iris; la déesse saisie dans un bond de danse les jambes ouvertes sur l'origine du monde. Iris impudique et émouvante. Simplement nue dans une fragilité parfaite, complète et aboutie. C’est ELLE.

Il y a vingt ans quand le musée était encore peu connu, Iris s'exhibait dans la galerie. Aujourd'hui la voici reléguée dans un coin. C'est à tort. Mais le conservateur a choisi de mettre en valeur les mains de Rodin. Il a raison. Les mains: outils et modèles obsessionnels du grand sculpteur. Les mains de Rodin parlent et crient la douleur et la joie, la douceur et le désespoir. Elles se creusent dans l'adieu, s’ouvrent en caresses, et s'élèvent en cathédrale d’espoir. Il y a aussi les pieds pour la puissance de l'ancrage et la détermination des personnages. Mais ce sont des appendices sans grâce ignorés des ingrats auxquels seuls les sculpteurs savent rendre hommage.
Ni pieds ni mains chez Matisse et pourtant ses danseuses dansent sur le mur, cependant qu’à Calais les bourgeois pieds dans la boue tête dans les mains, patientent aux portes de l'enfer…Clic, clic-clic. Insupportable !

Vers la sortie, une troupe de Chinois me bouscule. Ma colère s’apaise en pensant à ce jour frais de ma jeunesse où à Pékin une voiture du parti de Mao me déposa devant le porche de la Citée Interdite. Seul pendant trois heures j’errais dans le palais désert, goûtant à chaque pas le délice de mon privilège inouï d’être l’unique touriste de ces lieux. Il me revient aussi en mémoire que j’avais pris une bonne centaine de photos qui doivent encore dormir dans un carton au fond d’un placard. « Allez oust ! Rentrons… »
En m’éloignant, je me promets de retourner à Rodin, dès qu’un jour de grève, de pandémie ou de barricade se présentera.