lundi 18 janvier 2010

Burka de cire

Dans un pays imaginaire, il est interdit aux femmes de se dévoiler la face en public. La police religieuse veille scrupuleusement à l’observation de cette loi.

Cependant, pour des raisons que vous ne devinerez pas, il y a des petits malins mâles qui se déguisent en femme. Ces travelos sont impitoyablement traqués. Mais la tâche est ardue, comment en effet derrière le voile débusquer le faux mistigri ? Dans les rues, les pandores scrutent la démarche des bâches qui passent. Ils espionnent les conversations et guettent la moindre virilité cachée.

La procédure prévoit « en cas d’indices probants et concordants » de conduire les Belphégor à la ville sainte où, comme chacun sait, il est strictement interdit de se masquer le visage ; ce qui est bien pratique pour découvrir les pots aux roses. Certains se demanderont pourquoi l’interdit des lieux sacrés ne s’applique pas aux autres sables de la Péninsule et partant, aux terres de la fille aînée de l’église ?
Aux droits-de-l’hommistes qui voudraient connaitre le sort réservé aux travestis, ils apprendront avec soulagement que le doute profitant toujours au suspect, celui-ci est entrainé vers l’hôpital pour y subir une ablation volontaire immédiate, ce qui vaut mieux que la décapitation…Souvent, le facétieux repentit se reconvertit en chapon chez KFC.

Hélas toute opération de maintien de l’ordre entraine des bavures, c’est pourquoi les autorités cherchent désespérément un moyen de contrôle moderne et efficace.

Il existe bien les fameux chiens loups renifleurs de supercheries. Mais pour éviter la répulsion que suscitent ces animaux léchouilleurs et impurs, il est indispensable de les déguiser en agneaux. Or pour des raisons d’atavisme ou de canicule les lainages sont très mal supportés par ces auxiliaires canins.
Il y a aussi le robot palpeur chinois qui a connu un engouement spectaculaire mais il a du être abandonné car les autorités soupçonnaient à tort ou à raison certaines coquines d’y prendre goût.
Reste le célèbre scanner pelvien du concours Lépine dont la production peine à satisfaire la demande.
Il faut dire que le marché du détecteur d’homme est en pleine expansion. On estime en effet que derrière la meurtrière de la burka une femme sur trois est un homme. Alors qu’à l’inverse –mais il n’existe pas de statistiques fiables- la proportion de femmes portant moustache et béret serait infime.

Je tiens toutes ces informations de mon ami Abdu, heureux bénéficiaire d’un permis Schengen qui lui donne droit à quelques jours d’intempéries parisiennes. Lorsque je lui ai dit qu’aucune loi en France ne s’opposait à la circulation des mâles en burka, il ne m’a pas cru. « Ya habibi ! Ici c’est le pays de l’égalité entre les hommes /femmes on s’habille comme on veut
En guise de démonstration, je l’ai entrainé au Bois de Boulogne où en échange d’un billet bleu, une brésilienne mamelue lui a démontré qu’il fallait se méfier des apparences. Mon pote en était tourneboulé. Il a gambergé toute la nuit. Au matin, il m’a avoué ses phantasmes.

Pour lui changer les idées, je l’ai emmené sur la Butte Montmartre. On est redescendu par les escaliers vers le Marché Saint Pierre, on a longé les magasins de tissu : je regardais les femmes, il s’attardait sur les voilages.
J’ai fini par le conduire chez Gabi un Tun de La Goulette roi de la cotonnade. Je le trouvais devant son magasin. « Où étais-tu ? Parole j’ai cru que t’étais mort ! Rentre, assis-toi, asseyez-vous ! T’as bonne mine! T’as toujours ta BM ? Tu te souviens Enghien ? La purée ! Combien ? Combien on avait griffé ?» L’accueil de Gabi est chaleureux comme le soleil de là-bas. « Et ton ami tu me le présentes pas ? Un café, un café ??? » Sans attendre, un gamin part en courant au bistro du coin.
Après avoir siroté, j’entre dans le vif du sujet. « Je voudrai environ 8m de tissu noir pour faire des rideaux » Illico les vendeuses réquisitionnées déroulent les coupons. On soupèse, on compare, on teste la transparence, on choisi. Gabi revient avec un calepin pour prendre les mesures. « Je te les fais gratis tes rideaux, y’en a pour cinq minutes » De fil en aiguille je suis bien obligé d’avouer que nous voulons faire des burka. Gabi ouvre des grands yeux en agitant les mains comme des marionnettes « Et alors ? Où est le problème ? Ici le client est roi ! ..... Tu vas sortir comme ça ? Il est fou ! Ma parole il est fou ! Si ta pauvre mère te voyait ! …» Une heure après on était déguisé de pied en cape.

En se donnant la main avec Abdu, on est descendu le cœur battant par la rue Lepic. Amputés des trois quarts de notre champ de vision, on avait l’oppressante impression d’être vulnérables. On marchait comme à tâtons. La nuit était en nous. Derrière la fissure du tissu notre regard devait suinter la peur. Mais les gens faisaient semblant de ne pas nous voir ou alors ils hâtaient le pas pour nous dépasser et nous jeter un bref regard noir. Arrivés faubourg Montmartre, nous avions pris un peu d’assurance. Mais il a commencé à pleuvoir alors on s’est réfugiés dans le passage du Panorama. Tout à coup venu de nulle part, un flot de touristes nous a entrainés jusqu’au musée Grévin où nous nous sommes fondus parmi les célébrités en cire.

Dans le petit théâtre qui met en scène les répliques figées, on s’est toutes les deux assises fatiguées, hébétées, entre Jospin et Luchini. Bien vite, les flashs ont crépité. Les touristes nous ont harcelés croyant sans doute que nous étions des figurantes animées. Il fallut prendre la pose rigide devant Zidane, Poutine, Diam’s , Sartre, Charlotte Corday, Gabin, Ghandi, Brigitte Bardot et même Voltaire ! La tête emmaillotée commençait à me tourner. J’eus l’impression que la grande bougie avec un képi me parlait : « Je sais ce qui s’est passé ici, je vois ce que vous avez voulu faire. Je vous ai compris ! » J’étais en sueur. Une bande de Lyonnais éméchés souhaitait nous photographier avec le pape. Heureusement, un service d’ordre muséal et courtois les en dissuada. On a fini par s’échapper. Dans un taxi conduit par un marocain silencieux, nous sommes rentrés chez moi sans dire un mot.

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