samedi 25 septembre 2021

L'Arc-en-ciel de Christo

Au commencement est l’oubli. L’évasion vers le rêve. La rencontre avec la beauté... J’ai lu le choc dans les yeux d’une parisienne au sourire éclatant. Elle était comme moi figée, la tête levée vers des nuages blancs qui jouaient dans le ciel à tamiser la lumière pour mieux éclairer la surprise. 


Lorsqu’on est né à Paris, qu’on y a grandi, rugi, défilé, dénigré, on est blasé. La Bastille, la République, la rue d'Enfer et le Boul'Mich, on connait. Mais vers les quartiers huppés de la rive droite, du côté des Champs Élysées et de la Concorde, on se sent un peu perdu. On se méfie des grand espaces, on préfère l’intimité de la Contrescarpe et de la Butte-aux-Cailles. C’est pourquoi sans doute, la place de l’Étoile-Charles de Gaulle est un lieu parfaitement dédaigné des parisiens. C’est un petit boulevard rond encombré qui tourne autour de l’Arc de Triomphe, monument que seuls les touristes et les anciens combattants prennent le risque d’approcher. Les uns montent à son sommet pour respirer le bon air de la capitale, les autres se recueillent devant la flamme du soldat inconnu.


Pour mieux contempler l’Arc de l’Étoile, on a barré douze avenues, provoquant l’embouteillage du siècle (c’est à cette seule condition que la Maire de Paris avait donné sa permission). Du monumental bloc de pierres ajustées, gravées et sculptées, un couple d’artistes en a fait un paquet. Emballé c’est pesé. 

Ben le Parigot pourtant blasé en a laissé tomber son mégot.

Le frisson de l’émotion est inoubliable. L’oeuvre fait corps avec la ville. Le premier monument aux morts de France est dissimulé, travesti, habillé, transformé, mais finalement sublimé. Il fallait oser créer une oeuvre en la cachant. Voiler le glorieux passé, suspendre le souvenir pour signaler l’avenir. Difficile de commenter l’oeuvre unique et éphémère devant laquelle on a envie de poser sa chaise et de gamberger sur ce que Baudelaire ou Malraux en auraient pensé.

En ce lieu où le 1er juin 1885, trois millions de parisiens sont venus rendre hommage au grand Victor Hugo dont le cercueil avait été exposé toute la nuit sous le monument voilé de noir l’esprit est tenté de divaguer. Aujourd’hui, le gigantesque linceul argenté qui couvre la mémoire des victimes de victoires semble oser suspendre le temps de l’Histoire de France.


Christo et Jeanne Claude ne sont plus de ce monde. Christo Javacheff, résistant bulgare avait épousé Jeanne Claude, fille du Général de Guillebon, héros de la seconde guerre mondiale qui libéra Paris à la tête de la deuxième division blindée.  Avant de mourir, le couple Christo avaient formé le projet fou d’emballer l’Arc de Triomphe. Sa réalisation posthume est une première dans l’Histoire de l’art car jamais on ne fut témoin d’une oeuvre conçue par des défunts. 

Reset. Revenons au visuel. L’art du wrapping est l’art de l’emballage. Un joli paquet est habituellement la promesse d’une agréable surprise mais ici, le contenant occulte le contenu. On a envie de le poser sur la cheminée sans l’ouvrir. La majesté du monument est magnifiée par son costume, un peu comme le mannequin par la robe du grand couturier.


Le fourreau de l’Arc de Triomphe est gigantesque. Pas moins de 25 000 m2 de tissu en propylène on été cousus, ajustés, ficelés par 3 km de fils tendus. Des dais de 50 mètres ont été déroulés depuis le sommet jusqu’au sol par une centaine de « petites mains » très qualifiées aidées par un millier de journaliers. L’ensemble a coûté 14 millions mais pas un sou au contribuable. L’éthique de Christo est révolutionnaire. La ville de Paris et le ministère de la Culture qui financent de couteuses oeuvres pérennes devraient en prendre de la graine.


La toile est blanche argentée, son revers est bleu, les cordages sont rouges. Au gré des orages et du vent, les trois couleurs nationales se révèleront indiciblement.

L’oeuvre n’est pas figée comme le socle qu'elle couvre, elle semble bouger. Le tissu plisse et tressaille aux assauts du vent, la réverbération du soleil crée un paysage en perpétuel changement. La nuit, les projecteurs caressent le drapé, alors les ombres mystérieuses se dérobent à l’approche des curieux attirés par la flamme du soldat inconnu qui jaillit du coeur de cette prodigieuse cathédrale animée. 

Dimanche 3 octobre prochain on hissera au centre de l’Arc l’immense pavillon tricolore; puis le lendemain, on déshabillera le dernier triomphe posthume du couple de poètes désormais à jamais parisiens.

lundi 20 septembre 2021

Touché-coulé diplomatique

L’affaire des sous-marins franco-australiens n’est pas seulement une péripétie commerciale catastrophique et humiliante pour la France, elle est le double discrédit alarmant de sa diplomatie et de sa force de dissuasion. C’est le déclin de sa « grandeur »

Cocorico

En 2016, le coq gaulois s’était enorgueilli avec raison de la signature du contrat du siècle avec l'Australie. Pensez: 12 sous-marins, des millions de journées de travail, un plan de charge pour des années, des milliards de chiffre d’affaires ruisselleraient sur l’économie française ! Et puis, c’était la revanche sur le Brexit voulu par la perfide Albion. La puissante maitresse du Commonwealth était cocufiée par son vassal du Pacifique. Paris cocoricotait, Londres ruminait en silence. Cinq années ont passé. Et puis la semaine dernière patatras ! L’Australie, la Grande Bretagne et les USA annoncent un pacte industriel et de défense commune. Le contrat avec la France est rompu, l’Australie se dotera d’une sous-marinade anglo-saxonne. Et c’est le tour de la France d’être cocue. Damned yellow submarine !

Cris d’orfraie maladroits du quai d’Orsay qui prétend ne pas avoir été prévenu. Silence de l’Élysée, embarras des services de renseignements pris pour des jambons. Rappel des ambassadeurs de Washington et Canberra… mais pas celui de Londres. 


Business is business

Si la rupture de contrats militaires n’est pas courante, elle est toujours anticipée par les négociateurs en armements qui prennent soin de libeller des conditions de paiements adaptées au risque: acompte à la commande substantiel, règlements jalonnés à date fixe ou en avance de phase. On peut donc penser que Naval Group qui est principalement détenu par l’État et subsidiairement par Thales ne sera pas sinistré. Ces  industriels ont l’expérience de type de déboire. On se souvient qu’en 2014, sur intervention de Washington, Londres et Berlin, la France avait renoncé à livrer deux navires Mistral à la Russie. Les porte-hélicoptères géants avaient finalement été livrés à l’Égypte et payés par l’Arabie Saoudite. Aujourd’hui Moscou ricane pendant que Paris en toute hâte sollicite le Maréchal Sissi pour une reprise à bon marché et envisage une alternative avec les Émirats Arabes Unis dont les ambitions en mer d’Oman et dans l’Océan Indien ne manquent pas.


La filière armement prise pour cible

L’affaire des sous-marins a un retentissement planétaire. Le message reçu par toutes les armées du globe est clair et fort: avant acheter de l’armement français, vous devrez d’abord obtenir le feu vert de Washington. 

On observera dans les mois qui viennent les conséquences sur les prises de commandes au Proche-Orient où la France, troisième exportateur mondial est le premier client. 

Mais l’assaut du complexe militaro-politico-industriel US n’est pas seulement mercantile, il a aussi pour effet de redessiner la mappemonde du nucléaire et de remettre en cause par un jeu de dominos, les alliances politiques de l’après guerre froide.


Submersibles Éco-compatibles

Sous-marins conventionnels et sous-marins nucléaires ne sont pas comparables, c’est comme une planche à voile à coté d’un hors bord. Il y a 600 sous-marins dans le monde, seulement 40 sont à propulsion nucléaire. Rapides, silencieux, indétectables, pouvant rester plusieurs mois en plongée sans faire surface, ils représentent l’arme de dissuasion suprême capable de lancer des missiles de croisière furtifs de 50 tonnes depuis le fond des océans pour aller projeter le feu nucléaire à 12 000km. Les États-Unis, la Russie, la Chine, la Grande Bretagne et la France font partie de ce club très très restreint capable de vitrifier anonymement n’importe quel pays dans le monde. À juste titre, Paris jaloux de son savoir-faire, ne le partage pas. D’ailleurs, il n’y a que très peu de nations à pouvoir prétendre maitriser cette très haute technologie. L’Inde s’y essaye laborieusement. 

Jusqu’à la semaine dernière, l’Australie était fière d’avoir dit non à l’atome sous toutes ses formes, civiles et militaires,  et c’est pour cette raison qu’elle avait choisi la solution française.


Nucléaire ou pas

Grand pays par sa superficie - quatorze fois la France - petit par sa population - 25 millions - l’Australie possède un littoral de 34 000 km qu’il s’efforce de défendre avec une cinquantaine de navires et 15 000 marins. Face à la menace de la Chine qui déploie la seconde force marine mondiale, c’est le Loup et l’Agneau. Il fallait renforcer la clôture. 

Le marché signé avec Paris en 2016 portait sur le transfert de savoir faire pour la construction de 12 sous-marins à l’horizon 2030. Le Shortfin Barracuda conçu à Cherbourg est un engin à motorisation hybride diesel/électrique qui possède des capacités et des performances très approchantes de celles des sous-marins nucléaires. À Camberra, le pouvoir politique de l’époque qui était fermement hostile à toute « nucléarisation » avait adopté la solution française de défense « militaro-Éco-responsable » très politiquement correcte pour la gauche et le parti des Greens. 

Le pari était audacieux de vouloir faire travailler des centaines d’ingénieurs français et australiens à 19 mille km de distance et 21 heures d’avion. Maitriser l’anglais, c’est bien, comprendre l’effroyable accent australien, c’est une autre paire de manche. Le choc des cultures a été mémorable pour les techniciens chargés de lancer ce programme qui a vite dérivé en délais et en coût. L’abandon du projet au milieu du gué est avant tout probablement un jet d’éponge pour un challenge trop ambitieux, c’est ensuite la victoire des nucléairocrates de Washington et de Canberra qui ouvrent l’Australie à des formidables perspectives de développement de la filière nucléaire civile et militaire. 


Que sont les amis devenus ?

Le pacte de sécurité AUKUS (AUstralie, Kingdom, US) qui s’est décidé en catimini dans les coulisses du dernier G7 aura des répercutions diplomatiques dans tous les pays riverains du Pacifique et de l’Océan Indien.  Il ne semble pas que le Président Macron ait été officiellement consulté alors que les territoires français notamment calédoniens sont concernés par la menace chinoise commune. Cette posture cachottière traduit une mésentente diplomatique inédite profonde que souligne la riposte gravissime  et sans précédent du rappel de l’ambassadeur de France à Washington. Fataliste, un ancien diplomate a tweeté « le monde est une jungle…c’est la vie ! ». Le mouvement d’humeur de l’Élysée offre la possibilité à Biden d’envenimer la crise pour faire plier Macron et rabattre l’arrogance française. La brouille risque d’être lourde de conséquence indirectes en Europe,  mais aussi au Sahel et en Afrique du Nord. 

Cependant, qu’à Paris dans le petit cimetière de Picpus, le Marquis de La Fayette se retourne dans son tombeau encadré de la bannière américaine  et  du drapeau français. Les temps à venir seront compliqués, God Bless France !




mercredi 15 septembre 2021

En Tunisie l'utopie est-elle possible ?

La crisologie n'est pas singulière à la Tunisie. Il faut relativiser. Elle est familière des nations en devenir démocratique qui se dotent d'une constitution de partage des pouvoirs. Ainsi, en Roumanie il y a huit ans, Président de la République et assemblée se sont affrontés durement. 

La Tunisie a fait l'expérience d'une mésentente tricéphale plus complexe entre le Président de la République, le Président du conseil des ministres et  le Président de l'Assemblée du peuple. 

Très constitutionnellement, chacun tirait de son coté, la catastrophe approchait. Alors quand le 25 juillet, l'armée a encerclé l'assemblée interdisant l'accès aux représentants du peuple, quand ce même jour, le Président Saïed a déclaré qu'il limogeait le « Premier ministre » et qu’il s'arrogeait tous les pouvoirs, nul n'a franchement déploré l'enterrement du premier printemps arabe tant les années de démocratie  parlementaire avaient trahi les espoirs des citoyens. 

Durant l'été, la flambée des prix des produits vivriers avait vidé les marchés pendant que les malades du Covid envahissaient les hôpitaux délabrés. Lorsqu'on a faim et que la famille se meurt, on est prêt à payer le pain et le vaccin au prix de la dictature. C’est pourquoi les Tunisiens ont salué le sursaut d'autorité  du « sauveur suprême  », en espérant que ce zaïm nouveau lui porterait la baraka.


Une politique inaudible

Le Président Saïed n'est pas encore un dictateur de plein exercice , mais en péril de le devenir.  Il accapare la vie publique,  intervient chaque jour dans les médias à l'occasion de visites impromptues dans les administrations, les usines, et au cours des audiences qu'il accorde à des visiteurs de tous horizons. Il débite alors dans son style saccadé sur un ton sentencieux des tirades pompeuses, promettant la foudre aux politiciens, aux traîtres, aux spéculateurs. Il semble se complaire dans ce rôle de villipendeur et de lanceur d'alerte. Chaque phrase lourde de menaces et de sous entendus mystérieux est truffée du mot «  peuple  » dont il souhaite incarner l'indignation. 

Le peuple écoute les promesses, il entend  : « tout va changer" et constate jour après jour avec impatience que : « rien, rien, rien n’a changé ». 

Certes, le nouveau ministre de la Santé - un officier -, a eu tôt fait de mettre de l'ordre dans les vaccinations. Dans le sud, les nervis qui bloquaient la production de phosphate se sont calmés. Des gouverneurs, des ambassadeurs, des chefs policiers ont été révoqués, une brochette de députés ont été arrêtés ou assignés à résidence, des hommes politiques et d'affaires interdits de voyager, quelques spéculateurs dénoncés... Du menu fretin, l’injustice social s'affiche toujours avec autant d’insolence au quotidien.


Une population accommodante

Le Président a gravement bousculé la constitution, mais nul ne s'en offusque vraiment mis à part les intellectuels qui contestent les plaidoyers de Carthage sur les concepts de légalité et de légitimité d'un régime politique apparent ou réel. 

L'homme de la rue n’en a cure, il s’accommode aisément d'un putsch comme d'un fait divers n’ayant pas fait couler une seule goutte de sang.  D'ailleurs n'est-il pas lui même hors la loi ? Lui qui roule au carburant de contrebande et fume du tabac détaxé !

La fraude, la petite combine et la grande corruption sont généralisées. Tout le monde triche. Nul ne contribue. Il n'y a que les fonctionnaires et quelques salariés qui payent l'impôt sur le revenu car il est retenu à la source. Les commerçants et les professions libérales (médecins, avocats, architectes, hommes d'affaires...) y échappent très largement. L'inégalité et l'injustice sont partout. Alors qu'à Carthage, un chef  intègre tente de mettre de l'ordre dans la pétaudière, la population lui en sait gré. 

Les services publics en déshérence sont devenus payants par l'usage généralisé du bakchich, les  recettes fiscales ne permettent plus de gérer un État dont l'administration pléthorique est financée par des emprunts étrangers. La banqueroute est programmée. Les Tunisiens s’auto-flagellent d’un si piètre résultat sans chercher à s’attribuer des circonstances exogènes atténuantes qui sont pourtant évidentes. 


Des frontières artificielles

La Libye en guerre - dont la Tunisie constitue la principale porte d'entrée pour les marchandises de toutes natures -, a imposé les lois de ses milices en gangrénant tous les circuits de distribution tunisiens. Il faut dire que les ressortissants des deux pays se déplacent sans passeport ni visa  ; ils franchissent la frontière munis  d'une simple carte d'identité laquelle ne leur est d'ailleurs pas toujours réclamée. La réglementation douanière n'est pas appliquée, les marchandises circulent de Bizerte à Misrata   quasi librement sous la protection des maffias. 

La fusion économique et commerciale avec la Tripolitaine (le tiers du territoire Libyen) est une réalité que les diplomates et les hommes politiques refusent de regarder. 

Sur le versant ouest du pays, à la frontière algérienne, la situation est moins grave mais très semblable. La pauvreté a installé les populations dans l'unique activité offrant quelques débouchés  : la contrebande, notamment celle de carburants. Les armées et les douaniers traquent les terroristes et le trafic d'armes, mais ferment les yeux sur les passeurs journalier «  qui ne font que gagner leur pain  ».

Au fil des ans, il s'est insidieusement installé un marché commun informel entre la Tunisie, la Tripolitaine et le Constantinois qui ruine les recettes de l'État tunisien. Toute mesure brutale de fermeture des frontières - même au prétexte du Covid – entraîne immédiatement des émeutes.


En chiens de faïence

La résolution des maux de la Tunisie passe d’abord par l'organisation de cet espace économique commun. Le chantier est gigantesque, l'agenda et les intérêts divergent. 

Dans l'attente de la restauration de ses infrastructures, la Tripolitaine est tributaire de la Tunisie pour l'importation de ses marchandises. Le pouvoir de Tripoli est fragile, le territoire est fracturé; par procuration, les puissances étrangères continuent de se faire la guerre. 

De son côté l'Algérie cumule les faiblesses et les  deuils. Cet été des incendies ont ravagé la Kabylie devenue en quelques jours un cendrier de cent mille hectares. On a déploré plus de cent victimes. Le pouvoir s'est empressé de trouver des boucs émissaires. Le Mouvement pour l'Autodétermination de la Kabylie est accusé de pyromanie. L'un de ses militants Slimane Bouhafs a été enlevé à Tunis et déféré le lendemain à la justice algérienne. Alger accuse les responsables du mouvement MAK d'être des incendiaires à la solde de Rabat. Le mois dernier l'Algérie et le Maroc sont entrés dans une violente guerre des mots. Les relations diplomatiques sont rompues, prélude inquiétant à un affrontement des fratries qui embrasera l'Afrique du nord et bouleversera la France.


On choisit ses amis pas ses voisins

Pour la Tripolitaine comme pour l'Algérie, la petite Tunisie constitue un arrière pays, une base de repli, une source d'approvisionnement stratégique, une sorte de prolongement du sol de leur pays.

Pour la Tunisie, ces deux pays sont des lucratifs débouchés commerciaux mais qui plombent l'équilibre budgétaire du pays. Comme les intérêts divergent, les accords sont éphémères. 

On choisit ses amis, on ne choisit pas ses voisins dit le proverbe. Les dirigeants des trois pays «  frères  » en religion,  langue et  traditions se regardent en chiens de faïence, incapables de vivre leur voisinage solidairement. Cette fracture politique héritée de la colonisation ottomane puis française est à contrecourant du peuple de l'Ifrikiya dont la mémoire solidement ancrée demeure fidèle à son histoire unie. 


Tout est possible, même l’utopie

C'est peut-être cette perception du passé profond qui conduit le Président Saïed a ressasser son appel à la légitimité du peuple. Ses péroraisons évoquent une organisation politique fondée sur l'autorité de la famille, du clan, de la tribu, des chefferies locales puis de la nation. C’est le système de la  pyramide inversée qui a sévi vaille que vaille pendant trente cinq ans en Libye. Mais le Président Saïed livre sa pensée par fractions d’énigmes et tarde à dévoiler sa feuille de route. Proposera t-il la synthèse entre le Livre Vert de Kadhafi sur « la troisième théorie universelle » publiée en 1975 et  « la démocratie inclusive » du socialiste libertaire contemporain Takis Fotopoulos qui prône la redistribution égalitaire du pouvoir à tous les niveaux  ?


Au pays des Phéniciens les situations dramatiques ne portent jamais à désespérer. Chaque querelle finit par des compromis. Encouragés par l'incubation du printemps arabe, les Tunisiens ont la propension facile à se considérer différents des autres. Au delà de l'écume des joutes politiciennes agitées par les quelques 200 partis politiques et du clivage entre islamistes et séculiers dont les médias se font l’écho, il se pourrait qu'un modèle inédit de gouvernance émerge de Carthage.