L’affaire des sous-marins franco-australiens n’est pas seulement une péripétie commerciale catastrophique et humiliante pour la France, elle est le double discrédit alarmant de sa diplomatie et de sa force de dissuasion. C’est le déclin de sa « grandeur »
Cocorico
En 2016, le coq gaulois s’était enorgueilli avec raison de la signature du contrat du siècle avec l'Australie. Pensez: 12 sous-marins, des millions de journées de travail, un plan de charge pour des années, des milliards de chiffre d’affaires ruisselleraient sur l’économie française ! Et puis, c’était la revanche sur le Brexit voulu par la perfide Albion. La puissante maitresse du Commonwealth était cocufiée par son vassal du Pacifique. Paris cocoricotait, Londres ruminait en silence. Cinq années ont passé. Et puis la semaine dernière patatras ! L’Australie, la Grande Bretagne et les USA annoncent un pacte industriel et de défense commune. Le contrat avec la France est rompu, l’Australie se dotera d’une sous-marinade anglo-saxonne. Et c’est le tour de la France d’être cocue. Damned yellow submarine !
Cris d’orfraie maladroits du quai d’Orsay qui prétend ne pas avoir été prévenu. Silence de l’Élysée, embarras des services de renseignements pris pour des jambons. Rappel des ambassadeurs de Washington et Canberra… mais pas celui de Londres.
Business is business
Si la rupture de contrats militaires n’est pas courante, elle est toujours anticipée par les négociateurs en armements qui prennent soin de libeller des conditions de paiements adaptées au risque: acompte à la commande substantiel, règlements jalonnés à date fixe ou en avance de phase. On peut donc penser que Naval Group qui est principalement détenu par l’État et subsidiairement par Thales ne sera pas sinistré. Ces industriels ont l’expérience de type de déboire. On se souvient qu’en 2014, sur intervention de Washington, Londres et Berlin, la France avait renoncé à livrer deux navires Mistral à la Russie. Les porte-hélicoptères géants avaient finalement été livrés à l’Égypte et payés par l’Arabie Saoudite. Aujourd’hui Moscou ricane pendant que Paris en toute hâte sollicite le Maréchal Sissi pour une reprise à bon marché et envisage une alternative avec les Émirats Arabes Unis dont les ambitions en mer d’Oman et dans l’Océan Indien ne manquent pas.
La filière armement prise pour cible
L’affaire des sous-marins a un retentissement planétaire. Le message reçu par toutes les armées du globe est clair et fort: avant acheter de l’armement français, vous devrez d’abord obtenir le feu vert de Washington.
On observera dans les mois qui viennent les conséquences sur les prises de commandes au Proche-Orient où la France, troisième exportateur mondial est le premier client.
Mais l’assaut du complexe militaro-politico-industriel US n’est pas seulement mercantile, il a aussi pour effet de redessiner la mappemonde du nucléaire et de remettre en cause par un jeu de dominos, les alliances politiques de l’après guerre froide.
Submersibles Éco-compatibles
Sous-marins conventionnels et sous-marins nucléaires ne sont pas comparables, c’est comme une planche à voile à coté d’un hors bord. Il y a 600 sous-marins dans le monde, seulement 40 sont à propulsion nucléaire. Rapides, silencieux, indétectables, pouvant rester plusieurs mois en plongée sans faire surface, ils représentent l’arme de dissuasion suprême capable de lancer des missiles de croisière furtifs de 50 tonnes depuis le fond des océans pour aller projeter le feu nucléaire à 12 000km. Les États-Unis, la Russie, la Chine, la Grande Bretagne et la France font partie de ce club très très restreint capable de vitrifier anonymement n’importe quel pays dans le monde. À juste titre, Paris jaloux de son savoir-faire, ne le partage pas. D’ailleurs, il n’y a que très peu de nations à pouvoir prétendre maitriser cette très haute technologie. L’Inde s’y essaye laborieusement.
Jusqu’à la semaine dernière, l’Australie était fière d’avoir dit non à l’atome sous toutes ses formes, civiles et militaires, et c’est pour cette raison qu’elle avait choisi la solution française.
Nucléaire ou pas
Grand pays par sa superficie - quatorze fois la France - petit par sa population - 25 millions - l’Australie possède un littoral de 34 000 km qu’il s’efforce de défendre avec une cinquantaine de navires et 15 000 marins. Face à la menace de la Chine qui déploie la seconde force marine mondiale, c’est le Loup et l’Agneau. Il fallait renforcer la clôture.
Le marché signé avec Paris en 2016 portait sur le transfert de savoir faire pour la construction de 12 sous-marins à l’horizon 2030. Le Shortfin Barracuda conçu à Cherbourg est un engin à motorisation hybride diesel/électrique qui possède des capacités et des performances très approchantes de celles des sous-marins nucléaires. À Camberra, le pouvoir politique de l’époque qui était fermement hostile à toute « nucléarisation » avait adopté la solution française de défense « militaro-Éco-responsable » très politiquement correcte pour la gauche et le parti des Greens.
Le pari était audacieux de vouloir faire travailler des centaines d’ingénieurs français et australiens à 19 mille km de distance et 21 heures d’avion. Maitriser l’anglais, c’est bien, comprendre l’effroyable accent australien, c’est une autre paire de manche. Le choc des cultures a été mémorable pour les techniciens chargés de lancer ce programme qui a vite dérivé en délais et en coût. L’abandon du projet au milieu du gué est avant tout probablement un jet d’éponge pour un challenge trop ambitieux, c’est ensuite la victoire des nucléairocrates de Washington et de Canberra qui ouvrent l’Australie à des formidables perspectives de développement de la filière nucléaire civile et militaire.
Que sont les amis devenus ?
Le pacte de sécurité AUKUS (AUstralie, Kingdom, US) qui s’est décidé en catimini dans les coulisses du dernier G7 aura des répercutions diplomatiques dans tous les pays riverains du Pacifique et de l’Océan Indien. Il ne semble pas que le Président Macron ait été officiellement consulté alors que les territoires français notamment calédoniens sont concernés par la menace chinoise commune. Cette posture cachottière traduit une mésentente diplomatique inédite profonde que souligne la riposte gravissime et sans précédent du rappel de l’ambassadeur de France à Washington. Fataliste, un ancien diplomate a tweeté « le monde est une jungle…c’est la vie ! ». Le mouvement d’humeur de l’Élysée offre la possibilité à Biden d’envenimer la crise pour faire plier Macron et rabattre l’arrogance française. La brouille risque d’être lourde de conséquence indirectes en Europe, mais aussi au Sahel et en Afrique du Nord.
Cependant, qu’à Paris dans le petit cimetière de Picpus, le Marquis de La Fayette se retourne dans son tombeau encadré de la bannière américaine et du drapeau français. Les temps à venir seront compliqués, God Bless France !
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