dimanche 26 novembre 2017

Opération mains propres en Arabie

En Arabie la justice ne connaît que deux sentences : le sabre ou les oubliettes. Exceptionnellement, elle consent au pardon contre le paiement « du prix du sang ».
Quel sera le sort des emprisonnés du 4 novembre déjà oubliés des médias ? Ils sont une dizaine de Princes et de ministres, autant de multi milliardaires, deux centaines de millionnaires...
Le jugement de cour sera équitable si l'on en croit le monarque héritier qui a promis à ses sujets l'égalité de tous devant la loi. Mohamed Ben Salman a t-il lu les fables de la Fontaine et l'histoire de la Révolution Française ? A-t-il entendu certains théologiens de l'islam proclamer la compatibilité du Coran avec les principes fondamentaux des droits de l'Homme ? * L'arrestation de princes et d'ultra riches est une révolution dans cette région où les puissants ont toujours bénéficié d'une impunité totale. 
Tous les observateurs ont été sidérés par l'audace de la mesure royale ; d'aucun se demandant si la « purge » était un règlement de comptes entre « gens d'en-haut » ou une épuration exemplaire marquant l'abolition des privilèges. Nul n'ose croire que l'Arabie Saoudite est en train de s'ouvrir à la Justice « al adala ». Si par extraordinaire, cela était, alors les foules qui rejoindront le Prince Mohamed Ben Salman déborderont les frontières de son royaume.
En attendant, le coup de filet de Riyad savamment orchestré dans son organisation et sa communication a provoqué une jubilatoire adhésion populaire dont les précédents sont à rechercher dans les profondeurs de la mémoire arabe avec les souvenirs d'un Nasser ou d'un Bourguiba, idéalisés par le temps.

Les interpellés sont incarcérés dans deux palaces de la capitale reconditionnés en salles d'interrogatoire. Tout le quartier est bouclé, les barrages ne laissent passer que des camions militaires et des grosses berlines aux vitres teintées. On ne sait rien. Ceux qui savent se taisent prudemment, alimentant la rumeur qu'on y torture allègrement. Au passage d'un convoi des services de santé, on devine que des prisonniers sont malades. On le serait à moins : leurs avoirs sont gelés, leurs biens séquestrés, leur comptabilité épluchée, leur famille et leurs proches en résidence surveillée. 
L'acte d'accusation officiel ne mentionne pas la tentative de sédition. Ce n'est pas un règlement de compte politique assure le Palais. L'Arabie n'est pas l'Égypte ! Des petits fils d'Abdulaziz, le fondateur de la dynastie des Saoud, ne seront pas accusés de crimes de sang comme Moubarak ou Morsi mais de vol crapuleux comme Ben Ali. 
Pour autant, cette incrimination de corruption ouvre la voie à toutes les inculpations : de la banale prévarication par inadvertance au gravissime financement du terrorisme. De la simple confiscation des biens mal acquis à la décapitation. 
Curieusement, aucune protestation ne s'est élevée en faveur des plus gros carnets de chèques du pays. Aucun chef d'État, aucun banquier, nulle manifestation de traders à Wall Street n'est venue soutenir l'épreuve du Prince Walid ben Talal l'actionnaire de Twitter, Motorola, Apple, Disney...vingtième fortune mondiale dont on rapporte qu'il aurait tenté de mettre fin à ses jours.

Accouru pour « libérer » le Premier ministre libanais Saad Hariri, Emmanuel Macron n'a pas eu un mot pour les emprisonnés au Ritz.-Carlton. Pourtant, à Paris, cette affaire est ultra sensible car le déballage de la comptabilité de tous ces hauts personnages pourrait mettre à jour les lucratives turpitudes franco-saoudiennes de ces trente dernières années. Singulièrement, les accusés de corruption ont peu de liens d'affaires avec les Etats-Unis, mais beaucoup avec la France. Les relations commerciales entre Riyad et Paris qui n'étaient déjà pas simples vont devenir très compliquées.

Dans une récente interview exclusive au New York Time, le Prince Ben Salman a justifié cette opération mains propres en révélant que les dépenses du royaume étaient systématiquement « siphonnées » de 10% depuis les années 80. Il a déclaré que les corrompus repentis seraient sur le point de restituer 100 milliards de dollars à l'État.**

Reste qu'il faudra bien juger ces accusés. Le choix de la procédure ne sera pas facile. Un pardon discrètement monnayé avant d'être jeté aux oubliettes ? Un procès à grand spectacle avec princes et roturiers entassés dans le box des accusés ? Cette jurisprudence entrainerait alors les tribunaux de tous les pays musulmans dans une spirale vertueuse. Ce serait prodigieusement inédit car aucun pays – pas même la Tunisie – ne s'est attaqué à la corruption, source de toutes les injustices. 
Si demain la charia se montre exemplaire et condamne le bakchich en Arabie Saoudite, le monde musulman va changer !

Cet espoir explique sans doute la passivité ou l'adhésion prudente des populations et des tribus saoudiennes réputées conservatrices et frondeuses. De surcroit, les projets de villes utopiques du Prince héritier laissent entrevoir pour la jeunesse un avenir de plein emploi et de prospérité calqué sur Dubaï ou Kuala Lumpur.

Les bouleversements imposés par Mohamed Ben Salman sont sans précédent. Pour s'en convaincre, il suffit de parcourir les journaux où l'impensable d'hier s'étale à la une d'aujourd'hui. Des photos de femmes sans voile ni abaya. Un cliché montrant le roi accueillant un dignitaire chrétien qui arbore en sautoir une imposante croix, emblème religieux qui était jadis officiellement bannie de toute représentation dans le pays du prophète. Au file des pages, on apprend que pour la première fois, des fouilles archéologiques sont fébrilement entreprises pour tracer l'histoire de l'Arabie avant l'Hégire. Dans le supplément économique, on découvre la photo d'un chef d'entreprise français qui s'exprime à la tribune d'un forum. Son patronyme est affiché sur le pupitre: « Israël ». Inouï. Dans un passé récent, ce PDG aurait été contraint au pseudonyme pour obtenir « éventuellement » un visa d'entrée dans le Royaume.

Tous ces bouleversements sont les signes d'une « normalisation » de la société saoudienne et des efforts méritoires du prince héritier pour sortir son pays du moyen âge. On ne peut que s'en féliciter. Pourtant, dans le même temps, l'Arabie s'obstine dans une guerre fratricide infâme contre le Yémen pendant que les crises avec l'Iran, le Liban, le Qatar, s'enveniment chaque jour d'avantage. Alors avant de devenir le roi du « printemps de l'Arabie » Mohamed Ben Salman serait bien inspiré de montrer qu'il est également capable de faire la paix avec tous les musulmans. 


*https://hybel.blogspot.fr/2016/06/tunisie-trois-livres-pour-comprendre.html
**https://www.nytimes.com/2017/11/23/opinion/saudi-prince-mbs-arab-spring.html


samedi 11 novembre 2017

Arabie Saoudite la théorie du complot

Inlassablement, depuis sept ans, l'auteur de ces lignes dénonce l'obscurantisme du royaume d'Arabie. Mais il faut reconnaître que depuis la confiscation de tous les pouvoirs par Mohamed ben Salman, une petite lumière ne cesse de grandir au point d'éclairer aujourd'hui d'un jour nouveau le destin de la péninsule arabe. Par l'argent, la guerre et la terreur, le Prince héritier conduit une révolution à marche forcée dont l'un des objectifs proclamés est de rompre avec l'idéologie salafiste : « ... nous n'allons pas gâcher nos 30 prochaines années à partager des idées destructrices...nous voulons revenir à un islam modéré ouvert à toutes les religions...nous voulons vivre une vie normal » Discours du 24 octobre 2017.
Applaudissons ces belles paroles, - même si elles sont fortement inspirées par Donald Trump - car elles annoncent peut-être le déclin du wahhabisme.
Jusqu'à samedi dernier, l'ambition du jeune Prince de dominer le monde musulman n'était pas prise au sérieux. C'est chose faite. Le dernier épisode de l'épopée bonapartienne de Mohamed Ben Salman  façon 18 Brumaire s'est déroulée selon la règle des trois unités «  qu'en un lieu en un jour, un seul fait accompli tienne le théâtre rempli ». En attendant de décrypter et d'analyser les tenants de ce qui s'est réellement passé ce 4 novembre 2017 en Arabie Saoudite, il faut se contenter de décrire le spectacle de l'enchainement des faits.

Acte I
Le Premier ministre du Liban Saad Hariri, en voyage à Riyad, apparaît à la télévision saoudienne. Il est blême. Comme un ventriloque, il lit du bout des lèvres une déclaration alambiquée dans laquelle il annonce sa démission au motif qu'il craint pour sa vie. C'est une première dans les annales de la diplomatie internationale ! Jamais le dirigeant d'une démocratie souveraine, n'avait annoncé depuis l'étranger qu'il abandonnait le pouvoir dans son pays ! Les libanais humiliés se frottent les yeux. C'est une prise d'otage !
Changement de décor
Dans la soirée, un missile balistique contré par la défense saoudienne déclenche une terrifiante féerie dans la banlieue de Riyad. Des débris pleuvent sur le parking de l'aéroport international. Les habitants de la capitale qui se croyaient hors d'atteinte de toute riposte du voisin affamé et méthodiquement bombardé depuis mars 2015, sont sidérés. La population est inquiète, chacun se demande si « la démission » d'Hariri et l'attaque du Yémen ne sont pas les signes avant coureur d'une guerre générale. Ceux qui en ont les moyens songent à prendre la poudre d'escampette. La panique gagne la jet set quand elle apprend que l'aéroport privé est fermé et qu'aucun avion d'affaire n'est autorisé à décoller.
Acte II
La nuit était avancée lorsque le Palais publia quatre décrets qui firent l'effet d'autant de bombes : le Prince Miteb, fils de l'ancien roi Abdallah, ministre de la puissante Garde Nationale était limogé. Le ministre de l'économie aussi. Le Chef d'Etat Major de la marine pareillement. Enfin, le Prince héritier Ben Salman s'attribuait la charge de présider un comité « de salut public » doté de tous pouvoirs pour lutter contre la corruption.
Acte III
Après un court entracte, on apprenait l'incarcération au Ritz-Carlton (transformé en Bastille) des principaux magnats du patronat saoudien : Prince al Waleed, Cheikh Saleh Kamel, Mohamed Al Amoudi, Bakr Ben Laden... une dizaine d'Altesses Royale, une trentaine d'hommes d'affaires de premier plan et des centaines de moindre rang.

Un complot déjoué
Les places boursières dégringolent et le cour du baril prend de la hauteur. Sur les réseaux sociaux, l'opinion est partagée entre inquiétude et jubilation. Les interpellés sont accusés de prévarication. Mais en Arabie Saoudite où la corruption est une seconde religion, cette incrimination est une fable qui ne trompe personne. Il s'agit assurément d'un complot déjoué de magistrale façon. Les conjurateurs avaient-ils formé quelques projets concrets ? Nul ne le sait. Peut-être ont-ils été seulement trahis par leurs mauvaises pensées ; ce qui suffirait à les sabrer. Tous étaient des sujets discrets. Ils n'applaudissaient que du bout des doigts. Ils montraient de de la mauvaise volonté à adhérer aux programmes royaux « vision 2030 » et « Neom »  ; ils n'étaient pas partisans de la guerre sans fin avec le Yémen, ni de la tension sans issue avec le Qatar et l'Iran ; enfin, ils affichaient une sincère et égale antipathie pour Trump et Netanyahu. Gonflés de la puissance de leur fortune, ils n'ont pas perçu la menace. Ils se sentaient à l'abri de toute violence. Ainsi, le Prince Miteb, dont la famille commandait depuis trois générations l'armée de l'élite bédouine, se croyait protégé par les guerriers de sa tribu encadrés par les experts de la société militaire américaine privée Vinnell. Tout comme le Prince Waleed ben Talal et ses richissimes acolytes qui entretenaient à grand frais une légion d'informateurs et de gardes du corps. Comment ont-ils pu être surpris dans leur bunker sécurisé et interpellés sans coup férir ?
Cette opération qui a exigée le déploiement d'une logistique secrète complexe démontre la toute puissance du Prince ben Salman. S'est-il constitué une garde prétorienne ? Est-il parvenu a obtenir le ralliement de forces de l'armée, de la police et des renseignements qui hier encore lui étaient hostiles ? En quelques heures, le Bonaparte d'Arabie a prouvé que nul puissant ou misérable n'était hors d'atteinte de la pointe de son sabre. Et pour compléter l'avertissement, au petit matin, un hélicoptère s'est opportunément écrasé avec à son bord une Altesse qui avait eu l'audace de voler.
Après cette « nuit des longs couteaux » et l'échec de « la conjuration des imbéciles », Trump a sentencieusement tweeté : « les Salman savent ce qu'ils font....ils (les milliardaires) saignaient leur pays, » Pour la première fois depuis la naissance de la dynastie des Saoud, un jeune monarque qui n'est pas encore roi détient sans partage ni compromis le pouvoir absolu. Et si au delà du mandat de son ami Donald, Allah et la Maison Blanche lui prêtent vie, il sera l'un des hommes les plus puissant de la planète pour les 50 prochaines années.

L'opportunisme de Macron
Embarrassée, la diplomatie française joue serrée car après avoir systématiquement (sous Hollande) misée sur le mauvais cheval arabe, elle cherche à se racheter une bonne conduite orientale tout en évitant d'incommoder la Maison Blanche. Au plan économique, le complot déjoué de Riyad risque de mouiller des intérêts français autrement plus sensibles que ceux de l'hôtellerie parisienne de luxe car ironie du sort, les propriétaires saoudiens du Georges V et de l'hôtel de Crillon se retrouvent encabanés au Ritz de Riyad !
Pour une fois Paris paraît jouer collectif. Fin octobre Nicolas Sarkozy était en Arabie au prétexte de participer à un forum du gotha de la finance internationale. À la tribune, l'ancien Président a dit tout le bien qu'il pensait de la Russie et le peu de mal qu'il pensait de l'Iran. Il a ensuite été reçu très protocolairement par le roi. L'Élysée avait sans doute adoubé cette mission « sherpa » destinée à préparer le voyage « inopiné » d'Emmanuel Macron. Le Président français qui n'ignore pas les liens quasi fusionnels entre le Prince héritier Salman d'Arabie et le Sheikh Mohamed Al Nahyan le fils du fondateur des Emirats Arabes Unis, a profité de ses conseils lors de l'inauguration du Louvre d'Abu Dhabi avant de s'envoler vers l'Arabie voisine où il s'est brièvement entretenu avec le nouveau Napoléon d'Arabie. De là à penser que Macron a sauvé la paix dans la région, il n'y a qu'un pas que seul Trump pourrait empêcher de franchir.