En
Arabie la justice ne connaît que deux sentences : le sabre ou
les oubliettes. Exceptionnellement, elle consent au pardon contre le
paiement « du prix du sang ».
Quel
sera le sort des emprisonnés du 4 novembre déjà oubliés des
médias ? Ils sont une dizaine de Princes et de ministres,
autant de multi milliardaires, deux centaines de millionnaires...
Le jugement de cour sera équitable si l'on
en croit le monarque héritier qui a promis à ses sujets l'égalité
de tous devant la loi. Mohamed Ben Salman a t-il lu les fables de la
Fontaine et l'histoire de la Révolution Française ? A-t-il
entendu certains
théologiens de l'islam proclamer la compatibilité du Coran avec les
principes fondamentaux des droits de l'Homme ? * L'arrestation
de princes et d'ultra riches est une révolution dans cette région
où les puissants ont toujours bénéficié d'une impunité totale.
Tous les observateurs ont été sidérés par l'audace de la mesure
royale ; d'aucun se demandant si la « purge » était
un règlement de comptes entre « gens d'en-haut » ou une
épuration exemplaire marquant l'abolition des privilèges. Nul n'ose croire que l'Arabie Saoudite est en train
de s'ouvrir à la Justice « al adala ». Si par
extraordinaire, cela était, alors les foules qui rejoindront le
Prince Mohamed Ben Salman déborderont les frontières de son
royaume.
En attendant, le
coup de filet de Riyad savamment orchestré dans son organisation et
sa communication a provoqué une jubilatoire adhésion populaire dont
les précédents sont à rechercher dans les profondeurs de la
mémoire arabe avec les souvenirs d'un Nasser ou d'un Bourguiba,
idéalisés par le temps.
Les
interpellés sont incarcérés dans deux palaces de la capitale
reconditionnés en salles d'interrogatoire. Tout le quartier est
bouclé, les barrages ne laissent passer que des camions militaires
et des grosses berlines aux vitres
teintées.
On ne sait rien. Ceux qui savent se taisent prudemment, alimentant la
rumeur qu'on y torture allègrement. Au passage d'un convoi des
services de santé, on devine que des prisonniers sont malades. On le
serait à moins : leurs avoirs sont gelés, leurs biens
séquestrés, leur comptabilité épluchée, leur famille et leurs
proches en résidence surveillée.
L'acte d'accusation officiel ne
mentionne pas la tentative de sédition. Ce n'est pas un règlement
de compte politique assure le Palais. L'Arabie n'est pas l'Égypte !
Des petits fils d'Abdulaziz, le fondateur de la dynastie des Saoud,
ne seront pas accusés de crimes de sang comme Moubarak ou Morsi mais
de vol crapuleux comme Ben Ali.
Pour autant, cette incrimination de
corruption ouvre la voie à toutes les inculpations : de la
banale prévarication par inadvertance au gravissime financement du
terrorisme. De la simple confiscation des biens mal acquis à la
décapitation.
Curieusement, aucune protestation ne s'est élevée en
faveur des plus gros carnets de chèques du pays. Aucun chef d'État,
aucun banquier, nulle
manifestation de traders à Wall Street n'est venue
soutenir l'épreuve du Prince Walid ben Talal l'actionnaire de
Twitter, Motorola, Apple, Disney...vingtième fortune mondiale dont
on rapporte qu'il aurait tenté de mettre fin à ses jours.
Accouru
pour « libérer » le Premier ministre libanais Saad
Hariri, Emmanuel Macron n'a pas eu un mot pour les emprisonnés au Ritz.-Carlton. Pourtant, à Paris, cette affaire est ultra sensible car le
déballage de la comptabilité de tous ces hauts personnages pourrait
mettre à jour les lucratives turpitudes franco-saoudiennes de ces
trente dernières années. Singulièrement, les accusés de
corruption ont peu de liens d'affaires avec les Etats-Unis, mais
beaucoup avec la France. Les relations commerciales entre Riyad et
Paris qui n'étaient déjà pas simples vont devenir très
compliquées.
Dans
une récente interview exclusive au New York Time, le Prince Ben
Salman a justifié cette opération mains propres en révélant que
les dépenses du royaume étaient systématiquement « siphonnées »
de 10% depuis les années 80. Il a déclaré que les corrompus
repentis seraient sur le point de restituer 100 milliards de
dollars à l'État.**
Reste
qu'il faudra bien juger ces accusés. Le choix de la procédure ne
sera pas facile. Un pardon discrètement monnayé avant d'être jeté
aux oubliettes ? Un procès à grand spectacle avec princes et
roturiers entassés dans le box des accusés ? Cette
jurisprudence entrainerait alors les tribunaux de tous les pays
musulmans dans une spirale vertueuse. Ce serait prodigieusement
inédit car aucun pays – pas même la Tunisie – ne s'est attaqué
à la corruption, source de toutes les injustices.
Si demain la
charia se montre exemplaire et condamne le bakchich en Arabie
Saoudite, le monde musulman va changer !
Cet
espoir explique sans doute la passivité ou l'adhésion prudente des
populations et des tribus saoudiennes réputées conservatrices et
frondeuses. De surcroit, les projets de villes utopiques du Prince
héritier laissent entrevoir pour la jeunesse un avenir de plein
emploi et de prospérité calqué sur Dubaï ou Kuala Lumpur.
Les
bouleversements imposés par Mohamed Ben
Salman sont sans précédent. Pour s'en convaincre, il suffit de
parcourir les journaux où l'impensable d'hier s'étale à la une
d'aujourd'hui. Des photos de femmes sans voile ni abaya. Un
cliché montrant le roi accueillant un dignitaire chrétien qui
arbore en sautoir une imposante croix, emblème religieux qui était jadis officiellement bannie de toute représentation dans le pays du
prophète. Au file des pages, on apprend que pour la première fois,
des fouilles archéologiques sont fébrilement entreprises pour
tracer l'histoire de l'Arabie avant l'Hégire. Dans le supplément
économique, on découvre la photo d'un chef d'entreprise français
qui s'exprime à la tribune d'un forum. Son patronyme est affiché
sur le pupitre: « Israël ». Inouï. Dans un passé
récent, ce PDG aurait été contraint au pseudonyme pour obtenir
« éventuellement » un visa d'entrée dans le Royaume.
Tous
ces bouleversements sont les signes d'une « normalisation »
de la société saoudienne et des efforts méritoires du prince
héritier pour sortir son pays du moyen âge. On ne peut que s'en
féliciter. Pourtant, dans le même temps, l'Arabie s'obstine dans
une guerre fratricide infâme contre le Yémen pendant que les
crises avec l'Iran, le Liban, le Qatar, s'enveniment chaque jour
d'avantage. Alors avant de devenir le roi du « printemps de
l'Arabie » Mohamed Ben Salman serait bien inspiré de montrer
qu'il est également capable de faire la paix avec tous les
musulmans.
*https://hybel.blogspot.fr/2016/06/tunisie-trois-livres-pour-comprendre.html
**https://www.nytimes.com/2017/11/23/opinion/saudi-prince-mbs-arab-spring.html
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