jeudi 26 juin 2025

Vers la dernière guerre d'Iran ?

L' invasion  de l'Ukraine par la Russie a paralysé l’Europe. L’agression d’Israel sur l'Iran a tétanisé le Moyen-Orient. Ces étapes en trompe l'oeil nous rapprochent de l'inéluctable confrontation entre la Chine et les États-Unis. 


Les informations en continue des télévisions forment un voile de propagande qui opacifie la réalité. Pas facile de mettre son grain de sel avec un peu de jugeote en évitant de dire des banalités. S’y ajoutent des éléments de langages savamment dosés qui fusent chaque jour depuis Washington, Tel Aviv, Téhéran. On compte les blessés en Israël et en Iran, on oublie les morts d’Ukraine. On ignore les dizaines d’adolescents de Gaza affamés, qui chaque jour sont appâtés pour être méthodiquement assassinés par les snipers de l’armée israélienne. 

Une seule certitude: pendant des générations, les juifs porteront avec honte le deuil de l’ignominie et les arabes celui de la lâcheté. Tout le reste n’est que conjecture.


Retour à l’instinct primaire

Pour analyser les situations, les outils conceptuels ne manquent pas, mais celui qui parait le plus adéquat est celui du mercantilisme, du vol et de la spoliation. Depuis la nuit des temps chaque humanoïde propriétaire d’un lopin convoite celui de son voisin où l’herbe lui parait plus verte. Trump et Netanyahu sont guidés par le profit, la vanité du toujours plus riche. Peu dans le crâne, beaucoup dans les poche, c’est le modèle impitoyable de l’univers du vieux feuilleton Dallas.

L’Iran possède l’une des plus importantes réserves mondiales de pétrole. Il faut donc se l’approprier.  Certes la guerre coûtera cher, mais elle sera  comme toujours intégralement remboursée par le perdant. Aujourd’hui encore, l’Irak dédommage les États-Unis d'être venu le «  libérer  » de Saddam Hussein et de ses prétendues armes de destructions massives. Le pétrole libyen par le biais de combinaisons financières hypothécaires est toujours sous la domination profitable des vainqueurs du régime de Kadhafi. Demain, d'une façon ou d'une autre, l’Iran règlera avec intérêts la note de la coalition israëlo-américaine. C'est la loi du business. 


Menace existentielle

«  Tuer préventivement  » cette rhétorique masque le retour aux lois de la jungle. Même les négociateurs sont tués. Le drapeau blanc est souillé. Il faut éliminer tous ceux avec lesquels on pourrait être tenté de signer la paix. Israël nie même au Guide de l’Iran «  le droit d’exister  ». Les contrats sur la tête d’un chef d’État sont rares. En 1937 les services de renseignements français avaient soumis au ministre de la Défense du gouvernent Blum un plan imparable pour éliminer Hitler.  Daladier qui allait devenir Président du conseil s’était indigné «  on n’assassine pas le Chef d’État d’un pays voisin voyons !  » Les temps ont changé. Il n'y a pas si loin, le Président de la république pouvait flâner sans crainte dans les librairies de Paris. Aujourd'hui les hommes politiques portent gilets pare balles. 

La menace existentielle,  le droit de se défendre  la guerre préventive ...autant de formules qui invitent à s’exonérer des lois fondamentales et autoriser les abominations. Au sommet de ces outrances verbales, celles qui visent à déshumaniser ses semblables en les qualifiant d'animaux humains.       


L’épouvantail atomique

Depuis 46 ans, le nucléaire est l’épouvantail suprême qui a permis de mettre l’Iran au ban des nations car il représente une «  menace existentielle  » pour Israël. 

C’est abusif car  2 000Km sépare Téhéran de Tel Aviv et une frappe nucléaire sur Israël vitrifierait indistinctement les palestiniens qui représentent 20% de la population totale du pays. Le premier dôme de fer d’Israel est palestinien. Oui mais ajoutent les va-t’en-guerre, si on laissait faire l’Iran, l’Arabie puis l’Égypte suivraient son exemple ! Et chacun sait que les dirigeants de ces pays, contrairement à Poutine, Trump, Netanyahu… sont des irresponsables ! 

La réalité est que le club très fermé des nucléarisés n’accepte aucun intrus sauf par effraction, comme le Pakistan, la Corée du Nord et…Israël. C’est pourquoi paradoxalement, les attaques sur l'Iran ne peuvent que conforter ce pays dans la nécessité «  existentielle  » de transgresser ses engagements de non prolifération.


La faute de l’Iran

Le pouvoir théocratique iranien a mordu à l’hameçon de la vanité universelle en voulant égaler les grands. Il y a plus de vingt ans des observateurs sur le terrain documentaient le formidable effort d’armement de l’Iran et notamment  sa capacité de produire des drones vecteurs considérés alors par l’armée de l’air française comme étant un gadget sans avenir. Aujourd’hui les industriels européens sont toujours incapables de produire en nombre et en performance des engins équivalents.

La faute de l’Iran a été de ne pas se contenter de sa souveraine supériorité militaire conventionnelle pour assurer sa sécurité régionale et développer son économie. Les mollahs ont poursuivi l’ambition du Shah qui avait initié avec l’aide de la France un coûteux programme nucléaire  civil dont le pays n’aura jamais besoin compte-tenu de ses gigantesques autres ressources énergétiques. Encouragé sans doute par la Russie et la Chine et d’illusoires engagements de défense réciproques, Téhéran n’a pas voulu se priver de la filière nucléaire civile forcément suspecte de transgression vers la bombe interdite.  


Marteau dissuasif sur la Chine

La spectaculaire démonstration de l’opération «  marteau de minuit  » menée par une escadrille de sept B2 furtif lestés de 2 bombes de 14 tonnes et de chasseurs furtifs F-22, ravitaillés en vol à de nombreuses reprises par des stations volantes non furtives, elles-mêmes protégées par des avions brouilleurs est une opération qui a mobilisé 125 avions pendant une trentaine d’heures. Elle est inédite dans l'histoire de la guerre. Elle bouleverse la doctrine de dissuasion et atteste de la domination américaine. Ni les Russes ni les Chinois n'ont des capacités équivalentes. Désormais chacun sait que les États-Unis peuvent frapper sans être détecté sur n’importe quel objectif sur le globe. 

Le message est très sérieusement médité en Chine car la distance entre Washington et Pékin est la même que celle entre New York et Téhéran. Le scénario d'une riposte américaine à une éventuelle invasion de Taiwan est désormais «  combat proven  ».

Et si finalement le faux-fou Trump avait joué finement, faisant l'âne pour avoir du foin  ? Car il faut reconnaître que la victoire psychologique des américains est totale. 

En étant optimiste, avec un peu de patience de «  fabuleux  » accords commerciaux  seront signés entre l'Iran et les États-Unis. Arabes et Israéliens se dépatouilleront avec le génocide de Gaza et les Européens avec la guerre d’Ukraine.

Mais comme avec Trump, il faut s’attendre à tout, on ne peut pas exclure d’autres hypothèses.


Entre le scénario du meilleur et celui du pire

Les frappes symboliques avec préavis des missiles iraniens sur les bases US du Qatar et d’Irak rappellent qu’aucun des 40 000 soldats américains qui stationnent dans la région n’est à l’abri et aussi, que le Golfe est hautement inflammable.

En ces lieux, toute guerre est suicidaire. C’est comme si deux commandos ennemis faisaient irruption dans une station service en brandissant des lances-flammes. Craquer une allumette chez Saudi Aramco ou Qatargas entrainerait une déflagration économique et financière aux répercutions mondiales incalculables dont il n'est pas démontré que la Chine serait la plus affectée.

C’est probablement le principal argument qui fait a reculer Trump. 

Il n'entrave pas pour autant la poursuite des opérations clandestines pour renverser le régime des mollahs dont les chances de succès sont infimes et dont le chaos qui s’ensuivrait serait à l’image de la Somalie, le Yémen, l’Afghanistan, l’Irak, la Libye…. Macron a raison. 

Il existe aussi, parmi d’autres, un plan pour neutraliser la façade maritime de l’Iran en y faisant débarquer des troupes depuis Abadan jusqu’à Chabahar. Il consisterait à militariser un bande littorale de 1 700km après avoir vitrifié l’arrière pays.  Mais les soldats américains et israéliens iront-ils risquer leur vie pour protéger le gaz et le pétrole du Golfe  ?  Les riverains arabes sont dans le même état d’esprit. Reste l’option tentante de l’externalisation par un groupement de sociétés multinationales privées.

Ce projet qui s’accorde parfaitement avec la « pensée »  Trumpiste n’est pas à écarter totalement. Reste à convaincre les intéressés car le retour sur investissement est aléatoire. En dernier ressort, le patron du Monde s’est remet toujours au plus haut.

Dans les westerns, les cow-boys après s’être boxés ramassent leur chapeau et se serrent la main. Les théocrates américains, israéliens, iraniens vont-il faire de même ? Trump n’a t-il pas fait cesser-le-feu en déclarant: «  Dieu bénisse Israël, Dieu bénisse l’Iran  ».  Entre évangélistes , néosionistes et mollahs ils devraient pouvoir s’entendre !


Cependant qu’éternels oubliés, les Palestiniens attendent qu’on viennent les libérer. 

Tant qu’ils seront persécutés la dernière des dernières guerres, la «  Der des Ders  » d'Orient ne sera pas d’actualité.


dimanche 11 mai 2025

Un matin à Ravensbrück

La grandeur de l’Allemagne est d’honorer celles et ceux qu’elle a jadis martyrisés. Dans les centaines de camps de déportations où des millions d’êtres humains avaient été traités comme du bétail par les nazis, des commémorations ont été célébrées pour le 80ème anniversaire de leur délivrance.                       

En ce premier dimanche du mois de mai, à Ravensbrück où 133 000 femmes ont été parquées, humiliées, forcées, torturées, affamées, assassinées, gazées, incinérées… une foule s’est rassemblée pour les pleurer. 

Admirable présence qui invite à méditer. Sommes nous responsables des actes de notre lignée ? Petits-enfants de bourreaux allemands devez-vous porter éternellement le fardeau des crimes de vos ascendants ? Comment ne pas songer aux descendants des 27 millions de soviétiques morts pour libérer l’Europe du joug d’Hitler dont certains sont aujourd’hui mobilisés par Poutine au prétexte fallacieux d’aller libérer l’Ukraine des nazis ?…Et aux six millions de suppliciés dont les héritiers massacrent les femmes et les enfants de Gaza par dizaines de milliers. Victimes d’hier et bourreaux d’aujourd’hui ne sont assurément pas du même sang.

Sur une esplanade immense recouverte de mâchefer noir, une allée de cendres conduit à une estrade où des musiciens adolescents arrachent des soupirs à leurs instruments. Au micro se succèdent les témoignages, les prières, les discours… Des nuages noirs couvrent le ciel, des bourrasques de vent  glacent l’assistance. Chacun est pétrifié d’émotion en lien avec le paysage, le froid qui monte de la terre, la plainte des violoncelles, le récit des souffrances, le Chant des marais, celui des déportés, entonné à capella par mille voix:

Dans ce camp morne et sauvage

Entouré de murs de fer

Il nous semble vivre en cage

Au milieu d’un grand désert


Aucune bannière, aucun drapeau, seulement des femmes, des hommes, des vieillards et des enfants en poussettes avec un bouquet de fleurs ou une rose à la main. Nul hymne national ni sonnerie aux morts, aucun uniforme au garde-à-vous ! Ici, toutes et tous sont égaux. Rien ne distingue la vingtaine d’ambassadeurs parmi lesquels celui de France, digne et affecté. Pareillement discrets, des ministres allemands prennent la parole pour dire sobrement leur effroi face au réveil de la bête immonde du fascisme partout dans le monde.

Très ému, un général français d’un grand âge est aller incliner ses cinq étoiles devant la plaque accrochée au mur des Nations par le neveu d’une héroïne. « En mémoire des sous-lieutenantes Marie-Louise Cloarec, Eugénie Malika Djendi, Pierette Louin, Suzanne Mertsizen Boitte, opératrices radio du corps féminin des transmissions d’Alger » surnommées les « Merlinettes » parachutées en France occupée en avril 1944, exécutées ici en janvier 1945.

Enfin, la foule silencieuse en lente procession vint déposer couronnes, gerbes et poignées de pétales, au pied du monument aux mortes, face au lac de Schwedtsee où entre 1939 et 1945 furent dispersées les cendres de dizaines de milliers de femmes, d’enfants et de nouveaux nés.

lundi 28 avril 2025

Capitaine algérien de l'armée française


En novembre 1942, les Américains et les Britanniques débarquent sur les rivages du Maroc et de l’Algérie. Soldats sans préjugés, ils tendent la main aux juifs et aux arabes. Les pétainistes rentrent la tête dans les épaules. Liberté, égalité, fraternité…allons enfants de la patrie… Les lendemains chantent. Une nouvelle Algérie va naître, c’est certain. En nombre, les arabes se précipitent dans les bureaux de recrutement pour aller libérer la France du joug nazi.


Abdelkader Rahmani a 17 ans. Son père, docteur ès-lettres lui a appris à manier avec élégance la langue française. Il est berbère né en Kabylie pays décrit par Albert Camus dans son itinéraire de la misère où les enfants meurent de faim. 

Abdelkader est pâle de peau, instruit et  fils « de grande tente »: trois raisons pour être admis à l’école des officiers indigènes d’Algérie et de Tunisie de Bou Saada. Brillant élève, il fait partie de la première promotion de quatre algériens admis à la prestigieuse école de cavalerie de Saumur. Après cinq années de formation (cursus plus long que celui des Français) on lui décerne le grade de sous-lieutenant… à la condition de renoncer à solliciter la nationalité française ! 

Les temps sont confus, les politiques coloniales changeantes et incohérentes. Pour le jeune officier indigène, l’armée est une vocation, c’est le choix de sa vie. Il sait pourtant qu’il lui sera impossible de franchir le plafond de verre des quatre galons de commandant. 

Certes, Chérif Cadi premier polytechnicien musulman a pu se hisser en 1916 au grade de lieutenant-colonel, mais c’est une des rares exceptions et les généraux musulmans sont encore plus rares, l’histoire ne dénombre que le Tunisien Youssuf qui a été étoilé en 1856; le Marocain Kettani le sera en 1954 et l’Algérien Rafa en 1961.


À cette époque, les émoluments des musulmans sont inférieurs à ceux des chrétiens, les affectations restreintes, les discriminations et brimades fréquentes. Même « marié-à-une-française », les couples mixtes n’accèdent pas au mess. En 1950 tous les officiers algériens sont invités à passer un examen pour être confirmés dans leur grade. Pour eux, les temps étaient noirs, tout était prétexte à les éloigner de l’armée depuis qu’ils avaient manifesté leur sourde indignation après les massacres de Sétif, Guelma et Constantine en 1945. Certains avaient vu des civils projetés des falaises de Kerrata et de Bougie. Un officier FMA, (Français Musulman d’Algérie) qui avait été obligé d’assister à ces supplices s’était suicidé.


Alors pour éviter la contagion, l’armée avait proposé d’éloigner les officiers musulmans qui le souhaitaient. Rahmani sera affecté en Corée. Il y gagnera par son courage les galons de lieutenant et la croix de la Légion d’honneur. En 1956, il est au Liban en mission d’observation. Pendant ce temps, en Algérie la guerre totale est engagée et les espoirs de paix sont entravés par la droite revancharde rescapée de Vichy. 


À Paris, les partis politiques s’affrontent dans des joutes oratoires stériles cependant que « rebelles » et  « gardiens de l’ordre républicains » s’entre-massacrent à qui mieux mieux. 

Le détournement de l’avion civil de Ben Bella par l’armée française en octobre 1956 ordonné par un secrétaire d’état en cachette de son ministre et du chef du gouvernement pour saboter toute tentative de négociation, désespère les plus optimistes. Pour les officiers musulmans c’est l’heure du choix. Plusieurs d’entre eux désertent et rejoignent les rangs de l’Armée de Libération Nationale. Ils deviendrons généraux de l’Algérie indépendante. 


Rahmani (le miséricordieux en arabe) reste fidèle à son serment. Nourri à l’école de la République des armées, sans doute un peu naïf, il est persuadé que sa hiérarchie -forcément vertueuse- ignore la réalité du terrain. Alors, méthodiquement, il réunit les preuves des exactions et des injustices. Son volumineux dossier est accablant.   

Avec 52 de ses camarades officiers musulmans, ils projettent  en décembre 1956 de l’adresser  au président de la République : « Notre situation d’officiers algériens est rendue intenable par la lutte sanglante qui oppose nos camarades français et nos frères de sang…Nous sommes et pourrons faire un lien solide entre nos deux peuples…ce qui permettrait d’engager une conversation immédiate et loyale entre les représentants des deux communautés » Bref ils proposent leur intermédiation pour  « une paix des braves ».


Avant de soumettre officiellement leur supplique au Président René Coty, « Chef des armées en titre » mais aux pouvoirs constitutionnels limités, Rahmani consulte la voie hiérarchique et les responsables politiques de tous bords. 

Dans son ouvrage L’affaire des officiers algériens (éditions du Seuil décembre 1958), il relate ses rencontres avec Pierre Mendès France, Daniel Mayer, Buron, Pfimlin, Faure… Il narre aussi les dérobades et les lâchetés, les rendez-vous reportés et manqués avec François Mitterrand ministre de la Justice et Guy Mollet le président du Conseil dont le chef de cabinet lui lance: « et si les Bretons demandaient leur indépendance, que feriez-vous à la place du Gouvernement ? »  Rahmani rétorque: « puisque vous nous assimilez aux Bretons, avons-nous des Algériens députés à la Chambre ? des ministres ? Accepteriez-vous qu’un jour un Algérien soit Président de la République ou du Conseil ? » 


Ultime rencontre et dialogue de sourds avec le général d’armée inspecteur des forces  d’Afrique du Nord. « Il faut que le FLN soit exterminé  » lui dit-il.  « Mais mon général si vous tuez tous ces tueurs, vous devenez vous-même un tueur…et puis alors, avec qui faire la paix ? » L’entretien franc et houleux de quatre heures d’horloge semble se terminer dans l’apaisement: « vous avez ma parole Rahmani, qu’aucun de vous ne sera arrêté, je m’en porte garant…dites le à vos camarades » Trois jours plus tard, Rahmani est  incarcéré au Fort de Saint Denis avant d’être transféré en mars 1957 à la prison de Fresnes sous l’inculpation « de tentative de démoralisation de l’armée ».

De Gaulle le fera libérer quelques mois après son retour au pouvoir. 

Rahmani dont l’histoire a été déformée par la passion et la propagande sera finalement promu capitaine en… 1975.