samedi 18 décembre 2010

Le 980

Il y a trois ans les marchands d’armes britanniques se prenaient les pieds dans le tapis de la corruption pour la vente d’avions de chasse à l’Arabie. Le Serious Fraud Office avait relevé des irrégularités dans le bien nommé contrat Al Yamamah (le pigeon, en arabe).

À un journaliste qui l’interrogeait sur des mouvements de fonds suspects, le Prince Bandar, alors ambassadeur d’Arabie Saoudite à Washington, répondit : « so what ? » (en français « et puis après ? » en arabe « wallaw ? »).
De droit divin, l’Arabie est aux Saoud comme la Gaule fut aux Carolingiens et la France aux Bourbons. C’est un royaume. L’Etat c’est le roi. Le patrimoine du monarque se confond avec celui de l’Etat ; et inversement si le roi le veut.
Le père de Bandar est prince héritier, premier ministre et ministre de la défense. Son oncle, le demi-frère de son père est roi. Bandar n’a volé personne et n’a de compte à rendre qu’à Allah et Abdallah roi.

La suspicion des journalistes était absurde. Pourquoi Bandar aurait-il exigé un bakchich d’un fournisseur alors qu’il lui suffisait de puiser dans la cassette familiale pour satisfaire ses besoins les plus extravagants ? Peut-on imaginer que le roi se serait montré tant pingre sur la rente civile de son ambassadeur au point de le réduire à solliciter un side-job chez BAE pour arrondir ses fins de mois de dix millions de dollars ? Ceci pendant dix ans !
Mais à quoi aurait bien pu lui servir cette montagne d’argent ? À payer ses Cohiba ?

Abracadabrantesque !

La presse anglo-saxonne avait pourtant échafaudé cette invraisemblable invraisemblance et bien d’autres … Ainsi, l’indéfectible amitié entre les Bush et le Prince était notoire, mais de là à subodorer que l’altesse royale aurait financé les néo conservateurs américains avec de l’argent blanchi par British Aerospace ! Sournoisement et en langue anglaise les « dogs » du Guardian étaient sur le point d’écrire entre les lignes des choses bien plus abominables encore ! Le scandale du pigeon Al Yamamah allait compromettre le plus juteux marché de tous les temps.

Furieux les Saoudiens menaçaient de changer de fournisseurs. A Paris on se frottait les mains. Le Rafale était prêt à décoller. Mais à Londres, contre toute jurisprudence, le Premier Ministre Tony Blair siffla la fin de la récréation. Un décret interdit au Serious Fraud Office de poursuivre son enquête. La presse s’en indigna. So what ? La vérité en profita pour se défiler. No commissions, no rétro commissions. De son coté, le Prince saoudien ignominieusement mis en cause se fendit d’un communiqué bien senti : « Les allégations du Guardian incarnent l’apogée du mensonge et de la calomnie… Il est insensé qu’un être humain puisse croire que des virements, effectués conformément aux règlements des banques américaines et britanniques, puissent être gardés secrets à l’insu des gouvernements concernés ou des parties autorisées.»

Aujourd’hui, dans la France du commerce extérieur devenue arrogante et donneuse de leçon, chaque jour apporte son lot de surprises. Ce serait une erreur de manœuvre entre sous marins et frégates furtives qui aurait endeuillé onze familles. Des « spécialistes » nous expliquent comment de hauts responsables ont violé les lois pour vendre des armes à perte et enrichir leurs voyous de copains. Tout le monde se met à parler. Le PDG déchu, le directeur déçu, le DG âgé, le garde du corps reconverti, la standardiste émancipée, le majordome philippin, l’hôtesse en l’air, les ministres anciens, la maîtresse trompée, les voisins de pallier…La presse enquête, la justice vérifie. Ceux qui savent mentent ou se taisent, ceux qui ignorent échafaudent et supputent. La communauté de connivence est à l’épreuve. Le réseau KK se débine, la bande P4 guette le lampiste en fredonnant l’air de Guy Béart « le premier qui dit… la vérité… sera exécuté ».

A Riyad, le gouvernement a ouvert un numéro de téléphone gratuit pour recevoir les dénonciations de pot-de-limonade. Dans l'hexagone, les corbeaux français sont invités à composer le 980 précédé du code pays, ils sont assurés que l’on fera la rétro commission à Paris.

dimanche 12 décembre 2010

L’ami défunt

Sur la place d’un charmant village du Perche nous étions bien deux cents à guetter l’arrivée du cercueil. Le soleil était chaud, la vue magnifique. Bien sûr tout le monde pensait à lui. Allait-il jaillir de la boite un verre à la main pour nous entrainer en riant vers une nouvelle tranche de joie ? Il semblait que sa dernière blague fût de nous réunir dans un lieu de prière.
Comme à contrecœur on est entré dans la petite église. Le curé faisait la gueule. Il avait ses raisons. Sans doute, l’ami défunt n’avait-il pas remis les pieds sur les fonds baptismaux depuis belle lurette, mais comme toutes les familles celle de mon lâcheur de copain est faite de bigots et de mécréants. Alors dans la mort, il faut donner sa part à chacun.

Au programme musical distribué aux endeuillés : des cantiques du seigneur mais aussi des chansons de Ferrat et de Brassens. Mon compère était-il un patron de gauche ? Un chrétien charitable ? Un grand maçon ? Sans doute un peu tout à la fois, tout à sa foi ? Il était joyeux et généreux, amoureux des vivants. Etienne est mort d’un arrêt du cœur, c’est dire…

« Nous sommes ici tous ensemble réunis en prière pour dire adieu à Etienne.…»
Sur un mur de ma maison j’ai cinq Ouzbeks croqués dans les années cinquante par un peintre de talent. L’un d’entre eux est le portait tout craché du curé normand….

Au loin un âne lance une plainte ridicule qui trouble le recueillement…
Avec Etienne, on avait acheté à Tachkent des petits tableaux en se demandant pourquoi dans ce pays sans baudets, tant de peintres avaient été inspirés par cet animal ? On nous avait raconté qu’un ignare ayant été nommé par le Kremlin directeur des Beaux Art, alors tous les élèves en signe de protestation avaient présenté au concours de fin d’année une composition lui rendant hommage. On avait ri…Puis on s’était lancé dans une chasse aux toiles de bourricots.

L’Ouzbékistan fascine l’étranger pour l’or, la soie, le coton, le ciel, Samarkand, Kiva, Boukhara, les mers Aral et Caspienne. Mais le plus intéressant c’est le peuple. C’est le seul de l’ex URSS qui n’a renié ni sa culture ni ses traditions. Il n’y a jamais eu d’homo-soviéticus-ousbékitus. De ce point de vu Staline a échoué. Certes, en apparence la population est docile, paisible, elle s’adapte à toutes les contraintes, se résigne à toutes les injustices pourvu qu’on la laisse vivre comme ses ancêtres. L’Ouzbek est bon musulman mais picoleur et gai vivant. Il hait la soupe aux choux, adore le riz au suif de mouton. Il aime aussi manger du melon confit et boire du thé amer en sortant du sauna. C’est un agréable épicurien à l’affût du moindre prétexte pour exhiber ses dents en or dans un rire éclatant. Il ne faudrait pas pour autant prendre les Ouzbeks pour de ventripotentes chiffes molles. Depuis des siècles leurs forgerons martèlent les meilleures lames à égorger les ravisseurs d’honneur. On nous avait appris les gestes. Plus tard à Paris, les rares fois où j’avais revu Etienne, nous avions répété les postures en riant avant de trancher proprement un jesus de Morteau et le col de quelques boutanches.

« Alléluia ! Notre père qui êtes aux cieux… » Un halo de lumière perce les vitraux et vient éclairer le cercueil. Surpris, le prêtre marque une pose avant de reprendre sa prière d’une voix plus forte.

Tachkent est une bourgade de plusieurs millions d’hommes où les filles sont belles et drôles ce qui permet de voler la vie de l’instant car le drame est peut-être pour demain.
Nous étions deux couples éphémères assis autour d’une table de ripaille au restaurant du 17ème étage d’un vilain hôtel de luxe. Soudain tout s’est mis à trembler, des lustres sont tombés, les baies vitrées ont craqué, des femmes ont crié, un homme a hurlé. La secousse était interminable. On s’est regardé pétrifiés comprenant qu’il n’y avait pas d’échappatoire. Je ne sais qui a pris la main de l’autre nous entrainant finalement tous les quatre dans une étreinte sereine et résignée. La mort étant passée, nous avons achevé notre repas au champagne de France en chantant.
Puis pour célébrer notre résurrection, nous avons le soir même improvisé chez un ami musicien un concert avec une cantatrice éblouissante. La nuit s’est achevée dans un bouge à disco où les danseurs ivres lançaient en l’air des liasses de soums, la monnaie locale qui se vendait alors au kilo contre des dollars.
La Vodka était fraîche, les filles étaient belles, nous étions immortels.

Adieu l’Etienne je t’aimais bien…

mercredi 22 septembre 2010

L’amour et la bouilloire

Ce dixième été du siècle restera dans les mémoires comme celui de l’ivresse.
L’Etat de la France en ébriété permanente nous a saoulé au Rom. Les musulmans n’ont pas bronché – ramadan oblige – les juifs non plus car ils étaient en vacances. Sur un signe de Rome, les catholiques se sont montré chrétiens ils ont protesté les premiers. A ma manière, je me suis solidarisé des malheurs des rempailleurs de chaises en adressant un SMS de soutien à mon pote Hassan le gitan, fils d’un Albano-Espagnol et d’une Tchétchéno-Moldave. Il a été exfiltré du Kosovo par les gendarmes français il y a seize ans. Depuis, il a bâti un empire dans l’agro-alimentaire. Le roi du poulet « made in France » est un ancien voleur de poule ! Il m’a invité à le rejoindre aux Saintes Maries de la Mer où il se rendait avec sa tribu pour une sorte d’omra. J’ai lâchement battu en retraite, c’était de circonstance. Et puis les arbres croulaient tellement sous les prunes et les mirabelles que la bassine à confiture n’avait pas le temps de refroidir.

Quel été !
D’Amérique l’alizé nous révéla le projet de construction d’une mosquée à Manhattan à deux blocs de ground zero ? Pourquoi pas une cathédrale à Kairouan ? C’est incongru et provocateur. Pourtant au risque de perdre des électeurs le Maire juif Bloomberg et le Président musulman-chrétien Obama ont brandi la Liberté. Intolérance zéro. La mosquée sera édifiée. Voltaire et Beaumarchais ont émigré. C’est le Nouveau Monde à l’envers. Du même pays un illuminé nous a donné le frisson en menaçant de brûler le Coran. Pendant une minute, on a craint le retour à la guerre de cent ans. Je confesse avoir par mégarde supprimé de la mémoire de mon IPad le fichier des trois saintes écritures. Cet autodafé involontaire me tourmente.

Quel été !
C’était Ramadan. Carrefour m’a adressé une publicité ciblée présentant des produits « orientaux ». De la semoule, des zlabias, chorba, harrira, charcuterie de dindons, du petit lait. Le marché hallal est en pleine expansion. Mais attention à la surenchère ! Les plaines de Beauce sont fertilisées au purin de porc breton alors le blé est impur et partant, la baguette de Paul. A pour bientôt chez Laduré le macaron hallal/casher? Puisque que juifs et musulmans partageant les mêmes interdits, pourquoi ne pas adopter un pictogramme commun ? Déjà les enseignes de hamburgers (ham veut dire jambon en anglais) prétendent que les bœufs dont ils font du haché sont proprement égorgés. Citoyen de la minorité invisible, le français musulman est reconnu comme consommateur, c’est encourageant. Mais on peut craindre que les fils de pub prennent le relais des prêcheurs intégristes.

Quelle rentrée !
Chabrol et Arkoun ont émigré sans prendre le temps de lire Jean Daniel pressentant que kippour et l’aid el-fitr seront bientôt fériés sur le calendrier républicain. Encore une insolence de ce genre et il se pourrait qu’on lui retire sa nationalité française avant moi.

Je crois rêver !
A l’école primaire ma gamine réclame le même menu que sa copine « hébreuse ». Je prends sa défense. Cette discrimination est en effet intolérable car contraire aux droits de l’enfant de l’Homme. Mon argumentaire fait mouche chez les associations de parents d’élèves, le rectorat s’en émeut, le ministre est saisi, le puissant lobbying de la fédération française des producteurs labellisés HC (Hallal Cacher) réussit à provoquer un débat national, la loi est finalement adoptée à une large majorité malgré la campagne d’opposition véhémente de la filière porcine. Dans la foulée la vente de charcuterie est interdite aux mineurs et la consommation de cochonnaille est prohibée dans les lieux publics.
J’ai bien rêvé.

Quelle rentrée !
Une rentrée littéraire agressive et autoritaire comme une pub de Coca Cola « Lisez Machin ! » Télé-radio-journaux matraquent une sélection arbitraire d’une vingtaine d’ouvrages parmi les 700 nouvelles parutions. Agacé je ne lirai ni notons ni well-bec. Deux parisianistes bêtes en cours dont on nous rebat les oreilles. L’un pire (worse en anglais) que l’autre. L’extravagante affaire des Picsou de l’été joue les prolongations.

La vraie rentrée est ailleurs.
Elle est dans l’amour et la bouilloire. Jean-Philippe Derenne est un médecin passionné de gastronomie. Il a écrit à la fin du siècle dernier deux pavés qui trônent en bonne place dans la bibliothèque de tous les cuisiniers de France et de Navarre. « L’amateur de cuisine » c’est du lourd, du sérieux, de l’intelligence plein la casserole. En deux tomes d’un récit de quarante ans de recherches passionnées, le Docteur Derenne pensait avoir fait le tour de la question. Le destin en a décidé autrement. Sa belle épouse aimée tombe gravement malade. A l’hôpital il s’installe à son chevet et lui concocte des petits plats avec pour seuls ustensiles une bouilloire électrique et une boite en plastique. Pendant quatre ans Derenne cuisine et rédige un singulier ouvrage d’amour et de recettes. J’ai lu ces sept cents pages qui m’ont bien consolé d’avoir boudé les sept cents nouveautés de la rentrée.

dimanche 11 juillet 2010

L'Arabie au Fouquet's

En cette soirée d’été, l’orage me surprit alors que je descendais les Champs Elysées. De vilaines grosses gouttes tombaient drues. Je me réfugiais au Fouquet’s en hâte dévoilant de ma poche un billet humide de 20 euros que je tendais par-dessus le bar en échange d’une petite tasse de chocolat bouillant. Blasé le serveur de stars me servit sans broncher.

Pour tromper le temps, j’appelais un ami en Arabie. Il m’apprit que la température avait heureusement chuté de 10 degrés passant brutalement de 52 à 42. C’était beaucoup plus supportable d’autant que l’électricité avait été rétablie et que les habitants avaient enfin pu quitter les voitures climatisées où ils étaient réfugiés depuis trois jours. « Alhamdoulillah ! » J’étais un peu gêné de lui parler de la canicule parisienne à 30° qu’un orage salutaire était en train de doucher.

Alors mine de rien, je me rapprochais de la terrasse et orientais mon téléphone vers le déluge : « esmaa ! » - « chou adha ? » De l’eau mon frère, de la pluie qui tombe ! « subhane Allah ! » La voix se fit suppliante : « fais nous entendre encore ». Je devinais que là-bas, l’appareil tournait d’oreille en oreille « écoute la pluie à Paris ! » Le récital se prolongeait… Mon forfait déclarant forfait, je raccrochai.

Un peu plus tard alors que j’étais rentré et séché je pris un appel d’Arabie. Un homme à la voix paisible me dit en se recommandant d’un ami commun qu’il serait éternellement mon obligé si je lui laissais écouter la pluie tombant sur les Champs Elysées. N’ayant pas la cruauté de l’éconduire j’allais à la salle de bain… « subhane Allah ! »

mardi 29 juin 2010

Le Général et le Prix Nobel

Le dix huit juin de l’an dix, répondant à l’appel du très haut, deux hommes ont pris le ciel. L’un avait du sang sur les mains. Sans convaincre, il s’en est expliqué, il était soldat. C’était un cœur froid par devoir. Car un militaire en opération, c’est forcément un criminel. La guerre est ignoble sauf celle en dentelle. Les maréchaux de France n’étaient pas de doux agneaux, le Général Bigeard non plus.
En tout cas pas plus que le sergent Sam Badly qui dans un bunker climatisé du Colorado déclenche le tir Hellfire du drone silencieux qui survole la maison d’un suspect au cœur du Yémen à quinze mille kilomètres. Sam est un technicien du bien en guerre contre le mal. Il aura une médaille car personne ne lui dira qu’il s’est trompé de cible.
Bigeard était un chef militaire adulé de ses troupes et honni de beaucoup. Il a fait des guerres inutiles qu’il n’avait pas choisies, il est mort dans son lit parti rejoindre d’autres généraux sur les bancs du tribunal de l’Histoire.

José Saramago nous a quittés le même jour. C’était un révolutionnaire des œillets et des mots. De sa vie, cet homme n’a fait de mal à une mouche. Mais il a propagé le bonheur chez des millions de lecteurs. Il a démodé la ponctuation, boudé la majuscule, bouleversé l’art du récit, sacralisé la digression, primé l’intelligence et nobélisé la littérature lusophone. Avec une malice d’enfant et une humilité de savant, il nous emportait dans ses jeux imaginaires. Et si une épidémie venait à nous rendre tous aveugles ? Et si les citoyens refusaient d’aller voter ? On attendait avec impatience son dernier thème : et si les écrivains devenaient immortels ? Saramago n’a pas eu le temps d’achever son ultime ouvrage. Adieu grand homme qui laisse à des générations d’Ipadeurs la joie de te lire.

Bigeard ne savait pas écrire, Saramago ne savait pas tuer. Chacun ignorait l’existence de l’autre. Se seraient-ils seulement adressé la parole si le hasard les avait réunis côte à côte par exemple dans un avion ? Le parachutiste de droite ministre de Giscard côté hublot, l’humble ouvrier des mots communiste libertaire côté couloir ? C’est probable. Auraient-ils parlé des Palestiniens, des Sahraouis ? En seraient-ils venus aux mains ? En tous cas, la mort s’est chargée de les fraterniser.

A Lisbonne plus de 20 000 portugais ont rendu un dernier hommage à José. Certains, qui n’avaient pas même lu une ligne du défunt le pleuraient comme un ami. Marche recueillie de vestes sombres, brassard noir, œillet rouge, poings levés. Chants, hymne national, drapeaux. Tous les ministres, le premier et les autres, même les anciens, tous les corps constitués.
Le Président de la République ne s’est pas déplacé.

Au même moment, à Paris, dans la cour d’honneur des Invalides le souffle de toute l’armée française était là pour saluer la dépouille du Général portée sur une simple civière brutalement posée à même le sol. Chants, hymne national sonnerie aux morts, drapeaux et paras qui frissonnent à l’unisson. Tous les ministres, le premier d’entre eux et les autres, même les anciens, tous les corps constitués.
Le Président de la République ne s’est pas déplacé.

Les Présidents n’aiment pas les héros contestés.

Le soldat et l’écrivain étaient-ils des mécréants ? Le Nobel avait dit de la bible « c’est un manuel de mauvaises mœurs ». Quant au Général on ne lui connaissait aucune génuflexion. Pourtant tous deux ont choisi l’incinération. Tous les deux ont demandé que leurs cendres soient dispersées en partie dans leur village de naissance et dans leur pays d’adoption. A Dien Bien Phu lieu de la bataille perdue de Marcel, et sous un olivier des îles Canaries où reposent désormais les poussières d’espoir de paix de José.

Saramago est mort alors qu’il écrivait un ouvrage sur les industries d’armement. Le destin est tenace, le Nobel et le Général finiront bien par se rencontrer !

samedi 19 juin 2010

Les Ouzghises et les Kirbèks

Sur la route de la soie, on ne fait pas dans la dentelle.

Les kirghizes et les ouzbèks se massacrent. Comment font-ils pour se reconnaître ? A leur chapeau pardi ! Où ça ? À Och. Une méchante ville moche de l’Asie Centrale. Vous ne voyez pas ? Mais enfin sur la route de Tachkent à Bichkek ! Bichkek, l’ancienne Frounze la capitale du Kirghizstan voyons!

Il suffit d’y avoir échoué une fois pour se souvenir de cette ex-sous-préfecture soviétique. Qu’est devenu le musée où s’entassaient les œuvres de peintres moscovites déportés? Il parait que la célèbre académie de l’armée Rouge n’est plus. Pour les usines kalachnikov je ne sais pas mais l’hôtel Dostik a perdu son étoile rouge, c’est confirmé.

Le premier président de la République Askar Akaïev, aujourd’hui en réserve, est toujours un mathématicien souriant et passionné d’holographie. Son pays ressemble à son hobby, on croit voir et c’est autre chose qui apparait.

A Bichkek, les roses sont les plus belles du monde. Elles poussent comme du chiendent, insolentes, odorantes, énormes qu’on dirait des hortensias. Hélas, le peuple ignore ces beautés. Il a baptisé « révolution des tulipes » son premier coup d’éclat. Pourtant le Kirghizstan n’a rien d’un Pays Bas !
Hors de la capitale, il n’y a que montagnes. Pas des Alpes riquiqui avec un Mont Blanc. Au dessus des nuages, ça va chercher dans les sept mille mètres! Pas besoin de barbelés pour se protéger du voisin chinois.
Là-bas comme partout il y a de la terre sous la neige. Mais celle-ci est rare et chère car on la transforme en produits pour nos télés et autres ordinateurs.
Le lac Issi Kul est une merveille de pureté. C’est un glacier liquide et profond dans lequel on hésite à tremper les doigts de pieds. Eh bien l’eau est à température caribéenne. Allez savoir pourquoi?

A contempler les paisibles bergers buvant du lait de jument sous leur yourte, on les croit indifférents au Kentucky Whisky qui coule sur la base américaine voisine. Pas du tout, ils se battent au coup de sifflet comme des GI obéissants. Leurs têtes de Turcs sont les ouzbeks d’à côté qui sont dix fois plus nombreux et très chatouilleux ; leur ancêtre Tamerlan avait la manie de construire des tours avec le crane de ses ennemis.
Ils sont fous ces Kirghizes !
Ils feraient mieux de lire « Jamila » de Tenguiz Aïtmatov le Hugo local, édité en poche, introuvable à Och.

mardi 15 juin 2010

L’ami EcriVin

Tiens, hier encore j’ai pensé à toi. Alors en communiant j’ai défloré un flacon de Haut Brion 82. Je ne te dis pas l’envolée des sens. Le petit Jésus en culotte de velours. Rien à voir avec les Châteaux Chalon centenaires que l’on a célébrés dans notre jeunesse, ni les vieux Meursault, ni les Pouilly de Dagueneau qui sont pourtant de sublimes sangs de ceps que les myopes voient blancs alors qu’ils sont roux comme les mèches de Josiane. La Josiane, tu te souviens !

La décantée de Graves n’était pas rouge non plus. Seuls les pochetrons perçoivent cette couleur dans le breuvage du Postillon en bouteille étoilée. Le rouge est une teinte de cosmétique pour les lèvres ou le bout des doigts, il ne peut pas qualifier un nectar divin voyons ! Le vin n’est jamais rouge c’est évident. Même le Beaujolais ; notre honnête Juliénas de chez Santé le bien nommé, a des reflets de sombres carmineux qui échappent à la gamme chromatique. Ne parlons pas des pourpres Clos Vougeot, ni des violets papes de Beaurenard, ni du vermeil cramoisi Montrachet dont les millionnaires indignes écorchent l’appellation d’un « t » insupportable.

La robe du Haut Brion de 28 printemps est une illumination que seule la peinture de Velázquez a peut-être approchée.

Au contact du cristal, le liquide se mit à pleurer. Pour le consoler, je me suis penché sur les bords du verre que j’ai baisé. Puis, les yeux clos, j’ai longuement inhalé un parfum mystérieux. Toutes mes pensées s’étaient évaporées comme accaparées par l’odeur envahissante. En relevant la tête, j’ai tenté d’apprivoiser le plaisir pour mieux le prolonger mais il se dissipait. J’ai replongé le nez dans mon verre après l’avoir délicatement entrainé dans une valse cherchant en vain à perpétuer les promesses de l’ivresse.

Le reste tu le connais ami. Chez toi au paradis des paillards je devine que le Saint Amour est à discrétion, et le Saint Joseph à tire-larigot. Ici, depuis que les docteurs de la foi et du foie m’ont chapitré, je fais ceinture, je carbure surtout à la ferrugineuse. Alors pour tuer la vie d’attente de te rejoindre, j’hume et je rehume…

As-tu déjà croisé Winston Churchill le plus français des anglo-saxons.
Je m’explique, Churchill était un méridional de chez nous. Il aurait pu naitre à Sète, à Marseille ou Tunis. Il avait deux passions : le bon vin et les bons mots, qui sont les accessoires indispensables pour humaniser l’homme en le faisant rire. Alors qu’il commandait une troupe sur le front, il exhorta ses officiers à rire ou à sourire en toutes circonstances. Buveur inextinguible, il se précipita dès la libération vers la Côte d’Azur pour vérifier que la cave de l’Hôtel de Paris à Monaco avait bien échappé aux soudards allemands. Un homme qui lichetrognait du Château Pétrus au petit déjeuner aurait mérité de présider au destin de l’union entre Jack et Marianne ! J’ai appris qu’il avait à la veille de la guerre proposé de fondre la France et la Grande Bretagne en une seule et même nation ? De Gaulle, « so British » qui riait et buvait sobrement avait peut-être à tort boudé la demande de mariage. Il faut lire la passionnante biographie monumentale de Winston Churchill par François Kersaudy. Winston nous a sauvé du nazisme. Tiens en hommage je vais troquer ma Craven A du dimanche pour un double corona avec quelques effluves de Vodka millésime CCCP, c’est bien le moindre !

Au chapitre des grands hommes du passé. Que sont devenus ceux de Dien Bien Phu, la bataille imbécile d’une guerre inutile. Les généraux Giap et Bigeard ont écrit leur histoire de l’Histoire. Mais que s’est-il vraiment passé sur le terrain ? Cinq jeunes, français et vietnamiens, sont allés recueillir les souvenirs des survivants. « Dien Bien Phu vu d’en face » est un remarquable document. Les témoignages sont sans haine ni ressentiment, épurés de toutes passions, précis, factuels. Ce livre donne la parole à des sans grades qui retiennent depuis un demi siècle leur cri de vérité. « La guerre n’est pas une histoire enfantine. Il ne faut pas raconter n’importe quoi » Dit un ancien bô dôi à la journaliste Dào Thanh Huyên qui a initié cette prodigieuse enquête.

Au chapelet du malheur des enfants - ce sont des gosses de 15 à 25 ans qui font la guerre – il y a l’Algérie. Je me souviens de tes confidences l’ami. La rencontre de l’appelé auvergnat découvrant des semblables dans les Aurès. L’amour commun pour les choses essentielles.
Sur la place du marché de Mamers, un auteur sarthois m’a dédicacé son livre de souvenirs. Jacques Gohier dans « L’école des sables » raconte la communale de la superbe palmeraie d’El Oued où il fut instituteur de 1958 à 1962. C’est une carte postale de jeunesse, insouciante mais lucide. Les jolies choses cachent la misère. Les poulbots étaient en haillons, le trachome, la galle, la teigne, les plaies recouvertes de papier journal, les mouches, les sauterelles, le sable, le siroco, les corvées d’adultes, les insultes, la faim, la soif, le bâton sur les mains, les doigts, les pieds. Alors, parfois, ils se défoulaient en martyrisant les varans et les scorpions pour amuser les étrangers de passage. Je sais, j’y étais. S’il vous plait M’siou l’instituteur retournez à El Oued avec quelques journalistes algériens pour interviewer vos anciens élèves ! J’aimerais tellement lire « L’école des sables vue d’en face » aussi.

Tiens, pas plus tard que ce midi en recrachant un abominable vin suédois sans alcool, j’ai encore pensé à toi l’ami…

lundi 7 juin 2010

Marchands de bidons

Nous sommes le troisième marchand d’armes du monde. Avions, navires, chars, missiles, satellites made in France sont parmi les plus redoutables. Mais cette position dominante qui nous confère une influence stratégique sur nos clients est en train de décliner au bénéfice de l’Inde, de l’Afrique du Sud, d’Israël voire du Brésil et de la Belgique. Les pacifistes s’en réjouiront et les économistes s’en consoleront car après tout ce secteur est moins rentable que celui de nos exportations de vin et de spiritueux qui de surcroît font davantage de victimes que nos startrons.
Le strartron étant comme chacun l’a oublié une arme bidon vendue jadis par des escrocs à des Libyens naïfs qui acquirent des containers de tuyaux de plomberie pour quelques millions de dollars.

Dans le commerce des armes comme dans celui des fruits et légumes et du poisson, il y a des intermédiaires qui s’en mettent plein les poches. Comme personne ne connait le prix d’un tank, objet introuvable sur e-bay, il est facile de faire valser les étiquettes. Et puis c’est comme chez Dacia, les options font grimper l’addition.
Heureusement, les transactions d’armements sont étroitement surveillées par des officiers et des hauts fonctionnaires aussi conciliants que mon contrôleur des impôts. Certes ils obéissent aux ordres du pouvoir, mais ils entassent méthodiquement dans des armoires fortes des secrets qui se transformeront avec le temps en redoutables startrons que les stratèges imberbes des états major politiques exhumeront à mauvais escient pour « tuer » l’adversaire du parti d’en face. De ces combats d’initiés, les victimes sont toujours innocentes, collatérales et gauloises.

La remarquable enquête d’Arfi et Lhomme « Le contrat, Karachi… » est inquiétante.

D’évidence les auteurs n’ont pas appris grand chose, c’est pourquoi ils échafaudent des hypothèses. L’une d’entre elles conclut que l’attentat de Karachi avait pour objectif de contraindre l’Etat français à honorer ses promesses de FCE (frais commerciaux extérieurs) suite à la vente de sous-marins au Pakistan. Et les auteurs de renchérir avec une autre improbabilité, celle liée à la vente de frégates furtives à l’Arabie.

En attendant, à Cherbourg, les familles des victimes résistent à la raison d’Etat, elles réclament la vérité. Quelques parlementaires les accompagnent.
Peut-on croire que l’on a assassiné des innocents pour une exportation qui a mal tourné ? Il n’y a que la mafia qui tue pour ces motifs. Cette histoire est celle des pots de terre contre des pots de vin. La justice est sans illusion.

Corruption, chantage, copinage, forfaiture, au gré des interviews les auteurs vident les poubelles de la république. On découvre des politiciens roublards, des intermédiaires mythomanes, des barbouzes pousse-mégots, des généraux et des hauts fonctionnaires à contre-emploi ; tout un petit monde d’incompétents arrogants.

Le bakchich est un usage imposé par le client dit-on, il servirait aussi parfois à maquiller des rétros commissions. Mais alors, qui du vendeur ou de l’acheteur est le plus corrompu ? Le bouquin n’apporte pas de réponse mais ouvre en grand la porte de la suspicion. C’est malodorant.

Il manque au livre un épilogue :
Attendez-vous à savoir que le roi dont le pays absorbe les bonnes années le tiers des exportations françaises d’armement, viendra à Paris en juillet prochain pour inaugurer une exposition au Louvre. Le doyen des souverains surnommé par son peuple « Le Roi de l’Humanité » assistera peut-être au défilé du 14 juillet. A contre cœur sans doute car cet amateur d’histoire, joueur de pétanque n’est pas un va t’en guerre, il préfère la montgolfière au Rafale. Il y a des lunes, alors prince héritier, il avait dépêché auprès des industriels une princesse qui leur tint à peu près ce langage : « Mon pays a changé. Pourtant, vos méthodes restent les mêmes. Au lieu de proposer des pots de limonades exorbitants pour nous vendre vos engins, financez plutôt un hôpital pour enfants ; nous vous en serons reconnaissants » Manquant de perspicacité, les douze machos ont ricané.
Dans ce milieu, on ne croit pas facilement aux contes de fée !

samedi 5 juin 2010

« Les diplomates » de Franck Renaud

L’auteur n’a pas pu suivre les cours d’Hubert Beuve-Méry et de Pierre Viansson-Ponté car il n’était pas né. Il a appris le métier à l’école de Lille et à Sud Ouest. A présent il enseigne les sciences de l’information, autrement dit le journalisme.

En Asie où il séjourne depuis dix ans, il a mené une plaisante recherche anthropologique sur notre diplomatie. Son livre est une leçon de méthode et une œuvre citoyenne salutaire. A chaque page le lecteur tombe de l’armoire.

« Les Diplomates, derrière la façade des ambassades de France » éditions nouveau monde. 365 pages. Autant de scandales.

Il faut s’attendre à ce que le gouvernement soit durement interpellé au Palais Bourbon, qu’une commission d’enquête soit ordonnée. Il est probable que des têtes vont tomber, qu’un rapport sera commandé, qu’une grande réforme sera lancée…Ce livre va faire du bruit !

Enfin peut-être…

Pour radio trottoir, un diplomate c’est une personne qui achète sa voiture hors taxes et la gare n’importe où. C’est un veinard nourri de petits fours et de jeux de mots, qui ne paye pas d’impôts. Son chef est un gonfalonier pétri d’importance qui se déplace en limousine à fanion. Son Ministre est traditionnellement un docteur en médecine avec une langue d’arracheur de dents.
Ce n’est pas tout à fait exact.

Franck Renaud remet les pendules naïves à l’heure de la pire des réalités.
Son échographie du quai d’Orsay et des chancelleries révèle les turpitudes de nos Excellences : prévarication, détournements, vols, abus d’autorité, affairisme, trahisons...On y apprend des détails stupéfiants comme la défection d’un « totem » de nos services secrets, le business des visas, les réceptions du 14 juillet sponsorisées par Coca Cola et Ricard, l’immunité des pédophiles. Elle n’est pas souvent belle la France à l’étranger !

Certes, tout n’est pas noir. Il y a 160 ambassadeurs de France accrédités dans le Monde . Selon Dominique de Villepin, ancien diplomate de haute lignée, une cinquantaine d’entre eux (seulement) seraient de parfaits incapables !

Il faut rendre justice aux grands plénipotentiaires. Il y en a.

Franck Renaud en cite quelques uns. Pas assez à mon goût. J’ajouterai ceux qui portent bien leur nom : Courage, Lafrance, les truculents Georgy, Jeantelot, l’ancienne école d’orient Depis, Marc-Henry, les héroïques, Janier, Jacolin et puis aussi tant d’autres excellentes excellences à l’image de notre ambassadeur actuel à Téhéran. Il faudrait que Renaud reprenne l’annuaire diplomatique (interdit à la vente mais disponible sur le net) en y ajoutant des commentaires et des notes comme dans les guides de cantines.

Son enquête pointe les modes de recrutement et la compétition entre le concours de l’ENA et celui plus difficile des cadres d’orient. Mais la carrière n’évolue pas seulement au mérite. Ainsi « Le Gay d’Orsay » réunirait au sein d’un cercle d’influence la communauté homo-diplo.
Cette solidarité n’est pas choquante, en revanche la misogynie caractérisée dont fait preuve avec constance ce ministère est affligeante. L’ambassadrice Gazeau-Secret qui parvint à se hisser pour quelques mois à la prestigieuse direction générale des affaires culturelles et scientifiques, dénonce sans fioriture le machisme ambiant. Dans son discours d’adieu elle a cité un proverbe africain que ces messieurs diplomates méditent encore : « il est vain de vouloir piler le mil avec une banane molle ! »

Vite ! Achetez, lisez « Les diplomates »

jeudi 3 juin 2010

Allons à Alençon

On trouve à Alençon un Palais de justice pas beau, une Préfecture de châtelain, un Hôtel de ville prétentieux, des églises à clochers, un hôpital, des fast food et des hypermarchés en banlieue, comme dans tous les chefs lieux.

Le centre ville est agréable. Il y a des vrais commerçants qui boulangent, qui viandent et qui poissonnent. Partout l’accueil est aimable, même chez les gardiennes du musée qui concèdent bien volontiers au visiteur râleur que l’éclairage est indigne des œuvres exposées. « Écrivez » disent-elles…
Voici fait.

Le long de la rivière, des estaminets se donnent des airs de guinguettes, le soleil illumine quatre fois l’an les vitraux de la basilique. Les HLM voisinent les riches maisons de maîtres dans un miracle d’harmonie à laquelle la native Sainte Thérèse, patronne des édiles et des architectes, n’est sans doute pas étrangère.

Dans les rues piétonnes, les confiseries se disputent les faveurs des gourmands, à toute heure on y fait la queue. Entre mâtines et vêpres les bigotes s’aident de leurs rosaires pour compter les douceurs de truffes, de guimauves et de pâtes d’amandes qu’elles devront confesser. Aux terrasses, défiant les giboulées, des jeunes sirotent et fument.
Le légendaire hôtel du Grand Cerf qui hébergea Leclerc, mais aussi les frasques des notaires de Brel avec la grosse Adrienne de Montallant, tombe hélas en décrépitude. A coté de Notre Dame, on remarque deux insolites enseignes rivales « Istanbul Kébab » et « Athènes Kebab » où se pressent les friands de cette nouvelle spécialité ornaise. On se consolera en songeant à d’autres tristes néons, le « Royal Couscous » près du château de Versailles, le « Pot-au-feu » de la place Tiananmen, « Ma Normandie » à Casablanca, « Chez Maurice » à Aden…

Mais Alençon ne serait pas capitale sans « Le Passage ». Ce lieu vaut le détour. Vous y entrez par la rue Jeudi et ceci, tous les jours de la semaine sauf le dimanche et le lundi. Vous en sortez le même jour par la rue du Bercail. Le passage est aussi possible en sens inverse. On y trouve des livres, accessoires indispensables pour passer de courts instants de chaise longue au soleil normand ou de longs moments de chaise courte au coin du feu. Hélas, cet endroit reste peu fréquenté par les anciens de Moulinex qui ont depuis longtemps échangé leurs fins de droits contre une dignité discrète. Pour se consoler, ces oubliés lisent chaque mardi un honnête canard « l’Orne Républicain » ; unique colporteur des échos du landerneau et des doléances d’un tiers état superbement ignoré du Grand Paris.

Pourtant, la capitale de l’Orne est à seulement 20 minutes de Paris en hélicoptère. En train c’est beaucoup plus long, il y a un changement. En voiture il faut compter avec les radars et les bouchons de la RN 12 mais en trois heures c’est possible ! Voilà pourquoi à propos de cette charmante citée provinciale la question rituelle des Vélibiens de la rive gauche revient en ritournelle: « Alençon ! C’est-où-çaaa? »

Revenons au Passage. La boutique est un mélange de Hune et de Procure, en plus intime. Il y manque les canapés de la librairie du Bon Marché, mais on peut s’asseoir sur les marches ou s’isoler dans les recoins. On y trouve de tout mais plutôt du meilleur que du pire. Difficile d’y flâner sans acheter, d’autant que les nouveautés sont parfois mises en rayon quelques jours avant Paris !

J’emporte l’enquête de Franck Renaud sur « Les Diplomates » et celle d’Arfi et Lhomme sur « Le contrat » de Karachi, deux ouvrages ahurissants que j’ai dévorés à chaud et dont je rendrai compte à froid.

vendredi 21 mai 2010

La fin des vaches maigres

Alors que je trempe la biscotte beurrée dans le bol de chicoré, un frère bédouin fait vibrer mon iphone « chou l’affaire de Nantes y’a akhi ? »

Je rigole in petto en pensant lui répondre « il y a confusion entre l’Hedy de Nantes et celui du Perche » Mais trop long à expliquer. Je me contente de banalités sur la chauffarde emburquée et m’empresse de lui demander ce qu’on en pense dans son pays.
« Mais de cette histoire de pieds nickelés on s’en moque, chez nous les femmes n’ont pas le droit de conduire, ce qui nous intéresse c’est le concept d’apéro géant qui se répand ici aussi. Hier soir dans le centre ville, trois mille amis de facebook se sont rassemblés pour trinquer au Qibla Cola » Il me dit que les puritains ont pareillement organisé des rassemblements autour de la source sacrée de zem zem. Je le taquine en lui demandant si les femmes étaient admises. Il répond à coté en me signalant avec fierté que la nouvelle Miss USA est une musulmane d’origine libanaise dont la famille est acquise à la cause. Les sionistes jaloux de sa beauté l’ont baptisée Miss Hezbollah.

On papotte ensuite façon Gala-images-du-monde sur les têtes couronnées dont le doyen est invité à venir contempler la prochaine revue du 14 juillet au coté de « cheval fougueux ».
Ceci est bon pour les affaires ! On cause bizness. Je le mets dans la confidence de mes projets.

La chute des cours du lait ayant collatéralement entrainé le divorce de mon voisin Joseph d’avec Thérèse, le troupeau et les étables devaient être liquidés à la bougie pour payer les créanciers et le pensionnat des jumelles Marie et Aïcha. J’ai suggéré au liquidateur la reconversion de la ferme en établissement de soins de lactothérapie : parcours beurre-santé, massage à la crème fraiche, piscine de lait demi-écrémé, jacuzzi de crème fouettée, bain de bouse, épilation camembert…

L’ensemble sera Bio, hallal et cacher. Au total un investissement de mega millions comprenant huit cents gîtes-étables et autant de mangeoires. Pour séduire l’Ecureuil et les fonds souverains arabes il fallait voir grand. Perspectives de rentabilité annuelle à deux chiffres (souscription en ligne possible).
Les politiques par l’emploi alléchés accourent. Déjà quatre ministres sont venus nous complimenter promettant des subventions, la bleue, la rouge et le Panthéon Percheron.
Pour calmer les impatiences on a créé avec Joseph une société d’étude et de promotion enregistrée à Antigua dont l’objet principal est de nous nourrir grassement. En attendant que le rêve devienne réalité j’ai acheté un cabriolet allemand, Joseph a préféré un 4 x CAR breton avec des roues de tracteur.

Au téléphone Abdelkarim est enthousiaste. Je lui vends une franchise à charge pour lui d’affiner le projet « vache » en « chamelle ». En contrepartie je négocie la représentation pour l’Europe de « TV hijab ». Il s’agit de la diffusion gratuite d’un bouquet de 186 chaines « hallal ». Pour rentabiliser l’affaire les paraboles de couleur verte devront être fixées sur les balcons et servir de supports publicitaires.
Comme avant dans le métro « Du…. » « Dubon… » « Dubonnet ! »

jeudi 20 mai 2010

Un mois sans intérêt

Le mois d’avril fut comme chaque année très éprouvant.
J’ai lu dans le journal de ma naissance qu’il sévit pour la circonstance sans doute, une canicule qualifiée de record du siècle. Les autres événements tragiques de ce jour-là n’ont guère d’importance car tous, hormis ma mère et les béliers de l’année, les ont oubliés.

Notre quatrième mois de l’an dix est à marquer d’une pierre blanche.

Il y eut un nuage. Une bouffée de cendres voyageuses qui abolit pour un temps l’ère de l’aviation. La SNCF marqua le pas et devant la menace fit valoir son droit de retrait. Sédentarisé par contrainte au fond de mon transat, j’en fus réduit à contempler les pâles pâquerettes de la pelouse et recenser les éclosions de fleurs de pissenlits. Je broyais du noir sous un soleil gris ; parfois j’observais le triste présage du vol en rase-motte des hannetons … La gourmandise finalement eut raison de ma paresse : les pistils qui se cachent au cœur des pétales de glycine sont délicieusement sucrés … Mais pas cette année ! La fleur avait un goût de cendres, une saveur de brûlé : la poussière du volcan islandais s’était redéposée dans le Perche.

Fichu mois qui fut aussi celui du fichu de Nantes.

Conduire la face voilée est prohibé. C’est comme rouler à Solex sans casque. Pour sanctionner la contrevenante le délicat ministre de l’intérieur lui apprend qu’elle est doublement cocue. Son mari de boucher barbu se rebiffe et tient conférence. Il passe en boucle à la télé. C’est un ogre. Il fait peur aux petits enfants. Toute la France frissonne de trouille avant d’en rire. C’était caméra cachée ! Le script était parfait, les décors et les costumes éblouissants, les acteurs (de la ligue d’improvisation ?) époustouflants. Attendons la sortie du dvd.

En bon citoyen j’ai acheté douze euros le best-seller de la législature : un pavé de plus de six cents pages « rapport d’information parlementaire sur le voile intégral ». C’est un bon rapport qualité/prix. La lecture est édifiante, surtout celle des auditions de « personnalités qualifiées ». Il y a des âneries grossières amusantes mais aussi des flots de pertinences. Celles d’Elisabeth Badinter qui invoque le principe de fraternité « porter le voile c’est refuser absolument d’entrer en contact avec autrui » celles de Tariq Ramadan qui conclut « vos citoyens français de confession musulmane sont français ; il faut que vous l’entendiez. »
Je pose le livre ouvert et m’introspecte.
Ma position n’a pas changé je suis contre tout contre.

La radio m’informe de la chute de la bourse, de l’Euro et de l’Europe. Tous nos malheurs viendraient de la Grèce qui a vécu au dessus de ses moyens. La mauvaise graisse s’est accumulée, personne n’avait diagnostiqué le mal. Le mourant avait dissimulé son état. Socrate nous avait pourtant prévenu « tous les Grecs sont menteurs ! » Oui mais comme Socrate est Grec il se peut qu’il ait menti ?
Je reste philosophe mais songe à constituer un fonds de pension pour assurer la retraite de la belle Héllène.

lundi 5 avril 2010

Saddam au salon du livre

Il y a quelques jours le lieu accueillait la plus grande ferme de France, aujourd’hui c’est une gigantesque librairie. Preuve que la culture reste la grande affaire du pays. Tout comme celui de l’agriculture, le salon du livre est le rendez-vous salutaire à la survie du parisien. Dans l’un comme dans l’autre il puise le rêve de son évasion.

En me promenant le long des allées bordées de feuilles, pas moins de mille sept cent douze titres ont attiré mon regard. Comme dans la librairie de Calvino, chaque ouvrage semblait m’interpeller « prends-moi, lis-moi, emporte-moi ! » pareils à des catins sur le bord d’un trottoir.

Cherchons plutôt les auteurs.

Un docteur breton à la retraite publie un roman par an. « L’écriture est ma béquille » me dit-il en lisant un passage, histoire de me montrer qu’il n’est pas manchot. Plus loin, sur la banquise des livres, je tombe sur l’auteur du « Pingouin » un chef d’œuvre qui mérite de passer à la postérité en reliure de cuir doré à la feuille. Je le dis à Andreï Kourkov, jovial comme son héros. Il parle le français mais avec l’accent ukrainien forcément. En rigolant il me griffonne une dédicace en russe ! Je m’en vais rejoindre mon géant d’ami, le patron des prestigieuses « Les heures claires ». Il me laisse feuilleter ses livres précieux dont un magnifique coran et des tafsirs savantes et rares. Mais mon copain n’est pas hallal, alors des barbus ignares sont venus le provoquer. J’ai un peu honte d’appartenir à la même espèce. Je décide sur le champ de me raser la face.

En picorant un loukoum piqué au stand de la Turquie je fais halte chez l’éditeur « Inculte » le bien mal nommé. Cette maison enrobe ses publications savantes d’une couverture du meilleur goût. Celle de « Saddam Hussein, interrogatoires par le FBI » est une iconographie parfaite.
Dans un bistrot sans charme de la Porte de Versailles je lis l’honnête préface de l’irakologue Jean-Pierre Luizard suivi de la traduction des auditions du Président déchu en février et mars 2004. Saddam ayant refusé l’interrogatoire a accepté de dialoguer avec les policiers. Il déjoue les manœuvres grossières qui tentent de lui faire endosser des atrocités ou l’inciter à incriminer ses anciens collaborateurs. C’est un pathétique échange entre un Raïs et des flics de Miami. « Nous discutons d’Histoire ici, pas d’hypothèses irréalistes. De quoi aurions nous eu l’air si nous avions utilisé des armes chimiques ? D’imbéciles. » Sur Ben Laden « nous n’avons ni les mêmes croyances ni la même vision du Monde…je crois en Dieu mais je ne suis pas un zélote »
Malgré l’altération de la double traduction le livre est passionnant. On attend avec gourmandise le moment où le FBI mettra en ligne l’enregistrement vidéo de l’interrogatoire. Car sincère ou non, le témoignage en forme de testament de Saddam est une page monumentale de l’histoire des arabes.

mardi 23 mars 2010

A voté !

C’est dimanche, jour d’élection. L’école est ouverte. Le réfectoire a été débarrassé on y a installé deux tables derrière lesquelles siègent trois vieilles dames l’air grave. Mes enfants sont intrigués. Une voix pointue les avise que par décision préfectorale ils n’ont pas le droit d’entrer dans l’isoloir. Voici la machine avec ses trois boutons. Je fais mon choix. Je valide. Une voix derrière le rideau confirme et m’invite à récupérer mes lardons qui troublent la solennité du lieu. « Dis-moi, dis-moi, pour qui tu as voté papa ? » Je ne vais pas leur expliquer la différence entre Péchon et Hucresse. « J’ai voté pour la plus grosse tête, devinez qui c’est ! ». Et les voila en train de mesurer la bobine des candidats sur les affiches.

Au vingt heures de la télé les mômes me demandent si j’ai gagné. Je dis que le match est nul. Il faut dire que le spectacle est à l’avenant, les caciques moulinent la langue de bois, même Dany ex-le-rouge pédale dans les banalités. Heureusement qu’il y a les filles : l’élégante poitevine, la secrétaire batailleuse, la douce africaine, la marraine railleuse et la nouvelle amoureuse. Bon sang mais c’est bien sûr ! Le résultat crève l’écran, il laisse les hommes sans autres perspectives que celles du télé-foot et de la bière. La Femme est l’avenir de l’Homme. La France vient de faire sienne la prophétie d’Aragon chantée par Jean Ferrat. C’est le message subliminal des élections régionales. L’histoire bégaye, le désarroi est grand. Le pays appelle Jeanne d’Arc et Louise Michel au secours de son histoire, il pleurniche doucement dans l’iphone : « allo maman bobo !» Tous les politologues ont compris mais aucun n’ose prophétiser l’évidence que le prochain Président sera assurément une femme.

L’avenir, c’est Martine, Ségolène, Rama, Marine, Cécile !

Répondant à la convocation de l’immortelle Simone, elles se sont réunies clandestinement dès lundi matin au SPA d’un grand hôtel de la capitale. L’histoire retiendra de cette rencontre dite « des bains-douches » le scellement d’un pacte pour exclure de la vie publique tous les hoplites incapables de vaincre la guerre du chômage. C’est une révolution qui se prépare, la Gaule va rompre avec des millénaires d’arrogance. Le coq sera châtré. Réduits au rôle d’appendices accessoires les mecs abandonneront jusqu'à leur droit de vote et laisseront aux maîtresses le soin de conduire l’avenir de leur progéniture. Dégagés de leurs responsabilités, ils pourront aller se parfumer, s’épiler, se muscler, se faire beau, exhiber leur corps sur les plages ou sur les pubs des magazines : « parce que je le vaux bien ! »

« Ecoutez les filles ! » lance Simone en rajustant son peignoir de bain, « nous ne laisserons ni les nerveux, ni les prétentieux, ni les rondouillards et autres incapables poursuivre leur chantier de démolition. Au train où vont les choses ils vendront bientôt le Louvre et Versailles aux Chinois pour payer les traites. Je vous le dis solennellement, le pouvoir est à notre portée, faites que ce jour soit le premier du printemps des femmes de France! »

« Holà ! » interpelle Martine « j’ai un TGV pour Lille dans une heure ». Ségolène la snobe en soupirant que son Falcon l’attend au Bourget. Puis toutes les deux conciliabulent brièvement et déposent une motion que Simone rejette d’un regard noir. « Chacune d’entre vous représente plus de quinze pour cent des votants, le fascisme est du genre masculin exclusivement, alors… ». Puis, pour détendre l’atmosphère l’académicienne suggère le parcours de santé en conseillant d’éviter de parler politique. « Faisons d’abord mieux connaissance » dit-elle.

Deux heures plus tard, les confidences sur les peelings, les culottes de cheval, les vergetures, les implants silicone, les teintures... rapprochent les copines. Pendant la séance de massage les voici qui pouffent en se racontant leurs expériences graveleuses avec des célébrités.
L’atmosphère est tout à fait détendue dans le jacuzzi lorsque Simone annonce l’ordre du jour et invite chaque dame à prendre la parole à tour de rôle. Deux heures après, les participantes emmitouflées dans des serviettes tièdes s’affalent dans des chaises longues au bord de la piscine. C’est le moment de la synthèse.

Il est décidé que tout homme quels que soient ses penchants et ses opinions sera écarté des affaires publiques. Martine et Ségolène alterneront à l’Elysée et Matignon selon un tour de rôle à la russe. Rama se verra attribuer un grand ministère de la Diplomatie, de la Repentance et du Commerce Extérieur, Marine prendra la Mer, Cécile se chargera de tout le reste. «
Et qui s’occupera des gosses ?
» s’exclame Simone !

Les enfants ??
Je me réveille, éteins la télé et me rendors.

mardi 16 mars 2010

L’entremets entre les mots

Sur la plage déserte de Gammarth je confesse avoir planté une chaise longue.

Puis, pour ne pas réveiller la mer, j’ai calé mes soupirs au rythme de son clapot. Un éclat de soleil s’attarde sur ma tempe, le sable joue avec mes petits doigts…le pied ! Les yeux clos je repense à ma fuite devant l’interminable hiver gris et glacé. Le bonheur c’est simple comme un avion. En deux heures on change de saison.

Coïncidence du calendrier en cette belle journée d’hiver on célèbre l’anniversaire de la naissance du Prophète Mohamed. Par la même occasion on fête aussi quatorze siècles de chamailleries chariatiques entre tenants et opposants à la commémoration de l’événement. Cette polémique stérile alimentée par les dernières fatwas télé-satellitaires est superbement ignorée du peuple carthaginois capable de transiger sur tout sauf sur sa légendaire gourmandise. Car le jour du Prophète est celui de la traditionnelle Assida au zgougou. Il s’agit d’une crème à base de graines de pignons de pin laborieusement élaborée selon des recettes transmises de mère en fille depuis la nuit des omeyyades. Pendant huit jours, les familles s’échangent des saladiers entiers de cette incomparable douceur dont il existe des variantes à la noisette ou aux pistaches. On goûte, on compare, on s’extasie, on se pâme, on en reprend, on s’empâte avec ferveur. Cette semaine est celle de la douceur et de l’embonpoint, elle est sacrée ; même les grévistes de la faim marquent une pause.

Voila pourquoi, à l’écart des tentations de l’entremets je digère en soupirant.

Le lendemain m’attire vers la médina. C’est la plus belle du monde. Elle exhale tout le raffinement de neuf siècles de savoir vivre arabo-andalou. Par bonheur les nouveaux riches et les bourgeois l’on délaissée, ils sont partis habiter d’hideuses villas ou des cases superposées dans des quartiers sans âmes aux rues tracées pour leur 4X4. Par bonheur encore, les touristes ne s’aventurent pas au-delà du souk de la rue de l’Eglise, face à la porte de France. Par bonheur enfin depuis quarante ans, un petit groupe d’urbanistes et d’architectes passionnés œuvrent à sa conservation. Je musarde dans les ruelles, rêvassant, à la quête de souvenirs d’enfant. Je crois reconnaitre le muret contre lequel on jouait avec des noyaux d’abricots. Mon manège intrigue les habitants qui d’abord me prennent pour un étranger égaré. Une brave dame me soumet à un interrogatoire serré. Me voilà reconnu comme le fils, petit fils, arrière petit fils, arrière-arrière petit fils du quartier. On m’invite en invoquant le tout puissant. Impossible de se dérober. Chaque maison m’accueille avec un bol d’Assida.

Je finis par m’évader le ventre lourd et le cœur léger.

Derrière la grande mosquée, dans une petite librairie déserte je m’assois sur un tabouret en dégustant le thé du visiteur. Je prends un Mohamed Talbi. Ce grand savant n’est pas édité en France. Il expose que seuls le Coran et la sunna obligent. La charia est « incohérente, obsolète », elle exalte la rudimentarité et la laideur, elle abhorre les femmes ». L’islam n’est pas voile, il est culte proclame encore le vieil érudit dans un épais volume d’islamologie. Sur un présentoir, un petit bouquin orange attire ma main. J’ouvre au hasard « Il est des gens nés dans la tendresse. Faits pour les caresses. Des vies dont les pires nuits sont éclairées. D’autres naissent dans la tristesse. Dans la détresse. Nul ne se dérobera à son destin… » J’emporte le livre de Hassib Knani « Mes Voisins » qu’avidement je lis assis sur la margelle de la fontaine de la place de la Kasba. C’est truculent et subtile. L’écriture est majestueuse. Mon temps s’arrête comme chaque fois que je tombe amoureux d’amour d’un livre. A la dernière page, je rêve : « allo Gallimard, Grasset, Seuil, vite appelez les éditions Sahar à Carthage ! » mais les jeux d’un groupe d’enfants me réveillent.

La tête dans les étoiles, je retourne à ma chaise longue d’où j’écris ce billet.

samedi 20 février 2010

Faim de fin

A Versailles rue de la Paroisse il y a en face de l’église un pâtisser qui fait des délices. Un peu plus loin un boulanger vend du pain qu’on dirait du gâteau. J’ai commencé l’après midi à arpenter le trottoir allant de l’un à l’autre car j’avais décidé de me suicider par ingestion de douceurs.

Après quatorze millefeuilles, je tombai à genoux devant une librairie. Des âmes charitables se précipitèrent. Un Monsieur-comme-il-faut me releva, une dame me glissa un petit billet dans la main et une fillette en socquettes m’offrit un pain au chocolat. Les braves gens attribuant sans doute ma faiblesse au carême avaient cru m’entendre gémir « c’est la faim ! »

Déjà un attroupement se formait, alors j’entrai me réfugier chez le marchand de bouquins. Au fond du magasin je me surpris à mordre dans une friandise de François Cheng sur l’art du trait. La dernière fournée de l’Académicien calligraphe « Et le souffle devient signe » est une délectable confidence qui tempère le cœur et le ramène dans son rythme apaisé. Alors, je m’enhardis vers les étalages.
Je retrouvai le sourire devant la dernière péroraison d’une ministre bradée au tiers de son prix et la prose de l’ex-Président soldée aussi. Je jurai in-petto que si la vie ne m’était pas parcimonieuse, je reviendrais les voler.

J’allais ensuite parcourir une étude savante chapitrée en sociologie de la burka, ethno-océanographie du burkini, gastronomie du burger halal. Je me sentis barbouillé à nouveau. Mais alors que je chavirais, d’un nuage de Lutens une beauté me ranima. Sa main secourable me guida vers le rayon des affamés où Monique Zetlaoui régalait les « Exquis promeneurs ». Je m’y arrêtai longuement pour tremper ma curiosité dans une savoureuse mloukhiya dont la savante historienne retrace l’épopée depuis l’antiquité. Ce plat unique au monde est le marqueur de l’identité Egyptienne et Tunisoise. Le reste du monde est bien à plaindre qui ignore cette volupté ! Au dessert je picorai l’étonnante saga des olives et me régalai d’une figue sèche de onze mille ans.

Enfin revigoré, je quittai le libraire en emportant aussi mon encre de Chine et par précaution je garnis mes poches de Murakami et de Kourkov. On n’est jamais à l’abri d’une petite fin !

lundi 15 février 2010

Elias et Cléopâtre

Les oubliés de la Saint Valentin sont en cet après-midi dominical fiévreusement rassemblés à Pleyel pour assister à un opéra-concert à la gloire de César et Cléopâtre. Ils viennent pour s’emplir d’une émotion délicieusement douloureuse, promesse d’une distribution éblouissante. Je suis là ! Si !

D’entrée la cantatrice Nathalie Stutzmann suspend le temps, la salle soupire en communion. On se dit que cet instant rare ne se reproduira plus jamais.
A l’autre bout de la scène, la Bartoli applaudit du bout des doigts le regard noir. Assis à trois mètres, je la sens crispée et inquiète. Cléopâtre jalouse de Cornelia ?

Rachid Ben Abdeslam est Le contre-ténor arabe. Il n’y a pas deux chanteurs lyriques chez les maures. Il est là. Il est facétieux, il chante Haendel à la joie et au clin d’œil il arrache quelques rires d’admiration et un tonnerre d’applaudissements. Ya Si Rachid, tu mérites le râle d’extase que le public lâchait à la fin de chaque montée lyrique d’Oum Khalthoum…

Cécilia sourit et acclame aussi le Marocain. Dans son regard l’espièglerie brille à nouveau. Pas pour longtemps.
Anna Bonitatibus ramène Pleyel à l’essentiel. L’ascension vers des délices fulgurants. On ne s’y attendait pas. Ovation. Je regarde Bartoli qui se tasse, se concentre puis s’évade les yeux clos.
Le grand William Christie semble presser le mouvement de son orchestre. Le subtil contre ténor Andreas Scholl dodeline poliment, César a compris que la Saint Valentin était jour de femmes exclusivement.

Enfin, la diva se lève d’un bon. En trois notes tout est dit la salle est au diapason. Le timbre surpasse tous les autres. L’oreille est bouleversée par cette plainte jamais entendue. Lentement, longuement, désespérément et comme pour la première fois Cécilia Bartoli révèle l’amour à son public.

Au troisième rang, enfoncé dans son siège trop grand, un garçon sage de huit ans n’en a pas perdu une miette

mercredi 10 février 2010

Manger des mots

Je me suis délicieusement trainé ces jours ci au rythme des pas du pachyderme de Saramago. La dernière livraison du Prix Nobel est comme l’ensemble de son œuvre: sereine, mesurée mais toujours pétillante. José Saramago excelle dans la digression, le futile lui est essentiel sauf la ponctuation, mais qu’importe le « Voyage de l’Eléphant » de Lisbonne à Vienne est un enchantement.

Sans doute inconsciemment attiré par les animaux de foire, j’ai acheté aussi
« Les yeux jaunes du Crocodile » en livre de poche. Katherine Pancol ancienne prof de lettres est passée par une « creative writing school ». Good idea ! Son bouquin est structuré, rond, léger, drôle et sans intérêt sauf pour les anthropologues du bling bling.

Il faut le lire à petites touches, en alternance avec « terroriste n° 20 » du saoudien Abdallah Thabi qui raconte magistralement comment il a faillit mal tourner. Ce livre est rare pour qui veut comprendre pourquoil’absurde métastase le Monde. Le choc des cultures est assuré. Ici Courbevoie bon chic bon genre, là l’Arabie wahhabite rigoriste. C’est Marine et Zarkaoui à la table de chevet. Deux décadences pour la nuit.

Pour rêver érotiques il y a la sexologue syrienne Al Neimi . Elle apporte « La preuve par le miel » que le sexe est une obsession arabo-musulmane. Yasmina Khadra recommande ce petit livre de poche « d’une stupéfiante érudition », je ne le ferai pas.

Pour le punir de me l’avoir fait acheter j’ai acquis le sien, « L’Olympe des Infortunes ». C’est un beau Kadra un peu bâclé, plus que d’habitude. La plume est magnifique, mais elle courre trop vite, elle précède le récit. Si Mohammed tu brouillonnes mais j’aime bien. Surtout ne va pas suivre une « writing school » ou alors celle de Tlemcen, de Tozeur à la rigueur. L’écriture c’est comme la cuisine l’important c’est la sauce, le fumet, pas le dressage de l’assiette.

A propos de tortore, il y a 25 ans paraissait l’un des meilleurs bouquins sur le sujet « La bonne cuisine et les autres » de Pierre-Marie Doutrelant. C’est un extraordinaire tour de France de la gastronomie, un monument de truculence dans un style enlevé. Exemples : « il payait Georgette de la main à la main et d’une tape sur les fesses » c’est truffé de calembours comme à Bordeaux « chassez le naturel il revient au goulot » c’est lardé de lamentations « les 2/3 de la choucroute vendue en France c’est du Canichou ». L’auteur interview irrespectueusement les Bocuse, Chapel, Daguin, Robuchon, il fouille leurs arrières cuisines, mais il va aussi à la rencontre des champions anonymes de toutes les merveilles liquides et solides de l’hexagone. Prémonitoire, il annonce la perte de l’identité nationale conséquence de la malbouffe et du fast food.

Dans ce domaine, j’espérais que l’Orient intégriste défendrait à coups de fatwas son patrimoine culinaire inestimable ! Ouailou ! Les Camel Burger se multiplient comme des petits pains. Il s’agit d’un steak haché de viande de chameau servi avec un milk shake de lait de chamelle. Beurk !

Je préfère grignoter mes petits Lu.

mardi 9 février 2010

Les vantards

L’ambassadeur du Pakistan au Canada est devenu l’une des personnalités emblématiques de la presse arabe. La moindre des déclarations du diplomate est scrupuleusement rapportée à la une. Son excellence est le marronnier des jours sans info. Il faut dire que son nom à lui seul est tout un programme, son évocation fait rêver tout autant les fellahs du Nil que les princes du Golfe. Nul ne sait si son patronyme est mérité, c’est pourquoi tous les arabes les mâles comme les voilées cherchent à percer le secret le mieux gardé de la diplomatie pakistanaise. Heureusement dans sa chancellerie à Ottawa, Monsieur l’Ambassadeur est à l’abri de l’avide curiosité mauresque. Nul ne s’esclaffe, nul ne s’incline sur son passage. Tout au plus, quelques Canadiens au fait de la rumeur murmurent-ils à son sujet « caribou, c’est LUI ! »

Aux dernières nouvelles Monsieur Akber qui en arabe veut dire « le plus GRAND » serait accrédité au Caire après qu’Alger ait refusé de le recevoir. Mais le Président Egyptien hésiterait encore à donner son agrément à cette nomination car il ne voudrait pas donner l’impression de céder à la pression de la foule. Il est un peu jaloux de la popularité du Pakistanais qui pourrait bien éclipser la sienne et il redoute que l’arrivée du diplomate ne déclenche des scènes d’hystérie collective chez les Egyptiennes toujours enclines à fantasmer sous le hijab. Les relations entre l’Egypte et le Pakistan pourraient s’en trouver affectées. Le pouvoir d’Islamabad est chatouilleux sur les principes et le moindre affront fait à son plénipotentiaire pourrait entrainer une fâcherie thermonucléaire.
Dans les autres pays « la rue arabe » proteste avec véhémence mais en silence comme à son habitude. Elle réclame la venue de l’icône pakistanaise. Finalement, au terme d’un intense ballet diplomatique un compromis serait envisagé, Monsieur Akber « le plus GRAND » serait nommé ambassadeur itinérant auprès des pays arabes. Satisfaites, les foules rigolardes s’apprêtent à accueillir dans la liesse le célèbre Monsieur Akber ZEB !

Epilogue grivois : plus près de chez nous, un institut allemand a récemment conduit une étude sur un échantillon de plus de dix mille européens males auxquels il a été demandé de s’auto-mesurer l’entre-jambe. Cocorico, le français arrive très largement en tête devant le suédois Mais il parait que dans le panel d’étalons gaulois il y avait quelques représentants de l’immigration choisie du Pakistan. Les Grecs sont en queue. Ils se consolent en citant leur proverbe « marchandise vantée, marchandise avariée ! »

dimanche 31 janvier 2010

Le mariage sous cape

En Normandie chacun sait qu’un serment bien arrosé est promesse de félicité alors qu’une cérémonie sans crachin est présage de misères.

C’est pourquoi on dit : « mariage pluvieux mariage heureux »

L’adage existe aussi en Arabie. Mais pour des raisons météorologiques, on dit « à mariage plus vieux mariage heureux »
Dans la très sèche cité de Bahrah, un fringant vieillard de 95 ans vient d’épouser en troisième noce une jeunesse de 30 printemps. Sa première épouse, ses dix enfants et ses 35 petits enfants étaient à la noce. Hamdan fait ses six kilomètres à pied chaque jour pour aller prier à la mosquée. Il ne boit que le lait de ses chamelles. Alhamdou lillah !

Chez les créatures voilées, les espoirs de bonheur augmentent aussi avec l’âge. C’est pourquoi il est fréquent que les très jeunes filles se rebiffent. Elles veulent absolument coiffer Sainte-Catherine. Dernièrement, la jeune Buraïdah a provoqué un scandale en hurlant à son mariage : « au secours, au secours, je n’en veux pas ! » Il faut préciser que l’épousée a douze ans et que son nouveau mari sera octogénaire aux prunes. « Nan nan » criait-elle « je ne veux pas devenir la belle grand-mère d’une quarantaine de petits enfants tous plus âgés que moi ». Un journaliste qui passait par là rapporta les faits sans doute pour amuser ses lecteurs. Il déclencha un formidable débat national.

Depuis, l’Arabie est divisée. Il y a d’un coté les internationalistes qui rappellent que le Royaume a signé moultes conventions onusiennes entérinant l’âge de la majorité à 18 ans. De l’autre il y a la fatwa du mufti du royaume Abdulaziz Al-Cheikh qui fixe à 10 ans le permis de convolage. Le prophète n’a-t-il pas montré la voie en épousant il y a quatorze siècles Aïcha, neuf ans ?
Les pouvoirs publics se devaient d’intervenir, c’est ainsi que le Ministère de la Justice à décidé de nommer une commission chargée « de suivre le dossier et de prendre les mesures qui s’imposent » la cour de cassation a été saisie (Ah !)
En attendant, le tribunal d’El Jouf, dans une affaire semblable a déclaré parfaitement légal le mariage de deux sœurs de 13 et 14 ans. (Oh !)

Une autre polémique concerne le mariage « messyar ». C’est un mariage plaisir dont voici le mode d’emploi. Il suffit de dire : « je t’épouse pour le plaisir sans aucun héritage et pour une durée déterminée… » Si elle dit oui en présence de deux témoins pris au hasard l’union est halal, on peut se coucher tranquille. Pour le Cheikh Al-Aoudeh ce type de mariage CDD est parfaitement chariatique mais à l’autre bout du royaume son collègue Al-0baikan vilipende cette tartuferie d’origine chiite. Difficile d’y retrouver son latin. En attendant les petits malins et les grandes coquines profitent du vide chariatique.

Au Majlis el Choura le parlement royal, des voix s’élèvent qui souhaitent légiférer une bonne fois pour toutes sur ces questions. L’opposition s’y oppose. Trop de loi tue la loi, c’est bien connu et de citer l’exemple de la France, terre de liberté et de tolérance à peine voilée.

Car en Arabie pays du hijab obligatoire, la nudité aussi fait débat. Dernièrement le bon roi Abdallah a osé se faire photographier aux côtés d’une saoudienne au visage complètement dévoilé ! Oui vous avez bien lu, le visage de la femme était absolument nu. On lui voyait les yeux, le nez, le menton…tout quoi. Le cliché est paru à la une des journaux. On dit que le roi a même serré la main de la professeure puis il a épinglé sur son abaya noire la plus haute distinction du royaume. Au train où vont les choses et si Allah lui prête vie, le monarque permettra peut-être aux femmes de conduire leur voiture, aux vitres fumées bien sûr !

lundi 18 janvier 2010

Burka de cire

Dans un pays imaginaire, il est interdit aux femmes de se dévoiler la face en public. La police religieuse veille scrupuleusement à l’observation de cette loi.

Cependant, pour des raisons que vous ne devinerez pas, il y a des petits malins mâles qui se déguisent en femme. Ces travelos sont impitoyablement traqués. Mais la tâche est ardue, comment en effet derrière le voile débusquer le faux mistigri ? Dans les rues, les pandores scrutent la démarche des bâches qui passent. Ils espionnent les conversations et guettent la moindre virilité cachée.

La procédure prévoit « en cas d’indices probants et concordants » de conduire les Belphégor à la ville sainte où, comme chacun sait, il est strictement interdit de se masquer le visage ; ce qui est bien pratique pour découvrir les pots aux roses. Certains se demanderont pourquoi l’interdit des lieux sacrés ne s’applique pas aux autres sables de la Péninsule et partant, aux terres de la fille aînée de l’église ?
Aux droits-de-l’hommistes qui voudraient connaitre le sort réservé aux travestis, ils apprendront avec soulagement que le doute profitant toujours au suspect, celui-ci est entrainé vers l’hôpital pour y subir une ablation volontaire immédiate, ce qui vaut mieux que la décapitation…Souvent, le facétieux repentit se reconvertit en chapon chez KFC.

Hélas toute opération de maintien de l’ordre entraine des bavures, c’est pourquoi les autorités cherchent désespérément un moyen de contrôle moderne et efficace.

Il existe bien les fameux chiens loups renifleurs de supercheries. Mais pour éviter la répulsion que suscitent ces animaux léchouilleurs et impurs, il est indispensable de les déguiser en agneaux. Or pour des raisons d’atavisme ou de canicule les lainages sont très mal supportés par ces auxiliaires canins.
Il y a aussi le robot palpeur chinois qui a connu un engouement spectaculaire mais il a du être abandonné car les autorités soupçonnaient à tort ou à raison certaines coquines d’y prendre goût.
Reste le célèbre scanner pelvien du concours Lépine dont la production peine à satisfaire la demande.
Il faut dire que le marché du détecteur d’homme est en pleine expansion. On estime en effet que derrière la meurtrière de la burka une femme sur trois est un homme. Alors qu’à l’inverse –mais il n’existe pas de statistiques fiables- la proportion de femmes portant moustache et béret serait infime.

Je tiens toutes ces informations de mon ami Abdu, heureux bénéficiaire d’un permis Schengen qui lui donne droit à quelques jours d’intempéries parisiennes. Lorsque je lui ai dit qu’aucune loi en France ne s’opposait à la circulation des mâles en burka, il ne m’a pas cru. « Ya habibi ! Ici c’est le pays de l’égalité entre les hommes /femmes on s’habille comme on veut
En guise de démonstration, je l’ai entrainé au Bois de Boulogne où en échange d’un billet bleu, une brésilienne mamelue lui a démontré qu’il fallait se méfier des apparences. Mon pote en était tourneboulé. Il a gambergé toute la nuit. Au matin, il m’a avoué ses phantasmes.

Pour lui changer les idées, je l’ai emmené sur la Butte Montmartre. On est redescendu par les escaliers vers le Marché Saint Pierre, on a longé les magasins de tissu : je regardais les femmes, il s’attardait sur les voilages.
J’ai fini par le conduire chez Gabi un Tun de La Goulette roi de la cotonnade. Je le trouvais devant son magasin. « Où étais-tu ? Parole j’ai cru que t’étais mort ! Rentre, assis-toi, asseyez-vous ! T’as bonne mine! T’as toujours ta BM ? Tu te souviens Enghien ? La purée ! Combien ? Combien on avait griffé ?» L’accueil de Gabi est chaleureux comme le soleil de là-bas. « Et ton ami tu me le présentes pas ? Un café, un café ??? » Sans attendre, un gamin part en courant au bistro du coin.
Après avoir siroté, j’entre dans le vif du sujet. « Je voudrai environ 8m de tissu noir pour faire des rideaux » Illico les vendeuses réquisitionnées déroulent les coupons. On soupèse, on compare, on teste la transparence, on choisi. Gabi revient avec un calepin pour prendre les mesures. « Je te les fais gratis tes rideaux, y’en a pour cinq minutes » De fil en aiguille je suis bien obligé d’avouer que nous voulons faire des burka. Gabi ouvre des grands yeux en agitant les mains comme des marionnettes « Et alors ? Où est le problème ? Ici le client est roi ! ..... Tu vas sortir comme ça ? Il est fou ! Ma parole il est fou ! Si ta pauvre mère te voyait ! …» Une heure après on était déguisé de pied en cape.

En se donnant la main avec Abdu, on est descendu le cœur battant par la rue Lepic. Amputés des trois quarts de notre champ de vision, on avait l’oppressante impression d’être vulnérables. On marchait comme à tâtons. La nuit était en nous. Derrière la fissure du tissu notre regard devait suinter la peur. Mais les gens faisaient semblant de ne pas nous voir ou alors ils hâtaient le pas pour nous dépasser et nous jeter un bref regard noir. Arrivés faubourg Montmartre, nous avions pris un peu d’assurance. Mais il a commencé à pleuvoir alors on s’est réfugiés dans le passage du Panorama. Tout à coup venu de nulle part, un flot de touristes nous a entrainés jusqu’au musée Grévin où nous nous sommes fondus parmi les célébrités en cire.

Dans le petit théâtre qui met en scène les répliques figées, on s’est toutes les deux assises fatiguées, hébétées, entre Jospin et Luchini. Bien vite, les flashs ont crépité. Les touristes nous ont harcelés croyant sans doute que nous étions des figurantes animées. Il fallut prendre la pose rigide devant Zidane, Poutine, Diam’s , Sartre, Charlotte Corday, Gabin, Ghandi, Brigitte Bardot et même Voltaire ! La tête emmaillotée commençait à me tourner. J’eus l’impression que la grande bougie avec un képi me parlait : « Je sais ce qui s’est passé ici, je vois ce que vous avez voulu faire. Je vous ai compris ! » J’étais en sueur. Une bande de Lyonnais éméchés souhaitait nous photographier avec le pape. Heureusement, un service d’ordre muséal et courtois les en dissuada. On a fini par s’échapper. Dans un taxi conduit par un marocain silencieux, nous sommes rentrés chez moi sans dire un mot.

jeudi 7 janvier 2010

Les mains de Rodin

Je pensais qu’un dimanche midi serait propice à la visite. Peine perdue, il y avait bien mille personnes au musée Rodin. Des Japonais, des Russes, des Grecs, des Polonais, des Ouigours, des Espagnols, des Brésiliens…S’agissait-il de visiteurs ? Je ne le crois pas car tous sans exception photographiaient méthodiquement les bronzes et les marbres et semblaient pressés d’achever leur corvée. Certains de ces étranges étrangers prenaient la pose du Penseur, d’autres se juchaient sur les épaules de Victor Hugo ou enlaçaient les de Wissant de Calais. Mais pourquoi donc les bofs du monde entier se donnent-ils rendez-vous à Paris ? J’avais envie de les sortir, « allez oust ! Ici c’est patrimoine na-tio-nal, ceux qui ne sont pas amoureux dehors ! »

Emporté par la foule, je n’ai pas vu grand-chose de l’exposition Rodin-Matisse. Juste quelques images fugitives volées par-dessus l’épaule d’un Ukrainien. Je peine à vous les restituer.
Le face à face des œuvres est troublant. Il révèle des traits jumeaux. Le même contour. La posture et le galbe du modèle pareillement restitués. Faut-il s'en extasier ? Le cheminement vers l'essentiel est une obsession commune aux grands artistes, c’est la quête de l'épure, d'un rien plein du tout. Être artiste, c'est consacrer sa vie à raboter un tronc d'arbre pour en faire une brindille plus émouvante que la forêt.
En ce sens, la cambrure de Matisse EST la femme. Son dessin bleu est la nativité, la sensualité, l’aversion, la tendresse, la félicité, la beauté... Oui, tout cela en quelques traits sur un carton.
Chez Rodin, la femme c'est Iris; la déesse saisie dans un bond de danse les jambes ouvertes sur l'origine du monde. Iris impudique et émouvante. Simplement nue dans une fragilité parfaite, complète et aboutie. C’est ELLE.

Il y a vingt ans quand le musée était encore peu connu, Iris s'exhibait dans la galerie. Aujourd'hui la voici reléguée dans un coin. C'est à tort. Mais le conservateur a choisi de mettre en valeur les mains de Rodin. Il a raison. Les mains: outils et modèles obsessionnels du grand sculpteur. Les mains de Rodin parlent et crient la douleur et la joie, la douceur et le désespoir. Elles se creusent dans l'adieu, s’ouvrent en caresses, et s'élèvent en cathédrale d’espoir. Il y a aussi les pieds pour la puissance de l'ancrage et la détermination des personnages. Mais ce sont des appendices sans grâce ignorés des ingrats auxquels seuls les sculpteurs savent rendre hommage.
Ni pieds ni mains chez Matisse et pourtant ses danseuses dansent sur le mur, cependant qu’à Calais les bourgeois pieds dans la boue tête dans les mains, patientent aux portes de l'enfer…Clic, clic-clic. Insupportable !

Vers la sortie, une troupe de Chinois me bouscule. Ma colère s’apaise en pensant à ce jour frais de ma jeunesse où à Pékin une voiture du parti de Mao me déposa devant le porche de la Citée Interdite. Seul pendant trois heures j’errais dans le palais désert, goûtant à chaque pas le délice de mon privilège inouï d’être l’unique touriste de ces lieux. Il me revient aussi en mémoire que j’avais pris une bonne centaine de photos qui doivent encore dormir dans un carton au fond d’un placard. « Allez oust ! Rentrons… »
En m’éloignant, je me promets de retourner à Rodin, dès qu’un jour de grève, de pandémie ou de barricade se présentera.