Il y a quelques jours le lieu accueillait la plus grande ferme de France, aujourd’hui c’est une gigantesque librairie. Preuve que la culture reste la grande affaire du pays. Tout comme celui de l’agriculture, le salon du livre est le rendez-vous salutaire à la survie du parisien. Dans l’un comme dans l’autre il puise le rêve de son évasion.
En me promenant le long des allées bordées de feuilles, pas moins de mille sept cent douze titres ont attiré mon regard. Comme dans la librairie de Calvino, chaque ouvrage semblait m’interpeller « prends-moi, lis-moi, emporte-moi ! » pareils à des catins sur le bord d’un trottoir.
Cherchons plutôt les auteurs.
Un docteur breton à la retraite publie un roman par an. « L’écriture est ma béquille » me dit-il en lisant un passage, histoire de me montrer qu’il n’est pas manchot. Plus loin, sur la banquise des livres, je tombe sur l’auteur du « Pingouin » un chef d’œuvre qui mérite de passer à la postérité en reliure de cuir doré à la feuille. Je le dis à Andreï Kourkov, jovial comme son héros. Il parle le français mais avec l’accent ukrainien forcément. En rigolant il me griffonne une dédicace en russe ! Je m’en vais rejoindre mon géant d’ami, le patron des prestigieuses « Les heures claires ». Il me laisse feuilleter ses livres précieux dont un magnifique coran et des tafsirs savantes et rares. Mais mon copain n’est pas hallal, alors des barbus ignares sont venus le provoquer. J’ai un peu honte d’appartenir à la même espèce. Je décide sur le champ de me raser la face.
En picorant un loukoum piqué au stand de la Turquie je fais halte chez l’éditeur « Inculte » le bien mal nommé. Cette maison enrobe ses publications savantes d’une couverture du meilleur goût. Celle de « Saddam Hussein, interrogatoires par le FBI » est une iconographie parfaite.
Dans un bistrot sans charme de la Porte de Versailles je lis l’honnête préface de l’irakologue Jean-Pierre Luizard suivi de la traduction des auditions du Président déchu en février et mars 2004. Saddam ayant refusé l’interrogatoire a accepté de dialoguer avec les policiers. Il déjoue les manœuvres grossières qui tentent de lui faire endosser des atrocités ou l’inciter à incriminer ses anciens collaborateurs. C’est un pathétique échange entre un Raïs et des flics de Miami. « Nous discutons d’Histoire ici, pas d’hypothèses irréalistes. De quoi aurions nous eu l’air si nous avions utilisé des armes chimiques ? D’imbéciles. » Sur Ben Laden « nous n’avons ni les mêmes croyances ni la même vision du Monde…je crois en Dieu mais je ne suis pas un zélote »
Malgré l’altération de la double traduction le livre est passionnant. On attend avec gourmandise le moment où le FBI mettra en ligne l’enregistrement vidéo de l’interrogatoire. Car sincère ou non, le témoignage en forme de testament de Saddam est une page monumentale de l’histoire des arabes.
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