lundi 21 février 2011

Le nouveau résident de France en Tunisie

Nommé au débotté, le nouvel ambassadeur de l’Elysée s’est installé au Dar Al-kamila, près de Tunis.
Pour sa première sortie, il a rabroué des journalistes comme un pas poli. La séquence a fait le tour du net. Choqués, un millier de manifestants ont réclamé son expulsion. Devant la chancellerie, près de la Porte qui porte encore provisoirement le nom de la France, ils ont brandi des banderoles « dégage ! casse-toi ! »… du miel pour les dépêches et le prochain papier de Claude Angeli.
Dans l’histoire de la diplomatie française, c’est du jamais vu. Au Quai d’Orsay et dans les 163 ambassades à travers le monde, c’est la consternation. Le nom du plénipotentiaire est entré dans le langage courant. A Tunis, il se conjugue désormais à tous les temps en français comme en arabe.

Le protégé du chef de l’Etat, en charge de faire disparaitre les traces du commando de MAM en Tunisie, est un produit Sciences po qui a appris l’arabe aux Langues O. Il le parle correctement ce qui force l’admiration de son Président pour qui cette langue est du chinois. Mais on ne parle jamais la langue du Coran de façon désinvolte. La manière est essentielle et en toutes circonstances : un ton doux, un sourire bienveillant et une posture sereine sont de rigueur. Il n’y a que les singes qui gesticulent et font des grimaces.

A Tunis où tout le monde est bilingue, entendre un ambassadeur de France baragouiner la langue d’Ibn Khaldoun, est hautement surréaliste !

D’autant que les tunisiens sont fiers de leur langue nationale, subtile cousine de l’arabe littéraire. En Tunisie, jusqu’au 14 janvier dernier, l’usage de l’arabe classique était réservé aux débats théologiques, à la poésie, à l’injustice, rarement à la politique. En cette période révolutionnaire, l’arabe est devenu synonyme de langue de bois. Chacun se souvient de Ben Ali lisant ses discours sur un prompteur et débitant d’un air important des phrases emberlificotées de mots savants que personne, ni lui-même, ne comprenait vraiment. Sans doute privé de son scribe l’ex-président lança son dernier appel en langue tunisienne. Alors il fut parfaitement compris de tous et il prit la fuite.

Monsieur l’ambassadeur, je vous imagine sur une bergère du grand salon du Palais de La Marsa où peut-être l’écho de ces lignes vous parviendra.

Sachez que la langue tunisienne est celle de l’intelligence et de la raison. Elle est d’un apprentissage difficile car elle traduit l’éducation et la naissance. Pour vous en faire une idée, écoutez les discours de Bourguiba sur Youtube. Mieux, allez flâner autour de la résidence ou de la chancellerie…Les quelques marchands de livres sont d’authentiques résistants survivants de la censure, de vrais libraires. Ils vous conseilleront des ouvrages écrits dans un français admirable. Par exemple, les romans historiques d’Alia Mabrouk qui révèlent le courage ancestral des tunisiens ou bien le dernier livre de lella Rabâa Ben Achour-Abdelkefi sur la dignité et le raffinement des Tunisois. Entre un bain de mer et une séance de musculation, vous pourriez inviter pour le thé ces deux dames de qualité qui accepteront, peut-être, de vous enseigner quelques rudiments de l’art de se comporter en hôte provisoire de Dar Al-kamila, la maison de la perfection.

jeudi 17 février 2011

Le jour où l’Arabie se réveillera...

Ben Ali, Moubarak, les cartes du château arabe s’écroulent en cascade. Les dirigeants se retournent la nuit dans leur lit. La contagion révolutionnaire sourd au Maghreb et au proche orient. Ses effets vont, probablement dans l’année, affecter le système à l’échelle planétaire mais le jour où l’Arabie Saoudite se réveillera, le monde changera.

Peu de gens connaissent l’Arabie Saoudite. Et pour cause ! Qui a lu un livre, un article ou vu un reportage à la télévision sur ce pays ? On sait que plus d’un milliard et demi de musulmans rêvent de s’y rendre pour y accomplir leur pèlerinage à La Mecque et Médine, que les princes habillés de tuniques blanches sont capricieux et généreux comme le petit Abdallah dans « Tintin au pays de l’or noir », on sait que c’est le premier exportateur de pétrole et accessoirement le premier importateur d’armes. Mais pour le reste ? En 1931, Albert Londres en reportage, nous en apprenait davantage sur le Nedj qu’une recherche sur Google aujourd’hui.

A l’abri des touristes et des journalistes occidentaux, l’Arabie vit cachée derrière un opaque rideau de pétrole. Ses habitants étouffent sous la chaleur du climat et la répression de la police religieuse, véritable inquisition qui leur impose un mode de vie monacal au nom d’un sectarisme fondé sur une interprétation insensée du Coran.

Arabie Saoudite, 28 millions d’habitants, seulement 14 millions d’âmes. Les femmes ne sont que filles de père ou mères de fils. Elles ont un statut d’incapable majeur. Tout leur est interdit : de montrer leur peau, leurs cheveux et leurs sourcils, de s’aventurer au supermarché sans être accompagnées d’un mari ou d’un tuteur dûment autorisé ; interdit de conduire une voiture, de faire du sport, de travailler dans des lieux où il y a des mâles, de voyager, de chanter, de danser, de rire… Le mariage forcé des fillettes de dix ans est valide. Les mariages provisoires (messyar) aussi.
Voici pèle mêle quelques récits rapportés par la presse locale : des gamines brulées vives dans l’incendie de leur école, d’autres noyées lors d’une baignade à la plage. Dans les deux cas, les secours ont été empêchés d’approcher par la police religieuse qui craignait un contact physique donc satanique entre fillettes et sauveteurs.
Le mois dernier, un couple fait ses courses dans une galerie commerciale. Un policier croit déceler un regard vicieux dans la meurtrière de la burqa de madame, il menace l’effrontée de son bâton, son mari, soldat dans le civil, proteste. Mal lui prit, il est menotté et rossé. A sa sortie d’hôpital 17 jours plus tard, le tribunal le condamne à 28 jours de prison et à 30 coups de fouets pour offense à un agent de la Commanderie pour la prévention du vice et la promotion de la vertu (PVPV c’est le nom officiel des moutawwa, la police religieuse). Mais le sort des saoudiennes reste enviable comparé à celui des deux millions et demi de petites bonnes à tout faire importées d’Asie dont nombre sont réduites à l’esclavage.
Lire les faits divers de la presse saoudienne donne les cauchemars d’un voyage au bout de la nuit !

Le temps en Arabie est celui des prières. On ne se donne rendez-vous qu’avant ou après l’une des cinq prières qui ponctuent la journée car à l’appel du muezzin, la vie marque une pause : Carrefour, Ikea, Pizza Hut, tous les commerces se vident, les rideaux sont tirés pour une petite heure.
Cela fait 38 ans qu’il n’y a plus de cinémas, ni de théâtres, d’opéra, de galeries d’arts, de bars, de discothèque, de radio musical, de programme de variété à la télé, pas de plage ni de restaurants mixtes, pas de music hall…J’exagère une peu car l’an dernier a eu lieu un récital de chants. Le présentateur est monté sur la scène et devant une salle pleine à craquer séparée en son milieu par un corridor de toile –les femmes voilées d’un coté, les hommes à moustaches de l’autre - il a annoncé doctement que le comité d’organisation avait décidé sous la contrainte de son plein gré, de supprimer l’orchestre et que les artistes se produiraient par conséquent à capela. Ce n’était pas une blague !

Cette vie austère favorise la consommation de drogues en tous genres et les pires dépravations sexuelles d’autant plus excitantes que leurs auteurs risquent d’avoir le cou tranché en place public. Sauf la noblesse dont les britanniques, toujours bien informés sur ces chapitres, estiment à 7 000 le nombre de princes mais sans préciser celui des princesses. Ces happy few ne sont pas concernés par les lois imposées au tiers état et aux étrangers.
La discrimination est érigée en loi. L’échelle des sujets est celle de nos lointains aïeux. D’abord les nobles, puis les riches bourgeois, les quidams aisés, les petits et enfin les misérables. Dans le pays le plus riche du monde, il y a selon le ministre des affaires sociales, 650 000 familles de 4 à 6 personnes qui vivent dans des taudis et subsistent de la charité publique. Les immigrés sont aussi catégorisés par origine : états-unienne, canadienne, australienne, européenne, musulmane arabe et asiatique et le reste. A emploi égal, il vaut mieux être Texan que Sri Lankais, le salaire est dix fois supérieur !

Au pays où le rire est suspect, la population se tait en silence. Le bâton n’est jamais loin. Les gens vivent cachés dans des maisons aux fenêtres aveugles. La télévision satellitaire (à parabole furtive) engendre une frustration permanente chez les hommes. Les chaines libanaises déversent des tombereaux de suggestions licencieuses. Même la présentatrice du journal télévisé de France 24 en arabe avec ses « cheveux lâchés » provoque de douloureux fantasmes. Que dire des photos qui circulent sur les téléphones portables ! Et des images de magazines entrés clandestinement comme Marie Claire, Elle, le Petit Echo de la Mode…!
Il y a dix ans, lorsque l’on présentait un billet de cent francs à un guichet de change, le caissier s’empressait de couvrir les seins de la Marseillaise d’un coup de feutre noir. Le passage à l’euro a déçu les banquiers lubriques !

Dès leur plus jeune âge, les enfants mâles sont séparés des femmes. Le garçonnet de cinq ans se lève avant l’aube pour suivre la prière derrière son papa. A l’école l’essentiel de son apprentissage et de son enseignement sera religieux. Aucune matière n’échappera à la prévalence de la théologie. L’endoctrinement est méthodique. La dérive fasciste est fréquente. Ainsi les gamins sont-ils invités à dénoncer les manquements à la religion de leurs parents et de leurs enseignants. Un instituteur a récemment été interpellé dans sa classe après la plainte d’un élève. Il encourt la peine de mort si le blasphème ou l’apostasie est avéré.

Sur cette terre hostile aux bêtes et aux être humains se niche pourtant un paradis : La Mecque. Là, tout est beauté, clarté et volupté. Des milliers et des milliers d’hommes, de femmes (non voilées), tous pareillement couverts de tissus blanc, chaussés d’espadrilles simples. Foule immense, lavée et pure qui avance sans voir, béate, le regard ailleurs, marmonnant la phonétique du Coran. Car la plupart ne savent pas l’arabe. La vague humaine est en majorité asiatique ce qui est normal puisque le peuple arabe n’est que la douzième partie de la communauté musulmane mondiale. La Mecque est un lieu hors du temps, hors d’Arabie, l’homme s’y découvre humain, aimant et tolérant. Les wahhabites, gardiens des lieux saints, sans doute frappés par la grâce et le soleil, tentent désespérément d’élargir le sanctuaire à l’ensemble de la péninsule voire au reste de la terre, ils rêvent même de bouter le démon hors de l’univers. Vaste programme !

En cette année 1432 de l’hégire, la dynastie des Saoud est inquiète.
Elle a du mal à convaincre ses sujets que la démocratie naissante à Tunis et au Caire est le châtiment d’Allah aux peuples qui se vautrent dans le stupre et la luxure au point de s’immoler (en islam c’est un interdit absolu). L’asile donné au général milliardaire Ben Ali n’a pas bonne presse.
En Tunisie et en Egypte le peuple s’est allié à l’armée, clé de la révolution, pour chasser la police d’un régime prédateur. En Arabie, la configuration militaire est à peine différente.
Le pouvoir est partagé entre le roi et ses deux demi-frères princes héritiers. Chacun dispose de l’allégeance d’une armée. La garde nationale au premier, les forces terre-air-mer au second, les gardes frontières, la police et les traqueurs de vice pour le troisième. Les trois octogénaires sont fatigués et dépassés. Les cours de leurs fils, petits-fils et arrières petits fils respectifs aiguisent les ambitions, ils comptent sur leurs forces de dissuasion dont aucune n’est inférieure à 150 000 hommes suréquipés. Ce paysage pacifiste, est complété en arrière plan par des dizaines de milliers de coopérants et instructeurs militaires américains.
Pour disciplinées qu'elles soient, les troupes saoudiennes ne prisent guère les batailles fratricides. La guerre du Golfe a laissé un goût amer et la récente répression du soulèvement des tribus yéménites à la frontière n’est pas un sujet de gloire. Il est improbable que l’armée se laisse entrainer dans une guerre des princes ou des provinces.
Reste la police religieuse, véritable milice de l’obscurantisme, elle est haïe par les jeunes, mais soutenue par une partie fanatisée de la population. Pourtant, à la faveur d’un drame médiatisé comme ce fut le cas en Tunisie le peuple pourrait bien se soulever en masse.
La rue saoudienne, il est vrai, n’est pas faite pour marcher mais pour rouler, nul ne s’y risque jamais à part les travailleurs immigrés. Ils sont 7 millions, dont un million d’Egyptiens désormais voués à toutes les suspicions. Mais inlassablement, cinq fois par jour, les salles de prières sont obligatoirement pleines, alors faute de réformes aujourd’hui, la révolution arabienne pourrait bien demain s’inviter à la sortie des mosquées et libérer les enfants du prophète de l’inquisition.

Barack Hussein Obama aura-t-il pour la rue saoudienne le même langage encourageant qu’il a tenu aux Tunisiens et aux Egyptiens ? C’est une tout autre histoire !
En 1945 au retour de Yalta, Roosevelt avait reçu à bord du croiseur Quincy à l’ancre au large d’Alexandrie, le roi Abel Aziz Ibn Saoud fondateur du Royaume d’Arabie. Le coup de foudre fut immédiat entre le président madré et le souverain bédouin. L’américain paraplégique avait offert à son hôte qui boitait un fauteuil roulant semblable au sien afin de pouvoir évoluer de conserve sur le pont du navire. Il lui fit découvrir le cinéma, la TSF, le téléphone, le hamburger et les oignons frits, Ibn Saoud raconta l’islam et la Palestine, les chameaux et les faucons, la faim et la soif de son peuple gêné par les flaques de cambouis parsemant le désert. Les deux compères décidèrent que désormais, l’Amérique protègerait le royaume des Saoud contre toutes menaces extérieures sans jamais se mêler de ses affaires intérieures ; en contrepartie, l’Arabie partagerait l’exploitation de son pétrole jusqu’à la fin des temps. Ils se touchèrent la main. Le pacte du Quincy était scellé. Le choc des civilisations entraina une alliance sans faille qui ne sera jamais transgressé, pas même le 11/09 sinistre jour de gloire des terroristes saoudiens.

Mais la semaine dernière, quelques heures seulement avant la démission de Moubarak, le roi Abdallah d’Arabie aurait échangé au téléphone des mots de colère avec Obama. Le pacte du Quincy a-t-il du plomb dans l’aile ?
Tout sépare le jeune Président progressiste qui sait l’islam du monarque octogénaire incapable de tweeter. Les wahhabites, alliés inconditionnels des Bush n’ont plus l’oreille bienveillante de Washington. Pourtant aucun observateur ne scénarise une prochaine insurrection du peuple d’Arabie. Pourquoi et par quel antidote la saoudie échapperait-elle à la crise systémique ?
Lorsque Barack Hussein Obama dans son discours du Caire de Juin 2009 avait promis de se tenir aux côtés des peuples arabes qui lutteraient pour leur démocratie,
un anonyme dans la salle s’était levé pour lui crier « on vous aime ! »

dimanche 13 février 2011

Carte postale de La Marsa

Le ciel en Tunisie est d’une beauté incomparable. Surtout en hiver. Les nuages blancs, gris ou sombres jouent avec le soleil révélant des pans de ciel d’un bleu éblouissant.
En ce 18ème jour de révolution, la petite cité balnéaire de La Marsa a repris son rythme nonchalant mais la population habituellement insouciante est intriguée par la disparition soudaine de centaines de tuniques blanches et bleues qui décoraient depuis des lustres, les rues de la coquette banlieue de Tunis. Hier, l’agent de ville du rond point de la gare a bien tenté de prendre son service pour réguler la circulation, il en a vite été dissuadé par le vacarme des klacsons et les hurlements des passants « dégage ! » Il a filé vers la plage où une bande de collégiens hilares ne lui ont laissé que son caleçon.
Sur la corniche, une voiture pie qui s’était hasardée a été prise en chasse par d’anciens bakchichés. Le conducteur eut la malencontreuse idée d’actionner son gyrophare et sa sirène provoquant aussitôt un barrage d’automobilistes qui arraisonnèrent les fuyards avant leur passer les joyeuses au cirage. Depuis, ni pandores ni flics ni indics à 15, 20 et 30 dinars ne montrent le bout de leur nez.
Les marsaouis, gens policés ne veulent plus de policiers.

Au carrefour de Sidi Bey, il y a un char énorme et rassurant. L’engin est briqué comme au sortir du garage, le canon est ficelé dans un cache poussière. Devant le tank, une sentinelle. C’est la plus belle de La Marsa. Un sourire éclatant de fossettes, des yeux de bonheur, une queue de cheval brune échappée de son calot, c’est une figurine de mode chaussée de rangers, elle porte avec élégance un ensemble treillis kaki du plus bel effet. Les passants lui lancent des compliments et des mots de miel, elle hoche la tête et rit en serrant sur sa poitrine un redoutable fusil mitrailleur. L’adjudante est de faction douze heures durant. Six cent vingt minutes de fierté et de bonheur non dissimulés. On lui porte des fleurs, des friandises. Une dame s’est assise non loin sur un pliant portant sur les genoux un transistor qu’elle feint d’écouter mais c’est pour distraire la soldate. Un gavroche badigeonne à la chaux la bordure du trottoir sous le regard de belle lella joundiya.

Devant l’hôpital un petit groupe manifeste bruyamment. Une famille éplorée accuse les médecins d’avoir négligé de soigner convenablement une vielle dame terrassée par un cri du cœur. Des infirmiers invoquent les limites de la science, une dévote en hijab rappelle la miséricorde d’Allah… Refusant la fatalité la foule cherche des responsables corrompus à rosser. Mais il y en a tant ! Tout est question de mesure raisonne un monsieur dont les nobles pensées sont au chaud sous une chéchia. « Le petit volait car il était rançonné par le gros qui payait tribut à la famille du grand prédateur… » Il faut s’en prendre aux marchands de sang et d’organes, aux rouleurs en Ferrari, aux noyés au champagne de France, pas au personnel médical ! « On devrait mettre tous les flics en prison» lance un quidam pour faire diversion. Un compère propose plutôt de les déporter vers le désert de Libye. Tout le monde approuve bruyamment. Un poète facétieux se plait à imaginer que les policiers-voyous tunisiens seront demain rejoints par les moukhabarat d’Egypte, par ceux du Yémen, de Saoudie…pour former la Jamahiria des Bouliciya dont ils n’auront plus le droit de sortir.
Applaudissements et youyous « yahya Tounis ! »

mardi 8 février 2011

Si Mahmoud

Chaque famille tunisienne a souffert de la dictature. Les témoignages sont indispensables surtout lorsque les souvenirs se confondent avec des moments ombragés de l’Histoire.
Mahmoud Belhassine mon père, aujourd’hui nonagénaire, était chargé de mission auprès du Président Bourguiba. Il était son ami, son confident. Il l’accompagnait dans ses promenades quotidiennes, prenait avec lui tous ses repas.

Il ne m’appartient pas de témoigner à sa place, mais voici les souvenirs précis que je puis apporter sur cette période précédant le coup d’Etat médical du 7 Novembre 1987 par Ben Ali.

A cette époque, je travaillais à Paris, mais je me rendais en Tunisie trois ou quatre fois par an. En ce début du mois de Novembre 1987, j’étais à Tunis pour quelques jours de vacances avec mon fils ainé Selim alors âgé de 13 ans.

La situation politique était tendue. Depuis l’été des attentats attribués aux islamistes entraînaient une répression féroce. Se dissimulant derrière Bourguiba épuisé, Ben Ali torturait, tuait, pendait, vitriolait les vitrioleurs…Un climat de terreur s’installait peu à peu dans le pays. Mes amis militants des droits humains dont les regrettés M’Hamed Chabbi, Serge Adda à Paris, et à Tunis, Khémaïs et Alya Chamari, Khadidja et Ali Cherif et tant d’autres…étaient comme moi bouleversés et impuissants.

Je m’en faisais l’écho auprès de mon père en le conduisant ce 3 Novembre 1987 au palais de Carthage. Nous étions seuls dans l’antique Ford qu’il ne se résolvait pas à changer. A l’approche des grilles du palais, contrairement à l’habitude, les portes restèrent fermées. La garde présidentielle avait été relevée, des « ninjas » vérifièrent nos identités avant de nous laisser entrer. Je remarquais un déploiement de forces exceptionnel autour des bâtiments et la présence de deux navires de guerre patrouillant face au palais. Mon père était soucieux, nous venions d’avoir une conversation houleuse, il m’avait confessé son impuissance face au premier ministre et à la nièce qui « remontent » le Président. Lorsque je l’interrogeai sur le renforcement de la sécurité du Palais il répondit laconiquement sur la parano sécuritaire de Ben Ali.

Après l’avoir déposé, je rentrai directement à Tunis. Je soupçonnais qu’un coup d’Etat était en cours. Des amis m’informèrent que le ministère de l’intérieur lançait des rumeurs calomnieuses sur Mahmoud Belhassine : qu’une enquête était ouverte pour malversations, qu’il devrait se dépêcher de prendre un avion…
Le soir, j’eus à nouveau une conversation difficile avec mon père qui finit
par me demander brutalement quel serait mon choix si j’étais à sa place, entre la fidélité et la trahison ? Tout était dit.

Le lendemain son chauffeur le conduisit à Carthage. C’était le jour du Mouled. L’assida avait un goût amer. A dix heures, un appel du Palais ; ma mère prit le combiné, je gardai l’écouteur. Mon père d’une voix inhabituelle débita un discours sans doute lu et destiné à rassurer un auditoire de flics: « Le président Bourguiba vient de me recevoir, il a eu des paroles très affectueuses pour moi et toute la famille, il s’est rendu compte de ma fatigue…il m’a déchargé de mes fonctions et m’a demandé de prendre soin de toi…tout va bien…je rentre pour déjeuner à la maison.. »

Je compris que le coup d’Etat était en marche et que Ben Ali venait d’écarter celui que l’histoire retiendra peut-être comme étant le premier à lui avoir dit non.

Pressentant le danger, je fis ma valise et avançai mon retour en France de 48H. J’embrassai mon père sur le trottoir, il s’étonna de mon départ précipité. Je lui demandai si c’était Bouguiba ou Ben Ali qui l’avait chassé de Carthage ? La réponse fut claire. Dans l’avion qui décolla à 13h il y avait le ministre des affaires étrangères et plusieurs personnalités. Ils firent semblant de ne pas me reconnaitre. La nouvelle de la disgrâce s’était propagée.

A mon arrivée le 4 novembre à Paris, je faisais connaitre mes suspicions de coup d’Etat par Ben Ali. Un proche parent qui était dans un cabinet ministériel me traita d’affabulateur pessimiste. En revanche, mes amis politiques français et exilés, de droite comme de gauche prirent mes alertes plus au sérieux.

Le 7 novembre au matin, mon père était arrêté, ainsi que mon jeune frère Kemal et mon beau frère le Colonel Ghazi Skander. Ces derniers seront bousculés puis relâchés quelques jours plus tard alors qu’en hâte un procès était monté de toutes pièces contre Mahmoud Belhassine.
Quelques semaines plus tard, un tribunal qui avait cru au « changement » condamna mon père à une peine de principe qui couvrait sa détention préventive. Immédiatement le parquet fit appel de la peine qui fut aggravée… aux travaux forcés ! La presse s’en offusqua. Ben Ali décida alors de supprimer les travaux forcés. Puis, la sentence fut commuée en dix ans de prison assortie d’une amende gigantesque destinée à camoufler la confiscation de ses biens. Mes parents possédaient à Hamilcar une petite maison de style colonial qui n’avait pas d’attrait particulier si ce n’est une vue magnifique sur la mer. Sur ordre de Ben Ali, cette propriété de famille a été saisie par l’Etat et revendue immédiatement pour 1 dinar à un Materi, lequel s’empressa de tout raser pour construire deux maisons luxueuses.

Mon père a été détenu pendant deux ans à la prison de Tunis dans des conditions dégradantes. Ses amis se sont inlassablement activés pour le faire libérer. Ben Ali a finalement cédé contre l’engagement d’un bannissement perpétuel en France où ma mère avait hérité d’une modeste maison dans les environs de Paris.
Contrairement à ce que j'ai pu lire dans le récit publié dans La Presse de Tunis du 7 février 2011 qui reprend l’excellent ouvrage d’Aly Zmerli, mon père n’avait pas la nationalité française lorsqu’il était en Tunisie, il l’a acquise en exil en 1993, alors qu’il était sans papiers et après avoir décliné le statut de réfugié que lui proposait le pays où il avait combattu l’occupant nazi.
Aujourd’hui, mes parents très âgés vivent de leur retraite cotisée en France entre 1938 et 1956, période ayant précédé leur retour en Tunisie avec Bourguiba.

Mahmoud Belhassine a toujours le sourire éclatant et les yeux qui pétillent, peut-être encore davantage depuis le 14 janvier : « Je loue Dieu de m’avoir laissé vivre aussi longtemps pour assister à la révolution de la jeunesse de mon pays dont je suis fier car elle est digne et courageuse. Malgré mes handicaps, je retournerai à Tunis pour témoigner au procès de Ben Ali… Kan hab rabbi ! »

samedi 5 février 2011

Les derniers bronzés de Tunisie

« Je ne veux pas bronzer idiot ! » C’est avec ce slogan que jadis, un mien cousin par la cuisse de Jupiter, eut l’idée géniale d’attirer les soixante-huitards fourbus vers le soleil de Tunisie. Jusqu’à la fin des seventies les post-révolutionnaires estivèrent sous les paillottes inconfortables de la plage de Tabarka. Ce festival de l’intelligence rassemblait tous les habitués de la Contresccarpe, de la Huchette, du Flore et des Deux Magots ; à l’exception de quelques irréductibles bolchéviques qui avaient leurs habitudes chez Fidel à l’île de la Jeunesse, et du célèbre vélocipédiste Aguigui Mouna fidèle au Larzac.
Le matin on barbotait, après la sieste on débattait, le soir on s’éclatait.
Un mao-spontex qui avait en secret apporté une paire de fusils allait chasser les sangliers qui abondent sur les monts, un écolo plongeur remontait du corail depuis les fonds. Aragon déclamait, Miles Davis trompettait. A l’ombre des patios, au centre d’une assemblée de contestataires assis en tailleur, les orateurs se succédaient. De théories émergeaient dont on nous promettait qu’elles seraient résumées dans des volumes de 600 pages à paraitre. En septembre, les universitaires regagnaient leur chaire et le vent de mer emportait les concepts abandonnés sur le sable.

Chacun sait qu’une idée révolutionnaire, ça chemine, ça vole, ça erre, ça se fixe, ça se ramasse, ça fuse, se diffuse et infuse. Bref, ça met du temps à voyager. Alors pour hâter le processus, mon homonyme pas du tout idiot créa « Air Liberté ». Les avions partaient blancs, ils revenaient bronzés. Cette vaste entreprise subversive fut pour des raisons que j’ignore, durement réprimée.
Par conséquent il serait abusif quarante ans plus tard, de chercher à attribuer à l’entrepreneur au patronyme illustre la paternité de la révolution tunisienne.

Aujourd’hui, sans doute comme moi, reçoit-il du monde entier des mots chaleureux « congratulation, mabrouk, bravo… » Que répondre ? Je n’y suis pour rien ! Certes, depuis mon exil normand je fis acte de courage en demeurant fidèle aux amis tunisiens dont certains n’étaient plus fréquentables. L’un d’entre eux fut un matin arrêté à la suite d’un coup de fil. Je ne sais plus à quel propos, j’avais cité Desproges « on reconnait un rouquin aux cheveux du père et un requin aux dents de la mer ». On avait ri, oubliant qu’un flic analphabète bilingue écoutait. Alors le lendemain, à coups de bottin sur la tête ils lui avaient demandé des explications.
La dictature, c’est la peur permanente du mal entendu, du malentendu.

A Paris personne n’entendait.
A Hammamet, Nefta, Zarzis, les ministres univoques estivaient. Il y a quelques semaines, toutes les personnalités françaises reçurent comme d’habitude leur cadeau personnalisé pour l’année nouvelle. Selon rang et allégeance : un bouquet de jasmin en perles monté sur or ou argent, un olivier de brillants, un tapis, une cage de Sidi Bou, des friandises de Tozeur ou de Sfax, et même du vin de la Medjerda ! Quelques importants ont gagné une invitation à venir thalassoter gracieusement en famille dans un palace de Djerba ou de Raouad. Politicien de droite, obligé d’un « ami » prévenant, édile de gauche indulgente pour le parti unique tunisien membre de l’Internationale socialiste ; à de rares exceptions dont il faut absolument dresser la liste, la classe politique française s’appliquait à bronzer idiot.

Ces dernières années, même les milieux d’affaires pourtant d’habitude peu regardants étaient devenus circonspects. Les investisseurs des monarchies du Golfe se méfiaient de leurs interlocuteurs qui se pâmaient d’être par Allah récompensés de leur tartuffe piété. Le système de pillage organisé avait pris des proportions qui les effrayaient.
Remarquant la somptueuse fontaine romaine à tête de méduse qui ornait la piscine d’un magnat tunisois, le visiteur se doutait qu’elle avait été volée dans le musée d’un pays voisin. Hachouma ! Le recéleur inculte savait-il seulement que le regard de la Dragonne d’Hyppone porte malheur à celui qui le croise ? Ya hmar ! La légende s’est vérifiée.
C’est ainsi que solidaire de la population en révolte, le patronat tunisien aussi s’est soulevé.
Un richissime propriétaire d’hôtels et d’avions eu la malice d’envoyer un jet privé à un couple de ministres français. Après le réveillon de Noël, il leur fit survoler la révolution tunisienne du Sud au Nord, puis il les conduisit sur la plage de Tabarka et leur dit : « de ce pays, vous êtes les derniers bronzés idiots ! »