« Je ne veux pas bronzer idiot ! » C’est avec ce slogan que jadis, un mien cousin par la cuisse de Jupiter, eut l’idée géniale d’attirer les soixante-huitards fourbus vers le soleil de Tunisie. Jusqu’à la fin des seventies les post-révolutionnaires estivèrent sous les paillottes inconfortables de la plage de Tabarka. Ce festival de l’intelligence rassemblait tous les habitués de la Contresccarpe, de la Huchette, du Flore et des Deux Magots ; à l’exception de quelques irréductibles bolchéviques qui avaient leurs habitudes chez Fidel à l’île de la Jeunesse, et du célèbre vélocipédiste Aguigui Mouna fidèle au Larzac.
Le matin on barbotait, après la sieste on débattait, le soir on s’éclatait.
Un mao-spontex qui avait en secret apporté une paire de fusils allait chasser les sangliers qui abondent sur les monts, un écolo plongeur remontait du corail depuis les fonds. Aragon déclamait, Miles Davis trompettait. A l’ombre des patios, au centre d’une assemblée de contestataires assis en tailleur, les orateurs se succédaient. De théories émergeaient dont on nous promettait qu’elles seraient résumées dans des volumes de 600 pages à paraitre. En septembre, les universitaires regagnaient leur chaire et le vent de mer emportait les concepts abandonnés sur le sable.
Chacun sait qu’une idée révolutionnaire, ça chemine, ça vole, ça erre, ça se fixe, ça se ramasse, ça fuse, se diffuse et infuse. Bref, ça met du temps à voyager. Alors pour hâter le processus, mon homonyme pas du tout idiot créa « Air Liberté ». Les avions partaient blancs, ils revenaient bronzés. Cette vaste entreprise subversive fut pour des raisons que j’ignore, durement réprimée.
Par conséquent il serait abusif quarante ans plus tard, de chercher à attribuer à l’entrepreneur au patronyme illustre la paternité de la révolution tunisienne.
Aujourd’hui, sans doute comme moi, reçoit-il du monde entier des mots chaleureux « congratulation, mabrouk, bravo… » Que répondre ? Je n’y suis pour rien ! Certes, depuis mon exil normand je fis acte de courage en demeurant fidèle aux amis tunisiens dont certains n’étaient plus fréquentables. L’un d’entre eux fut un matin arrêté à la suite d’un coup de fil. Je ne sais plus à quel propos, j’avais cité Desproges « on reconnait un rouquin aux cheveux du père et un requin aux dents de la mer ». On avait ri, oubliant qu’un flic analphabète bilingue écoutait. Alors le lendemain, à coups de bottin sur la tête ils lui avaient demandé des explications.
La dictature, c’est la peur permanente du mal entendu, du malentendu.
A Paris personne n’entendait.
A Hammamet, Nefta, Zarzis, les ministres univoques estivaient. Il y a quelques semaines, toutes les personnalités françaises reçurent comme d’habitude leur cadeau personnalisé pour l’année nouvelle. Selon rang et allégeance : un bouquet de jasmin en perles monté sur or ou argent, un olivier de brillants, un tapis, une cage de Sidi Bou, des friandises de Tozeur ou de Sfax, et même du vin de la Medjerda ! Quelques importants ont gagné une invitation à venir thalassoter gracieusement en famille dans un palace de Djerba ou de Raouad. Politicien de droite, obligé d’un « ami » prévenant, édile de gauche indulgente pour le parti unique tunisien membre de l’Internationale socialiste ; à de rares exceptions dont il faut absolument dresser la liste, la classe politique française s’appliquait à bronzer idiot.
Ces dernières années, même les milieux d’affaires pourtant d’habitude peu regardants étaient devenus circonspects. Les investisseurs des monarchies du Golfe se méfiaient de leurs interlocuteurs qui se pâmaient d’être par Allah récompensés de leur tartuffe piété. Le système de pillage organisé avait pris des proportions qui les effrayaient.
Remarquant la somptueuse fontaine romaine à tête de méduse qui ornait la piscine d’un magnat tunisois, le visiteur se doutait qu’elle avait été volée dans le musée d’un pays voisin. Hachouma ! Le recéleur inculte savait-il seulement que le regard de la Dragonne d’Hyppone porte malheur à celui qui le croise ? Ya hmar ! La légende s’est vérifiée.
C’est ainsi que solidaire de la population en révolte, le patronat tunisien aussi s’est soulevé.
Un richissime propriétaire d’hôtels et d’avions eu la malice d’envoyer un jet privé à un couple de ministres français. Après le réveillon de Noël, il leur fit survoler la révolution tunisienne du Sud au Nord, puis il les conduisit sur la plage de Tabarka et leur dit : « de ce pays, vous êtes les derniers bronzés idiots ! »
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