Tunisie :jour 11 de la révolution. C’est le chaos. Inévitable et heureusement sans violence. Tout est remis en question. Il faut laisser le temps au débat pour que les acteurs se rassemblent…
L’UGTT : unique syndicat tunisien, historiquement frontiste (y compris sous Bourguiba) jamais totalement récupéré par le pouvoir. Sa fonction tribunitienne est incontournable pour remettre le pays au travail et rassembler les hommes pauvres du sud et du centre avec ceux du nord et du littoral relativement prospère.
L’armée (35 000 hommes) : est formée de conscrits et d’officiers légalistes à qui l’on a enseigné de toujours se tenir à l’écart de la politique. Elle a été épurée, les gradés étaient sous surveillance constante. Par dizaines, du lieutenant au colonel certain ont été torturés pour l’exemple, simplement pour avoir toussé. C’est l’un des corps qui a le plus souffert (en silence) du règne de Ben Ali.
L’opposition démocrate : composée surtout d’intellectuels citadins. Beaucoup de courage, peu d’expérience. Jusqu’à présent aucun n’est parvenu à entrainer les foules. Il y a un problème de langage mais aussi d’âge car la plupart des leaders sont des septuagénaires usés par les années de prison et de harcèlement.
Le RCD : un tunisien adulte sur quatre en possèderait la carte, souvent malgré lui. Ce parti fondé par Ben Ali à partir de l’héritage du Destour de Bourguiba est complètement décomposé mais sa structure très liée aux forces de police (100 à 150 000hommes) est capable de se régénérer dans le chaos.
Le parti religieux Ennadha : a souffert de l’exil de ses cadres et de la récupération habile du clan Ben Ali qui était devenu mystique au point de déclarer à tout bout de champ que leur fortune était une volonté d’Allah. Les mosquées tunisiennes sont pleines chaque vendredi, alors, si la révolution n’apporte pas le pain réclamé, la population s’adressera au bon Dieu.
Les régimes arabes ont peur: un Etat du Golfe vient d’allouer à chaque citoyen 3 500$ pour compenser la vie chère, ailleurs, les prix des denrées baissent à coups de subventions. Les populations glorifient la révolution tunisienne et suivent avec passion son cheminement grâce aux télévisions satellitaires. Le nom de Bouazizi « el tounsi, el arabi » est scandé dans toutes les capitales. La cause tunisienne est en train d'occulter la Palestine. Al Qaïda - Aqmi est démonétisé, Ben Laden inaudible…
La Libye : ouvertement solidaire de Ben Ali se singularise comme toujours. La tunisienne est bien la seule révolution que Kaddafi n’ait pas applaudie en 42 ans de pouvoir !
La France : est absente. Comme d’habitude la diplomatie a été prise de court et a réagi à contretemps. Pourtant, la moitié du gouvernement a des attaches avec la Tunisie, la ministre des AE venait d’y séjourner, celui de la culture s’y est fait naturaliser, un autre y est né, ou y a travaillé, ou s’y est marié… La chute de Ben Ali a fait naitre une inquiétude dans toute la classe politique, gauche droite confondues, dont certains tremblent à l’idée d’une dispersion des archives de Ben Ali. La révolution tunisienne pourrait bien selon ce scénario s’inviter sur le sol français !
Les Etats Unis : ont dés le début des émeutes clairement soutenu l’espoir des tunisiens. Les cables wikileaks largement traduits et diffusés clandestinement en Tunisie ont indirectement encouragé le soulèvement. Obama qui peine à mettre en œuvre les promesses de son discours du Caire aimerait sans doute que le pays du jasmin soit le laboratoire expérimental du processus de démocratisation du monde arabo-musulman.
Au-delà de ces acteurs, il faut tenir compte de la situation économique qui nécessitera un soutien extérieur significatif. La saison touristique est compromise. D’ores et déjà les tours opérateurs repositionnent leurs clientèles. Les investissements sont stoppés, l’ensemble du patronat (compromis avec l’ancien régime souvent par nécessité) est menacé. Le secteur bancaire - qui était l’un des rouages du clientélisme de Ben Ali par la spéculation foncière et immobilière - est en grande partie sclérosé et détenteur de créances douteuses. Après la liberté de parole et la justice la revendication de l’équité économique sera la plus difficile à satisfaire.
Enfin, aucun scénario ne peut prévoir les réactions d’une population dont le niveau d’instruction est supérieur à beaucoup de pays de l’Union Européenne, et qui est entrainée par une jeunesse créative parmi lesquels 2 millions d’inscrits et d’inscrites à facebook ou twitter communiquent en permanence et militent pour un modèle de démocratie directe par le web.
Alors vers une république de cybertoyens ?
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