A Hammamet devant la luxueuse villa dévastée, je me suis allongé sous l’unique paillote de la plage jadis interdite. De l’hôtel voisin on m’apporta une Celtia glacée avec des olives. Au menu du jour, le chef avait mitonné du tigre. Des brochettes de Pacha à la sauce harissa que je partageais gaiement avec les estivants du révolu-changement. Le fauve, dur à cuir, n’était pas fameux, trop vieux sans doute, mais il apaisa notre envie de mordre trop longtemps retenue.
Jadis quand la bête encore jeune avait été importée d’Amérique, toute la population avait craqué pour ses ronrons de gros chat, ses câlins de peluche, ses éclatantes quenottes qui mordillaient pour jouer. Le quadri-pattes de velours avait le pelage lustré et la griffe sur le cœur, il enchantait et charmait tous ses visiteurs. A chacune de ses sorties, les enfants criaient « yahyia Pacha ! » les femmes lançaient des zaghrites en arabe ou des you-you en français. On venait en masse même du delà des mers pour lui caresser la tête. On prétendait que ce geste attirait la chance et remplissait d’or la main flatteuse.
Le tigre en herbe était frugal. Certes, de temps en temps pour améliorer son ordinaire il croquait bien quelques pigeons. Mais il était discret et le monde feignait de regarder ailleurs. Cette indulgence encouragea le prédateur devenu adulte. Il se prit pour le roi d’une forêt qu’il transforma en jungle. On le surprit dévorant quelques créatures innocentes que la toux indisposait. Un poète plus coriace que les autres lui donna des mots d’estomac. Il le recracha.
Pacha sentant venir sa fin voulu la retarder en apaisant sa faim de mets plus tendres. Il saigna des citoyens par dizaines tant et si bien que la foule en colère vint le sortir de sa cage dorée. Proprement découpée en lanières sa peau fut mise à sécher sur la colline de Carthage comme avertissement à tous ceux de sa horde sauvage qui voudraient approcher le rivage civilisé.
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