lundi 20 juin 2011

Guerre de la musique en pays Sarthois

Ce modeste blog traite de sujets futiles avec sérieux et inversement.
Bouteille à la mer voguant vers des amis lointains, c’est un clin d’œil de comptoir aux copains exilés dans des pays où l’herbe est moins verte, une façon de trinquer à la mémoire des frères disparus, une thérapie de la nostalgie ; c’est l’assouvissement d’un besoin d’écrire allongé sur un sofa et la vanité illusoire de prolonger la validité d’une carte de reporter, échue depuis belle lurette.

Ce blog est rarement lu au delà d’un cercle de copains et de quelques logiciels détectives. Les post récoltent quelques insultes indulgentes et de rares compliments immérités. Mais il en est un qui buzz et dont l’ampleur de la réaction est étonnante.

Il s’agit du billet « Danse et musique à Bonnétable »

http://hybel.blogspot.com/2011/04/danse-et-musique-bonnetable.html

Depuis le 26 avril dernier il fait un bruit d’enfer. Son audience n’a pas atteint encore le score de l’édition d’Ouest France-Maine Libre mais elle dépasse largement celle de l’Echo Sarthois.
Il faut dire que ce scandale ignoré de la presse régionale est emblématique du divorce consommé entre la France profonde et ses élus. A lire les 35 commentaires publiés à ce jour (dont celui d’un conseiller général qui fait la pluie et le beau temps), on comprend que la politique locale n’est plus le lieu d’apprentissage d’une démocratie apaisée mais le champ de bataille programmé de basses campagnes.

André Malraux qui êtes au ciel, faites un signe ! Jack Lang, depuis le bistro de la place des Vosges, envoyez un texto à votre ancien bureau, Claude Angeli, parlez à l’oreille du canard, Bernard Guetta et Jean Daniel… rien qu’une p’tite note de musique…

Ah non, pas toi, BHL tais-toi !

mercredi 15 juin 2011

La pluie et le beau temps

La Normandie aussi a vécu son printemps aride.
Non pas au G8 de Deauville, mais dans les pâturages et les bocages transformés en désert. Cent jours sans eau. Jamais vu ça, affirmaient les centenaires. Dans les prairies, les vaches grattaient le sol de leurs sabots pour déterrer quelques racines desséchées. La botte de foin s’échangeait sous le manteau à des prix faramineux. Les puits étaient à sec et le lit de l’Eure défait.

Allait-il pleuvoir à la fin ?
Ptèt ben qu’oui, ptèt ben qu’non. La météo débitait des menteries. « Y’a pas plus de nuages dans le ciel que de beurre en broche… » Au train où vont les choses me dit Joseph le fermier d’à côté, « j’va planter des cactus et élever des chameaux ». L’Henriette son épousée, n’était pas partante. C’est une bigote qui voit dans les caprices du ciel la colère du Père. Pour elle, la cause de tous les malheurs est entendue : « y’a plus personne à la messe. Alors, le bon dieu, occupé qu’il est avec les volcans en irruption, les centrales en fusion, les arabes en révolution…et j’en passe…il nous a oublié. Faudrait ptèt s’rappler à son bon souvenir pour l’Ascension ». Quand l’idée eut fait son chemin de croix dans la commune, il fut unanimement décidé lors du repas de la fête des voisins qu’il serait célébré des rogations.

Les rogations sont des prières pour la pluie. Depuis la nuit des temps jusqu’à jadis elles avaient lieu le lundi, mardi et mercredi précédant l’Ascension. Notre assemblée de joyeux Normands convint aussi sur ma suggestion de mohametant, de faire appel à l’imam de Sée pour qu’une salat al istisqâ (prière de la pluie) soit également dite. Ça ne mange pas de pain ! Lança le Maire après une tournée de goutte. Et pour assurer le coup, faudrait envoyer deux pèlerins, l’un à Rome et l’autre à la Mecque surenchérit un pochtron. Ben voyons !

Ce qui fut dit fut fait.
Au matin du cent deuxième jour de canicule une procession nombreuse et recueillie parcourut les chemins et les champs. Le prêtre vêtu d’une aube immaculée et d’une chasuble dorée aspergea la terre de gouttes d’eau bénite, puis, il déposa ça et là des petites pierres ornées d’une croix en cire blanche.
Pendant ce temps, sur la pelouse de paille où des tapis avaient été disposés, une dizaine de fidèles entonnèrent derrière l’imam la prière à deux rakaat. Pour faire pendant aux infidèles, on versa le sang d’un agneau égorgé sur la mare asséchée. Puis on rôtit la bête, tandis que Joseph mettait en perce un tonnelet de cidre aigrelet.

Par l’effet conjugué des prières, un gros nuage surgit. L’assistance resta un long moment comme statufiée, le nez en l’air, les yeux fixés sur ce signe évident. Le diacre et l’imam se congratulèrent avec force accolades. Jean-Yves en profita pour déboucher une bombonne de calva dont il sacrifia un petit verre au pied d’un pommier. A cet instant précis, le tonnerre gronda. Martine et quelques autres bigotes se signèrent en hâte. Slimane qui était sur le point de trinquer récita une sourate en fermant les yeux, les paumes ouvertes vers ciel. Ses mains recueillirent les premières gouttes d’un déluge qui crépita ensuite longuement sur le toit de la grange où l’assemblée s’était réfugiée.

Après les vêpres et salat el-asr, après méchoui et calendos, chacun s’en fut sur son petit nuage.
Le sommeil me porta vers des rêves insensés de prières exaucées. Et la pluie de plomb qui s’abattait sur les révoltés arabes cessa.

mardi 14 juin 2011

Kadhafi en rêvait, BHL l’a fait

Depuis le déclenchement du feu sur Tripoli, plus de cinq cent mille exilés ont franchi la frontière tuniso-libyenne : des travailleurs du quart monde au ventre vide et des familles entières, femmes, enfants sur des camionnettes surchargées ou à pieds poussant un troupeau de bêtes. Tous fuient l’horreur.
A l’échelle d’un pays de dix millions d’habitants, le défi est gigantesque. Imaginons l’état de la France si elle devait en quelques semaines accueillir plus de trois millions de pieds noirs.

« Bienvenue en Tunisie » pays du sourire et du jasmin. A Ben Gardane et à Tataouine, les boulangers font les trois huit, les mitrons tartinent les pains chauds de « Vache qui rit » qui sont immédiatement enfournés par une file d'affamés. A l’intérieur du pays, jusqu’à Kairouan, on se serre pour faire de la place aux arrivants ; dans les crèches, les écoles et les hôpitaux. Ni richesse ni travail à partager, mais c’est de bon cœur que l’on met quelques couverts de plus. L’hospitalité est une tradition ancestrale. La honte de s’y soustraire est pire que la mort.

Les Libyens sont des frères. Khadafi rêvait de l’union des deux pays. BHL l’a faite. Car de cette transhumance imposée naîtra l’évidence d’un seul peuple. La guerre a fait tomber la frontière de l’égoïsme des joueurs d’échecs.

« Mektoub », c’est inéluctable, la Tripolitaine avec la Tunisie puis la Cyrénaïque avec l’Egypte feront jonction. Et le domino libyen permettra l’émergence d’un ensemble homogène, cohérent et puissant. Ceci, lorsque les forces politiques, pour l’instant inexprimées, se solidariseront à l’exemple des hôtes tunisiens avec les exilés libyens. A condition aussi qu’elles puissent vaincre l’hostilité des puissants dont la perspective d’un Maghreb Unique est incompatible avec la vision d’un monde figé selon leurs intérêts passés.

Pour une fois, l’Algérie et la France sont au diapason. Le discours du ministre français de l’intérieur est synchrone avec la posture de son collègue d’Alger. L’un refoule avec force humiliation quelques milliers de rescapés d’un naufrage, l’autre claque la porte de la solidarité laissant le peuple algérien muet d’indignation par l’égoïsme de ses dirigeants. Car l’Algérie a purement et simplement fermé ses frontières à l’exode libyen. Elle n’a laissé qu’un passage au compte-gouttes. Les anciens de l’ALN au pouvoir s’en remettent totalement à la Tunisie dont ils ont éprouvé la générosité il y a cinquante ans. Pour dédouaner leur conscience, les Présidents de France et d’Algérie payent la note de l’aubergiste : ainsi, le Premier Ministre tunisien est rentré de Paris et d’Alger avec deux chèques à six zéros et des promesses de rallonges dans ses valises.

Les révoltes arabes forment entre elles un mouvement authentiquement révolutionnaire. Elles expriment le rejet d’un système d’asservissement féodal et la recherche d’un mode de société fondé sur la primauté de valeurs nouvelles, pour l’instant difficilement identifiables dans notre grille de lecture mais assurément revendicative du droit à l’indignation et la résistance. Bien que non pertinente, car l’histoire bégaie rarement, la recherche d’exemples passés permet la mise en évidence d’un facteur singulier : l’unicité. A regarder les mouvements de révolte et d’émancipation des années soixante (ségrégation raciale aux USA, liberté d’expression en France, autodétermination en Tchécoslovaquie…) aucun lien ne permettait la jonction des soulèvements dans un projet de société en commun. A l’inverse, le monde arabe est un. Par la langue, la tradition, l’histoire, les référents, les coutumes, la pratique culturelle.

Ce que démontre la vague de réfugiés libyens en Tunisie, c’est la fraternité et la simplicité du vivre ensemble. L’intégration d’un arabe dans un autre pays arabe est immédiate. Comparaison n’est pas raison mais, les peuples des Etats (non) Unis Arabes ont bien davantage de liens fusionnels que ceux des Etats Unis d’Amérique. C’est sans doute pourquoi la perception américaine des arabes est globale alors que celle des européens –eux même tellement différents les uns des autres- est ségrégationniste.

Notre vision du monde arabe est déformée d’un coté par la perception d’une géographie post-coloniale d’anthropologue qui nous porte à souligner les différences plutôt que les ressemblances, et d’un autre coté, par la transposition d’un regard miroir sur la vieille France. Ainsi, on s’attarde sur les tribus d’Afrique du Nord tout comme avant 1914 on différenciait les Bretons, des Basques, des Normands…Sur les chiites et les sunnites (transposition catholiques/protestants). Bien entendu, chaque population dans le monde arabe a sa personnalité, pas seulement au plan national et régional mais aussi dans les villages ou les villes traversées par un oued qui fractionne des identités artificielles comme à Gafsa ou Gabès. Mais ces différences propres à toutes les sociétés ne sauraient dissimuler la réalité du socle commun. Le devenir des peuples du Maghreb dans l’union est une évidence, celui d’une jonction avec le Moyen-Orient aussi.

Alors que le Soudan et la Syrie descendent encore plus bas dans l’horreur, les Etats du Golfe ont perçu le danger de la contagion des rebellions. Prenant prétexte du terrorisme, et du péril chiite, l’Arabie construit un mur de béton et d’électronique avec ses voisins. Ses troupes portent main forte à celles de Bahreïn et du Yémen pour mater les révoltes. Le Qatar et les Emirats bombardent Tripoli. Le Conseil de Coopération du Golfe dont le volet sécuritaire regroupe les pétromonarchies derrière un « bouclier » de défense à invité les royaumes de Jordanie et du Maroc à les rejoindre. Rabat n’a pas donné suite. Le monarque chérifien est plus jeune, plus instruit, plus proche de l’Espagne et des couronnes européennes dont il est invité à s’inspirer tant qu’il est encore temps.

Les murs des Etats Arabes tiendront-ils sous la pression des foules ?

On est loin de la concertation. Les révolutionnaires de l’an premier voyagent surtout vers l’Occident. Les sociétés civiles arabes n’échangent pas encore leurs expériences. Le champ de la fraternisation reste occupé par les islamistes. Pour l’instant, les « rues arabes » restent parallèles. Le désert les empêche de faire tâche d’huile. Pire, le grain de sable sahraoui menace d’entrainer le Maroc et l’Algérie dans une guerre fratricide.
Reste quelques lueurs d’espoir : celles des touristes qui viendront goûter les douceurs de l’été du printemps arabe.

Les estivants Algériens en Tunisie sont habituellement plus d’un million. Combien seront-ils cette année ?

jeudi 2 juin 2011

La Libye s’invite au salon du Bourget

Quelques semaines après les soulèvements tunisiens et égyptiens, la France mettait le feu à la Libye. Lorsque la fumée sera retombée, on découvrira – s’il y en a -, les motifs réels et sérieux de cette guerre à sens unique dont les effets collatéraux sont multiples.

Pour l’heure, la population tripolitaine est prise dans une nasse. La fuite par la mer est risquée car l’Europe de Schengen ne jette aucune bouée. Au Sud l’armée des insurgés accueille avec suspicion les présumés kadhafistes. A l’ouest, un océan de désert sans fin. Au nord la bordure algérienne est honteusement et hermétiquement fermée. Reste la Tunisie : « Bienvenue, vous êtes ici chez vous ! » Cette formule n’est pas une simple politesse ; le pays a accueilli en 70 jours plus de 500 000 exilés. Parmi lesquels des travailleurs de toutes nationalités qui ont été réacheminés vers leur pays d’origine, et des milliers de pauvres hères oubliés, venus de contrées tellement lointaines et misérables que le prix de leur vie ne vaut pas celui du voyage de retour.
Egalement, 350 000 libyens fuyant en camionnettes : femmes, enfants, vieillards entassés sur des meubles et des matelas. Les Tunisiens ont fait de la place dans les écoles et les crèches à leurs petits voisins, les malades sont soignés, tous sont réconfortés d’un toit et de repas partagés.
En Tunisie l’hospitalité est la première religion.

Compatissante, la France a d’abord réagi timidement en accordant dès février trois cent cinquante mille euros, puis en avril trois cent cinquante millions, enfin la semaine dernière à Deauville, l’enveloppe est passée à un milliard d’euros de crédits. C’est beaucoup et peu à la fois. Mais le contribuable français qui paye ici les dommages de son va-t-en guerre de Président devrait rentrer dans ses fonds (principal et intérêts), pas seulement parce que Tunis paye toujours ses dettes.

Depuis quarante ans, Paris avait obstinément espéré que Tripoli devienne l’Eldorado de son commerce extérieur de la paix. Giscard y livra une trentaine de Mirage ; Mitterrand se plia à tous les samaleks pour placer des Airbus ; Chirac se montra un rien moins naïf ; mais son successeur mit carrément Paris et la tour Eiffel à genoux devant le dictateur contre la promesse de commandes faramineuses de centrales nucléaires et de Rafale. Las, Kadhafi n’a jamais prisé le « made in France » et à part des broutilles de surveillances et quelques bateaux, il a toujours préféré acheter ailleurs. Question de service après-vente sans doute.

Pourtant, par une triste ironie du destin, Mouammar est devenu cette année le premier agent commercial de l’industrie française d’armement. Car dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, le produit n’a de valeur que par rapport à son usage. Une arme entreposée dans un hangar ne fait peur à personne si elle n’a pas fait la preuve de sa terreur. Le label « combat proven » pour un engin de guerre, c’est comme la médaille d’or à la Foire de Paris ou l’étoile au Michelin, ça booste les ventes. C’est pourquoi, le gouvernement français n’a pas lésiné. Toutes les capacités militaires air et mer ont été déployées en Libye.
Premiers sur zone, le porte avion, les navires de commandement, les frégates et même les sous-marins. Le savoir-faire des chantiers navals et des systèmes de combats embarqués sont à l’épreuve. Les Russes qui hésitaient hier encore se sont décidés au vue des dernières performances et les Saoudiens sortent aussi le chéquier en prévision de la prochaine visite présidentielle française.
Car tous les experts militaires du monde observent attentivement le théâtre des opérations, ils établissent des comparatifs. Les notes françaises sont bonnes selon les Britanniques ; c’est dire si les perspectives de marchés sont encourageantes !
Il y a le Rafale qui surclasse tous ses concurrents. Les exportations du fleuron de l’aviation française pourraient bien enfin décoller à la faveur d’une giga commande de l’Inde qui vient d’éliminer le chasseur bombardier américain de la compétition. Les Emirats Arabes Unis et le Qatar, qui participent aux grandes manœuvres libyennes vont passer de nouvelles commandes.
Les missiliers se frottent aussi les mains car des dizaines de millions d’euros ont été dépensées dans des bombardements « chirurgicaux » par les fameux Scalp et autres air sol. Ces dernières nouveautés coûtent entre trois cent mille et deux millions d’euros pièce ; on comprend qu’elles soient très parcimonieusement tirées lors des démonstrations commerciales. Les résultats constatés à Tripoli sont excellents, alors les intentions de commandes pleuvent. De plus, certains pays du Golfe ayant généreusement doté la rébellion libyenne de leurs stocks de missiles sol sol obsolètes, s’apprêtent à regarnir leurs étagères avec les derniers modèles.
Au chapitre des ventilos, la communauté internationale vient seulement d’autoriser l’emploi d’hélicoptères. Déjà, les premiers retours d’expériences sont prometteurs. Les industriels des transmissions et d’interceptions ne manquent pas eux aussi de vanter l’expérimentation in situ de leur matériel.
Seules ombres au tableau, l’infanterie et l’arme blindée qui restent encore provisoirement interdites de manœuvre et surtout les drones tueurs, domaine dans lequel la France empêtré dans une coopération avec les israéliens est en queue de peloton. Les US ont aimablement prêté quelques exemplaires que la France finira bien par acquérir.

Les grincheux ne manqueront pas de faire observer que jusqu’à présent les troupes de Kadhafi, réputés indolentes n’ont pas riposté une seule fois. Incompétence ou verrouillage systémique des fournisseurs ? La stratégie embrumée du dictateur imprévisible peut encore nous réserver des surprises.
Assurément, au prochain salon international du Bourget à la fin du mois, l’aéronautique militaire française et la communauté de l’armement sabreront le champagne sous une pluie de contrats. La Tunisie qui a été invitée au G8 sera-t-elle conviée en qualité de victime collatérale du champ de manœuvres ? Ce n’est pas certain ! Mais la Libye est assurée d’être à l’honneur de toutes les conversations sur les stands et les pavillons pour son action décisive dans la relance du commerce extérieur de la France.

Ceci est relatif. Comparaison n’est pas raison mais à titre indicatif et incongru, en 2009, les exportations françaises d’armements s’élevaient à 4,3 milliards, celles des vins et spiritueux à 9 milliards d’euros et celles de fromages à 2,5 milliards.

Alors, pas de quoi trinquer ni en faire tout un fromage !