Quelques semaines après les soulèvements tunisiens et égyptiens, la France mettait le feu à la Libye. Lorsque la fumée sera retombée, on découvrira – s’il y en a -, les motifs réels et sérieux de cette guerre à sens unique dont les effets collatéraux sont multiples.
Pour l’heure, la population tripolitaine est prise dans une nasse. La fuite par la mer est risquée car l’Europe de Schengen ne jette aucune bouée. Au Sud l’armée des insurgés accueille avec suspicion les présumés kadhafistes. A l’ouest, un océan de désert sans fin. Au nord la bordure algérienne est honteusement et hermétiquement fermée. Reste la Tunisie : « Bienvenue, vous êtes ici chez vous ! » Cette formule n’est pas une simple politesse ; le pays a accueilli en 70 jours plus de 500 000 exilés. Parmi lesquels des travailleurs de toutes nationalités qui ont été réacheminés vers leur pays d’origine, et des milliers de pauvres hères oubliés, venus de contrées tellement lointaines et misérables que le prix de leur vie ne vaut pas celui du voyage de retour.
Egalement, 350 000 libyens fuyant en camionnettes : femmes, enfants, vieillards entassés sur des meubles et des matelas. Les Tunisiens ont fait de la place dans les écoles et les crèches à leurs petits voisins, les malades sont soignés, tous sont réconfortés d’un toit et de repas partagés.
En Tunisie l’hospitalité est la première religion.
Compatissante, la France a d’abord réagi timidement en accordant dès février trois cent cinquante mille euros, puis en avril trois cent cinquante millions, enfin la semaine dernière à Deauville, l’enveloppe est passée à un milliard d’euros de crédits. C’est beaucoup et peu à la fois. Mais le contribuable français qui paye ici les dommages de son va-t-en guerre de Président devrait rentrer dans ses fonds (principal et intérêts), pas seulement parce que Tunis paye toujours ses dettes.
Depuis quarante ans, Paris avait obstinément espéré que Tripoli devienne l’Eldorado de son commerce extérieur de la paix. Giscard y livra une trentaine de Mirage ; Mitterrand se plia à tous les samaleks pour placer des Airbus ; Chirac se montra un rien moins naïf ; mais son successeur mit carrément Paris et la tour Eiffel à genoux devant le dictateur contre la promesse de commandes faramineuses de centrales nucléaires et de Rafale. Las, Kadhafi n’a jamais prisé le « made in France » et à part des broutilles de surveillances et quelques bateaux, il a toujours préféré acheter ailleurs. Question de service après-vente sans doute.
Pourtant, par une triste ironie du destin, Mouammar est devenu cette année le premier agent commercial de l’industrie française d’armement. Car dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, le produit n’a de valeur que par rapport à son usage. Une arme entreposée dans un hangar ne fait peur à personne si elle n’a pas fait la preuve de sa terreur. Le label « combat proven » pour un engin de guerre, c’est comme la médaille d’or à la Foire de Paris ou l’étoile au Michelin, ça booste les ventes. C’est pourquoi, le gouvernement français n’a pas lésiné. Toutes les capacités militaires air et mer ont été déployées en Libye.
Premiers sur zone, le porte avion, les navires de commandement, les frégates et même les sous-marins. Le savoir-faire des chantiers navals et des systèmes de combats embarqués sont à l’épreuve. Les Russes qui hésitaient hier encore se sont décidés au vue des dernières performances et les Saoudiens sortent aussi le chéquier en prévision de la prochaine visite présidentielle française.
Car tous les experts militaires du monde observent attentivement le théâtre des opérations, ils établissent des comparatifs. Les notes françaises sont bonnes selon les Britanniques ; c’est dire si les perspectives de marchés sont encourageantes !
Il y a le Rafale qui surclasse tous ses concurrents. Les exportations du fleuron de l’aviation française pourraient bien enfin décoller à la faveur d’une giga commande de l’Inde qui vient d’éliminer le chasseur bombardier américain de la compétition. Les Emirats Arabes Unis et le Qatar, qui participent aux grandes manœuvres libyennes vont passer de nouvelles commandes.
Les missiliers se frottent aussi les mains car des dizaines de millions d’euros ont été dépensées dans des bombardements « chirurgicaux » par les fameux Scalp et autres air sol. Ces dernières nouveautés coûtent entre trois cent mille et deux millions d’euros pièce ; on comprend qu’elles soient très parcimonieusement tirées lors des démonstrations commerciales. Les résultats constatés à Tripoli sont excellents, alors les intentions de commandes pleuvent. De plus, certains pays du Golfe ayant généreusement doté la rébellion libyenne de leurs stocks de missiles sol sol obsolètes, s’apprêtent à regarnir leurs étagères avec les derniers modèles.
Au chapitre des ventilos, la communauté internationale vient seulement d’autoriser l’emploi d’hélicoptères. Déjà, les premiers retours d’expériences sont prometteurs. Les industriels des transmissions et d’interceptions ne manquent pas eux aussi de vanter l’expérimentation in situ de leur matériel.
Seules ombres au tableau, l’infanterie et l’arme blindée qui restent encore provisoirement interdites de manœuvre et surtout les drones tueurs, domaine dans lequel la France empêtré dans une coopération avec les israéliens est en queue de peloton. Les US ont aimablement prêté quelques exemplaires que la France finira bien par acquérir.
Les grincheux ne manqueront pas de faire observer que jusqu’à présent les troupes de Kadhafi, réputés indolentes n’ont pas riposté une seule fois. Incompétence ou verrouillage systémique des fournisseurs ? La stratégie embrumée du dictateur imprévisible peut encore nous réserver des surprises.
Assurément, au prochain salon international du Bourget à la fin du mois, l’aéronautique militaire française et la communauté de l’armement sabreront le champagne sous une pluie de contrats. La Tunisie qui a été invitée au G8 sera-t-elle conviée en qualité de victime collatérale du champ de manœuvres ? Ce n’est pas certain ! Mais la Libye est assurée d’être à l’honneur de toutes les conversations sur les stands et les pavillons pour son action décisive dans la relance du commerce extérieur de la France.
Ceci est relatif. Comparaison n’est pas raison mais à titre indicatif et incongru, en 2009, les exportations françaises d’armements s’élevaient à 4,3 milliards, celles des vins et spiritueux à 9 milliards d’euros et celles de fromages à 2,5 milliards.
Alors, pas de quoi trinquer ni en faire tout un fromage !
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