mardi 25 août 2009

Lévy au coin du feu

A la recherche d’un livre de cuisine, je tombe sur un Bernard-Henri Lévy tout neuf vendu un euro. Ça ne vaut guère plus me dis-je en tendant la pièce au bouquiniste.

Je me souviens avoir rencontré le philosophe dans un restaurant improvisé au fond d’une cave éclairée à la bougie. Il s’était assis à ma table guidé par un colonel français. Dehors le mortier grondait. Sarajevo saignait.
Le sionisme de l’homme m’indisposait mais je n’étais pas insensible à son panache. L’adrénaline est une drogue mortelle. Peut-être l’aidait-elle à écrire ? Mais il n’était pas obligé d’être là. Beau, riche, intelligent, célèbre… Nous n’avions rien en commun si ce n’est d’avoir chacun une très belle femme restée à la maison.
BHL avait gagné mon indifférente indulgence et la soirée se prolongeait dans l'attente de l’accalmie de minuit, heure où les snipers ivres de crimes et de gnole s’assoupissaient.

Soudain, la porte s’ouvrit à la volée sur un homme en imperméable. Je reconnus un conseiller à la Mairie de Paris rencontré dans le vol agité de Maybe Airline du matin. Je l’invitai à notre table. A l’oreille il me dit qu’il ne voulait pas fréquenter le même établissement que BHL et s’en retourna aussitôt vers l’orage des mortiers.

Par la suite, au gré de mes emportements contre Lévy, en particulier quand il assista aux massacres de Gaza depuis la tourelle d’un char israélien en décembre dernier, je me suis reproché la lâcheté de ce dîner. J’aurais dû sortir moi aussi. J’aurais dû entre la peur des tueurs et le mépris de moi faire le bon choix.

Avec ce livre à un euro, je tenais enfin une vengeance froide et mesquine à l’image de l’auteur !
Un autodafé à ce prix, c’est pour rien ! Me dis-je devant la cheminée.

Je procédais méticuleusement car pour allumer un fagot de brindilles avec un livre, il faut d’abord en arracher les pages, une à une puis les froisser…Oui mais voilà, on ne peut pas demander à un gourmand d’ouvrir un pot de confiture sans y tremper le doigt ! D’autant qu’il s’agit d’un imposant volume de chez Grasset avec une belle couverture de couleur paille « Qui a tué Daniel Pearl?»
C’est l’histoire d’un juif qui enquête sur l’assassinat d’un autre juif. L’auteur, routard confirmé, nous décrit Karachi et Kandahar avec des détails surprenants. Il se met en scène, brave tous les dangers. Quel homme ! C’est mieux qu’un SAS de Gérard de Villiers…

Le feu attend. Une trentaine de pages suffisent pour embraser les bûchettes. Je m’allonge sur le canapé. Ma lecture devient paresseuse, la cheminée fume un peu, je lui lance les boulettes de papier comme des friandises. Le récit est très documenté mais les hypothèses tirées par les cheveux. L’écrivain a consulté des sources grises mais trop fréquenté les dîners d’ambassades. Au fil du roman-reportage, c’est parfois avec regret que je nourris le foyer qui maintenant ronronne. Quelques portraits sont saisissants de vérité. On se sent tour à tour égorgeur et égorgé. Il y a des lignes trop bien ! Je m’y attarde.

Et mine de rien, je dérobe à mes convictions quelques feuilles que je dissimule sous un coussin, pour relire plus tard, au cas où le feu viendrait à manquer…

dimanche 23 août 2009

Supercheronneries

« Pisqu’on t’dit qu’on a besoin de toi, tu viens, tu discutes pas…» Léon m’entraîne fermement par le coude vers la cabine de son quinze tonnes où patiente Emile qui mâchouille son premier mégot de la journée. On roule en silence. Derrière dans la remorque, des moutons serrés comme des pelotes protestent dans les virages. Je profite d’une ligne droite pour rappeler à mes kidnappeurs les dispositions du code pénal. « bééé !» fait Léon en relançant le camion. Tout à coup je pige. On va au marché de Forban ! « T’as deviné ! Paraît qu’t’es fortiche en stratégie de crise, alors on veut te voir à l’œuvre » lance le compère en me montrant le canon du fusil qui dépasse derrière son siège.

Figurez-vous que l’an dernier mes voisins se sont vilainement fait tondre à la grande foire aux ovins de Forban. Des filous s’étaient entendus pour faire baisser les cours, résultat : des agneaux supérieurs extra lourds ont été bradés 25 euros. Rendez-vous compte, une bête sur patte sortie du pré au prix du kilo de gigot ! Pour survivre à ce mauvais coup, les éleveurs avaient été obligés d’aller pleurnicher au Crédit Agricole et de bouffer des patates. Emile et Léon s’en étaient mieux sortis en vendant le reste de leur cheptel à une filière clandestine d’égorgeurs halal d’Agnus Dei.
Mais pendant l’hiver autour des ragouts de pomme de terre, la mésaventure avait alimenté la fronde. La résistance s’était organisée. Il avait été juré croix de bois croix de fer qu’aucun éleveur ne céderait plus jamais d’agnelle à moins de cinquante euros. Le cas échéant, les innocentes bêtes seraient conduites illico presto à la Tour Eiffel pour y être saignées et barbecutées sous les caméras de BBC News dont le correspondant résidant secondairement dans le Perche avait été mis dans le scoop.

Voici pourquoi l’appréhension me nouait l’estomac en arrivant à Forban où un comité d’accueil inhabituel nous attend. Des hôtesses en jupettes guident notre semi-remorque vers le parking, puis des jeunes gens souriants nous aident à la manœuvre de déchargement des bêtes, même le vétérinaire se montre avenant… C’est louche ! Mes compagnons se renfrognent. « Ça sent la récidive ! » L’esplanade est bientôt couverte d’enclos de fortune. L’inquiétude gagne les moutons qui bêlent de concert. Tiens, il y a des acheteurs de Zurich et de Dubaï. Voici que le maire de Forban monte sur l’estrade, il annonce au micro que le maquignon habituel étant grippé, (aaah ! se réjouit la foule) il assurera personnellement la criée des enchères (oooh ! se lamente la foule). Mais à l’ébahissement général le premier lot de médiocres moutons maigres est adjugé au prix faramineux de 180 euros l’animal. Les sourires reviennent, d’abord incrédules, puis un joyeux chahut gagne l’assemblée au rythme de la flambée des cours. 300 euros ! Du jamais vu pour un navarin sur pattes. Le fusil est rangé, les bouteilles circulent, les i-phones textotent la bonne nouvelle. La jacquerie prévue est ajournée sine die.

« Bon ce n’est pas tout, va falloir qu’on s’occupe des pommes maintenant ! » annonce l’Emile sur la route du retour.
Il faut dire que l’an dernier, la récolte avait été tellement exceptionnelle que l’on s’était tous cassé le dos à ramasser des tonnes de reinettes. Peine perdue ! La cidrerie avait refusé les camions de la région. « Il faut se mettre à l’heure de l’Europe » avait expliqué le jeune directeur de l’usine. « J’importe les fruits à cinq centimes d’euro le kilo…de Pologne, troisième exportateur mondial grâce à sa voisine l’Ukraine! Désolé les gars, allez voir chez les compotiers…» Résultat : toute la récolte était partie dans les auges à cochons et les garnitures à boudins.
« Ça va changer » avaient alors juré les normands qui n’aiment pas être pris pour des pommes plus d’une fois dans leur vie.

En doublant une voiturette, Léon me confie que Dimanche prochain, pendant que les femmes seront à la messe de la nouvelle basilique d’Alençon, on tiendra conclave sur les méthodes de radicalisation du mouvement façon bonbonnes de butane. Je me dis que ça sent le roussi et me hâte de déclarer avec une belle hypocrisie « Je suis désolé les copains mais sur ce coup-là, il faudra vous passer de ma pomme car je serai en voyage d’affaires à l’étranger, on me demande d'intervenir sur la baisse des cours du gaz d'Iran et d'Algérie et d’aller éteindre le feu en Grèce…»

vendredi 14 août 2009

Le voyage de Lise

Corne d’Afrique
Si on avait pu lui trouver de l’ombre le thermomètre aurait affiché 45°. Je débarquais à Djibouti un jour d’été dans un aéroport abandonné aux mouches. L’accablement déclencha in petto la question habituelle « mais qu’est-ce que je fous ici ? » En remplissant machinalement un imprimé, je pense au café de Flore. Sur le parking le loueur de voiture me tend les clés d’une Toyota dans laquelle un gamin en loque s’engouffre aussitôt. Je l’interpelle gentiment en arabe« Que veux-tu mon fils ? » Dans un sourire éclatant, il me répond du tac au tac « Devenir ton fils mon père ! » On rigole. Il s’appelle Abdo (créature). Ce prénom est généralement précédé de celui du père. Mais Abdo tout court n’en a jamais eu ! Il me propose de garder la voiture en y élisant domicile pendant la durée de mon séjour. On se met d’accord sur le tarif et roule jeunesse ! Abdo est du Yémen, il a été enrôlé sur un boutre comme mousse de compagnie à l’âge 6 ans. Pour lui forger le caractère, les hommes d’équipage se sont amusés à le flanquer à la mer au bout d’une corde au large des Dahlaks. Un requin lui a bouffé un bras et un pied. L’orphelin fut sauvé par Allah avant d’être débarqué par les marins. Abdo a été recueilli par un chef-mendiant qui emploie une trentaine d’estropiés et d’aveugles…

Asie centrale
La ville n’avait pas de nom, seulement un numéro. Elle ne figurait sur aucune carte. Jadis, nul ne pouvait y entrer sans un laissez-passer de l’armée rouge. Mais en ce début de fin de siècle, le mur de Berlin est tombé entrainant la chute de tous les interdits. L’économie de la puissante Union ex-Soviétique est exsangue, la pénurie immense, et le peu qui reste est à vendre. Pour me distraire, mon interprète me conduit au marché central faire la connaissance des quelques rares marchands survivants. Mes habits de chez Zara et mes bottines fourrées font immédiatement sensation. Une énorme babouchka m’interpelle. Elle est assise sur un petit banc face à une motte de beurre et une jarre de crème. On lui dit que je suis français. « fransouski !! » Elle me tend une main énorme et chaude qui engloutit la mienne puis se met à chantonner doucement dans un français mélodieux « savez-vous planter les choux ? A la mode, à la mode ?... On les plante avec le nez…» Son regard est perdu dans un ailleurs merveilleux, bientôt de grosses perles roulent sur ses joues. L’éternité de la comptine s’achève, elle me rend ma main en me gratifiant d’un sourire d’amante comblée.

Balkans
On roule depuis deux heures sur une route déserte vers la cote Adriatique. Tous les vingt kilomètres on est contrôlé par un barrage de casques bleus. Encore une fois, la cavalerie de la bonne conscience internationale est arrivée trop tard. La Krajina est encore tiède de ses horreurs. Les Serbes ont massacré leurs voisins Croates qui se sont vengés, ou l’inverse c’est selon la boussole de l’histoire. Les moissons pourrissent dans les champs, des carcasses de bêtes encombrent les fossés. Des villages ont été détruits puis concassés et réduits à d’immenses esplanades de cailloux afin que nul ne puisse revenir y bâtir ses souvenirs. Peu avant Zadar, une grange est miraculeusement intacte. On s’arrête en bord de route. A cinquante mètres sur un chemin de terre, une fillette nous regarde, tête haute, épaules tombantes, elle est vêtue d’une sorte de chemise de nuit en toile qui lui cache les pieds. Au bout de son bras ballant pendouille un nounours. On lui fait signe, on l’appelle, on klaxonne… Aucune réaction, on est transparents. Je décide d’aller vers elle. Mon compagnon parano me retient. « Tu es fou ? N’y vas pas ! C’est peut-être un piège ! C’est sûr y’a des mines !» On se chamaille. Tout à coup, il se met à pleuvoir. La petite fille a disparu. On attend que l’orage passe sans dire un mot.

Arabie
A la villa de Ryiad Ahmed le domestique soudanais était loué avec les meubles depuis vingt cinq ans. « Je suis arrivé en Arabie avant le pétrole » me confia t-il un jour. « J’étais alors un jeune seigneur bien plus riche que les bédouins d’ici, et puis… Edhourouf (les circonstances). Aujourd’hui je suis comme un esclave, mais Allah m’a permis d’avoir trois fils, ils sont étudiants à Khartoum…Je retourne dans ma famille pendant le mois de Ramadan, une année sur deux » Nous étions devenus presqu’amis. Un jour il s’enhardit « je voudrais me permettre une question ? Comment as-tu fait pour devenir chef chez les infidèles ? » Je lui expliquais sommairement mes études sans parvenir à le convaincre. « Tu as un secret » me dit-il avant de me révéler le sien : la danse. Oui, dans un pays où les cinémas, les théâtres, les concerts sont interdits, où la joie et le rire sont suspects, Ahmed, chaque soir après la prière dans le secret de sa chambre, évoluait comme un derviche tourneur les paumes tournées vers le ciel au son d’une lancinante litanie incantatoire Allah hou! Allah hou!...

Alençonnais
Chaque année, le village normand s’anime pour la fête des arts. Les habitants accueillent chez eux les œuvres d’artistes de la région. J’entre dans une maison de pierres où sont disposées une vingtaine de figurines de terre cuite. L’émotion me prend la gorge, je vacille, je sors, je reviens. Je rêve ? Le petit garçon au regard malicieux qui tient un bâton, c’est Abdo le gamin de Djibouti … Près de la margelle en djellaba et turban, c’est Ahmed le noble domestique de Riyadh ! Sur un guéridon trône l’éléphantesque babouchka russe au visage poupin, à coté la petite fille au nounours de Zadar ! L’âge me prend tout à coup sans prévenir, je deviens légume, voici que je donne vie à des mottes de glaise. En vain je tente de me ressaisir. Finalement, pour dissiper le trouble j’achète la seule statuette qui ne m’évoque aucun souvenir ; l’homme est accroupi le buste tendu entre les jambes, la tête relevée, les yeux voluptueusement clos comme perdu dans ses souvenirs.

Lise Del Medico sculpte les mémoires.

samedi 8 août 2009

Le retour de la chèvre (dernier épisode)

« … je fus immédiatement accroché au grand ciel clair de ses yeux. La musique envoutante de sa voix avait figé mon temps. Je me suis approché à la limite de l’indécence pour respirer son parfum de femelle. Je compris que cette rencontre remplirait le reste de mon existence… »

L’âne baratineur marque une pose et souffle des naseaux. Ses confidences romantiques ne m’impressionnent pas. Il a pour manie de s’amouracher aux nuits de pleine lune de tout ce qui passe au large de son enclos. Mais sitôt saillie il se bagarre avec celle qu’il a séduite. L’an dernier l’affaire a mal tourné, la femme du blaireau lui a emporté un bout de queue. Bref, l’histoire se répète et depuis deux jours la chèvre de Sekkinn fait champ à part.

Enfin, le baudet me brait sa prière « toi qui mieux que moi sait faire l’âne, va lui parler, dis-lui que mon coup de pied était atavique, sans méchanceté aucune, j’étais stone… »

Je finis par céder et me retrouve accroupi dans l’herbe au pied du piquet de la biquette. En guise de salut, je lui tends une Camel sans filtre qu’elle mâchonne aussitôt avec gourmandise. Je m’efforce de lui vanter les rares vertus du bourricot, l’exercice est difficile, ma plaidoirie commise d’office tourne au réquisitoire. La bique écoute avec patience, pleurniche un peu sur son ânerie, puis relève la tête et murmure « je t’en supplie, éloigne moi de tête d’ananas, ramène moi auprès de la tombe de mon bagnard dans le cimetière de l’homme scorpion».

« A Tataouine ? »

jeudi 6 août 2009

Histoires de bêtes

Ma voisine de campagne qui jadis a perdu son mari en Grèce, a adopté pour se consoler un baudet du Péloponnèse. C’est un affreux quadrupède gris souris avec une touffe entre les oreilles qui lui fait une tête d’ananas. L’animal inutile est régulièrement pourvu en pain dur que sa maitresse un peu snob fait spécialement rassir chez un grand boulanger parisien. Le bourricot obèse filait des jours sans soleil jusqu’à l’arrivée de la chèvre de Sekkinn. Ce qui s’est passé entre ces deux bêtes, nul ne le sait, toujours est-il que depuis, la biquette brait et l’âne béguète.
On se demande s’il faut convoquer le prêtre ou l’équarisseur.

Dans le bled de mon enfance, un pauvre diable ramassait dans le désert des scorpions qu’il venait ensuite exhiber à la terrasse des cafés. Les clients de loin lui jetaient des piécettes pour l’empêcher d’approcher. Devant les distraits et les radins, le mendiant à bout d’arguments croquait comme des friandises quelques reptiles vivants. Le trouble à l’ordre public devint insupportable avec l’arrivée des premiers touristes. La police locale l’intercepta au lasso, le roula dans un tapis et l’expédia à la prison du chef lieu où il fût débarrassé de sa vermine.
Quelques jours plus tard, l’homme scorpion se suicida en se mordant la langue.